Les lanceurs d'alerte français, une espèce protégée ?( Télécharger le fichier original )par Julia Le Floc'h - Abdou Paris X Ouest - Nanterre La Défense - Master II Droit pénal et Sciences criminelles 2015 |
2 - Le lanceur d'alerte sous le prisme d'une relation hiérarchiqueAvec l'introduction de cet arsenal législatif, apparaît une évidence : le titulaire de l'alerte ne peut être qu'un individu ayant dénoncé des agissements « constatés dans l'exercice de ses fonctions ». Pour autant, des personnes morales peuvent participer à des signalements éthiques128. La Revue Prescrire en est un bon exemple129. 125 Selon l'article 2 de la directive le secret des affaires s'entendrait « d'informations secrètes ou d'informations ayant une valeur commerciale parce qu'elles sont secrètes ou d'informations destinées à être gardées secrètes ». 126 La CJUE a récemment rendu un arrêt sage et conséquent en matière environnementale puisqu'elle a déclaré que la protection du secret commercial et industriel ne peut être opposée à la divulgation d'informations relatives à des émissions dans l'environnement et les incidences des rejets d'un pesticide dans l'air, l'eau, le sol ou sur les plantes : CJUE, 23 novembre 2016, Commission c/ Greenpeace Nederland, C-673/13P ; CJUE, 23 novembre 2016, Bayer c/ CTB, C-442/14 127 M. GOLLA, « La directive européenne sur le « secret des affaires » fait polémique », LeFigaro.fr, 26 avril 2016 128 Il faut donc différencier les personnes pouvant être titulaire du statut protecteur de lanceur d'alerte (personne physique ou morale ?) et l'alerte en elle-même. 129 Fondée en 1981 sous le régime de l'association à but non lucrative par un groupe de médecins et de pharmaciens, réputée pour son indépendance vis-à-vis de l'industrie pharmaceutique, la revue dénonce régulièrement des traitements thérapeutiques sans effet, voire dangereux, ou dont la balance bénéfices/risques est défavorable. Dès 2005, la revue a été parmi les premières à mettre en garde contre la dangerosité du Médiator (N. LE BLEVENNEC, « Prescrire, la revue médicale qui dit « non, merci » aux labos », Rue89, publié le 7 décembre 2010 - consulté le 2 avril 2016). 37 La question de la titularité de ce droit doit, dès lors, être analysée. En effet, selon les lois, l'alerte éthique est ouverte aux « seuls employés », « à tout agent » ou « tout fonctionnaire » dans l'exercice de ses fonctions (art. 6 ter A de la loi du 13 juillet 1983 issu de la loi du 6 décembre 2013) ou à « toute autorité constituée », « tout officier public » ou « fonctionnaire » dans l'exercice de ses fonctions (art. 40 al 2 du CPP). Mais dans d'autres textes, elle est ouverte à « toute personne dans l'exercice de ses fonctions » (art. 43 de la loi du 29 décembre 2011) ou encore plus largement à « toute personne y compris les personnes morales et n'importe quel citoyen » (art. 1er de la loi du 16 avril 2013 « loi Blandin »). Ce lien hiérarchique exigé l'est également dans la loi relative au renseignement. Le texte fait référence à l'ensemble des agents de la « communauté française du renseignement ». Le législateur a volontairement écarté les agents statutaires de la fonction publique et a refusé de l'étendre aux contractants de l'Administration. Concernant la directive relative au secret des affaires, il faudra attendre la transposition française pour connaître précisément les personnes titulaires du droit d'alerter130. À l'aune de ces dispositions apparaît donc une volonté de refuser toute protection à une personne extérieure à l'entreprise ou à l'institution131. Cette nouvelle protection donnée reflète, dans les faits, une rivalité sous-jacente puisque les structures hiérarchiques traditionnelles ont des attitudes sociales ancrées autour de l'obéissance ; celle-ci étant le point d'orgue de toute relation contractuelle. Aller à l'encontre de l'obéissance due aux supérieurs, à l'institution et à ses valeurs est vue comme un manquement grave et un défaut de responsabilité de la part du salarié. Comme le souligne Olivier Leclerc « L'alerte intègre au coeur de la relation de travail une logique d'insubordination »132. Ce foisonnement de critères demandés pour être exigible à une protection freine les garanties nécessaires aux lanceurs d'alerte. Après la description analytique de ce nouveau droit d'alerte restreint, l'étude des règles et procédures existantes dans le monde du travail (privé et public) à des fins de protection pour les lanceurs d'alerte doit être explorée. 130 Espérons que les salariés et contractuels entreront dans le champ de cette protection, ainsi que certains citoyens ayant un lien quelconque et extérieur à l'entreprise. 131 Sous réserve de la loi Blandin qui énonce que « toute personne physique ou morale a le droit de rendre publique ou de diffuser, de bonne foi, une information concernant un fait, une donnée ou une action, dès lors que la méconnaissance de ce fait, de cette donnée ou de cette action lui paraît peser un risque grave sur la santé publique ou sur l'environnement ». 132 O. LECLERC, « La protection du salarié lanceur d'alerte, Au coeur des combats juridiques », Dalloz, 2007, p. 298 38 |
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