2 - L'alerte sous le prisme de la dénonciation
calomnieuse
Les lanceurs d'alerte de mauvaise foi sont passibles de
poursuites au titre de la dénonciation calomnieuse. La
dénonciation calomnieuse revient à dénoncer sciemment un
fait que l'on sait totalement ou partiellement inexact à des
autorités susceptibles de prendre des sanctions judiciaires,
administratives ou disciplinaires. Elle est réprimée à
l'article 226-10 du Code pénal et est caractérisée par
plusieurs éléments.
)268.
La dénonciation, fait par quiconque, doit être
spontanée et dirigée contre une personne déterminée
(même si elle n'est pas nommément désignée). Elle
doit porter sur un fait totalement ou partiellement inexact pouvant
entraîner une sanction contre l'auteur présumé des faits
reprochés. Le destinataire de la dénonciation doit être une
personne investie d'un pouvoir de sanction (magistrat, officiers de police,
huissiers, préfets, etc.) ou qualifiée pour s'adresser à
une autorité qui a un pouvoir de sanction (médecin, assistante
sociale, etc.
Le délit de dénonciation calomnieuse exige, pour
être établi, que les faits dénoncés aient
été préalablement déclarés faux par une
autorité compétente. Donc, la fausseté du fait
dénoncé résulte de la décision, devenue
définitive, d'acquittement, de relaxe ou de non-lieu, déclarant
que le fait n'a pas été commis ou que celui-ci n'est pas
imputable à la personne dénoncée.
En cas d'acquittement, de relaxe ou de non-lieu rendu faute de
charges suffisantes, le tribunal, saisi des poursuites contre le
dénonciateur, appréciera la pertinence des accusations
portées par celui-ci. Si les faits dénoncés n'ont
donné lieu à aucune poursuite pénale, il incombe à
la partie poursuivante la charge de la preuve de la fausseté des faits
dénoncés269.
Le délit de dénonciation calomnieuse est
caractérisé seulement si le dénonciateur a agi de mauvaise
foi, en ayant conscience pleinement de la fausseté des faits
dénoncés.
La bonne foi des lanceurs d'alerte a ainsi une place
prééminente et est présumée en matière de
lancement d'alerte270. Selon Serge Slama, lorsqu'un lanceur d'alerte
est de bonne foi c'est qu'il dénonce « avec la conviction que
l'information qu'il divulgue est authentique »271.
268 L'affaire Clearstream II débute lorsque
Jean-Louis Gergorin dénonce au juge d'instruction Renaud Van Ruymbeke
(qui instruit sur les frégates de Taiwan) des dissimulations
d'opérations financières illégales d'hommes politiques. Il
sera poursuivi pour dénonciation calomnieuse lorsqu'au cours de son
instruction Van Ruymbeke établira que les divulgations sont inexactes.
Et ce malgré une bonne foi difficilement contestable. Voir : JR.
VIALLET, Manipulations, une histoire française, produit par
Christophe Nick, film documentaire, collection documentaire en 6 volets,
diffusé sur France 3, le 11 nov. 2011 (312 mn)
269 T. Corr Versailles, 24 avril 2003 : Gaz. Pal. 2004. 1. Somm.
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270 Les récentes lois françaises en matière
de protection des lanceurs d'alerte ont introduit la présomption de
bonne foi.
271 S. SLAMA, « Le lanceur d'alerte, une nouvelle figure du
droit public ? », Revue AJDA n°39, Dossier Les lanceurs
d'alerte, 24 novembre 2014, p. 2229-2261
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La bonne ou mauvaise foi sera librement
appréciée par les juges, qui vont appréhender les mobiles
réels du lanceur d'alerte. Si elle est constatée, le
dénonciateur pourra échapper à des poursuites puisque
l'élément moral de la dénonciation calomnieuse ne sera pas
caractérisé.
À ce stade, la bonne foi n'est pas
étudiée sous l'aune du droit de la presse (donc sans qu'il ne
soit question d'une dénonciation publique). En effet, cette notion
existe également comme moyen de défense face à une
poursuite pour diffamation.
Malgré tout, une passerelle existe entre ces deux
moyens de défense. Les juges se prononçant sur la bonne foi d'un
individu poursuivi pour dénonciation calomnieuse n'hésiteront pas
à piocher dans les critères de la bonne foi permettant
d'échapper à une condamnation pour diffamation.
En conséquence, la dénonciation calomnieuse se
différencie de la diffamation. Si comme cette dernière elle porte
atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne
visée, la dénonciation calomnieuse est de surcroît de
nature à entraîner des sanctions et n'a nul besoin d'être
diffusée médiatiquement.
Des poursuites pour dénonciation calomnieuse sont
régulièrement intentées contre des individus qui alertent
des autorités272.
272 Catherine Bonnet, pédopsychiatre, a, entre
1996-1997, signalé aux autorités judiciaires des abus sexuels sur
des enfants filmés par un de leurs parents (pour être
enregistrés et exploités sur Internet). Suite à cette
dénonciation, des pères et une mère vont porter plainte
pour dénonciation calomnieuse au Conseil départemental de l'ordre
des médecins. La justice donne raison aux plaignants et Catherine Bonnet
est sévèrement sanctionnée.
En décembre 1998, le Conseil départemental de
l'Ordre des médecins la condamne à trois fois trois ans
d'interdiction d'exercer. En appel, ces condamnations tombent à quinze
jours d'interdiction d'exercer et à deux blâmes.
Suite à ces sanctions, les patients vont se faire plus
rares et, dès 1999, Catherine Bonnet a dû fermer son cabinet et
s'exiler en Angleterre pour retrouver un emploi. En 2006, la Commission
d'enquête de l'Association mondiale de psychiatrie (WPA) confirme la
valeur de son travail et Catherine Bonnet est réhabilitée par
l'Ordre des médecins. Le 22 mars 2014, elle est nommée par le
Vatican avec sept autres experts pour créer la toute nouvelle commission
d'experts pour la protection des enfants dans les institutions de
l'Église catholique. Depuis cette histoire, elle se bat pour que les
médecins puissent signaler les violences sexuelles envers les enfants en
toute sécurité, sans risquer de perdre leur cabinet et leur droit
d'exercer.
Cette affaire est complexe puisque la loi du 2 février
1981 (loi n°81-82 renforçant la sécurité et
protégeant la liberté des personnes) a précisé
l'obligation de dénonciation de sévices ou de privations
infligées à un mineur de quinze ans aux autorités
administratives ou judiciaires. Le médecin pouvant enfin s'adresser
directement au procureur de la République ou au juge des enfants. Le
médecin a donc le droit de signaler des sévices sur enfants aux
autorités judiciaires, médicales ou administratives (art. 226-14
du Code Pénal), mais il reste libre de s'en tenir au respect du secret
professionnel (art. 226-13 du Code pénal) y compris pour la
dénonciation de ces sévices (art. 434-3 Code pénal). Pour
remédier à ces difficultés, le Parlement a introduit une
protection disciplinaire pour le médecin qui signale (loi n°2004-1
du 2 janvier 2004 relative à l'accueil et à la protection de
l'enfance).
Certains auteurs ont relevé que ce droit d'alerte
donné aux médecins n'a pas été source de grandes
controverses (W. BOURDON, Petit manuel de désobéissance
citoyenne, Editions JC Lattès, p. 88-217). À l'aune de
l'affaire Bonnet, certaines questions peuvent être
relevées.
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