B - Des perceptives incertaines
Ce conditionnement des différents canaux d'alerte fait
état de carences dans la réception ou le traitement de l'alerte.
Afin de juguler cette instabilité, des solutions, propices à un
meilleur protectionnisme, doivent être prises. D'une part avec
l'élaboration d'une unique autorité de contrôle
indépendante (1), d'autre part avec l'ouverture de
supports informatiques (2).
1 - L'instauration d'une autorité de
contrôle indépendante
Dans les pays anglo-saxons, des autorités ou fondations
indépendantes ont été implantées pour analyser les
alertes et prendre en charge les lanceurs201. Ces autorités
ont limité la
200 Pour rappel, un Inspecteur du travail peut également
être poursuivi suite à une dénonciation. En la
matière, l'affaire de Laura Pfeiffer est marquante. Inspectrice
du travail, elle a été condamnée en première et
deuxième instance pour avoir transmis à des syndicats des
documents confidentiels appartenant à TEFAL faisant état de
pratiques douteuses exercées contre elle par la multinationale. Elle a
été condamnée pour violation du secret professionnel et
recel de documents volés à 35000 euros d'amende avec sursis par
la Cour d'appel de Chambéry le 16 novembre 2016.
201 Dès les années soixante-dix, aux
États-Unis, l'Office of Special Counsel voit le jour. Elle est
créée par la loi Civil Service Reform Acte de 1978 qui
protège les agents fédéraux lanceurs d'alerte. La
même année est instituée une fondation juridique reconnue
d'utilité publique, dont l'objectif est la défense des lanceurs
d'alerte (Government Accountability Project ou GAP). En Angleterre,
une autorité régulatrice voit le jour en 1993 nommée
Public Concern at Work.
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crainte, pour les individus, de révéler des
informations puisque des outils utiles à un bon traitement de l'alerte
ont été posés ; tels la confidentialité, des
pouvoirs d'investigation importants, des instruments permettant la levée
de certains secrets, l'analyse de la bonne ou mauvaise foi du lanceur, etc.
Comme le relève Nicole Marie Meyer « En Angleterre
l'autorité Public Concern at Work, a permis le traitement de plus de 20
000 alertes, dont 74 % avaient été lancées en vain en
interne ». Elle ajoute que « 86 % des cadres britanniques
déclarent, aujourd'hui, ne pas craindre de faire un signalement contre
seulement 54 % de leurs homologues européens
»202.
Face à des dispositifs incomplets et
hétérogènes, certains préconisent l'instauration de
telles autorités administratives indépendantes en France. En
effet, les autorités de régulation ne sont compétentes que
pour des domaines particuliers (à l'instar du SCPC en matière de
corruption), ne disposent d'aucun pouvoir d'enquête, ni de moyen pour
mettre fin aux atteintes dénoncées (à l'instar de la
CNDA). Enfin, dans plusieurs cas, les lanceurs d'alertes ne peuvent les saisir
directement.
Créé par la loi du 29 mars 2011, le
Défenseur des droits est une autorité indépendante
disposant de pouvoirs d'instruction, recevant des plaintes portant en
particulier sur des questions de discriminations. Il aide les personnes
à engager des procédures et le secret de l'instruction ne peut
lui être opposé lors de ses investigations. Il ne peut intervenir
que dans le cas de lanceurs d'alerte faisant l'objet de discriminations. Son
champ d'action est, dès lors, limité. D'une part, il ne peut
être compétent pour la protection de lanceurs d'alerte «
catégoriels », tels que les agents de renseignement
dénonçant des abus à la vie privée. D'autre part,
il n'a aucun pouvoir en matière de protection contre
d'éventuelles mesures de représailles (cette protection
relève, a priori, du juge judiciaire ou administratif selon les
cas).
C'est pour ces raisons que le Conseil d'État, dans son
étude récente sur le droit d'alerte203, a
recommandé d'étendre les compétences du
Défenseur des droits à la protection, dès le lancement de
l'alerte, des lanceurs d'alerte s'estimant victimes de mesures de
représailles.
Toujours dans son étude sur le droit d'alerte, le
Conseil d'État privilégie l'obligation de désigner des
personnes chargées de recueillir l'alerte interne et externe dans
l'ensemble des administrations de l'État, des établissements de
santé et des grandes collectivités territoriales. Ces
destinataires de l'alerte pourraient être une inspection
générale, un comité d'éthique ou de
202 N. MARIE MEYER, « Le droit d'alerte en perspective :
50 années de débats dans le monde », Revue AJDA
n°39, Dossier Les lanceurs d'alerte, 24 novembre 2014, p.
2243-2248.
203 Etude Conseil d'Etat « Etude sur le droit d'alerte :
signaler, traiter, protéger », La Documentation
Française, adoptée par l'Assemblée
plénière le 25 février 2016 (proposition 15).
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déontologie ou un référent
déontologue. Ils devront disposer d'une autonomie suffisante et
être placés à un niveau élevé de la
hiérarchie. Cette proposition entérine l'idée d'une
autorité administrative indépendance chargée de recueillir
et de traiter les différentes alertes. Il préconise
également d'étendre la compétence de la Commission
nationale de la déontologie et des alertes, créée par la
loi Blandin de 2013, au-delà du seul champ sanitaire et environnemental,
plutôt que de créer une autorité unique en charge du
traitement de l'alerte.
Néanmoins, l'instauration d'une autorité
administrative indépendante serait une amélioration dans la
protection des lanceurs d'alerte. Elle aurait de vaste pouvoir d'investigation,
ses compétences s'étendraient à plusieurs champs d'alerte
(financier, économique, sanitaire, environnemental, atteintes graves aux
personnes tels que les trafics d'êtres humains ou
pédopornographiques, etc.), elle pourrait filtrer et analyser les
alertes avant de les transmettre aux autorités compétentes
(procureur de la République, Autorité des marchés
financiers, Inspecteur du travail, etc.), elle serait une coordinatrice et un
relais entre les différents acteurs et institutions. Elle prendrait,
également, en charge le lanceur d'alerte. Développant un dialogue
nécessaire avec lui, elle l'aiderait dans cette phase délicate
tout en contrôlant la véracité des informations, le
bien-fondé de l'alerte et les motivations de l'individu. William Bourdon
préconise une composition pluraliste au sein de cette
autorité204. Des supports électroniques
gérés par l'autorité (et non par les entreprises)
permettraient, de manière confidentielle, de recevoir et de traiter les
alertes. L'autorité assurerait la confidentialité du lanceur.
Celle-ci pouvant être levée avec le consentement de l'individu. Sa
saisine ou auto saisine directe fournirait au lanceur d'alerte une protection
durant le temps de l'instruction. Pouvant empêcher toute mesure vexatoire
et assurer le maintien de salaire pour le lanceur d'alerte. Cette
autorité, après investigations, pourrait émettre des avis
consultatifs à joindre ultérieurement au dossier judiciaire.
Ceux-ci permettant de débattre dans le prétoire de justice du
bien-fondé de l'alerte et de la pertinence des poursuites
engagées contre le lanceur. En effet, rappelons que l'autorité
pourrait limiter les représailles envers le lanceur d'alerte mais
l'intérêt à agir d'une action en justice d'une entreprise
ou d'une institution ne peut être retiré. Si celle-ci persiste
dans son action judiciaire contre le lanceur d'alerte, l'avis consultatif
procurerai, lors des débats, une réflexion extérieure au
dossier judiciaire.
Garante du bon fonctionnement de la loi, son
indépendance absolue à tout autre organisme et instruction
légitimerait les actions entreprises.
204 « L'assemblée nationale devra choisir les
représentants qui la composeront. La majorité et l'opposition
devront être à parité afin d'en assurer une composition
pluraliste, qui sera aussi plurielle, des représentants de la
société civile et du monde professionnel devant s'ajouter aux
politiques. (É) Cette autorité devra comporter une commission
d'arbitrage, notamment dans le cas épineux des obstacles que peuvent
constituer les secrets, y compris pourquoi pas le secret défense »
- W. BOURDON, Petit manuel de désobéissance
citoyenne, Editions JC Lattès, février 2014, p. 147-217
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