B - L'usage historique de la diffamation
Le délit de diffamation a été
utilisé à de maintes reprises pour condamner un individu ayant
dénoncé publiquement des dysfonctionnements ou des atteintes
à la loi.
L'un des exemples les plus célèbres est celui
d'Émile Zola qui publia un article « J'accuse ! »,
dans le journal l'Aurore, le 13 janvier 1898, pour alerter et
dénoncer les manipulations politiques et militaires orchestrées
contre Alfred Dreyfus. Le Ministre de la Guerre portera plainte pour
diffamation. Zola et Alexandre Perrenx, gérant de L'Aurore,
passeront devant les Assises de la Seine du 7 au 23 février 1898.
Après un appel et une cassation, Zola sera condamné à un
an d'emprisonnement et 3.000 francs d'amende328.
1 Ð L'infraction de diffamation
L'article 29 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881
qualifie de diffamation « Toute allégation ou imputation d'un
fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération
de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ».
326 Cass, crim, 13 janvier 1966, n°65-90156, Bull crim.
n°14, §6
327 Ibidem, §15
328 Voir annexe 6, p.147
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L'article 32 de la loi de 1881 énonce qu'en cas de
diffamation publique, l'auteur sera puni d'une amende de 12 000 euros. Cette
sanction peut être aggravée à un an d'emprisonnement et/ou
à 45 000 euros d'amende lorsque la diffamation a été
proférée en raison d'une discrimination spécialement
interdite. Lorsque la diffamation a été prononcée en
privé, la sanction est d'une amende de 38 euros (équivalente
à une contravention de première classe) selon l'article R.621-1
du Code pénal.
2 - Les éléments constitutifs de
l'infraction
Le délit de diffamation suppose la réunion de
plusieurs éléments.
Le premier étant une allégation ou une
imputation sur un fait précis et déterminé.
Dans le langage commun, l'allégation est définie
comme « une affirmation quelconque »329, tandis que
l'imputation est définie comme « l'action de mettre sur le compte
de quelqu'un (une action blâmable, une faute) » 330 . En pratique,
la jurisprudence ne distingue pas l'allégation ou l'imputation et
évoque alternativement ou cumulativement l'une ou l'autre.
La Cour de Cassation définit le fait précis et
déterminé comme « devant se présenter sous la
forme d'une articulation précise de faits de nature, à
être, sans difficulté, l'objet d'une preuve et d'un débat
contradictoire » (Cass, crim, 6 mars 1974, Bull crim 1974,
n°96). Le fait doit donc pouvoir être daté et
circonstancié. L'allégation doit être claire, significative
et univoque.
La deuxième condition exige un fait susceptible de
porter atteinte à l'honneur ou à la considération.
Selon Emmanuel Derieux, une distinction est possible entre « l'honneur
(qui fait référence à la dignité morale
intérieure, correspond à ce que l'on voudrait ou devrait
être ou faire ou ne pas faire pour soi-même) et la
considération (davantage liée à une appréciation
extérieure, formulée par les autres)
»331.
L'appréciation de cette atteinte ne tient pas compte de
la conception personnelle que la victime peut avoir de son propre honneur, elle
se réfère à une notion générale
communément admise. La Cour de cassation a depuis longtemps
considéré que le juge devait faire abstraction des conceptions
subjectives de la victime et doit se référer à «
des considérations objectives, indifférentes à la
sensibilité particulière de la personne visée
»332.
La Haute juridiction rappelle régulièrement
qu'il « appartient aux juges du fond de relever toutes les
circonstances intrinsèques ou extrinsèques aux faits poursuivis
qui sont de nature à
329 Petit Robert 1, réédition de mars 1990, Paris,
Dictionnaires LE ROBERT
330 Ibidem
331 E. DERIEUX, Droit des médias, LGDJ, Lextenso
Editions, 7ème édition, octobre 2015, p.432-1006
332 T. Corr. de Paris, 17ème Chambre, 3 mars
2000, Debout c/ Drucker, Légipresse 2000-I, p. 47, n°
173-05.
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donner un caractère diffamatoire à
l'écrit qui les renferme È333, que « les
propos incriminés ne doivent pas être pris isolément mais
être interprétés les uns par rapport aux autres
»334 et que le juge doit replacer « le passage
incriminé dans son contexte, pour en apprécier la nature et la
portée È335.
Pour que l'infraction soit constituée, il faut que
l'atteinte soit portée à une personne identifiée ou
identifiable. Ainsi même dénommé par un pseudonyme, une
personne physique peut faire l'objet de propos diffamatoires dès lors
qu'elle est identifiable.
L'intention coupable, élément moral de
l'infraction, est présumée. La jurisprudence considère que
les imputations diffamatoires sont réputées faites avec
l'intention de nuire336. De sorte que l'intention de nuire est
présumée.
La diffamation est souvent perçue à tort comme
l'allégation de propos faux mais l'existence de la vérité
n'est pas prise en compte. La vérité des propos est
indifférente à la constitution de l'infraction. Seule la calomnie
repose sur le mensonge. À l'inverse, les propos
désagréables ou critiques ne sont pas diffamatoires ; la critique
devant rester libre et nécessaire dans toute société
démocratique. L'incrimination de la diffamation ne doit pas
s'avérer de nature à empêcher le libre débat
d'idées. Les juges rappellent « le principe de la
liberté d'opinion notamment pour des propos relevant de la
polémique politique, syndicale, religieuse ou s'inscrivant dans un
débat de société È337.
De très nombreux lanceurs d'alerte ont
été poursuivis et condamnés sur le fondement de la
diffamation. Les seules armes dont ils disposent pour se défendre sont
l'exception de bonne foi et l'exception de vérité.
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