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Les lanceurs d'alerte français, une espèce protégée ?

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par Julia Le Floc'h - Abdou
Paris X Ouest - Nanterre La Défense - Master II Droit pénal et Sciences criminelles 2015
  

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2 - L'instauration d'une protection en l'absence d'infraction pénale probante ?

Il convient d'analyser la dénonciation de faits qui n'ont révélé aucun crime ou délit mais qui, à l'avenir, pourraient être caractérisés comme tels. Dans un cas similaire, aucune loi ou jurisprudence actuelle ne permettent de protéger celui qui divulgue.

298Art. 434-1 du Code pénal : « Le fait, pour quiconque ayant connaissance d'un crime dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets, ou dont les auteurs sont susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui pourraient être empêchés, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. Mais sont dispensées de cette obligation les personnes astreintes au secret dans les conditions prévues par l'article 226-13 du Code pénal ».

299J. MORET-BAILLY, « Sanctions des fraudeurs et situation des lanceurs d'alerte eu regard du droit », La presse médicale, volume 41, septembre 2012, p. 867-871 http://www.em-consulte.com/en/article/749289

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Le meilleur exemple à citer pour illustrer cette situation est l'affaire James Dunne, ancien employé de la société Qosmos300. James Dunne avait dénoncé des faits répréhensibles, commis par la société Qosmos, au regard du droit interne et du droit international (sous le chef d'inculpation d'entreprise privée fournissant à un État ou à un groupe armé les moyens matériels de commettre certains actes) mais qui n'ont pas été prouvés ou qui n'ont pas eu d'effets301. Il ne pouvait, en l'espèce, bénéficier d'aucune protection juridique. En effet, selon Serge Slama, une divulgation peut être qualifiée d'alerte que si le risque d'atteinte invoqué est suffisamment grave, imminent, substantiel et tangible. Ainsi un risque uniquement hypothétique n'entre pas dans ce champ302. Le cas présenté apparaissant comme incertain, ne peut être revendiqué, selon Serge Slama, le statut de lanceur d'alerte.

Cet exemple peut se reproduire. Afin de prévenir tous dommages graves ou tous actes préoccupants pouvant porter une atteinte substantielle à des droits fondamentaux, en principe indérogeables, il serait avantageux d'établir une loi encadrant le droit d'alerter, des agents travaillant dans des domaines sensibles, sur des dangers et risques potentiels sans qu'ils soient tangibles ou encore déterminés de manière précise. Selon William Bourdon « L'autorité administrative indépendante [É] aurait pu être un allié pour James Dunne È303. Celle-ci pouvant examiner l'alerte, effectuer les investigations nécessaires sans mettre en péril l'institution dénoncée et décider si les risques produiront des effets avérés dans l'avenir.

300 Créé en 2000, Qosmos est un éditeur de logiciels français qui fournit des composants logiciels d'analyse du trafic internet pour des applications diverses. La spécialité de Qosmos est le DPI (Depp Packet Inspection), technologie qui permet d'analyser, de filtrer ou encore de surveiller les communications qui transitent par un réseau de télécommunication. Le système est tellement élaboré qu'il est possible de collecter, de ficher et d'intercepter toutes les données numériques.

301 James Dunne, employé de la société comme responsable du service de documentation technique, constate que Qosmos fourni le système DPI à certains régimes, notamment la Libye de Kadhafi et la Syrie de Bachar al-Assad (permettant de parfaire les moyens de répression à l'encontre de leurs opposants et de la population dans son ensemble).

En 2005, il envoie un courriel à son supérieur dans lequel il s'inquiète de la situation. En février 2011, il poste sur sa page Facebook un lien vers un article intitulé « le DPI est-il une arme ? ». Il publie également une série de commentaires sur le sujet sur le site de Mediapart, et des documents techniques indiquant l'implication de Qosmos dans des contrats de surveillance de masse à ces régimes dictatoriaux. Le site Mediapart a ensuite mené une enquête basée sur ses révélations.

Le 13 janvier 2012, il est licencié pour faute lourde, manquement à ses obligations de loyauté et de confidentialité, détention non autorisée de documents internes avec intention de les divulguer à des tiers. Pendant toute cette période durant laquelle il travaille pour Qosmos, il voit son état de santé se dégrader et fait état d'un arrêt maladie pour dépression réactionnelle. Suite à son licenciement, il va saisir le Conseil des Prud'hommes, qui en première instance, en mars 2015, va juger que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse. Le juge ne va pas s'exprimer sur la véracité des propos tenus par James Dunne, estimant que cela relève d'un autre cadre judiciaire ; mais il va, néanmoins, estimer que James Dunne a été victime d'épuisement professionnel de nature à entraîner une dégradation de son état de santé et va établir un lien de causalité entre la maladie et les manquements de son employeur à son obligation de sécurité. En appel, la décision est confirmée.

En 2011, est découvert que Qosmos avait conclu, depuis 2007, un contrat de mise à disposition de technologies aux fins d'interception de communications, de traitements de données et d'analyses. Suite à ces découvertes, la FIDH et la LDH déposent plainte contre la société pour avoir fourni des moyens d'espionnage sur Internet à des entreprises ayant des contrats avec la Syrie. Ce qui déclenchera l'ouverture d'une information judiciaire au parquet de Paris et à la désignation, le 11 avril 2014, de trois juges du Pôle Crimes contre l'Humanité de Paris. James Dunne a été entendu dans l'enquête préliminaire du parquet, avant que le dossier soit confié au Pôle Crimes contre l'Humanité. En avril 2015, la société est placée sous le statut de témoin assisté car, à ce stade de l'enquête, sa responsabilité n'est pas avérée. D'après l'entreprise, les logiciels n'ont, en effet, jamais été opérationnels.

302 S. SLAMA, « Le lanceur d'alerte, une nouvelle figure du droit public ? », Revue AJDA n°39, Dossier Les lanceurs d'alerte, 24 novembre 2014, p. 2229-2261

303 W. BOURDON, Petit manuel de désobéissance citoyenne, Editions JC Lattès, février 2014, p. 152-217

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Ces solutions législatives amélioreraient la libération de la parole et la protection des lanceurs d'alerte mais elles présenteraient aussi des difficultés pratiques et des intérêts divers devront être mis en balance pour connaître le bénéfice d'une telle réforme (les préjudices éventuels pour l'entreprise ou l'institution, les moyens de divulgation, le risque de dénoncer des informations couvertes par le secret-défense, d'affaires ou bancaire et de compromettre certaines actions gouvernementales ou commerciales, la véracité des risques dénoncés et les critères faisant foi du bien-fondé de l'alerte, les atteintes probables et/ou lointaines, etc.).

Au-delà de ces éventuelles lois introduisant une protection accrue, une tangible garantie jurisprudentielle est apparue ces dernières années. Celle-ci n'a pas pris ancrage dans le domaine des lancements d'alerte mais à l'avenir, un juge pourrait s'appuyer sur cette innovation pour la déployer aux alertes éthiques et à leurs lanceurs.

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