2 - Une défense ajustée face aux
infractions de vol et recel
Jérôme Guiot-Dorel, ancien trader de la
banque Bred, dénonce, en 2013, des pratiques comptables
abusives de la banque à l'Inspection générale du
groupe278. Il est licencié pour faute et menacé d'une
procédure au pénal pour avoir détenu un rapport de cette
même Inspection qui révélait les manipulations
financières. Ce rapport était la seule pièce à
conviction pour sa défense devant le Conseil des prud'hommes. Si cette
procédure avait abouti, les magistrats, en application d'une
jurisprudence constante, auraient justifié l'infraction de vol de
documents. En effet, un salarié qui soustrait, même
momentanément, des documents appartenant à son employeur, ne peut
être condamné pour vol lorsque les documents volés sont
strictement nécessaires à la défense du salarié
dans une instance l'opposant à son employeur279. La Chambre
criminelle fait application du fait justificatif de l'article 122-3 du Code
pénal280. Un employeur ne peut donc poursuivre un
salarié pour vol de documents professionnels à la double
condition que le salarié ait obtenu ces documents dans l'exercice de ses
fonctions et que la production de ses documents devant les juges soit
strictement nécessaire pour la défense future au salarié
(Cass, Crim, 16 juin 2011, n°1085079, Bull crim 2011 n° 134).
Concernant le recel de violation du secret par la voie
médiatique, les juges ont accepté que les individus soient
protégés à certaines conditions.
Avant 2002, un journaliste publiant une information soumise au
secret de l'instruction pouvait être poursuivi pour diffamation s'il ne
prouvait pas la réalité de ses allégations, et, pour recel
s'il apportait la preuve de la réalité des faits par la copie
d'un élément du dossier.
Cette situation plaçait le journaliste devant un choix
impossible, ce qui avait offusqué L-M. Horeau (journaliste au Canard
Enchaîné) : « Si le journaliste n'a aucun document, c'est
un diffamateur ; s'il possède des preuves et les produit, c'est un
receleur. S'il possède des preuves et ne les produit pas, il est
condamné »281.
Devant cette incongruité, le 11 juin 2002, les juges du
Quai de l'Horloge ont exigé qu'une partie invoquant comme moyen de
défense une pièce couverte par le secret professionnel ne puisse
se voir poursuivie pour recel sans se trouver limitée dans
l'exposé de sa défense282.
278 Voir : J. GUIOT-DOREL, Le vaillant petit trader,
Lignes de Repères, 1er juillet 2014, p. 206
279 Cass. Crim., 11 mai 2004, n° 03-85.521,
Société Pierson Diffusion, Bull crim 2004, n° 117
p. 453
280 Art. 122-3 du Code pénal : « N'est pas
pénalement responsable la personne qui justifie avoir cru, par une
erreur sur le droit qu'elle n'était pas en mesure d'éviter,
pouvoir légitimement accomplir l'acte ».
281 L-M. HOREAU, « Eloge du recel, in Liberté de la
presse et droits de la personne », Dalloz, 1997, p. 137 et s.
282 Cass, crim, 11 juin 2002, n°01-85.237, Bull. crim.
2002 n° 132, p. 486. La Cour va examiner le recel de violation du secret
de l'instruction par un journaliste comme ainsi justifié par l'exercice
de ses droits de la défense.
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Dès lors, le journaliste poursuivi pour diffamation,
pourra prouver ses allégations en produisant des documents à
l'origine illicite283. Selon Olivier Trilles « Les
principes de valeur constitutionnelle des droits de la défense et de la
liberté d'expression assurent la libre production de pièces
écrites, dès lors qu'elles n'apparaissent pas
étrangères à la cause »284. Ce
revirement de jurisprudence a, donc, permis au journaliste d'échapper
à ce dilemme.
Cette nouvelle orientation jurisprudentielle fait suite
à un arrêt de la CEDH dans lequel la Cour va enjoindre que la
répression du recel ne doit pas être un moyen
détourné d'entraver l'exercice d'un droit fondamental (CEDH, 21
janvier 1999, Fressoz et Roire c/ France, req. n°29183/95). Dans
cet arrêt de 1999, la Cour considère qu'il est de
l'intérêt d'une société démocratique
d'assurer et de maintenir la liberté de la presse ; la restriction
devant être toujours proportionnée au but légitime
poursuivi. Et que s'agissant d'une question relevant d'un débat
d'intérêt général, la condamnation pour violation du
secret, vol de documents et recel était injustifiée et violait
l'article 10 de la CESDH.
L'arrêt du 11 juin 2002 n'a pas remis pas en cause la
jurisprudence constante qui condamne pour recel de violation du secret de
l'instruction, la publication de pièces relevant d'instruction ou
d'enquête en cours.
Les moyens de défense invoqués sont donc
accueillis différemment selon les juridictions saisies et selon
l'appréciation des juges. Une insécurité juridique se
manifeste au travers de ces jurisprudences. Insécurité qui va
peser sur le lanceur d'alerte.
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