3. À la
croisée des proximités géographique et
organisée
Comme nous l'avons défini précédemment,
le cluster regroupe des entreprises qui partagent au minimum une
proximité géographique et une proximité organisée.
La question que l'on peut alors se poser est est-ce que cela suffit à la
durabilité d'un tel système productif local ?
a) L'importance de l'institutionnalisation dans la
création d'une coordination d'acteur
Une question se pose :
faut-il conserver la distinction entre proximité institutionnelle et
proximité organisationnelle ou les réunir sous le terme de
proximité organisée ? Comme nous l'avons définit
précédemment, la proximité organisationnelle doit
être dirigée par un certain nombre de règles communes aux
acteurs, qui permettent d'éviter les conflits d'usages. Ces
règles constituent le caractère institutionnel de la
proximité organisée. En théorie, on a tendance à
plus fréquemment étudier la proximité sous son
caractère organisé et non organisationnel. Il nous semble donc
important de faire la différence et de comprendre les outils qui entrent
en compte dans ce potentiel d'interactions.
La proximité est un phénomène
institutionnel donc c'est une ressource du structurel, mais seulement si on
distingue proximité et distance. La distance physique caractérise
la mesure métrique qui sépare deux entités. En revanche,
la proximité est un fait institutionnel non réductible. Il faut
donc différencier la croyance du fait. Les acteurs pensent avoir une
proximité les uns avec les autres alors qu'il existe une distance bien
réelle entre eux. Le fait est que cette proximité est
mentale : elle est créée par des liens institutionnels entre
les acteurs et non pas par de la distance physique. La proximité sert
également à délimiter et différencier les groupes
les uns des autres.
BOSCHMA (2004) qui est l'un des chercheurs à
étudier la proximité sous cinq formes différentes
(géographique, cognitive, organisée, institutionnelle, sociale),
analyse la proximité institutionnelle en dehorsde la proximité
organisée. Le cadre institutionnel et politique qu'il étudie est
donc de niveau macro. D'autres auteurs font la distinction entre le niveau
macro et le niveau micro. NORTH (1990) par exemple, tente de
différencier « l'environnement institutionnel » au
niveau macro et les « aménagements institutionnels »
au niveau micro. Il a pour idée que les acteurs économiques sont
« encastrés » dans les « règles du
jeu » institutionnelles et les ensembles de valeurs communes. Cette
notion d'encastrement se retrouve sur des points de vue politiques et
culturels. Lorsque des personnes et des organisations partagent le même
environnement politique et culturel, elles sont amenées à
connaître plus de relations que les autres personnes. (DI MAGGIO, ZUKIN,
1990). La proximité institutionnelle reste donc tout de même
fortement liée aux proximités organisationnelles et sociales dans
l'analyse de BOSCHMA. Finalement, l'environnement institutionnel doit
être perçu comme « ciment » de l'action
collective.
Selon la théorie de l'encastrement de GI MAGGIO et
ZUKIN (1990), la proximité institutionnelle s'appuie sur des lois et
règlements régies par un gouvernement actif et sur une structure
culturelle forte (langage, ethnie, habitudes communes, etc.). Lorsque les
organisations partagent les mêmes critères politiques et
culturels, ils sont amenés à interagir.
Alain RALLET et André TORRE (2004) soulignent
l'importance des réseaux sociaux et des institutions dans l'interaction
des acteurs. Ils mettent en lien proximité institutionnelle et
proximité géographique. La recherche de proximité
géographique débouchant sur un processus de localisation ne doit
pas être la seule explication possible. Selon LUCAS (1988) et KRUGMAN
(1991), la seule explication aux localisations des activités
industrielles se trouve dans le regroupement d'acteurs qui échangent des
relations de biens ou de services. D'autres auteurs comme FELDMAN (1999)
mettent l'accent sur le transfert de connaissances ou sur les raisons
sociologiques de ce rapprochement (FUJITA et OTA, 1993). Dans tout les cas, la
proximité intervient. Mais la démonstration en a rarement
été faite, surtout à l'époque de la globalisation
où il ne faut pas confondre recherche de proximité
géographique et localisation - notamment avec les nouvelles
mobilités qui rendent possible la proximité géographique
temporaire - lorsqu'il s'agit d'individus ou d'organisations. Finalement, la
recherche d'une proximité géographie n'entraine pas toujours un
processus de localisation et la mobilité a permis l'extension des
interactions à distance. Il paraît alors judicieux de trouver
d'autres explications au processus de localisation. Les relations
économiques encastrées dans un réseau social peuvent
être un des facteurs explicatifs ; le jeu des institutions peut en
être un autre (selon le groupe « Dynamiques de
Proximité »). Les politiques locales produisent de la
proximité géographique par la mise en place d'institutions
légitimes. Par exemple, dans le cas du cluster, le développement
des industries créatives fait partie des politiques urbaines et
culturelles puisqu'elles participent au développement économique
des territoires. Un cluster est une réunion sur un même territoire
d'entreprises, d'acteurs de la formation, d'acteurs de la recherche, qui sont
soutenus par un écosystème et des dynamiques locales, qui sont
eux-mêmes soutenus par les collectivités territoriales. Dans
certains cas, comme le cluster culturel métropolitain, ce sont les
collectivités territoriales qui ont directement impulsé la
réhabilitation d'un espace urbain, par exemple à la suite d'une
crise industrielle. Les aides et subventions des institutions marquent aussi un
intérêt certain pour le développement des industries
créatives.
Mais outre ces préoccupations quant au
développement économique et culturel urbain, la proximité
institutionnelle entre les entreprises est également fondamentale.
« Ainsi et quelles que soient les politiques mises en oeuvre et leur
efficacité, si la stratégie de l'entreprise ne coïncide pas
avec les actions mises en oeuvre dans le cadre de ces politiques scientifiques,
ces dernières seront inefficaces. » (DELAPLACE, 2011).
L'instauration de règles communes permet aux entreprises de se
rapprocher et de collaborer. Ainsi, la synergie d'entreprise se met en place
dès le moment où les entreprises sont aptes à collaborer
et à suivre un projet commun.
La coopération et même les synergies entre les
acteurs sont devenues un des objectifs clés de l'action politique
actuelle. C'est cette coordination qui doit permettre au territoire de se
développer et surtout de rayonner à l'international.
Néanmoins, tout cela semble rester de l'ordre de la théorie. En
pratique, il semblerait que, à travers des enquêtes
réalisées sur les coopérations inter-firmes (FREEL, 2002
et TETHER, 2002), les entreprises ne coopèrent pas - ou peu - avec des
organisations de proximité géographique. Les interactions de
proximité sont donc relativement faibles.
Finalement, bien que la coordination des acteurs locaux soit
devenue l'alpha et l'oméga de la politique de développement
local, elle n'est que rarement mise en pratique. La proximité
géographique est donc dépendante tant des besoins de coordination
économique que de l'encastrement des interactions sur le plan social et
institutionnel. C'est d'ailleurs la question que nous nous poserons dans notre
analyse du Pôle Belle-de-Mai : est-ce que la proximité
d'entreprises a permis la mise en place d'interactions ? Est-ce que les
proximités organisée, sociale, cognitive, institutionnelle
existent ? Est-ce que, finalement, les entreprises ont besoin d'être
en coordination économique et stratégique pour se
développer ?
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