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La justiciabilité du droit à l'eau, une perspective indienne

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par Morgane Garon
Université de Rouen - Master 2 Pratique européenne du droit  2016
  

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Section 2 : Les limites rencontrées par le juge dans la mise en oeuvre de la justiciabilité du droit à l'eau.

En ce qui concerne la justiciabilité du droit à l'eau, il est certain que le juge a été idéalisé dans son rôle. Son activisme a pu être inspirant ; cependant, son action est nécessairement limitée (§1) ; la justiciabilité n'est pas le seul fait du juge doit être également permise par l'Etat (§2)

§1 -- Entre légitimité et compétence, les limites de la justiciabilité par le juge

Le commentaire de P.Peresboom introduit parfaitement les enjeux et la question de la place du juge

Les arguments à propos de la façon dont l'activisme du pouvoir judiciaire devrait être et la méthode et les principes d'interprétation constitutionnelle appropriés ne peuvent être réglés en faisant appel aux exigences d'une faible règle de droit et se forment en partie sur la croyance d'une compétence judiciaire. Par exemple les tentatives de magistratures activistes pour faire face aux inégalités sociales par l'interprétation des dispositions relatives aux droits économiques et sociaux ont globalement conduit à des critiques sur le fait que cette règle de droit est compromise en Inde et aux Philippines. Bien que ces dispustes se produisent également dans le cadre de l'interprétation large des clauses relatives aux droits civils et politiques, ils donnent souvent lieu à des préoccupations supplémentaires concernant la compétence judiciaire en ce qu'elles impliquent des décisions d'allocation de ressources dont les meilleurs gestionnaires sont sans le législatif et l'exécutif. '

L'importance qu'a joué le juge indien dans la mise en oeuvre de la justiciabilité du droit à l'eau n'est pas en effet sans poser de question tant sur la légitimité de son action (A) que sa compétence (B)

A. Le système indien de justiciabilité du droit à l'eau, la remise en cause de la légitimité du juge C'est particulièrement sur la question de la légitimité du juge à définir des

sa' Notre traduction de «Arguments about how activist the judiciary should be and the proper method and principles of constitutional interpretation cannot be settled by appealing to the requirements of a thin rule of law alone and will tun in part on one's belief about judicial competence. For instance attempts by activist judiciaries to adddress social inequities by interpreting economic rights provisions broadly have led to complaints that rule of law is being undermined in India and the Philippines. While such dispustes also occur in the context of interpreting broad clauses regarding civil and political rights, they often give rise to additional concerns about judicial competence in that hey involve ressource allocation decisions arguably best left to the legislative and executive » in PEERENBOOM (R.), Human Rights and Rule of Law: What's The Relationship? Geo. J. Intl L., 2004, vol. 36, p. 809.

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obligations positives vis-à-vis de l'État que s'est concentré le débat. Les critiques font écho à celles de la nature injusticiable des DESC. En effet, la grande imprécision de la définition du droit à l'eau dans la jurisprudence indienne et donc de ses obligations corrélatives fait craindre l'empiétement du juge sur les prérogatives du Législateur.Cependant, même au sein des partisans des DESC, des inquiétudes se sont élevées concernant la mise en fragilité de la séparation des pouvoirs et le risque de glissement du contrôle du juge vers un contrôle plus politique que judiciaire. Ainsi « le juge, qui ne bénéficie d'aucune légitimité démocratique au sens où il n'a pas été désigné par le peuple, outrepasserait donc son rôle en intervenant dans ce domaine. Réapparaissent en toile de fond le principe séculaire de séparation des pouvoirs et de « gouvernement des juges »348

Comme nous l'avons constaté, les techniques d'interprétation utilisées par le juge pour élargir la portée de l'article 21 de la Constitution offre à ce dernier un pouvoir très important, lui permettant de redessiner la séparation entre le pouvoir judiciaire et législatif voire d'usurper les prérogatives politiques du législateur en ordonnant aux gouvernements de consacrer des montants spécifiques pour la réalisation du droit à l'eau. Selon E.W. Vierdag de tels agissements feraient du juge un organe politique. En effet, le juge pourrait alors ordonner au Législateur les mesures à adopter pour réaliser le droit à l'eau et les critiquer. Par conséquent cela reviendrait à porter atteinte à « la souveraineté parlementaire en matière d'initiative législative »349 Cependant le pouvoir du juge n'est pas un pouvoir politique. En témoigne le fait que les juges ne sont pas élus démocratiquement. Le pouvoir judiciaire ne peut donc prétendre à la même légitimité que le Parlement dans l'expression de la loi. Par ailleurs dans l'arrêt Bandhuva Mukti Morcha v. Union of India la Cour Suprême reconnaît elle même cette limite

La Constitution comprend une importante séparation des pouvoir de l'Etat entre le législatif, l'exécutif et le pouvoir judiciaire. Bien que la séparation ne soit pas précisément délimitée, ses limites sont généralement reconnues. Les limites peuvent être déterminées à partir du texte écrit de la Constitution, des conventions et la pratique constitutionnelle, et à partir de l'ensemble de l'éventail des décisions judiciaires. 35°

348NIVARD (C.) La justiciabilité des droits sociaux: étude de droit conventionnel européen, op. cit. p.142

349VIERDAG «The Legal Nature of the Rights guaranteed by the International Covenant on Economic, Social and Cultural Rights », Netherlands yearbook of international law, vol.9,1978. p.93

3s° Notre traduction de « The Constitution envisages a broad division of the power of state between the legislature, the executive and the judiciary. Although the division is not precisely demarcated, there is general acknowledgment of its limits. The limits can be gathered from the written text of the Constitution, from conventions and constitutional practice,

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Il reste cependant que cette critique soit à relativiser bien que la préoccupation soit sérieuse. L'activisme judiciaire en matière de droit à l'eau est limité et n'a pas mené le juge à franchir la limite ténue de la séparation des pouvoirs si ce n'est la découverte du droit à l'eau dans la disposition de la Constitution bien qu'en tant qu'interprète authentique de cette dernière on puisse tempérer cette affirmation. Dans le cadre de la justiciabilité du droit à l'eau, le juge a dégagé des obligations essentiellement négatives. Par ailleurs, dans le cas Narmada Bachao Andolan l'opinion majoritaire soutint

Si une décision politique donnée a été prise, qui n'est pas en conflit avec une loi ou malafides, il ne sera pas dans l'intérêt public d'exiger de la Cour qu'elle aille enquêter sur ces domaines qui sont les

fonctions de l'exécutif 351

Aussi D. Annoussamy constate que la séparation des pouvoirs en Inde lui est particulière puisque « la séparation des pouvoirs n'est nulle part rigoureusement réalisée »352. Par conséquent « La Cour suprême a acquis un rôle direct dans le domaine législatif, cela pour pallier la carence du Parlement qui n'a pas le temps de s'occuper des problèmes qui n'ont pas une valeur électorale immédiate » 353; l'Exécutif s'en remet également au judiciaire déléguant les affaires particulièrement polémiques

Cette sorte d'abdication été très bien décrit par la Cour elle même dans un jugement relatif aux emplois réservés dans la fonction publique, en ces termes : « Il s'agit de questions sociales, constitutionnelles et légales de nature complexe au sujet desquelles la société est profondément divisée et qui pourraient être résolues de façon plus satisfaisante par le processus politique ; mais il en est autrement, la décision a été reléguée à la Cour, ce qui montre à la fois la répugnance de l'exécutif à se saisir de ces questions brûlantes et aussi la confiance mise dans le pouvoir judiciaire.

Quoiqu'il en soit D. Robitaille lors de son étude sur la justiciabilité des droits sociaux en Inde observe que « La Cour indienne [...] a choisi d'intervenir lorsque les politiques publiques affectaient particulièrement les besoins et les droits des personnes vivant dans des conditions très difficiles. Au delà de ce genre de circonstances, il semble que les juges constitutionnels ne soient pas prêts à remettre en question les choix politiques du

and from an entire array offudicial decisions. » in 1984 SCR (2) 67

351 Notre traduction de «If a considered policy decision has been taken, which is not in conflict with any law or is not malafides, it will not be in public interest to require the court to go in to and investigate those areas which are the

functions of the executive » in AIR 2000 SC 3751

352ANNOUSSAMY, David. la Justice en Inde. les Cahiers de 1"IHEJ, op. cit. p. 23 353lbid, p.25

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Législateur »'.

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