§ 2 -- L'absence d'autonomie du droit à
l'eau
Puisque le droit à l'eau n'est pas reconnu directement
par aucun instrument juridique indien, il est caractérisé comme
un droit subordonné et nécessaire pour la réalisation des
droits humains fondamentaux reconnu directement par le droit indien comme
l'article 21 qui consacre le droit à la vie. B. Favreau désigne
le droit à l'eau comme un droit de portée limitée et
fragmentée169. Dans ce contexte, la raison est probablement
liée à deux facteurs. Tout d'abord la technique
d'interprétation du juge indien. L'indivisibilité des droits
humains telle qu'entendue par la jurisprudence indienne rend invisible le droit
à l'eau et met en cause son autonomie170. Le droit à
l'eau est alors entendu comme interdépendant et complémentaire du
droit à la vie. L'arrêt Francis Coralie Mullin171,
l'eau l'a cantonné à un aspect du droit à la vie, de
la dignité humaine. De plus, le droit à l'eau est compris comme
essentiel à la réalisation des différents droits humains
nommément le droit à la vie, à la dignité, à
la santé, à l'environnement.
Ce qu'induit son absence d'autonomie c'est la question de sa
protection. « L'accès à l'eau fait l'objet d'une
reconnaissance implicite entraînant une protection indirecte de celui-ci
»Y' Cette protection indirecte ou par ricochet n'assure au droit à
l'eau une protection que « dans la mesure où la réalisation
de celui-ci est nécessaire à la mise en oeuvre d'un autre droit
expressément prévu »Y' De même, c'est sur l'ensemble
de l'effectivité du droit à l'eau que cette reconnaissance
relative a un impact puisque
1681bid.
169FAVREAU (B.), «Le droit de l'Homme
à l'eau », l'Annuaire international des droits de l'homme,
2006, vol.1, p.261 10What Price for the Priceless?:
Implementing the Justiciability of the Right to Water, op.cit p. 1085
"11981 SCR (2) 516
172CUQ, Marie. L'eau en droit international:
convergences et divergences dans les approches juridiques, op.cit., p. 58
13lbid, p. 59
39
«l'attention portée aux problématiques
liées à l'accès à l'eau paraît dont
limitée et unidimensionnelle »174. En effet, la juge ne
pourra traiter de la question du droit à l'eau seulement si la violation
du droit à la vie, du droit à la santé, de la
dignité ou de l'environnement est alléguée devant lui .
Ainsi seuls les aspects en relation avec les droits cités sont
examinés par le juge au détriment de la réelle
portée que peut et doit avoir le droit à l'eau. Un auteur a
également pu critiqué l'indissociabilité qui
était faite entre le droit à l'eau et le droit à la
vie175. Il reproche le fondement juridique d'un droit social
à partir d'un droit civil et politique ; pour lui, cela a tendance
à orienter la protection du droit à l'eau et les obligations
définies par le juge. Ainsi, comme dans le contentieux très
développé des eaux polluées, le droit à l'eau en
droit indien serait assorti principalement d'obligations négatives, ce
qui entacherait sa réalisation et notamment la question de
l'approvisionnement en eau comme composante du droit à l'eau.
Ensuite, il est probable que le juge indien ne désire
pas étendre la portée de l'eau ni le développer outre
mesure. Il est curieux que le juge ait été en effet
particulièrement entreprenant s'agissant du droit à
l'alimentation ou à l'éducation mais n'ait pas témoigner
du même engouement pour le droit à l'eau (alors que la
corrélation avec le droit à l'alimentation était
aisée). La Cour Suprême possède des instruments pour
reconnaître un droit à l'eau autonome dans son arsenal juridique.
L'article 15 (2)176 de la Constitution indienne contenu dans la
partie III sur les droits fondamentaux au chapitre « droit à
l'égalité » reconnaît notamment l'interdiction
d'empêcher les citoyens d'avoir accès à l'utilisation des
puits, des réservoirs, des ghats en raison de la religion, de la race,
de la caste, du sexe, du lieu de naissance. La Cour Suprême n'a jamais
utilisé ce fondement pour consacrer un droit à l'eau ; pourtant
la non-discrimination est évoquée dans l'OG n°15 comme une
garantie du droit à l'eau177.
Une autre possibilité s'offrait à la Cour. Bien
que la réception du droit internationale obéisse à la
théorie dualiste, l'article 51 (c) de la Constitution indienne exige de
l'État qu'il
174Ibid, p. 60
'What Price for the Priceless?: Implementing the
Justiciability of the Right to Water, op. cit. p. 1085
16Article 15(2) de la Constitution indienne
«No citizen shall, on grounds only of religion, race, caste, sex,
place of birth or any of them, be subject to any disability, liability,
restriction or condition with regard to
(a) access to shops, public restaurants, hotels and palaces
of public entertainment; or
(b) the use of wells, tanks, bathing ghats, roads and
places of public resort maintained wholly or partly out of State funds or
dedicated to the use of the general public »
"'Point 13, Observation générale n°15
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honore les conventions internationales. Or l'Inde est partie
à la CEDEF qui dans son article 14§2 prévoit le droit
à l'eau. Dans l'arrêt Vishaka vs State of
Rajasthan178, la Cour Suprême a abordé la question
du harcèlement sexuel à la lumière des dispositions de la
CEDEF. En raison de l'absence de loi sur le sujet, la Cour ordonna à
l'Etat de se saisir de la question et d'adopter une loi appropriée et
conforme aux dispositions de la CEDEF. En attendant, elle rendit une ordonnance
provisoire faisant acte de réglementation inspirée des
dispositions de la CEDEF. Ainsi la Cour Suprême peut de façon
similaire s'inspirer de la CEDEF ou de la CIDE pour justifier d'un droit
à l'eau. B. Rajagopal reproche à la Cour de choisir ses causes et
en fonction de faire preuve de plus ou moins d'audace179 ; peut
être le droit à l'eau souffre-t-il d'un intérêt
seulement modéré de la Cour à son égard.
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