c) De la proximité organisationnelle à la
proximité organisée
La notion de proximité organisationnelle est souvent
traitée de façon très large. Les notions qui reviennent
néanmoins fréquemment dans la littérature sont
« espace », « interactions »,
« organisations ». La notion de proximité
organisée fait référence au caractère agencé
des activités humaines(et non à l'appartenance à une
organisation en particulier).
Selon KIRAT et LUNG (1995), la proximité
organisationnelle « [...] lie les agents participant à une
activité finalisée dans le cadre d'une structure
particulière. [...] [Elle] se déploie à l'intérieur
des organisations - firmes, établissements, etc.- et, le cas
échéant, entre organisations liées par un rapport de
dépendance ou d'interdépendance économique ou
financière - entre sociétés membres d'un groupe industriel
ou financier, au sein d'un réseau, etc. - ». La proximité
organisationnelle a donc pour seul but de lié les agents : elle ne
peut être subit (elle est recherchée). Elle diffère de la
proximité géographique de par sa distance qui devient sociale et
non plus métrique. Par proximité sociale on entend des
concordances sur les plans cognitifs et matériels(sexe, âge,
santé, etc.). Pour qu'il y ait proximité organisationnelle, il
faut que les acteurs soient similaires socialement. Mais une faible distance
sociale ne suffit pas : ilfaut que les acteurs se coordonnent
cognitivement et politiquement. Cela passe par une organisation autour de
règles et de routines au sein d'une localisation.
D'un point de vue cognitif, la coordination permet la
réduction de l'incertitude et la sécurisation des anticipations
face aux décisions des acteurs les uns par rapport aux autres. Elle
passe par des règles mécaniques et automatiques.
D'un point de vue politique, l'organisation ne présente
pas deux acteurs sans les lier mais « deux partenaires qui doivent faire
des choses différentes et dont les rôles et les statuts sont
justement fixés par une règle établie, un usage social que
les gens suivent » (DESCOMBES, 1996, p. 297). De cette façon,
chaque acteur a une fonction qui lui est attribué de manière
à ce que les acteurs soient complémentaires. Mais même les
rôles sont fixés, une organisation doit bien évidemment
avoir une constitution juridique qui renvoie au but de cette même
organisation et surtout, qui exprime les relations de pouvoir et
d'autorité. (BAZZOLI et DUTRAIVE, 2002). Cette organisation repose ainsi
sur des règles externes (qui fondent l'existence de l'organisation) et
internes (qui organise l'exercice de pouvoir).
La proximité organisationnelle ne peut donc pas
seulement être associéeà une dimension cognitive qui
renvoie au partage de représentations, de valeurs, de savoirs, mais doit
également être régularisée par une dimension
politique qui attribue des rôles aux acteurs et permet ainsi une
coordination et un apaisement des conflits.
Une autre approche à la proximité
organisationnelle peut être faite. C'est notamment le cas de l'analyse de
BOSCHMA (2004). Selon lui, la proximité organisationnelle implique
à la fois de l'intensité et de l'autonomie. Il faut donc exclure
la proximité cognitive, bien qu'elle soit bénéfique
à l'apprentissage et à l'innovation. Ce risque s'explique dans le
fait que la création de connaissances va de pair avec l'incertitude et
l'opportunisme. Il faudrait donc instaurer des mécanismes de
contrôles. La proximité institutionnelle, par exemple, permet de
répondre à ces problèmes. On ne parle alors plus
de proximité organisationnelle mais de proximité
organisée. Néanmoins, la proximité
organisationnelle, si trop importante, peut nuire à l'innovation et
à l'apprentissage.
On peut voir ici tout le paroxysme de ce paradigme. En effet,
la proximité cognitive peut permettre la proximité
organisée, mais cela doit passer par de la proximité
institutionnelle. Néanmoins, si la proximité institutionnelle
induit trop de restriction à l'organisation, celle-ci est alors
dépourvue de tout pouvoir d'apprentissage de connaissances et
d'innovations par rapport aux organisations extérieures. Finalement, la
proximité organisée devrait être autonome, mais avec une
limite d'ouverte sur l'extérieur. D'après BOSCHMA
(2004), les réseauxne sont pasdes mécanismes qui coordonnent
les transactions, mais on peut les voir comme « une sorte de
véhicule permettant le transfert et l'échange d'information et de
connaissances dans un monde plein d'incertitudes. ». Ce principe peut
notamment s'expliquer par des échanges qui peuvent devenir
spécifiques, mais aussi par des liens trop forts qui limitent
l'accès aux ressources nouvelles, etc. Une proximité
organisationnelle excessive s'accompagne d'un manque de souplesse, alors que si
elle est trop faible, on a un manque certain de contrôle. A contrario,
une organisation plus souple permet un accès certain aux apprentissages
novateurs puisque plus large. Elle permet aussi la coordination des
interactionset la communication par une autorité centrale.
Finalement, la proximité organisationnelle est
nécessaire à la création de la connaissance par la
maitrise de l'incertitude et de l'opportunisme.
La réalisation d'une proximité organisationnelle
par le rapport cognitif au sein du réseau est possible. Elle
émane d'un système où maitrise et souplesse vont de paire.
Enfin, dans une troisième approche, BEURET (2012),
TORRE (2010) et RALLET (2002 et 2009) voit l'organisation comme favorable aux
interactions. Ils tentent de mesurer la capacité d'une organisation
à faire interagir ses membres. Il ressort ainsi deux principes :
1. Le fait d'appartenir à une organisation se traduit
par l'existence d'interaction entre ces membres. En effet, par
définition, « deux membres d'une organisation sont proches
l'un de l'autre parce qu'ils interagissent, et que leurs interactions sont
facilitées par les règles ou routines de comportement (explicites
ou tacites) qu'ils suivent. » (RALLET, TORRE, 2004). La
coopération sera donc plus facile entre personnes d'une même
entreprise ou d'un même réseau d'innovation.
2. Il existe une « logique de similitude »
au sein d'une même entreprise. En effet, les personnes doivent y partager
un même système de représentations - ou ensemble de
croyances - et les mêmes savoirs. Par exemple, des chercheurs qui font
partie d'une même communauté scientifique auront des
facilités à communiquer car ils ont le même langage.
Ces deux logiques sont donc complémentaires, mais elles
sont aussi substituables.
Si l'organisation n'est pas dirigée par un
caractère institutionnelle (par définition ce n'est donc plus
vraiment une organisation mais plutôt une communauté informelle),
c'est-à-direqu'elle est dirigée par un certainnombre de
règles explicites fortes, cela peut entrainer une faible
coopération entre les acteurs. C'est alors que la proximité
cognitive entre en jeu : par la cohésion comportementale, la
convergence des représentations, la proximité organisationnelle
peut alors exister.
Finalement, la proximité organisationnelle est
dépendante d'autres proximités. La proximité cognitive,
par exemple, favorise les interactions entre les membres d'un réseau, et
peu aboutir à une proximité organisationnelle. La
proximité institutionnelle quant à elle, peut permettre de
limiter les interactions afin d'éviter, dans certains cas, le surplus
d'information ou les conflits d'intérêt. Dans le cas de la
proximité cognitive, on entre dans une certaine logique d'appartenance.
Cette logique désigne « le fait que deux ou plusieurs acteurs
appartiennent à un même graphe de relations, ou encore à un
même réseau, que leur relation soit direct ou
intermédié.» (BEURET, TORRE, 2001). La coopération
est facilitée par exemple entre chercheurs et ingénieurs qui
appartiennent à une même entreprise, à un même
consortium technologique ou à un même réseau d'innovation.
Mais des similitudes peuvent aussi être positives. Par exemple, les
normes sociales, le langage, participent aux interactions entre plusieurs
acteurs. Plus les références culturelles de deux personnes sont
correspondantes, plus elles auront des possibilités de cohésion.
Mais l'appartenance et la connectivité ne suffisent
pas. Il faut de l'action humaine ! Les potentiels des proximités
sont neutres par définition. Ce sont les actions et les perceptions qui
vont les déclencher et leur donner un penchant positif ou
négatif.
La proximité organisationnelle est donc un potentiel
aux interactions entre les entreprises (BEURET, TORRE, 2004). Puisqu'elle
constitue un potentiel, elle doit être activée ou
mobilisée. Lorsqu'elle est activée, les liens qui se tissent
entre les acteurs sont des liens en dehors de la proximité
géographique. Les deux peuvent évidemment s'ajouter, mais elles
ne sont pas immuables. Une proximité organisationnelle doit être
dirigéepar un caractère institutionnel et devient ainsi
organisée. Les proximités organisées sont en constante
construction et déconstruction, au gré des dynamiques qui fondent
les relations entre acteurs. Ces mouvements sont ainsi fondés sur les
logiques d'appartenance et de similitude. Les relations changeantes permettent
un changement de configuration des regroupements d'acteurs et de leurs
interactions.
Finalement, pour comprendre d'une manière plus
approfondie comment fonctionne un système productif local, il faut en
étudier les proximités. En effet, la proximité stimule les
interactions (BOSCHMA, 2004) et donc stimule l'innovation. Ainsi, en
théorie, le cluster est forcement rendu possible par la
proximité. Dans le cas d'une Fricheculturelle, les proximités
géographique et institutionnelle entre les acteurs sont importantes.
Cela permet à chacun de partager le lieu (que ce soit des associations,
des entreprises, etc.). S'il n'y avait pas d'institutionnalisation par le
caractère politique de la chose, il n'y aurait sans doute pas de
durabilité dans le projet. De plus, une Friche peut tout à fait
devenir, par extension, un cluster où entreprises et associations
travailleraient ensemble dans un principe de concurrence/collaboration autour
de projets communs. En fin de compte, la proximité est importante pour
créer des liens, rendre durable un système et lui permettre
d'innover. Mais il faut également faire attention à ce que la
proximité ne soit pas trop importante sinon l'apprentissage n'est pas
rendu possible. En effet, si on se trouve en présence d'un regroupement
d'entreprises de même type, avec les mêmes connaissances, le
même savoir-faire, les mêmes technologies, alors l'apport de
connaissances est impossible et les entreprises ne peuvent innover : elles
sont obligées d'aller chercher cette nouvelle connaissance ailleurs.
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