II - Des mesures de protection ajournées
Le manque de moyens de défense efficaces et audibles
engendre des condamnations fréquentes. Celles-ci exhortant les futurs
lanceurs d'alerte à ne pas prendre la parole et provoquant ainsi la
méconnaissance, par les autorités, de comportements
répréhensibles.
Ces condamnations puisent leur origine dans le déficit
de protection existant. Celui-ci peut être vu sous plusieurs angles : le
manque de loi protégeant les lanceurs d'alerte (A) et
le défaut d'un fait justificatif spécifique mâtiné
de citoyenneté et d'intérêt public (B).
283 Voir Titre II, Section 2, Paragraphe I, B
284 O. TRILLES, Essai sur le devenir de l'instruction
préparatoire : analyses et perspectives, thèse pour le
Doctorat en Droit, Université de Toulouse I, soutenu le 17 juin 2005 p.
197-466
85
A - Des lois nouvelles, gage de sécurité
pour les lanceurs d'alerte
L'intérêt de cette étude est d'analyser
les possibles remèdes protectionnistes en faveur des lanceurs d'alerte
qui n'ont pas été intégrés dans l'ordonnancement
juridique français. Il faut entrevoir les opportunités
législatives balayant tous les champs de signalement éthique. En
premier lieu, l'intérêt d'établir une loi pénalisant
celui qui se tait (1). En second, l'utilité de
créer une loi protégeant le lanceur d'alerte en l'absence
d'infraction pénale probante (2).
1 - L'édification d'une loi incriminant celui
qui se tait ?
En France, la politique pénale qui prédomine est
la non-sanction en cas de silence.
Une exception existe en Espagne. En effet, les lois espagnoles
(lois du 28 décembre 1993 et du 28 avril 2010) font obligation à
toute personne, et notamment celles travaillant dans le secteur bancaire, de
communiquer aux autorités les informations dont elles disposent à
propos d'opérations en relation avec une infraction financière.
Tout manquement à cette obligation constitue une infraction
pénale. Aucune poursuite sur le fondement d'une violation du secret
professionnel ou du secret bancaire ne peut être engagée face
à une divulgation effectuée de bonne foi285. Il
n'existe en Europe aucun équivalent juridique : le secret bancaire et le
secret commercial des technologies de l'information ne peuvent être
utilisés pour cacher des activités illicites286.
C'est parce que cette politique existe que le cas Hervé
Falciani (à l'origine du scandale SwissLeaks) a
été traité différemment en Espagne. Après
avoir alerté les autorités suisses (et européennes) de
vastes évasions fiscales organisées par la banque HSBC,
et avoir été arrêté et interrogé en
décembre 2008 par le Procureur suisse (sous les accusations d'espionnage
industriel, vol de données couvertes par le secret bancaire, violation
du secret professionnel), il se réfugie en Espagne. Arrivé
à Barcelone en juillet 2012, il est arrêté à la
suite de la diffusion d'un mandat d'arrêt international
suisse287 et mis en détention à la prison de Madrid,
le temps que le tribunal décide de son extradition ou non vers la
Suisse. Le 8 mai 2013, le tribunal décide de ne pas l'extrader et de le
libérer, au motif qu'il a fourni des informations démontrant des
activités constitutives d'infractions pénales. C'est parce que la
loi espagnole est l'une des rares lois à pénaliser celui qui ne
révèle pas, que les juges espagnoles ont refusé
285 W. BOURDON, Petit manuel de désobéissance
citoyenne, Editions JC Lattès, février 2014, p. 121-217
286 Voir : H. FALCIANI, A. MINCUZZI (préface de W.
BOURDON), Séisme sur la planète finance, au coeur du scandale
HSBC, La Découverte, Paris, 16 avril 2015, 240 p.
287 Ediciones El Pa's, Arrestado el exempleado de HSBC
acusado de robar datos secretos, 24 juillet 2012
86
son extradition réclamée par la Suisse.
Hervé Falciani a été condamné, par défaut,
le 27 novembre 2015, à cinq ans d'emprisonnement pour espionnage
économique par le Tribunal pénal fédéral suisse. Il
n'a jamais bénéficié du statut protecteur de lanceur
d'alerte puisque la loi suisse, radicalement opposée à la loi
espagnole, incrimine celui qui révèle des informations obtenues
dans le cadre de son emploi dans une banque288.
Actuellement en France, l'article 40 al 2 du CPP qui fait du
signalement au procureur de la République une obligation pour tout agent
public n'est pas suivi de sanction en cas de manquement. Par contre, l'agent
public pourra subir des sanctions disciplinaires s'il manque à ses
obligations statutaires. Ainsi, selon Serge Slama « un fonctionnaire
qui manquerait de signaler des faits répréhensibles alors que le
statut général de la fonction publique l'y oblige pourrait
être sanctionné »289.
Le salarié d'une entreprise n'est pas, non plus,
contraint, par les dispositifs actuels, à dénoncer des
agissements dont il aurait eu connaissance dans le cadre de ses fonctions. Il
n'est pas, par principe, tenu de dénoncer une infraction pénale.
Selon Olivier Leclerc « si un salarié constate une violation
aux règles de traitement biomédicales et environnementales, il
n'existe pas, en droit français, d'obligation de dénonciation au
procureur de la République »290 mais probablement
il serait possible d'engager sa responsabilité civile pour faute. Il
serait en effet plausible d'engager la responsabilité civile sur le
fondement de l'article 1382 du Code civil291 292. Ce texte est
à mettre en parallèle avec la loi Blandin de 2013 qui permet
à toute personne (incluant les agents publics) de dénoncer des
faits portant sur des risques sanitaires et environnementaux graves. Ce droit
d'alerte a comme corollaire les principes de précaution et de
prévention sur lesquels sont fondés le droit de l'environnement
et de la santé publique. Les sénateurs ayant déposé
la proposition de loi avaient convenu que la protection des alertes encadre
l'application de deux articles de la Charte de l'environnement adossée
à la
288 L'article 273 du Code pénal suisse punit la remise
volontaire de renseignements économiques à une administration
étrangère (l'économie suisse étant
lésée par cette divulgation). L'article 273 sanctionne, donc, le
fait de chercher et de rendre accessible « un secret de fabrication ou
d'affaires à un organisme officiel ou privé étranger
».
L'article 47 de la loi fédérale suisse sur les
banques et les caisses d'épargne du 8 novembre 1934 réprime
« celui qui, intentionnellement (en sa qualité d'organe,
d'employé, de mandataire ou de liquidateur d'une banque)
révèle un secret qui lui a été confié ou
dont il a eu connaissance en raison de sa charge ou de son emploi
».
La violation du secret d'affaires est punie d'une peine
d'emprisonnement maximum de trois ans.
289 S. SLAMA, « Le lanceur d'alerte, une nouvelle figure du
droit public ? », Revue AJDA n°39, Dossier Les lanceurs
d'alerte, 24 novembre 2014, p. 2231-2261
290 O. LECLERC « La protection du salarié lanceur
d'alerte, Au coeur des combats juridiques », Dalloz, 2007, p.
298-298
291 Art. 1382 du Code civil : « Tout fait quelconque
de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute
duquel il est arrivé à le réparer ».
292 La Cour de cassation a, auparavant, déjà
admis la réparation du préjudice écologique sur le
fondement de l'article 1382 du Code civil dans l'affaire Erika (Crim.
25 septembre 2012, n° 10-82.938).
87
Constitution française, que sont l'article
2293 et l'article 3294. Il faut également se
remémorer la décision M. Michel Z et autres du Conseil
constitutionnel du 8 avril 2011295, dans laquelle il énonce
que « chacun est tenu à une obligation de vigilance à
l'égard des atteintes à l'environnement qui pourraient
résulter de son activité ». Dès lors que le
droit d'alerte en matière environnementale procède de la Charte
de l'environnement, peut être imputée une faute en cas de
non-divulgation. En mobilisant la responsabilité pour faute de l'article
1382 du Code civil, il est donc probable, selon Mireille Bacache, « de
responsabiliser le fait de s'abstenir d'alerter d'un risque grave pour
l'environnement ou la santé qui cause un dommage à autrui, en
imputant une faute de vigilance, une faute de précaution, selon la
nature du risque dénoncé, avéré ou incertain
»296.
Nouvellement adoptée, la loi n°2016-1087
du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de
la nature et des paysages297 a introduit dans le Code
civil, des dispositions destinées à reconnaître la notion
de préjudice écologique et à en encadrer la
réparation. L'article 1386-19 du Code civil (art. 1246 du Code civil
à partir du 1er octobre 2016) énonce que «
toute personne responsable d'un préjudice écologique est tenue de
le réparer », le préjudice écologique
étant défini à l'article 1386-20 comme « une
atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des
écosystèmes ou aux bénéfices collectifs
tirés par l'homme de l'environnement » (art. 1247 du Code
civil à compter du 1er octobre 2016). Avec cette nouvelle
disposition et une interprétation jurisprudentielle propice,
prochainement, il sera permis d'engager la responsabilité civile d'un
individu qui ayant connaissance de manquements graves pouvant aboutir à
un préjudice écologique sévère n'a pas
alerté sur les risques constatés. De manière identique,
l'employeur, ayant connaissance de ces dysfonctionnements et négligeant
d'intervenir pour empêcher la réalisation du sinistre
écologique, pourra, probablement, voir sa responsabilité
engagée.
Cependant, des dispositions françaises donnent à
l'alerte un caractère obligatoire et en sanctionnent le manquement.
293 Art. 2 de la Charte de l'environnement : « toute
personne a le devoir de prendre part à la préservation et
à l'amélioration de l'environnement ».
294 Art. 3 de la Charte de l'environnement : « toute
personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir
les atteintes qu'elle est susceptible de porter à l'environnement ou,
à défaut, en limiter les conséquences ».
295 C. Const., QPC, décision n°2011-116, 8 avril
2011, décision M. Michel Z et autres, D.2011, 1258, note V.
Rebeyrol
296 M. BACACHE, « L'alerte : un instrument de
prévention des risques sanitaires et environnementaux », RTD
civ, 2013, p.697-726
297 Loi n°2016-1087 du 8 août 2016 pour la
reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages,
JO n°184, 9 août 2016
88
Ainsi, l'article 434-1 du Code pénal298
manifeste une obligation générale de dénonciation.
Néanmoins, cela ne concerne que les « crimes dont il est encore
possible de prévenir ou de limiter les effets, ou dont les auteurs sont
susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui pourraient être
empêchés ». Selon Joël Morel-Bailly, « le crime
doit s'entendre dans son sens technique, à savoir l'infraction punie
d'au moins dix ans d'emprisonnement. Échappent à cette obligation
les faits délictueux, l'homicide involontaire ou la mise en danger
délibérée de la vie d'autrui »299.
Par conséquent certaines règles posent une
obligation de dénonciation suivie de sanction en cas de manquement mais
cela ne concerne que des champs très restreints.
Il serait envisageable d'introduire une sanction en cas de
refus de dénoncer où le défaut de révélation
entraînerait des risques graves pour l'intérêt
général ou le bien commun.
Cependant, une telle intronisation poserait des
difficultés majeures. Une telle obligation serait-elle respectueuse du
principe de légalité ? Quels seront les éléments
constitutifs permettant de poursuivre et d'accuser un individu de sa
négligence à avoir dénoncer ? Comment serait-il possible
de concilier cette obligation avec le droit à la liberté
d'expression et de conscience ? En lieu et place d'une pénalisation, de
possibles immunités en cas de divulgation seraient susceptibles de
libérer la parole des agents et salariés sans craindre de
représailles. Ces immunités permettraient d'ouvrir un interstice
pour la dénonciation sans qu'il n'y ait violation des obligations
statutaires et légales des agents et sans poursuite pour vol ou recel.
Soulignons que la volonté de pénaliser tout comportement est de
nature à rendre légitime et légale une infraction ayant
des atours politiques.
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