b - Le secret des affaires : le secret pour
règle, la communication comme exception
Votée par une large majorité
d'eurodéputés au Parlement le 14 avril 2016120, la
directive européenne relative au secret des affaires
est le fruit d'une proposition de la Commission
européenne, dont l'objectif est une harmonisation au plan civil de la
protection du secret des affaires. Ce texte impose aux États un recours
civil contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicites de secrets
d'affaires, les États membres restant libres d'y ajouter un volet
pénal. Les vingt-huit États européens ont deux ans pour
transposer la directive.
En France, une tentative d'introduire cette protection avait
avorté en janvier 2015. C'est dans le cadre du débat sur la
loi croissance et activité n°2447 (Loi Macron) qu'un
amendement sur la protection du secret des affaires avait été
déposé (amendement n°SPE1810 débattu à
l'Assemblée nationale le 12 janvier 2015). La mesure a provoqué
une levée de boucliers chez les journalistes qui y voyaient une menace
à leur endroit et à la liberté d'expression. Cet
amendement fut retiré le 30 janvier 2015 mais les prémices d'une
protection spéciale pour les entreprises étaient
nées121. C'est dans ce contexte qu'intervient, quelques mois
plus tard, la directive européenne qui est saluée par certains
observateurs122.
119 Voir J. GUISNEL et D. KORN-BRZOZA, Histoire des
services secrets français, film documentaire, collection
documentaire en 4 volets, produit en 2010, diffusé sur France 5
le 6, 13, 20, 27 février 2011 (4 x 52mn).
120 Résolution législative du Parlement
européen du 14 avril 2016 sur la proposition de directive du Parlement
européen et du Conseil relative à la protection des
savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets
d'affaires) contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicites
- COM (2013) 0813 - C7-0431/2013 - 2013/0402 (COD)
121 Il n'existe pas de dispositions en droit français
protégeant le secret des affaires. C'est dans le cadre, plus
général, d'infractions au Code pénal que les entreprises
trouvent leur protection. Avec l'abus de confiance (art. 314-1 du Code
pénal), le vol de fichiers ou de documents (art. 311-1 du Code
pénal), l'intrusion dans un système informatique (art. 323-1 du
Code pénal), le délit de révélation du secret (art.
L.621-1 du Code de la propriété industrielle et L.152-7 du Code
du travail) et sur le plan civil avec l'action en concurrence déloyale
(art. L.621-1 du Code la propriété industrielle).
122 « Une législation limitée à
la France n'aura pas suffisamment d'efficacité dans le contexte d'une
économie mondialisée. Comment résoudre la question de
l'extra-territorialité de certaines législations internationales
? Porter cette préoccupation au niveau européen est un
réel progrès » : JACKY DEROMEDI, « Protection du
secret des affaires : ce grand oublié de la réforme Macron
», Le petit juriste, 20 juillet 2015 (consulté le 17 avril
2016)
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La directive vise à défendre le secret des
affaires des entreprises et à les protéger contre l'espionnage
industriel et économique. Ne peut être remise en cause la
légitimité des entreprises à vouloir protéger leur
secret d'affaires et de fabriques. La critique vient de l'instrumentalisation
de ce secret à des fins autres que la seule protection des
entreprises.
Initialement imaginé pour éviter que les
entreprises ne se fassent piller par leurs concurrents, les journalistes ont vu
dans ce secret des affaires un outil pour étouffer l'investigation et le
journalisme économique. Selon le collectif Informer n'est pas un
délit en « incluant dans son champ d'application des gens
qui ne sont pas des espions mais cherchent simplement à exercer leur
profession (journaliste, chercheur, cadre désireux de changer d'emploi)
ou à suivre ce que leur dicte leur conscience (lanceurs d'alerte), cette
législation destinée à réprimer l'espionnage
économique va trop loin et va donner à des entreprises des moyens
juridiques pour tenter de poursuivre quiconque obtiendrait, utiliserait ou
publierait un secret d'affaires sans leur consentement
»123. Afin de remédier à ces critiques, des
amendements sont venus certifier que le droit d'informer ne serait pas mis en
danger par la directive. Ainsi, l'article 4 de la directive124 fait
référence au droit d'informer tel que défini dans la
Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
Référence accessoire puisque la Charte s'applique
automatiquement. Cependant, cette dérogation ne change rien à la
problématique puisque le droit d'intenter des poursuites judiciaires,
envers toute personne publiant sans leur consentement des informations
considérées comme relevant du secret des affaires, est
attribué aux entreprises. Le juge devra trancher entre les droits
économiques des entreprises et le droit des journalistes d'informer
leurs lecteurs. Dès lors, n'existe aucune garantie que le droit
d'informer l'emporte. Le cas échéant, les journalistes devront
évaluer les risques et prendre en compte les éventuels dommages
financiers importants.
Dans cette volonté de ne pas porter atteinte au droit
d'informer, l'article 4 de la directive a posé une protection pour les
lanceurs d'alerte en cas de révélation « d'une faute,
d'une malversation ou d'une activité illégale, à condition
que l'obtention ou la divulgation présumée du secret ait
été nécessaire et que le défendeur ait agi dans
l'intérêt public ».
Cette liste limitative de cas protégés comprend
de nombreuses lacunes.
À titre d'exemple, les documents du scandale
Luxleaks étant des rescrits fiscaux entre le Luxembourg et les
entreprises multinationales, ils étaient légitimes et
légaux selon le droit
123 M. GOLLA, « La directive européenne sur le secret
des affaires fait polémique », Le Figaro.fr, publié
le 26 avril 2016
124 L'article 4 énonce que la divulgation du secret des
affaires sera admissible en cas « d'usage légitime du droit
à la liberté d'expression et d'information ».
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luxembourgeois. Le lanceur d'alerte et le journaliste,
poursuivis pour violation du secret des affaires, n'auraient pas
été protégés par l'article 4 de la directive bien
qu'ils aient révélé un scandale majeur d'évasion
fiscale.
Enfin, l'article 2 de la directive a donné au secret des
affaires une définition extensible125, introduisant lato
sensu plusieurs types d'informations qui concernent l'activité des
entreprises. À partir de quels éléments, dès lors,
l'information relèverait du secret d'affaires ? Ce secret d'affaires ne
devrait pas, quoiqu'il en soit, être délimité par les
entreprises126.
Les lanceurs d'alerte (et les journalistes qui glanent leurs
informations) devront démontrer au juge qu'ils ont agi pour
protéger l'intérêt général. La charge de la
preuve reposera sur eux. Le texte indique également que «
l'intérêt public » doit guider la divulgation d'un secret
d'affaires, mais cette notion devra être appréciée, le cas
échéant, par un juge. Dès lors, il pourrait y avoir une
interprétation différente selon le type de juridiction saisie,
selon l'opinion du juge et selon l'information divulguée. Selon Nicole
Marie Meyer « Que l'on veuille défendre les PME, renforcer
leurs secrets économiques et leurs outils de production est une bonne
chose. Mais l'esprit de la directive ne va pas dans le bon sens. La
définition est trop floue. La directive fait porter la charge de la
preuve sur les lanceurs d'alerte et pas sur les entreprises, sur le plus faible
et non le plus fort. Le texte va provoquer dix années de jurisprudence
au détriment du plus faible »127.
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