Section 2 : Entre complémentarité et
confusion, les conséquences des approches multiples du droit à
l'eau
Il existe une interrelation entre les droits sociaux et
environnementaux au point qu'ils soient souvent confondus. Ainsi leur
protection est nécessaire l'une à l'autre. Le droit à
l'eau est à l'intersection de ces approches ce qui rend parfois sa
compréhension malaisée, ainsi que la définition de sa
protection (§1) ; au delà des difficultés, il est dont
salutaire de réfléchir à une approche globalisante
permettant de réaliser les différents aspects du droit à
l'eau et donc de le réaliser dans son entièreté : c'est se
que propose la gestion intégrée de l'eau (§2)
§ 1- Le droit à l'eau, incertitude autour
de ses différentes dimensions
Dans l'arrêt AP Board Pollution Control II, la
Cour relève que les droits environnementaux s'entendent comme des droits
collectifs et sont décrits comme appartenant aux droits de «
troisième génération ». Elles les distinguent alors
des droits civils et politiques ainsi que des droits sociaux et
économiques qu'elle rattache les uns au Pacte International des droits
civils et politiques (PIDCP), les autres au PIDESC. Cette remarque de la cour
emporte plusieurs difficultés en raison du caractère «
fragmenté » de l'accès à l'eau. Plusieurs lectures
juridiques sont possibles.
A. L'oscillation du droit à l'eau, entre droit
collectif et droit individuel
La Cour reconnaît le droit a l'eau comme un droit
collectif. En réalité, dans sa jurisprudence elle a tour à
tour reconnu le droit à l'eau comme un droit de l'homme collectif, dans
l'arrêt Permutty Grama Panchayat vs State of Kerala par exemple
« L'eau souterraine est la richesse de la nation et appartient à la
société toute entière » ; et comme un droit de
l'homme individuel ainsi que l'illustre l'arrêt Vellore «
Les dispositions législatives et constitutionnelles protègent le
droit de la personne à un air non pollué, une eau salubre et un
environnement exempt de pollution ».
L'enjeu réside ici dans la catégorisation du
droit à l'eau, les droits collectifs renvoyaient aux droits de
solidarités ou de groupes tandis que les droits économiques et
sociaux seraient des droits individuels ; en effet, ils constituent les droits
nécessaires à la
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réalisation de la dignité de la personne, sont
donc en ce sens individuels. Cependant la difficulté de définir
le titulaire du droit à l'eau, a priori risque de fragiliser
d'autant la formulation du droit à l'eau. Sans s'arrêter sur la
raison pour laquelle la Cour Suprême a jugé opportun de qualifier
le droit à l'environnement de droit collectif et a fortiori le
droit à l'eau, nous proposons de résoudre la difficulté
conceptuelle qu'elle suppose grâce à l'analyse pertinente
proposée par C. Nivard'. C. Nivard démontre que la critique
traditionnelle adressée aux DESC selon laquelle ils seraient
privés de caractère individuel est incorrecte. Ainsi ils ne
pourraient être des droits de l'Homme, puisque ces derniers appartiennent
à un « homme » un individu défini. Ainsi « ces
droits appartenant à l'homme parce qu'il est homme, appartiennent
individuellement à chaque homme, et donc, à tous les hommes
»224. Les DESC considérés comme des « droits
sociaux » appartiendraient au groupe et non pas à tous les hommes.
Les détracteurs en ont conclus que « les droits sociaux
étant les droits d'une collectivité ils sont radicalement
opposés à l'individualisme. »". C. Nivard procède
alors à un examen à l'issue duquel elle dégage plusieurs
types de droits collectifs ; elle appelle alors à opérer une
distinction entre droits collectifs et droits de protection de
catégories particulières de personnes. F. Sudre distingue les
droits collectifs qu'il définit comme les droits individuels dont
l'exercice est collectif et les droits des collectivité'. Les titulaires
des droits collectifs selon cette distinction reste l'individu et non pas le
groupe. À l'inverse, le droit des collectivités ou les droits de
groupe selon l'expression de G. Koubi
sont exercés par une entité identifiée,
organique. Ce sont des droits attribués à des ensembles des
rassemblements pourvus de statuts particuliers. Le sujet de droit est le
groupe. Cette définition est fortement représentative des droits
des minorités. La minorité est une collectivité en tant
que communauté, consciente de son identité culturelle,
linguistique, religieuse et traversée d'un sentiment de
solidarité menant à la revendication d'une reconnaissance
juridique dans le but de préserver cette spécificité
22'
En l'occurrence le droit à l'eau serait un droit
collectif sous cette acception et non pas un droit de groupe. Les sujets
titulaires des droits sont des individus. Ainsi, c'est plus
223NIVARD (C.) La justiciabilité des droits
sociaux: étude de droit conventionnel européen, op. cit.
p.60
Z~`Ibid, p. 60
zzslbid, p. 60
226SUDRE (F.), Droit européen et
international des droits de l'homme, op. cit., p. 96
227KOUBI (G.), « Réflexions sur les
distinctions entre droit individuels, droits collectifs et « droits de
groupe », in Du
droit interne au droit international, le facteur religeux et
l'exigence des droits de l'Homme, Mélanges Raymond Goy,
Publication de l'Université de Caen, 1998, pp.105-118
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souvent au travers de groupement que s'exerce la revendication
du droit à l'eau. Cependant, le droit à l'eau n'est pas la
prérogative du groupe, mais bien de chaque
individu qui le compose. Le droit collectif s'entendrait alors
comme « le droit de l'action collective » mais ne s'opposerait pas
à son exercice individuel228.
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