B - Une défense indécise
Face à des poursuites pour violation du secret, vol de
documents et recel, les moyens de défense n'ont pas toujours
été tangibles. De jugement en revirement de jurisprudence, les
magistrats ont rendu audibles la défense invoquée
vis-à-vis de l'infraction de vol (2). Inversement, les
juges ont éludé toute forme de protection pour des faits de
violation du secret professionnel, même si prochainement une solution
antinomique pourrait être admise (1).
1 - Une garantie hésitante face à la
violation du secret
En la matière, l'exemple d'Olivier Thérondel est
emblématique.
Ancien agent de TRACFIN273, il surprend le 5 avril
2013, dans le flot des déclarations de soupçons, un signalement
de la banque suisse Julius Baer aux noms de Jérôme
Cahuzac et de Patricia Ménard, épouse Cahuzac. Cette
déclaration indique le rapatriement de fonds bancaires d'une
société offshore en France. Olivier Thérondel traite
normalement les déclarations. Les jours suivants, son supérieur
direct lui enjoint oralement de ne plus enrichir les déclarations de
soupçons de Jérôme Cahuzac.
Inquiet de la situation et face au refus de son
supérieur de lui transmettre cet ordre par écrit, il publie, le
22 et 26 avril 2013, deux articles sur un blog hébergé par
Médiapart. L'un intitulé « Tracfouine » met en cause
les consignes de sa hiérarchie et les lenteurs présumées
dans le suivi du dossier Cahuzac.
Selon TRACFIN, cette période prolongée est
habituelle à l'égard des PPE (Personne Politiquement
Exposée). La procédure classique étant d'anonymiser les
déclarations pour éviter tout scandale avant que l'enquête
ne soit approfondie.
À ce sujet, dans une interview, il tiendra les propos
suivants : « Je me rends compte que dix jours après la
première déclaration, le dossier Cahuzac est toujours en
stand-by, alors qu'en temps normal un dossier de ce type est orienté
vers l'enquête en une journée. J'ai progressivement l'impression
que le dossier n'est pas traité normalement ».
Trois semaines se sont écoulées entre le
signalement à TRACFIN et la transmission de l'information à
l'autorité judiciaire.
273 Créé en 1990, c'est un service de
renseignement en charge de la lutte contre les circuits financiers clandestins,
le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. Il est chargé
de recueillir, d'analyser et d'enrichir les déclarations de
soupçons que les professionnels assujettis sont tenus de lui
déclarer. Une fois les déclarations traitées et s'il
apparaît une présomption raisonnable d'infraction pénale,
elles seront transmises au parquet territorialement compétent afin que
le procureur de la République exerce l'opportunité des
poursuites.
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À la suite de la publication des articles, il est
poursuivi pour violation du secret professionnel (article 226-13 du Code
pénal) et publication interdite (article 38 de la loi du 29 juillet
1881). Le jugement s'est tenu à la 17ème chambre du
TGI de Paris et rendu le 16 mai 2014.
Les magistrats lui ont refusé le statut de lanceur
d'alerte. Les juges ont rappelé que ce statut a été
consacré par une loi postérieure aux faits (la loi du 6
décembre 2013).
Ils ont également souligné que trois semaines
avant la publication des articles, Cahuzac avait annoncé publiquement
avoir demandé le rapatriement des fonds détenus à
l'étranger.
Le tribunal a énoncé que « Ne
justifiant [É] n'avoir attiré l'attention ni de l'autorité
judiciaire, ni de sa hiérarchie, ni des organisations syndicales, il a
fait preuve d'impulsivité et de légèreté en se
rendant coupable de violation du secret professionnel ».
Olivier Thérondel a été condamné
à deux mois d'emprisonnement avec sursis. Affecté au service des
douanes, il fait, actuellement, l'objet d'une procédure
disciplinaire.
Cette solution française va dans le sens retenu par la
CEDH concernant la protection des informations confidentielles de nature
bancaire et fiscale.
À cet égard, en 2007 dans l'arrêt
Stoll c/ Suisse274, la Cour avait estimé que la Suisse,
en condamnant un journaliste sur le fondement de l'article 293 du Code
pénal interdisant la publication de débats officiels secrets,
n'avait pas porté atteinte à l'article 10 de la CESDH.
À l'origine de l'affaire, le journaliste Martin Stoll
avait fait paraître, en 1997, deux articles contenant des extraits d'un
rapport confidentiel de l'ambassadeur Suisse aux États-Unis
consacré aux négociations en cours entre son pays et le
Congrès juif mondial au sujet de l'indemnisation due aux victimes de
l'Holocauste. La Cour a considéré qu'il était primordial,
pour les services diplomatiques mais aussi à des fins de bon
fonctionnement des relations internationales, que les diplomates puissent entre
eux se transmettre des informations confidentielles ou secrètes, au vu
notamment du pouvoir dont disposent les médias auprès des
populations275.
En France, la violation du secret par voie
médiatique peut être poursuivie, de manière latente,
sur le fondement de l'article 38 de la loi du 29 juillet 1881.
Ce texte prohibe la publication des actes d'accusation et des
autres actes de procédure criminelle ou correctionnelle avant qu'ils
aient été lus en audience publique.
L'interdiction de publier ou de diffuser une information
traduit une limite à la liberté d'expression garantie par
l'article 10 de la CESDH.
274 CEDH, Grande Chambre, 10 décembre 2007, Stoll c/
Suisse, req. n° 69698/01
275 B. BEIGNIER, B. DE LAMY, E. DREYER, Traité de
droit de la presse et des médias, LexisNexis, Litec, Paris, 2009,
p. 176-1419
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Cet article a été déclaré
compatible avec l'article 10 de la CESDH. L'ingérence étatique
dans la liberté d'expression a été justifiée au
motif que les tribunaux français ne font qu'appliquer une loi
interdisant la reproduction de tout ou partie d'actes de procédure
pénale avant le prononcé de la décision, à des fins
de protection de la présomption d'innocence et de la garantie de
l'impartialité du pouvoir judiciaire (CEDH, 24 novembre 2005,
Tourancheau et July c/ France, req. n° 53886/00).
Récemment, avec le scandale Médiator,
les juges français ont déclaré que l'application de
l'article 38 de la loi du 29 juillet 1881 à la publication litigieuse
constituait une ingérence disproportionnée dans l'exercice de la
liberté d'expression garantie par l'article 10 de la CESDH. La Haute
juridiction a estimé que si les journalistes publient des actes de
procédure en violation du secret dans le cadre d'un débat se
rattachant à une problématique d'intérêt
général, l'article 38 ne trouve plus à
s'appliquer276.
Cette solution nouvelle suit les récentes positions
prises par la CEDH.
En effet, si l'article 10 alinéa 2 de la CESDH
restreint l'exercice de la liberté d'expression, un contrôle de
proportionnalité rigoureux doit être effectué sur cette
limite posée, particulièrement lorsqu'il s'agit de question
d'intérêt général. Il en est ainsi de celles
relatives à la protection de la santé et de l'environnement.
L'arrêt Mor c/ France de 2011 relatif à la divulgation
par un avocat des risques liés aux vaccins anti hépatite B
présente cette nouvelle vision européenne277. Dans cet
arrêt, la CEDH a énoncé que « l'article 10 al 2 de
la Convention ne laisse guère de place pour des restrictions à la
liberté d'expression dans le domaine du discours politique ou, comme en
l'espèce, des questions d'intérêt général
». La Cour a estimé que « les déclarations de
l'avocate à la presse s'inscrivaient dans le cadre d'un débat
d'intérêt général, que les faits concernaient
directement une question de santé publique, c'est-à-dire
intéressant l'opinion publique elle-même », puisque
« mettant en cause non seulement la responsabilité de
laboratoires pharmaceutiques chargés de la fabrication et de
l'exploitation du vaccin contre l'hépatite B mais également des
représentants de l'État en charge des questions sanitaires
». Au regard des circonstances de l'espèce, la Cour a
considéré que la protection des informations confidentielles ne
peut constituer un motif suffisant pour déclarer l'avocate coupable de
violation du secret professionnel.
Apparaît, de fait, une solution inverse que celle
retenue dans l'affaire Thérondel. La balance des
intérêts (protection intérêts publics et
intérêts privés) est ainsi laissée à
l'appréciation des juges.
276 Cass, 1ère civ, 11 mars 2014,
n°12-29.419, Laboratoire Servier c/ Figaro, Bull civ 2014, I,
n° 36
277 CEDH, 15 décembre 2011, Mor c/ France, req.
n° 28198/09
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