B. Le contrôle de la mise en oeuvre du droit
à l'eau
Une autre voie d'intervention pour le juge serait de s'appuyer
sur les politiques sur l'eau émises par le gouvernement indien. Ainsi,
« s'il peut apparaître difficile pour un juge d'imposer la mise en
place de programmes et de politiques, rien ne s'oppose à ce qu'il
contrôle ces derniers une fois qu'ils ont été
adoptés »338. Ainsi J. Khotari suggère de
transposer la méthode utilisée par le juge dans le cadre de la
justiciabilité du droit à l'alimentation à celui du droit
à l'eau339 En effet, dans plusieurs décisions la Cour
Suprême a également consacré en vertu de l'article 21, un
droit à l'alimentation suivant le même processus que celui de la
reconnaissance du droit à l'eau. Dans le cadre de l'arrêt
People's Union for Civil Liberties (PUCL)340 que la Cour
Suprême a rendu une série ordonnance provisoires relatives
à l'application des programmes indiens de distribution alimentaire
tandis que l'importante sécheresse qui avait touché plusieurs
États indiens avait entraîné une famine ; les plus pauvres
furent gravement touché par cette dernière. A cette occasion, la
Cour Suprême reconnut un droit à l'alimentation distinct qu'elle
entendit largement comme le droit à la distribution et l'accès
à l'alimentation ainsi que d'être délivré de la
malnutrition et de la famine. Sur ce fondement, la Cour Suprême reconnut
la responsabilité des États dans la fourniture de vivres. Ainsi
à travers son ordonnance qui fut sans précédent, elle
somma les gouvernements des États et l'Union de mettre en oeuvre huit
programmes d'aides alimentaires à destination des plus pauvres
déjà existants notamment concernant la distribution des quotas de
céréales disponibles. Autre point qui mérite d'être
souligné, elle modifia le contenu d'un des programmes d'aide alimentaire
ce qui aboutit en 2002 à l'obligation pour l'État de fournir un
repas à tous les enfants de
338NIVARD (C.), « Section 3. Le droit à
l'alimentation », La Revue des droits de l'homme, 2012, 252
339Kothari, (J.) The right to water: A
constitutional perspective. In workshop entitled `Water, Law and the
Commons' organised in Delhi (Vol. 8). 2006-2009
'People's Union for Civil Liberties v. Union of India, Writ
Petition (Civil) 196 of 2001
85
toutes les écoles primaires de l'Inde341.
J.Kothari propose de permettre un contrôle similaire du juge sur les
mesures prises par l'État afin de permettre la justiciabilité du
droit à l'eau342. Bien que jamais encore
réalisée, la proposition est intéressante surtout dans le
contexte actuel. En effet, durant les dernières décennies le
gouvernement indien au niveau central a développé un certain
nombre de mesures qui attestaient d'une prise en compte de plus en plus
importante de la nécessité d'assurer les moyens de
réaliser le droit à l'eau. Ainsi, le Accelerated Rural Water
supply program (ARWSP)343 établit un cadre d'orientation
permettant l'approvisionnement en eau potable dans les zones rurales qui
était à la fois audacieux et significatif. En effet, le ARWSP
dès les années 1970 consacrait une quantité minimum d'eau
qui représentait la quantité la plus basse nécessaire pour
la réalisation du droit à l'eau comprise autour de quarante
litres d'eau par jour et par personne. Cette politique reflétait une
très bonne compréhension des enjeux liés à l'eau
tant dans une perspective de court terme que de long terme.344
Cependant les réformes prises ses dernières années font le
contre-pied des orientations politiques indiennes d'alors. Ainsi le ARWSP a
été remplacé en 2009 par le National Rural Drinking
Water program (NRDW)345 à partir duquel il est constaté une
mutation majeure par rapport aux politiques indiennes antérieures
concernant la fourniture d'eau potable dans les zones rurales ce qui n'est pas
sans effet quant à la réalisation du droit à l'eau. En
effet, le changement de paradigme de ces dernières années s'est
notamment ressenti dans sa compréhension de l'eau comme un bien
économique et non plus comme un droit En effet, le NRDW a cherché
à s'émanciper de la vision de l'approvisionnement en eau comme
d'un droit individuel mesurable à travers une quantité minimum
d'eau par personne et par jour à la faveur d'un concept plus vague de
« sécurité de l'eau potable » considérant
simplement des entités comme bénéficiaires (les foyers) au
détriment des individus. P. Cullet suggère comme nous le verrons
que l'intention du gouvernement central manque de clarté346 ;
l'intervention du juge pourrait permettre d'assurer avec encore plus de
visibilité le droit à l'eau, ainsi que sa
justiciabilité.
341NIVARD (C.), « Section 3. Le droit à
l'alimentation », op. cit, 253
342Kothari, (J.) The right to water: A
constitutional perspective. op. cit.
'Government of India, Accelerated Rural Water Supply Programme
Guidelines
3'`CULLET (P.). Realisation of the fundamental
right to water in rural areas: implications of the evolving policy
framework for drinking water. Economic & Political
Weekly, 2011, vol. 46, no 12, p. 60
"Ministry of Rural Development, Guidelines on Swajaldhara,
2002
346CULLET (P.). Realisation of the fundamental
right to water in rural areas: implications of the evolving policy
framework for drinking water., op.cit. p. 60
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