2 - Les dispositifs d'alerte professionnelle : une
trompeuse alternative au silence
Les lois Auroux de 1982193 ont introduit
dans le secteur privé des dispositifs organisant le droit d'alerte des
salariés.
Le droit d'alerte permet au travailleur d'alerter
immédiatement son employeur de toute situation de travail dont il a un
motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et imminent
pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité
qu'il constate dans les systèmes de protection.
Corollaire de ce droit d'alerte, la loi du 23 décembre
1982 a introduit le droit de retrait du salarié. Le travailleur
pouvant se retirer de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable
de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa
santé. Aucune sanction ou retenue de salaire ne peut être prise
à l'encontre d'un travailleur ou d'un groupe de travailleurs qui use de
ce droit. Si se réalise le risque signalé, l'employeur verra sa
responsabilité engagée au motif d'avoir commis une faute
inexcusable.
192 M. RESS, « Loi Renseignement : comment le
gouvernement a trucidé les lanceurs d'alerte »,
NextInpact, publié le 25 juin 2015 (consulté le 7 mai
2016).
193 Loi n° 82-689 du 4 août 1982 relative aux
libertés des travailleurs dans l'entreprise, loi n° 82-915 du
28 octobre 1982 relative au développement des institutions
représentatives du personnel, loi n° 82-957 du 13 novembre
1982 relative à la négociation collective et au
règlement des conflits du travail, loi n° 82-1097 du 23
décembre 1982 relative aux comités d'hygiène, de
sécurité et des conditions de travail.
54
Parallèlement, des comités d'hygiène,
de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ont
été créés. Un travailleur a, ainsi, la
possibilité de saisir le représentant du personnel du CHSCT, qui
alertera immédiatement l'employeur en cas de danger grave et imminent.
L'employeur sera tenu, conséquemment, de procéder à une
enquête avec le représentant et de prendre les dispositions
nécessaires.
Ces droits promulgués pour les salariés ont fait
émerger un contentieux important sur la notion de « danger imminent
». Pour combler l'imprécision en matière de risque imminent,
l'article L.4133-1 du Code du travail, créé par loi Blandin de
2013, a énoncé que : « Le travailleur alerte
immédiatement l'employeur s'il estime, de bonne foi, que les produits ou
procédés de fabrication utilisés ou mis en oeuvre par
l'établissement font peser un risque grave sur la santé publique
ou l'environnement. L'employeur informe le travailleur qui lui a transmis
l'alerte de la suite qu'il réserve à celle-ci ».
L'article L.4133-2 précise que l'information d'un risque grave pour
la santé publique ou l'environnement peut se faire par la voie du
représentant du personnel du CHSCT qui va en informer l'employeur.
La loi américaine Sarbanes-Oxley Acte du 30
juillet 2002 (loi SOX) a introduit en France des canaux d'alerte pour
les salariés du secteur privé.
Loi fédérale prise juste après le krach
boursier de 2001-2002, elle avait pour but de protéger les investisseurs
en améliorant l'authenticité et la fiabilité de
l'information financière194. Pour atteindre cet objectif,
elle a autorisé les salariés à dénoncer, de
façon limitée, des faits susceptibles de constituer une atteinte
aux mesures de régulation des marchés prévus par cette
même loi. La SOX avait également introduit des protections contre
les licenciements des lanceurs d'alerte et des mécanismes d'alerte
obligatoires pour les entreprises, y compris pour leurs filiales
étrangères et pour les entreprises connexes.
D'applicabilité extraterritoriale, cette
législation entra en vigueur en France avec la loi n°2003-706 du
1er août 2003 relative à la sécurité
financière en France dite « Loi Mer »
(publiée au JO n°177 le 2 août 2003).
Pour exécuter cette loi, un dispositif d'alerte
professionnelle a été mis en place en 2005. Mécanisme
soumis à autorisation de la CNIL, il est complémentaire des
autres canaux195, facultatif et son périmètre est
limité.
194 Voir : N. MARIE MEYER, « Le droit d'alerte en
perspective : 50 années de débats dans le monde », Revue
AJDA n°39, Dossier Les lanceurs d'alerte, 24 novembre 2014, p.
2242-2248
195 Délégué du personnel, CHSCT, Inspecteur
du travail, etc.
55
À la suite de sa mise en oeuvre, la CNIL a
défini le terme alerte professionnelle qui permet aux
salariés d'une entreprise de signaler des problèmes relatifs aux
domaines financiers, comptables, bancaires et de lutte contre la corruption,
aux pratiques anticoncurrentielles. Défenseuse de la loi n°78-17 du
6 janvier 1978 relative à l'information, aux fichiers et aux
libertés, elle condamna en 2005 deux dispositifs d'alerte qui
instituaient « un système organisé de délation
professionnelle »196. Selon la CNIL, les personnes
soupçonnées devaient être informées de
l'enregistrement de données les mettant en cause pour avoir la
possibilité de s'y opposer comme l'exige la loi de
1978197.
Pour y remédier, la CNIL a adopté une
autorisation unique (nommée AU-004) le 8 décembre 2005
(modifiée le 30 janvier 2014) afin d'encadrer les dispositifs d'alerte
professionnelle et de simplifier les formalités administratives.
En 2009, par l'arrêt Dassault Système,
la Haute juridiction a conditionné la validité des dispositifs
d'alerte professionnelle dans le secteur privé à la
réunion des critères suivants : obligation pour l'employeur
d'obtenir de la CNIL une autorisation préalable ; restriction des
alertes aux seules infractions comptables, financières, bancaires et aux
faits de corruption ; la non-incitation à des dénonciations
anonymes ; l'installation d'une organisation spécifique à
même de traiter les alertes ; l'information de l'alerte pour les
personnes concernées198.
Depuis, le 24 février 2014, l'AU-004 a
été modifié et y est inclus désormais les domaines
du droit de l'environnement, de la lutte contre les discriminations, de la
santé, de l'hygiène et de la sécurité au
travail199.
Lorsque le dispositif d'alerte professionnelle envisagé
sort du cadre fixé par l'AU-004, l'entreprise doit adresser à la
CNIL un dossier complet de demande d'autorisation individuelle. Enfin, les
dispositifs doivent permettre l'identification de l'auteur de l'alerte mais son
identité est traitée de façon confidentielle par le
gestionnaire des alertes.
Par ces canaux d'alerte restreints et contraignants, le
travailleur n'est pas incité à révéler des
dysfonctionnements ou des manquements à la loi.
196 CNIL, Délib. N°2005-110 du 26 mai 2005
relative à la demande d'autorisation de Mc Donald's France pour la mise
en oeuvre d'un dispositif d'intégrité professionnelle.
197 N. MARIE MEYER, « L'alerte éthique ou
whistleblowing en France », Rapport janvier 2013 à Transparency
International, p. 6-13
198 Cass, Soc, 8 décembre 2009, n°08-17-191,
Dassault Système, Bull Civ V n°276
199 J. BOUTON, « Vers une généralisation du
lanceur d'alerte en droit français », RdT, septembre 2014,
p. 473-474
56
Autre voie de recours pour le salarié, comme l'agent
public, la très récente Commission nationale de la
déontologie et des alertes en matière de santé publique et
d'environnement (CNDA) créée par la loi Blandin. La loi a
posé une exigence de hiérarchie. L'alerte doit d'abord être
révélée en interne à l'employeur (soit directement
par le salarié, soit par l'intermédiaire du représentant
du personnel au Comité d'hygiène, de sécurité et
des conditions de travail). En cas d'absence de réaction dans le mois
suivant ou de divergence sur le bien-fondé de l'alerte, le
salarié ou le représentant du personnel pourra ensuite
extérioriser l'alerte par la saisine du représentant de
l'État dans le département (article L.4133-3 du Code du
travail).
Enfin, le salarié peut être aidé dans sa
démarche par le Défenseur des droits.
En dehors de ces canaux d'alerte, le salarié, comme le
fonctionnaire, a la possibilité de saisir son supérieur
hiérarchique, l'Inspecteur du travail 200 , le directeur des
ressources humaines, etc.
Actuellement, les mécanismes dont disposent les
salariés restent lacunaires, disparates et enveloppés de
nombreuses contraintes. Ils ne permettent pas une réelle
sécurisation pour les travailleurs lanceurs d'alerte.
|