CONCLUSION GÉNÉRALE
Rencontrant son chemin de Damas, le lanceur d'alerte est
happé dans une guerre d'usure. Allant de la sanction à la
faillite totale de sa vie professionnelle, financière et privée,
il va creuser cette distanciation, déjà présente, entre
préservation du bien commun et conservation des intérêts
économiques, étatiques et privés. Comme le soulignait
Robert Maynard Pirsig « Chacun peut croire à la
vérité, et aux méthodes rationnelles qui permettent de la
découvrir. Chacun peut s'opposer aux consignes des autorités en
place. Mais qui va jusqu'à se consumer soi-même, jour après
jour, pour défendre sa cause ? »427.
Une volonté de transparence, tant voulue par la
société civile, les ONG et le Conseil de l'Europe, se dessine
aujourd'hui en France. Afin de sauvegarder l'État dans le droit, une
vérité révélée, même abrupte et
controversée, doit être protégée.
Animé par le scandale des Panama Papers, le
projet de loi n°3623 relatif à la transparence,
à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie
économique (Sapin II) a été adopté
définitivement par l'Assemblée nationale le 8 novembre 2016
(texte n° 830). Ce texte enrichi la protection des lanceurs d'alerte
existante. Persiste, cependant, des pans de questionnements, des champs
d'alerte non protégés et des garanties incomplètes.
Alors que le texte initial prévoyait un nouveau
régime sectoriel se rajoutant à ceux déjà
présents, les amendements ont fait place à un statut protecteur
unifié plus ambitieux. En effet, les articles 10 et 15 de la loi
abrogent les différents articles ayant introduit une protection
pour les lanceurs d'alerte428. Demeure l'article L.1132-3-3 du Code
du travail issu de la loi du 6 décembre 2013 et l'article 6 ter A
de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des
fonctionnaires. Ces deux textes modifiés ont ainsi établi
une protection contre d'éventuelles représailles envers les
lanceurs d'alerte salariés et fonctionnaires. En abolissant les
régimes sectoriels et en fondant deux socles protectionnistes (celui des
salariés et des fonctionnaires), la loi a refusé le statut de
lanceur d'alerte aux associations et citoyens extérieurs à un
lien de subordination. Ce véto manifeste le rejet législatif
d'élever l'expression citoyenne et éthique au rang de lancement
d'alerte.
427 R. MAYNARD PIRSIG, Traité du zen et de l'entretien
des motocyclettes, 1974, Edition Points, réédition de juin
2013, p.446
428 Le projet de loi abroge : les articles L. 1351-1 et L.
5312-4-2 du CSP, L. 1161-1 et L. 4133-5 du Code du travail, l'article
1er, les 3° et 4° de l'article 2 et l'article 12 de la loi
Blandin, et l'article 25 de la loi du 11 octobre 2013. Demeure le régime
sectoriel des agents de renseignement et la CNCTR mais sont supprimées
certaines missions de la CNDA telles la définition des critères
de recevabilité des alertes et la transmission de celles-ci aux
autorités compétentes.
122
Élément important, l'article 6
donne une définition élargie du lanceur
d'alerte429 : « Un lanceur d'alerte est une personne
physique qui révèle ou signale, de manière
désintéressée et de bonne foi, un crime ou un
délit, une violation grave et manifeste d'un engagement international
régulièrement ratifié ou approuvé par la France,
d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le
fondement d'un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace
ou un préjudice graves pour l'intérêt
général, dont elle a eu personnellement connaissance
».
Avec cette nouvelle définition, plusieurs situations, y
compris celle d'Antoine Deltour qui a révélé des pratiques
scandaleuses mais qui ne violait aucune loi, sont recouvrées. Cette
nouvelle définition fait entrer dans le champ de l'alerte le «
lanceur diplomatique ». Les décisions diplomatiques
irrégulières ayant un sérieux impact sur la politique
internationale française pourront être dénoncées.
Avec cette définition, l'affaire Hartmann aurait
été traitée différemment et le scandale
Plame-Wilson430 ne pourrait, en principe, se produire en
France. Par ailleurs, l'article 86 de la loi a
créé le délit de mauvais traitements exercés sur
les animaux en abattoirs431. Par ce texte, les salariés des
abattoirs ou d'établissements de transports qui dénonceront aux
autorités des cas de maltraitances ou de manquements graves rentreront
dans la définition des lanceurs d'alerte. En revanche, des
salariés divulguant les procédés pratiqués sur les
animaux en laboratoire et en élevage pour l'industrie textile ne seront
pas protégés.
L'article 6 al 2 poursuit en
énonçant que les faits, informations ou documents couverts par le
secret de la défense nationale, le secret médical ou le secret
des relations entre un avocat et son client sont exclus du régime de
l'alerte défini par le présent chapitre.
En revanche, l'article 7 a nouvellement
créé l'article 122-9 au sein du Code pénal. Celui-ci
énonçant qu' « est pas pénalement responsable la
personne qui porte atteinte à un secret protégé par la
loi, dès lors que cette divulgation est nécessaire et
proportionnée à la
429 Sont retirés les termes initialement
imaginés dans le projet de loi : « des faits présentant
des risques ou des préjudices graves pour l'environnement, pour la
santé, la sécurité publique ». Les citoyens
n'ayant pas de lien de subordination avec l'institution dénoncée
ont également été exclus de la définition des
lanceurs d'alerte, à l'inverse de la loi Blandin de 2013.
430 Joe Wilson, ex-ambassadeur américain, va, à la
demande des USA, enquêter au Niger en 2003 sur une éventuelle
vente illégale de tubes d'uranium au bénéfice de l'Irak.
L'objectif était de prouver que Saddam Hussein tentait de se procurer
des matériaux pour acquérir l'arme nucléaire. Il ne
découvre aucun élément probant. Malgré cette
information, le 28 janvier 2003, Georges W. Bush allègue de la
réalité de cette vente entre le Niger et l'Irak lors d'un
discours important qui appelait au renversement de Saddam. Wilson, le 6 juillet
2003, dénonce, dans une tribune du New York Times, la
manipulation diplomatique et la fausseté de la vente. Mettant en
difficulté l'administration Bush, Lewis Lobby, membre du gouvernement,
révèle à des journalistes l'identité de la femme de
Wilson, Valérie Plame, qui est agent à la CIA au
département anti-prolifération des armes. Ce scandale donnera
lieu à l'ouverture d'une enquête puisqu'une loi de 1982
relative à la protection des agents secrets interdit toute
divulgation d'identité (considérée comme un crime
fédéral). La Cour suprême va exiger des journalistes la
révélation de leur source (Libby n'étant pas le seul
à avoir fait fuiter l'identité de Valérie Plame dans les
médias). Selon le procureur, Libby aurait divulgué ces
informations dans le but de sauver la crédibilité des
justifications avancées, par l'administration Bush, pour renverser
Saddam. Il sera condamné, le 5 juin 2007, à deux ans et demi
d'emprisonnement et 250 000 dollars d'amende. Cependant, Bush utilisera son
droit de grâce et le fera libérer le 2 juillet.
431 Il sera inséré au sein de l'article L.215-11 du
Code rural et de la pêche maritime.
123
sauvegarde des intérêts en cause, qu'elle
intervient dans le respect des procédures de signalement définies
par la loi et que la personne répond aux critères de
définition du lanceur d'alerte prévus à l'article 6 de la
loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption
et à la modernisation de la vie économique ». Ainsi,
l'intérêt du public est supérieur à la sauvegarde
d'un secret absolument protégé, si la divulgation est
nécessaire et proportionnée.
Concernant une hypothétique irresponsabilité
pénale a priori du lanceur d'alerte, le Sénat s'y
était refusé. Les sénateurs avaient rappelé que
« le fait d'avoir signalé une alerte n'est pas un droit reconnu
a priori mais un moyen de défense pouvant être invoqué au
cours d'un litige ».
Dans la loi, on retrouve les anciennes dispositions comme
l'exigence de bonne foi, la nullité des mesures de représailles
adoptées à l'encontre d'un lanceur d'alerte et le renversement de
la charge de la preuve dans le cas où de telles mesures auraient
été prises à son encontre (article 10 de
loi)432.
Lors des débats sur le projet de loi, le Sénat
avait énoncé que la bonne foi du lanceur d'alerte devait
être remise en cause s'il ne respectai pas les canaux de signalement
imposés 433. Avec un tel positionnement, poursuivi pour son
alerte, le lanceur serait de fait condamné étant donné son
manque de bonne foi. Celle-ci serait également remise en cause lors de
son évocation comme moyen de défense. Le décryptage de la
loi n'expose pas cette vision cependant, si les juges en font une
interprétation stricte, il est probable que cet aspect
réapparaisse.
Initialement, le projet de loi modifiait l'article L.861-3 du
CSI, issu de la loi Renseignement, en ajoutant qu'un agent ne pouvait faire
l'objet de mesure de représailles en cas d'alerte, s'il agissait de
bonne foi. La bonne foi de l'agent étant évaluée par la
CNCTR. Des amendements ont supprimé cette nouveauté. Cependant,
l'article 15 de la loi a énoncé qu'«
aucun militaire ne peut être sanctionné ou faire l'objet d'une
mesure discriminatoire pour avoir signalé une alerte dans le respect des
articles 6 et 8 de la loi Sapin II ».
C'est l'article 8 qui expose les canaux de
signalement à la disposition du lanceur d'alerte. Selon l'article,
l'alerte doit être portée à la connaissance du
supérieur hiérarchique, direct ou indirect, de l'employeur ou
d'un référent désigné par celui-ci.
432 Cependant, selon l'art. L.1132-3-3 du Code du travail la
personne doit présenter des éléments de fait qui
permettent de présumer qu'elle a relaté ou témoigné
de bonne foi de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime. Elle doit
donc démontrer qu'elle est une lanceuse d'alerte.
433 Selon le rapporteur sénatorial, il sera «
nécessaire de déduire du non-respect de la procédure de
signalement l'absence de bonne foi d'une personne signalant un fait dommageable
à l'intérêt général ».
124
En cas d'absence de diligences de la personne destinataire de
l'alerte dans un délai raisonnable, le signalement est adressé
à l'autorité judiciaire, à l'autorité
administrative ou aux ordres professionnels. À défaut de
traitement par l'un des organismes mentionnés dans un délai de
trois mois, le signalement peut être rendu public en dernier ressort.
Innovation en matière de divulgation publique, l'article dispose
qu'en cas de danger grave et imminent ou en présence d'un risque de
dommages irréversibles, le signalement peut être porté
directement à la connaissance des organismes mentionnés et peut
être rendu public (art. 8 II). Mais quelle est la
signification de l'absence de prise en compte au regard du principe du silence
de l'Administration vaut acceptation ? Qui appréciera l'urgence ? Ainsi,
demeure une question prépondérante : Quels seront les
éléments permettant de déterminer que l'alerte publique
est légitime ?
L'article initialement rédigé
énonçait que « si aucune suite n'est donnée
à l'alerte dans un délai raisonnable, celle-ci peut être
adressée [...] au Défenseur des droits, aux instances
représentatives du personnel, aux ordres professionnels ou à
toute association se proposant par ses statuts d'assister les lanceurs d'alerte
[...] ». Cependant, les sénateurs ont retoqué
substantiellement cette disposition. Toutes ces instances, personnes et
associations ont disparu de la liste des organismes pouvant traiter une
alerte434.
Autre nouveauté, l'article 8
III435 énonce que les personnes morales de droit
public et privé de plus de cinquante salariés, les communes de
plus de dix mille habitants et les établissements publics de
coopération intercommunale à fiscalité propre devront
mettre en place des procédures internes pour recueillir les alertes
émises par les membres de leur personnel ou des collaborateurs
extérieurs. Désormais, ces instances pourront être des
interlocuteurs privilégiés pour les lanceurs d'alerte et devront
mettre en place des dispositifs de recueil et de traitement d'alertes, à
l'instar des AU-004 dans les entreprises. Et s'il n'y a pas de prise en compte
de l'alerte ou s'il y a urgence caractérisée, il sera
considéré comme légitime à rendre cette information
publique selon l'article 8 II.
434 Selon François Pillet, rapporteur du projet de loi
au Sénat « le projet de loi tend à instituer le
Défenseur des droits en une autorité de vérification de la
véracité de l'alerte. Il apparaît cependant plus opportun
d'en faire une « instance chargée de rediriger les alertes
émises par des personnes ne sachant pas à quelle autorité
s'adresser ». Il ne se prononcerait pas sur le caractère
fondé de l'alerte mais orienterait vers les instances
compétentes, que ce soit l'agence de prévention de la corruption,
l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de
l'environnement et du travail, ou l'agence française de lutte contre le
dopage ».
435 « Des procédures appropriées de
recueil des signalements émis par les membres de leur personnel ou par
des collaborateurs extérieurs et occasionnels sont établies par
les personnes morales de droit public ou de droit privé d'au moins
cinquante salariés, les administrations de l'État, les communes
de plus de 10 000 habitants ainsi que les établissements publics de
coopération intercommunale à fiscalité propre dont elles
sont membres, les départements et les régions, dans des
conditions fixées par décret en Conseil d'État
».
125
En introduisant le nouvel article L.634-3 dans le Code
monétaire et financier, l'article 16 de la loi,
malgré sa volonté d'unifier le statut protecteur des lanceurs
d'alerte, contribue au régime sectoriel déjà existant,
puisque par cette disposition, il entend les encourager à saisir
l'Autorité des marchés financiers (AMF) ou l'Autorité de
contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) de toute suspicion de
manquements à la législation européenne, notamment
relative aux marchés d'instruments financiers ou d'abus de
marché.
L'article 13 I amorce un changement
de paradigme important puisqu'est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000
euros d'amende, toute personne qui fait obstacle, de quelque façon que
ce soit, à la transmission d'un signalement aux personnes et organismes
mentionnés à l'article 8 (autorités judiciaires,
administratives ou ordres professionnels). Prolongeant cette nouvelle approche
protectrice, l'article 13 II de la loi énonce
qu'en cas de plainte abusive pour diffamation envers un lanceur d'alerte, une
sanction civile pourra être prononcée. Celle-ci étant
portée à 30 000 euros.
Cependant l'article 15 de la loi a
renforcé et durci les plausibles accusations portées contre les
lanceurs d'alerte. En effet, l'article 226-10 du Code pénal punit un
individu qui dénonce, à une autorité compétente,
à un supérieur hiérarchique, des faits totalement ou
partiellement inexacts pouvant entraîner des sanctions. L'article 15 de
la loi a ajouté une disposition essentielle à l'infraction de
dénonciation calomnieuse puisqu'il a introduit la formule « soit en
dernier ressort en public ». Ainsi le lanceur d'alerte qui
dénoncera publiquement des agissements répréhensibles
pourra être poursuivi pour dénonciation calomnieuse.
Comme l'avait préconisé le Conseil d'État
dans son étude, l'article 9 I de la loi établit
que « les procédures mises en oeuvre pour recueillir les
signalements garantissent une stricte confidentialité de
l'identité des auteurs du signalement, des personnes visées par
celui-ci et des informations recueillies par l'ensemble des destinataires du
signalement ». Ajoutant que « les éléments de
nature à identifier le lanceur d'alerte ne peuvent être
divulgués, sauf à l'autorité judiciaire, qu'avec le
consentement de celui-ci ». L'article poursuit en
énonçant que « les éléments de nature
à identifier la personne mise en cause par un signalement ne peuvent
être divulgués, sauf à l'autorité judiciaire, qu'une
fois établi le caractère fondé de l'alerte ». La
loi a ainsi souhaité protéger les personnes mises en cause en
limitant les dégâts potentiels d'une alerte et un possible
lynchage médiatique.
L'article 9 I punit le fait de divulguer tous
ces éléments confidentiels de deux ans d'emprisonnement et de 50
000 euros d'amende.
126
La loi a instauré une Agence française
Anticorruption. Selon l'article 1er, c'est un
service à compétence nationale, placé auprès du
ministre de la justice et du ministre du budget, ayant pour mission d'aider les
autorités compétentes et les personnes qui y sont
confrontées à prévenir et à détecter les
faits de corruption, de trafic d'influence, de concussion, de prise
illégale d'intérêt, de détournement de fonds publics
et de favoritisme436. Dirigée par un magistrat de l'ordre
judiciaire, elle est indépendante de toute instruction d'une
autorité administrative ou gouvernementale mais ne peut émettre
que des recommandations destinées à aider les personnes morales
de droit public et de droit privé, et contrôler
l'efficacité des procédures mises en oeuvre pour prévenir
et détecter des comportements économiquement
répréhensibles. Ces contrôles peuvent être
également effectués à la demande du président de la
HATVP, du Premier ministre, des ministres ou faire suite à un
signalement transmis par une association agréée dans les
conditions prévues par l'article 2-23 du CPP.
Mesure importante de l'article 3 6° bis,
l'Agence avise le procureur de la République compétent des faits
dont elle a eu connaissance dans l'exercice de ses missions et qui sont
susceptibles de constituer un crime ou un délit. Lorsque ces faits sont
susceptibles de relever de la compétence du procureur de la
République financier, l'Agence en avise simultanément ce dernier.
Avec cette nouvelle agence, le SCPC est amené à
disparaître. Cependant, le projet de loi n'a pas encore établi si
les lanceurs d'alerte entraient dans le giron des personnes pouvant la saisir
et si celle-ci avait les compétences pour les protéger.
La loi a souhaité confier et unifier la protection du
lanceur d'alerte autour d'un organe : le Défenseur des droits.
À cette fin, une proposition de loi organique
n°3770 relative à la compétence du Défenseur des
droits pour la protection des lanceurs d'alerte a
été adoptée définitivement le 8 novembre 2016. Dans
l'exposé des motifs, il était évoqué que le projet
de loi Sapin II « jette les bases d'un régime de protection des
lanceurs d'alerte » et que « la proposition de loi organique
unifie et organise cette protection, en confiant sa mise en oeuvre au
Défenseur des droits ».
Dans l'article 4 de la loi organique n° 2011-333 du 29
mars 2011 relative au Défenseur des droits a été
ajouté un 5° énonçant que le Défenseur des
droits a pour mission « d'orienter vers les autorités
compétentes toute personne signalant une alerte dans les conditions
fixées par la loi, de veiller aux droits et libertés de cette
personne et, en tant que de besoin, de lui assurer une aide financière
ou un secours financier ». Enfin, l'article 20 de la loi de 2011 a
été
436 Les députés ont refusé à l'agence
la qualité d'autorité administrative indépendante (AAI).
Selon eux, l'agence a pour charge des missions régaliennes importantes
et doit donc être rattachée à l'exécutif. Cependant,
ils souhaitent lui donner une autonomie fonctionnelle.
127
complété par l'alinéa suivant «
les personnes ayant saisi le Défenseur des droits ne peuvent faire
l'objet, pour ce motif, de mesures de rétorsion ou de
représailles ». Les Sénateurs ont refusé de
donner un rôle charnière au Défenseur des droits.
Néanmoins, il reste un élément important dans la
protection puisque l'article 8 IV de la loi Sapin II a
énoncé que « toute personne peut adresser son
signalement au Défenseur des droits afin d'être orientée
vers l'organisme approprié de recueil de l'alerte ». Ainsi,
les services du Défenseur des droits pourront centraliser les
démarches et laisseront les autorités sectorielles
(financière, sanitaire, environnementale, etc.) existantes
évaluer la pertinence des signalements reçus.
Par ailleurs, l'Assemblée nationale a adopté un
article 14 innovant qui dispose que « le
Défenseur des droits peut accorder, sur sa demande, à une
personne physique qui engage une action en justice en vue de faire
reconnaître une mesure défavorable prise à son encontre au
seul motif du signalement qu'elle a effectué en application de l'article
6 une aide financière sous la forme d'une avance sur les frais de
procédure exposés ». Le montant de cette aide est
déterminé en fonction des ressources de la personne et en tenant
compte de la nature de la mesure défavorable dont elle entend faire
reconnaître l'illégalité lorsque cette mesure emporte
privation ou diminution de sa rémunération.
Cependant cette aide pourra être refusée lorsque
les faits n'ont pas été signalés dans les conditions
prévues par la loi. Le terme « aide financière »
manifeste cette volonté de différencier la
rémunération des lanceurs d'alerte et le dédommagement
financier suite à des représailles.
Néanmoins, l'Assemblée nationale a refusé
une disposition votée en première lecture, qui pourtant aurait
été une avancée décisive. En effet, un
alinéa ajoutait que cette aide financière « peut
être exceptionnellement accordée aux personnes morales à
but non lucratif ». Par cette formule, le texte faisait entrer
partiellement les associations dans le domaine des lanceurs d'alerte. Cette
disposition n'a pas été retenue et ainsi se réitère
l'idée que les lanceurs d'alerte ne peuvent être que des individus
soumis à un lien hiérarchique.
Après l'adoption de la loi Sapin II, un
amendement n°II-CF275 au projet de loi de finances 2017 a
introduit un article L.10 BAA au sein du livre des procédures
fiscales qui autorise l'Administration fiscale à rémunérer
toute personne étrangère aux administrations publiques
dénonçant des comportements frauduleux et des manquements
à une obligation fiscale. La mesure doit entrer en vigueur le
1er janvier 2017 mais sera exécutée à titre
expérimentale durant deux années. Le Gouvernement a
précisé qu'une fois rétribués, ces informateurs ne
pourront prétendre juridiquement au statut protecteur créé
par la loi Sapin II, puisque celui-ci suppose d'agir de manière
désintéressée. Par cette inédite réforme, le
Gouvernement marque une rupture dans la tradition française qui se
refusait à payer des
128
renseignements fiscaux. Cette pratique récurrente dans
plusieurs pays étrangers va, dès lors, s'exercer en France.
L'article 12 de la loi précise qu'en
cas de rupture d'une relation de travail résultant d'une alerte, le
salarié pourra saisir le Conseil des prud'hommes dans les conditions
prévues par le Code du travail437.
L'article 11 énonce également
la création d'un article L.911-1-1 au sein du Code de la justice
administrative permettant à toute personne (agent public et
privé) ayant fait l'objet de mesure de représailles à la
suite d'une alerte d'être réintégrée. Et ce
même lorsque cette personne était liée par une relation
à durée déterminée avec la personne morale de droit
public ou l'organisme de droit privé chargé de la gestion d'un
service public.
Ainsi, sont les principales dispositions innovantes de la loi
Sapin II.
Ambitieux, le texte ne s'est pourtant pas penché sur
une revalorisation et un examen des moyens de défense à la
disposition des lanceurs d'alerte. À l'instar des autres lois
françaises qui se limitent à protéger le lanceur d'alerte
contre toutes formes de représailles sans s'étendre à un
ensemble plus protectionniste. À l'avenir, et pour se conformer aux
standards européens, une réforme davantage concordante devra
s'accomplir.
Corollaire de cette avancée majeure, une
proposition de loi n° 3465 visant à renforcer la
liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias
a été adoptée définitivement le 6
octobre 2016 (texte n° 820). Dans son article 1er
quater, elle souhaitait modifier l'article L. 1351-1 du CSP en
introduisant la possibilité d'alerter un journaliste à la suite
d'une dénonciation à son employeur. Le 30 mars 2016, les
députés ont supprimé l'article, jugeant qu'il contribuait
au morcellement de la législation sur les lanceurs d'alerte.
On voit donc la tentaculaire difficulté qu'a le pouvoir
législatif à autoriser les dénonciations publiques. Une
balance de protection doit être trouvée entre dénonciation
publique nécessaire et inévitable pour que la pression populaire
permette la cessation d'agissements répréhensibles, et
préservation de la réputation d'individus qui confrontés
à une critique publique peuvent subir de lourds préjudices et un
dénigrement difficilement surmontable.
437 Le Conseil des prud'hommes peut être saisi par un
salarié contestant la rupture du contrat de travail et en application
des articles R. 1455-5 et R. 1455-6 du Code du travail « ordonner
toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation
sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend »
et peut toujours « même en présence d'une
contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise
en état qui s'imposent pour prévenir un dommage ou faire cesser
un trouble manifestement illicite, même en cas de contestation
sérieuse ». L'article L. 1451-1 prévoit que le Conseil
des prud'hommes saisi d'une demande de qualification de la rupture du contrat
de travail en raison de faits que celui-ci reproche à son employeur
statue au fond dans un délai d'un mois.
129
En revanche, la loi a réaffirmé et
consolidé la protection des sources dans différents articles. La
puissance de cette loi nouvelle sera à évaluer lorsque des
journalistes seront poursuivis pour être complices de lanceurs
d'alerte438.
Ainsi, pour répondre à la question initiale de
savoir si les lanceurs d'alerte français sont protégés, il
est essentiel de retenir qu'actuellement cette protection est éparse et
improductive mais, qu'à l'avenir, elle pourra s'étendre sous
réserve d'une refonte du droit positif français et d'une
conformité aux standards européens. Ces conditions permettant
d'esquisser pleinement un réel statut protecteur des lanceurs d'alerte.
Le seul palliatif existant est, pour l'instant, la jurisprudence constructive
de la CEDH mais appliquée de manière aléatoire en France,
elle ne suffit pas. Ces avancées décisives permettront de dire si
dans un futur proche la France, comme d'autres pays européens, est
entrée de plain-pied dans la prise en charge des lanceurs d'alerte.
Retenons que la moralisation de la vie publique par l'action
d'un lanceur d'alerte est essentielle à la collectivité mais,
seul dans cette démarche, le but à atteindre apparaît
fragilisé. Le lanceur d'alerte ne doit pas endosser une
responsabilité qui, en principe, relève du responsable
politique.
À ce propos Jean-Philippe Foegle rappelait
qu'« il y a un danger à faire du lanceur d'alerte un «
héros de la démocratie » puisque désormais seul en
piste sur le front de la défense des valeurs libérales
»439.
438 L'article 4 IV de la de loi modifie l'article 2 de la loi
du 29 juillet 1881 en ces termes : « La détention, par une
personne mentionnée au I du présent article, de documents,
d'images ou d'enregistrements sonores ou audiovisuels, quel qu'en soit le
support, provenant du délit de violation du secret professionnel ou du
secret de l'enquête ou de l'instruction ou du délit d'atteinte
à l'intimité de la vie privée ne peut constituer le
délit de recel prévu à l'article 321-1 du Code
pénal ou le délit prévu à l'article 226-2 du
même code lorsque ces documents, images ou enregistrements sonores ou
audiovisuels contiennent des informations dont la diffusion au public
constitue un but légitime dans une société
démocratique. »
439 JP FOEGLE, « De Washington à Paris, la «
protection en carton » des agents secrets lanceurs d'alerte », La
Revue des droits de l'homme, Actualités droits-libertés, 4
juin 2015, p. 15-23
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