1. Contexte et principes
généraux
Les populations immigrées sont de plus en plus
qualifiées, c'est le constat fait au travers de nombreuses études
réalisées dans les pays d'immigration dont la France. Le niveau
général d'éducation des migrants a augmenté,
notamment ceux récemment installés dans les pays
d'accueil184. En autres facteurs expliquant cette évolution
majeure, les politiques migratoires des pays d'arrivée devenues plus
sélectives du fait d'une situation du marché du travail interne
de plus en plus tendue. De plus , au-delà de la valorisation de
l'épargne des migrants qui a fait l'objet de tant d'études, il y
a de plus en plus une prise de conscience de l'importance du potentiel que
représentent les migrants pour le développement des pays
d'origine, en d'autres termes, le lien entre les ressources non
financières principalement cognitives et techniques et le
développement. De ce point de vue, l'agenda politique international
accorde une place centrale aujourd'hui au line Migration et
Développement. Ce qui n'est pas nécessairement le cas pour le
dyptique Migration et Intégration, trop longtemps resté une
prérogative des seules instances administratives des pays d'accueil
avant que les associations ne fassent irruption dans le champ de la politique
de l'intégration et de l'insertion. En outre, malgré cette hausse
notable du niveau de qualification des immigrés qui arrivent dans les
pays du Nord, leurs compétences ne sont pas nécessairement
identifiées, utilisées et reconnues dans leur diversité et
à leur juste valeur. Or, la question de la contribution des
immigrés au développement économique et social des
populations en France et la réussite de l'intégration des
personnes nées étrangères à l'étranger et
résidant dans le pays (les migrants) se pose avec la même
acuité.
Aussi, avec le développement rapide de la vie
associative en France et de la sous-traitance de certaines missions de
l'État, de nombreuses associations ont investi les champs de
l'intégration et de l'insertion. Depuis le début des
années 80, de nombreuses associations de migrants on vu le jour mais peu
jusqu'ici ambitionnaient de s'insérer dans ce créneau. Depuis
quelques années, des collectifs voient le jour avec pour objectifs aussi
bien de soutenir les projets de développement dans les pays d'origine
que la solidarité et l'entraide entre membres de la même
communauté puis la valorisation de la présence et l'apport des
immigrés à la vie locale ici. C'est le cas à Lyon, nous
l'avons vu, avec le collectif Africa 50 et d'autres collectifs
d'associations représentant les ressortissants subsahariens par pays
d'origine.
Si certaines de ces associations africaines envisagent de
s'impliquer plus formellement dans le champs de l'intégration, au
travers d'un partenariat avec l'État et les institutions locales, il se
pose l'épineuse question des moyens disponibles et des
compétences à mobiliser au niveau local afin de développer
leurs capacités organisationnelles et opérationnelles qui
permettront d' asseoir leur crédibilité et lever des fonds pour
l'exercice de leurs activités. Étant donné le
modèle économique de celles-ci, reposant comme nous l'avons vu
sur le bénévolat, la mobilisation reste faible, la
disponibilité des bénévoles étant compromise par
leurs propres activités professionnelles et engagements familiaux, puis
les dissensions internes à certaines organisations qui débouchent
sur une démobilisation massive des acteurs et la dilution de
l'idéal unitaire et identitaire.
Dans ce contexte, comment engager et réussir la
mobilisation ? Comment recueillir auprès des personnes, associations,
des entrepreneurs, étudiants, acteurs institutionnels, enseignants,
médecins, avocats, ingénieurs, techniciens, etc., les
données permettant de connaître et mesurer l'importance et la
nature des compétences utiles , y compris celles qui échappent
aux instruments de mesure disponibles : compétences ethniques ,
compétences acquises de manière informelle et non formelle ?
Comment les associations subsahariennes mobilisent et gèrent-elles leurs
ressources humaines ? Quel parti en tirent-elles réellement ?
Avant d'esquisser quelques réponses à ces
questions en regard des résultats de notre enquête, nous proposons
avant tout de faire un point sur quelques initiatives notables en la
matière au niveau local, national et international.
184
Près d'un tiers des migrants récents dans les
pays de l'OCDE sont diplômés du supérieur contre moins de
6% dans les pays d'origine.
146
2. Pratiques publiques de mobilisation des
compétences
Le programme TOTKEN185,
précédemment évoqué et initié par le
Programme des Nations Unies pour le développement depuis 1977 avec un
certain succès en Asie a été décliné au
niveau national au sein de certains pays africains dont le Mali et le
Sénégal pour les cas les plus connus du fait des retombées
enregistrées au niveau de la mobilisation des ressortissants
qualifiés de ces pays résidant à l'étranger.
2.1. Le Programme National pour la Mobilisation de
l'Expertise de la Diaspora sénégalaise (PNMED)
Ce programme piloté par le Ministère des
affaires étrangères sénégalaises s'est
adossé au programme TOTKEN du PNUD avec pour objectif de «
contribuer au développement national par le transfert de
connaissances des Experts Sénégalais de la Diaspora et par la
mise en relation entre les acteurs des secteurs publics et privés des
pays d'accueil et ceux du Sénégal ». Les
experts sont sollicités dans le cadre de ce programme pour intervenir
dans des secteurs qui connaissent de réels besoins en expertise et
considérés comme des vecteurs de croissance.
Entre 2002 (date du lancement de la phase pilote du TOKTEN
Sénégal) et 2006, 200 experts ont été
répertoriés dans la base de données du Projet, dont 76
sont intervenus (2267 jours de missions cumulés) dans l'enseignement
supérieur, l'Administration, la Société Civile et le
Secteur Privé au Sénégal, à l'occasion de missions
de courte durée. Entre autres faits d'armes, Le PNMED a
développé en 2010 un service qui apporte un appui aux
entrepreneurs qui investissent dans la micro-finance et aux structures
évoluant dans l'industrie de la mobilité international :
E-Diaspora, première agence indépendante de promotion de la
microfinance basée au Sénégal186.
2.2. Unité de gestion du Programme Diaspora au
Togo
Volet opérationnel du Programme national de
mobilisation de la Diaspora togolaise, il a pour objectif de mettre en place
des mécanismes permettant :
- d'optimiser la contribution de la diaspora à
l'investissement privé au Togo
- la mobilisation de la diaspora scientifique et technique
- l'appui aux initiatives de la diaspora pour le
développement local au Togo
- l'optimisation des transferts des fonds des togolais de ola
Diaspora
C'est dans cette perspective qu'un appel à
manifestation d'intérêt a été lancé en
août 2011 par le Ministère togolais de la fonction publique et la
réforme administrative afin de recruter 4 experts internationaux
chargés de réaliser des études diagnostiques et faire des
propositions afin d'opérationnaliser ce plan d'actions. Le programme est
doté de fonds importants issus du Programme « d'Assistance
Technique Ciblée Multisectorielle et de Renforcement des
Capacités Institutionnelles de la Facilité des États
Fragiles de la Banque Africaine de Développement » en faveur
du Togo.
2.3. Le Programme Migrations pour le
Développement en Afrique (MIDA)
Érigé sur les acquis et expériences du
défunt Programme de retour et de réintégration de
nationaux africains qualifiés (RQAN)187 lancé en 1983
par l'Organisation Internationale pour les Migrations(OIM), le MIDA, né
en 2001 à
185
Rapport 2012 OCDE-AFD, déjà cité :
« Ce programme permet aux expatriés de contribuer à des
projets dans leur pays d'origine en y
retournant pour une période de moins de trois
mois. Au cours des 20 premières années d'exercice, environ 5 000
personnes ont participé à des projets dans près de 50 pays
en développement »
186 http://www.entrepreneurship-diaspora.org/
187
MIDA, « La mobilisation des africains de la diaspora
pour le développement de l'Afrique », OIM, 2004 : «
Grâce à ce programme, plus de 2000 nationaux africains
hautement qualifiés et expérimentés ont reçu une
aide au retour et à la réintégration dans 41 pays
d'Afrique. 2565 étudiants boursiers ont aussi été
assistés à travers d'autres programmes financés par
l'Union européenne. Cette main-d'oeuvre très qualifiée
a
147
Libreville au Gabon, spécifiquement dédié
aux pays africains, est un « programme[régional] de
renforcement des capacités visant à développer les
synergies potentielles entre les profils des migrants africains et les besoins
des pays, en facilitant le transfert des compétences et des ressources
vitales de la diaspora africaine dans les pays d'origine. Il s'appuie sur la
notion de mobilité des personnes et des ressources et, de cette
façon, offre des options de réinvestissement du capital humain,
notamment sous la forme de retours temporaires, de longue durée ou
virtuels »188.
Le MIDA s'adresse à l'ensemble des travailleurs
qualifiés, mais cible tout particulièrement les cadres, les
entrepreneurs et les experts africains de la diaspora «
désireux et capables de contribuer par leurs compétences, mais
aussi par leurs ressources, financières et autres, aux efforts de
développement de leur pays d'origine ». En 2002, le MIDA
estimait à 1.042.897 le nombre de non-nationaux subsahariens
résidant en Europe dont 275.000 en France, 250.000 au Royaume-Uni et
150.000 en Allemagne. Le service de l'Immigration et des naturalisations aux
États-Unis en revanche dénombrait 881.300 subsahariens
travailleurs qualifiés dont 326.507 originaires d'Afrique centrale, la
légion la plus importante des ressortissants africains d'Amérique
du Nord, contre 190.500 pour l'Afrique australe et 27.000 pour les
Ouest-africains.
Le MIDA dans une démarche partenariale avec les
acteurs de la diaspora, les gouvernements des pays d'origine et d'accueil
mène différentes activités dont :
- la Création de petites entreprises en facilitant
l'accès aux ressources, animant des sessions de
formation à la gestion des micro-entreprises et
promouvant la création des co-entreprises communautaires axées
sur le développement189 ;
- Des enquêtes d'évaluation et constitution des
bases de données sur les compétences et les
ressources
multiples dont dispose la diaspora, l'étude des besoins
spécifiques aux pays et la compilation des opportunités
d'investissement dans les pays d'origine190 ;
- Le transfert des compétences par la promotion du
télétravail, les apprentissages à
distance191
« mediés » par les outils de
communication, les séjours successifs et retours permanents ;
- Campagnes d'information et de sensibilisation des diasporas
africaines au travers des sites
internet dédiés ;
- La gestion des rapatriements des fonds via la canalisation
des fonds transférés vers l'investissement productif...
ramené avec elle ses expériences,
essentiellement dans les domaines de la gestion et de l'administration, des
services sociaux et juridiques (27 %), des sciences et de la santé
publique, de l'éducation (17 %), des sciences physiques et
mathématiques, de l'ingénierie (15 %) et de la gestion de haut
niveau (11 %), ont pu être mises à profit dans les secteurs
socio-économiques clé des pays d'origine connaissant une
pénurie en la matière ».
188
MIDA, idem.
189 Un projet a été mené en ce sens en
Guinée sur la formation des femmes à la création et
à la gestion des micro-entreprises par le transfert de connaissances et
l'octroi de micro-crédits.
190
Dans le cadre d'un Projet pilote, le MIDA a contribué
à l'élaboration d'un site Internet d'information financé
par le gouvernement italien pour les Ethiopiens de la diaspora et notamment
ceux d'Italie: «Ethiopian diaspora.info », qui apporte
à la communauté éthiopienne à l'étranger des
informations utiles à la diaspora : procédure de création
d'une entreprise, conseils d'investissement, annonces ciblées ; Un
« questionnaire » en ligne permet également aux personnes
intéressées de s'identifier et soumettre ces renseignements dans
le but de constituer une base de données nationale des Éthiopiens
vivant à l'étranger.
191 « Le programme MIDA, qui s'appuie sur les
technologies de l'information et de la communication, a donné naissance,
en septembre 2003, à une initiative pilote d'apprentissage à
distance facilitant le transfert de compétences en permettant
d'atteindre virtuellement un large auditoire. 700 étudiants en
deuxième année de maîtrise ont
bénéficié de ce projet auquel sont associés
l'Université de Lubumbashi (UNILU) en RDC et l'Université libre
de Bruxelles (ULB) en Belgique. Financés par le Gouvernement belge, les
cours de formation sont élaborés dans le cadre d'accords de
jumelage belgo-congolais, sélectionnés en accord avec le
programme de l'UNILU et en fonction des compétences disponibles au sein
de la diaspora congolaise. Il relie la diaspora aux instituts d'enseignement
à l'intérieur des pays, et ces derniers les uns aux autres, et
offre une formation et un développement professionnel dans des
conditions rentables ».MIDA, idem.
148
3. Initiatives de mobilisation des compétences par
les diasporas
3.1. L'expérience
sénégalaise
L'expérience sénégalaise en matière
de mobilisation des compétences, même si elle reste modeste en
comparaison des initiatives indienne, chinoise ou latino-américaine, est
tout de même une référence en ce qui concerne les diasporas
africaines francophones.
3.1.1. DIASPOSEN
DIASPOSEN est le plus récent mouvement
diasporique sénégalais connu en France. Fondé par Lamine
Thiam et présidé par Ibrahim Guèye-Nago, il est né
à Paris à la faveur de la dernière élection
présidentielle au Sénégal. Ce mouvement rassemble des
personnes de très haut niveau d'origine sénégalaise
résidant en Europe et en Amérique du Nord notamment : chefs
d'entreprises, fonctionnaires internationaux, cadres dans la finance,
l'aéronautique, les multinationales... Ces cadres politiquement
engagés, malgré le positionnement « apolitique » du
réseau, affichent alors à la naissance du réseau
l'ambition d'« apporter leur pierre à l'édification d'un
nouveau Sénégal » en militant en faveur de l'alternance
et en apportant leur soutien officiel au candidat Macky Sall de l'Alliance Pour
la République (opposé à Abdoulaye Wade le candidat
sortant) depuis élu nouveau président de la République du
Sénégal. Des cadres et commerçants
sénégalais basés en Espagne, Portugal, Italie, Suisse, au
Canada et aux États-Unis ont d'ailleurs rallié le mouvement.
Assiste-t-on aux prémices d'une diaspora structurée mettant en
réseau les ressortissants d'un pays installés dans divers pays
d'installation au sens où l'est la diaspora chinoise d'après la
classification de Natalia Buga déjà citée ? Quel horizon
d'activités au-delà de l'appui à l'accession de Macky Sall
à la magistrature suprême ?
Le nouveau Président du Sénégal qui s'est
engagé à « faire de la diaspora la quinzième
région du Sénégal» a depuis lors reçu en
audience une délégation du Diasposen durant laquelle il a
été question « d'étudier les moyens d'inciter la
diaspora qui a souvent d'importants moyens financiers, un carnet d'adresses et
de l'expérience dans différents secteurs d'activités
à s'impliquer dans des projets et des actions au
Sénégal»192. En clair, les
Sénégalais de la diaspora réunis sous la bannière
du Diasposen souhaite s'impliquer plus activement dans la vie économique
et sociale du Sénégal.
Entre autres projets envisagés par le réseau
dans le champs de l'aide au développement: `' la création du
Fond d'Investissement des Sénégalais de
l'Extérieur qui aura pour objet de financer des projets de
développements dans les domaines agricoles, industriels et
écologiques orientés sur l'autosuffisance alimentaire, le plein
emploi, la sauvegarde de l'environnement et
l'amélioration du cadre de vie».
3.1.2. L'Assemblée des Sénégalais de
l'extérieur (ASE)
En ce qui concerne la résolution des problèmes
à l'intégration et l'insertion sociale et professionnelle que
rencontrent les Sénégalais de France, des assisses se sont tenues
le 15 avril 2012 en région parisienne sous la houlette de
l'Assemblée des Sénégalais de l'Extérieur
née à l'issue d'une série de rencontres de discussions
entre membres de la diaspora sénégalaise de France en 2009. Ont
assisté à ces assises les collectifs associatifs, les
responsables politiques et différentes personnalités de la
diaspora. Des propositions ont été faites, validées le 17
juin 2012 par la plateforme et soumises aux autorités
sénégalaises. Au-delà des réflexions autour de la
reconnaissance et la valorisation du rôle des associations
sénégalaises comme actrices du développement durable
local, la conception des conditions d'une valorisation(en termes
d'investissements productifs) des transferts financiers des
Sénégalais de l'extérieur dans l'économie
nationale, ou encore de la définition des conditions de
représentation des Sénégalais de l'extérieur
à l'Assemblée nationale, au Sénat, au Conseil
économique et social, « les organisations de la Diaspora
sénégalaise proposent également leur expertise dans tous
les champs de
192 Voir le portail internet du Collectif des associations
sénégalaises du Rhône, Solidarité Pour Exister
(SOPE) :http://www.sopeonline.net/
149
compétences relatifs à la coopération
bilatérale et multilatérale et au renforcement des
solidarités entre les peuples »193. Ce qui a
davantage suscité notre attention, ce sont les réflexions d'ordre
socio-économique portées par l'ASE fixant les conditions de
réussite du processus de l'intégration des
Sénégalais de France et les actions à mettre en oeuvre
pour atteindre cet objectif, au besoin avec l'appui du gouvernement
sénégalais. Ces réflexions sont réparties sur 3
axes essentiels :
? Droits sociaux des migrants
sénégalais de France
- Défense et garantie des retraites décentes
intégrant le double espace Sénégal-France dans lequel
sont
inscrits les migrants ;
- la parité des allocations familiales pour les
ayant-droits restés au Sénégal ;
- déperdition des droits pour les ayant-droits de
migrants décédés liée au manque d'informations
(allocation de veuvage, pension de réversion,
capital-décès...) ;
- revalorisation des pensions militaires
? Vie familiale en migration
- difficultés inhérentes au regroupement familial
(intégration nationale et insertion socio-professionnelle) ;
- échec scolaire et phénomènes de
délinquance au sein de la seconde génération ;
- reconnaissance de la double culture pour les enfants et les
familles,
- importance de la transmission culturelle aux enfants ;
- tarifs préférentiels pour les vacances
familiales ;
- suppression de la surtaxe téléphonique ;
- améliorer l'accueil et l'assistance aux
étudiants et stagiaires sénégalais en France ;
- actions autour de la régularisation des sans-papiers et
la promotion de la solidarité communautaire ...
? Maison des Sénégalais de
l'Extérieur
- Création d'un espace fédérateur des
initiatives des associations, organisations et opérateurs
économiques;
- développement des solidarités (multiservices) et
des échanges au sein de la communauté sénégalaise
de
France.
L'animation et le renforcement du réseau des
sénégalais de la diaspora tiennent aussi à la
création des espaces virtuelles d'échanges où sont
discutées sujets de société, problématiques
socio-économiques et politiques en lien avec le Sénégal et
les sénégalais de l'extérieur. C'est
précisément la vocation du site internet «
www.senediaspora.com»,
une web-agora qui revendique plusieurs milliers de membres.
Dans les organisations associatives transculturelles et
transnationales en lien avec les migrants en France, on dénombre
également quelques initiatives intéressantes de mobilisation des
compétences des migrants.
3.2. L'expérience du Forum des organisations de
solidarité issues des migrations (Forim)
Longtemps en marge des questions d'intégration et de
la promotion du « mieux vivre ensemble » que stipule pourtant ses
statuts, a mis en place sur son portail internet un formulaire ouvert à
toute personne « issue de l'immigration » souhaitant apporter son
expertise dans l'accompagnement à l'insertion économique et
193
Portail internet du Sope, idem.
150
professionnelle des migrants en France et dans les pays
d'origine. Outil de collecte des informations sur les compétences
individuelles et expertises techniques des migrants donc194 pouvant
également aider à
?? la mise en réseau des migrants et des organisations de
solidarité internationale ;
?? la valorisation de l'apport des migrants grâce à
leurs compétences spécifiques.
Figure 7. Aperçu du portail web d'inscription
dans la base de données des compétences individuelles des
migrants (Forim)
Source : Site internet du Forim
http://www.forim.net/
Il est cependant difficile de faire un état des lieux
du recensement de ces compétences, d'analyser l'utilisation qui en est
faite (les canaux et les zones géographiques d'affectation de celles-ci)
et donc d'en mesurer l'efficacité pratique, les données
recueillies n'étant pas accessibles sur le site internet de
l'organisation, contrairement au portail internet du TOTKEN
Sénégal où les statistiques des experts inscrits sont
immédiatement disponibles. Une étude approfondie
d'évaluation de cette initiative serait souhaitable et permettrait
d'apporter différents ajustements ; ce d'autant que le Forim, en tant
que structure représentative des migrants de France, du moins le versant
majoritairement africain de cette population, pourrait inspirer des
démarches similaires au niveau des régions et départements
en y assurant appui méthodologique, conseil, coordination. Rien de tel
ne nous est apparu au cours de notre enquête.
3.3. Le Resacoop et les experts « africanistes
» du Grand Lyon
L'expérience de mobilisation des compétences la
plus récente identifiée au cours de notre enquête est un
travail d'inventaire des experts réalisé par deux
étudiants de Sciences Po Lyon195 pour le compte et sous la
férule du réseau RESACOOP. La mission de ces étudiants
consistait en l'identification dans le Grand Lyon des personnes hautement
qualifiées de toutes origines et horizons professionnels (agronomes,
vétérinaires, médecins, enseignants, universitaires,
formateurs, ingénieurs, techniciens, etc.) ayant une certaine
connaissance du terrain africain et susceptibles d'apporter leur contribution
à l'accompagnement des projets de coopération
décentralisée portés par les migrants au
bénéfice des pays d'origine. En raison du caractère
confidentiel des données recueillies, nous a-t-on fait savoir au niveau
du Resacoop, il ne nous a pas été possible de consulter ce
répertoire afin de déterminer le profil et l'effectif des experts
inventoriés. Le rapport de stage insiste toutefois sur le fait que
Sciences Po Lyon et le Réseau Resacoop « disposent
désormais d'une base de données inédite
sur le Grand Lyon (il n'existait pas à ce jour de recensement
équivalent) ; les individus qu'elle recense sont par ailleurs
mobilisables assez
194 Le portail est accessible à partir du lien suivant
:
www.forimcomptetences.net
195 Côme Nsika et Julie Depuydt, «
Élaboration d'une base de données d'experts dans le domaine
de la coopération avec l'Afrique Subsaharienne et présents dans
le Grand Lyon », Rapport de stage académique de 4e
année, sous la codirection de Rose-Marie Di DONATO
(Résacoop) et Xavier Alphaize (IEP Lyon), juin-juillet 2012.
151
facilement puisque les entretiens ont été
l'occasion de leur présenter le projet et de les informer des suites
prévues (tous nos interlocuteurs nous ont donné leur accord pour
être sollicités via la base de données) : la base de
données élaborée est donc `'prête à
l'emploi» ». Notons que pour les auteurs du rapport le
concept d'expertise, polysémique et « polémique »,
recouvre trois dimensions :
- les compétences techniques et
spécialisées apprises par un individu ;
- les savoirs particuliers
développés par les acteurs de la
société civile (ONG, associations...) ;
- les connaissances nées d'une approche rationnelle,
méthodologique et indépendante de scientifiques.
Aussi, ce sont au total 76 personnes classées par
grade d'expertise selon l'ancienneté de l'exercice du métier
(senior, junior expérimenté, junior) qui ont été
recensées, représentant 9 nationalités différentes
: française, américaine, sénégalaise,
congolaise (RDC), congolaise (Brazzaville), rwandaise, burkinabé,
béninoise et camerounaise et dont 44 maîtrisent au moins
une langue étrangère, 24 au moins deux langues, l'ensemble de ces
expertises couvrant 27 domaines de coopération différents parmi
lesquels : 17 experts intervenant dans le domaine de la culture, 16 dans les
études et la recherche, 15 experts dans la formation pour adultes, 12
dans l'éducation, 10 dans l'artisanat et l'économie, 9 dans la
santé, 8 dans le développement rural, 6 dans l' Eau et
l'assainissement, 5 respectivement dans l'urgence humanitaire, l'action sociale
et l'éducation à la citoyenneté et 4 dans l'appui
institutionnel, la collecte et l'envoi de matériel ,
l'agriculture-pêche, etc.
L'intérêt d'une telle base de données de
compétences, pour leurs auteurs, est à situer à
différentes échelles :
- À l'échelle des associations, elle permet
d'instaurer une « meilleure coordination entre les ONG
lyonnaises travaillant avec l'Afrique. L'objectif étant de
gagner en efficacité sur le terrain, notamment via une mutualisation des
financements et des moyens humains » ;
- À l'échelle académique, l'outil
permettrait « d'établir une spécialisation
universitaire sur Lyon. Cet objectif pourrait se concrétiser au
travers de la création d'un diplôme spécialisé sur
l'Afrique (...) ou encore de co-diplômes avec des facultés
africaines, voire même d'une école doctorale spécifique
(permettant de répondre aux demandes, chaque année plus
nombreuses, de doctorants africains) »196.
3.4. L'Unité de Réflexion et d'Action des
Communautés Africaines (URACA)
Le mouvement est une association de loi 1901 basée en
région en Ile-de-France, fondé par l'ethnopsychiatre Moussa Maman
à la suite de la mobilisation d'un petit groupe d'étudiants
africains suite au problème rencontré par l'un des leurs. La
prévention sanitaire et sociale globale associée à la
défense des cultures africaines est son coeur de métier depuis
1986 et elle s'appuie sur une démarche originale que résume la
formule suivante : « être, faire et réfléchir
ensemble », une démarche communautaire dans le sens
où : « elle est basée sur la participation active des
membres de la communauté concernée. Cette démarche aboutit
à L'utilisation des éléments culturels comme points
d'appui des stratégies d'intervention. Dans un contexte de migration,
elle vise à rendre possibles, malgré les décalages, les
liens entre les logiques de la société d'accueil et celles du
pays d'origine. Cette fonction de lien est essentielle, entre
communautés africaines et professionnels, entre pays d'origine et pays
d'accueil, entre représentations occidentales et traditionnelles
africaines, entre L'individu, sa communauté et la société
d'accueil, etc. »197. Cette démarche est
également partenariale car l'URACA intervient sur le double terrain de
la France et de l'Afrique et s'appuie donc sur l'expertise à la fois
d'une équipe de tradipraticiens africains et des professionnels
hospitaliers parisiens, majoritairement africains. On y compte des
psychologues, des médiateurs,
196
Nsika et Depuydt, idem.
197 http://www.uraca.org/
152
des animateurs, tous africains, et quelques compétences
issues de la communauté française de souche : la
secrétaire générale du mouvement et la coordinatrice de
l'atelier Santé Ville de Paris 18e arrondissement.
L'URACA en France c'est d'abord un lieu d'accueil,
d'écoute et d'accompagnement, ce sont des activités
d'ethnopsychiatrie, de médiations, d'assemblées de femmes, la
prévention du SIDA , la formation et les échanges, la
solidarité communautaire, le soutien aux parents grâce à un
projet né en 1999 : le groupe Relais-parents originaires d'Afrique
subsaharienne et dont « L'objectif principal est d'aider les parents
originaires d'Afrique sub-saharienne dans leurs relations avec leurs enfants et
avec les institutions liées à l'éducation
»198.
La pertinence de son approche et de ses actions valent
à l'URACA un soutien financier conséquent de la part de la Mairie
de Paris mais aussi du Fonds Européen d'Intégration qui lui a
octroyé une enveloppe de 75.000 euros pour l'année 2011 sur un
projet annuel d'un coût total de 100.000 €199.
Cette crédibilité tient à la
cohérence et la lisibilité du projet que porte l'URACA, la
spécialisation de ses activités et leur circonscription à
un champ spécifique du domaine de la santé (lutte et
prévention du Sida), le professionnalisme de ses membres (hautement
qualifiés), son option de la transculturalité (subsahariens et
européens), sa démarche interculturelle ( prise en compte des
invariants culturels d'ici et de là-bas), le ciblage d'un public
déjà prioritaire dans les politiques publiques
d'intégration et d'insertion par la santé, par l'éducation
et la formation notamment (publics migrants, femmes, ,jeunes, parents).
L'ancienneté apporte l'expérience et celle-ci a permis à
l'URACA d'élargir son périmètre d'intervention à
l'Afrique où sont parallèlement conduites des actions de
santé communautaire, développement et de solidarité :
création de centres de soins et de santé, tournée de
médecine foraine, création d'une radio rurale, etc.
Autre atout force de L'URACA : en plus des multiples
compétences permanentes dont elle dispose en interne, elle a noué
des alliances stratégiques avec des partenaires clés et de
proximité : les associations de quartier (Habiter
au quotidien, les Enfants de la Goutte d'Or, l'Anneau d'Or, Aidda...),
les associations locales, nationales et internationales de lutte contre
le Sida (Centre Régional d'Information et de
Prévention Sida Ile de France-CRIPS, Migrants contre le Sida, Migration
Santé, Act Up, Fédération AIDES , ONUSIDA, OMS, Institut
National de Prévention et d'Éducation pour la Santé-INPES,
etc.), les Services hospitaliers parisiens : (Tenon,
Saint-Louis, Avicennes, Lariboisière, Bichat), etc.
3.5. Autres exemples majeurs de réseaux
transnationaux de migrants qualifiés dans d'autres régions du
monde
En ce qui concerne l'Europe, nous retenons tout
particulièrement :
3.5.1. Le réseau CASA-NET (Cameroonian Skills
Abroad - Network)
Réseau des compétences de la diaspora camerounaise
dont le secrétariat permanent est basé à Genève en
Suisse. C'est une fédération d'associations née en 2008
à la faveur du premier forum des compétences de la diaspora
198 Il s'agissait pour l'URACA de « constituer des
groupes de parents, animés par des leaders appartenant à la
même communauté, et d'interroger l'éducation des enfants,
la situation d'être parents migrants d'enfants nés en France(...)
Deux groupes se sont impliqués dans cette action : Un groupe de 13
pères (soninké, peul, bambara...) dirigé par Mr Mamadou
DIARRA ; Un groupe de 33 mères (mandingue) dirigé par Mme
Aïssatou GNABALY. En 2004, un troisième groupe est né,
constitués de jeunes (16-25 ans) de la seconde génération
qui apportent leur regard, leurs interrogations sur une situation
particulièrement complexe ; groupe animé par Mr DIARRA
».
199
Pour plus d'informations, consulter le document disponible sur
le site du Ministère de l'Intérieur français : «
Liste des bénéficiaires du Fonds Européen
d'Intégration(FEI) pour l'année 2011 ». Cela dit,
l'URACA bénéficie également de financements de la Mission
Ville de la Ville de Paris, la Direction Régionale des affaires
Sanitaires et Sociales (DRASS), la Direction Générale de la
Santé (DGS), Le service des financements associatifs de « Ensemble
Contre le Sida »(ECS) , la Direction de l'Action Sociale, de l'Enfance et
de la Santé (DASES), la Caisse Régionale d'Assurance Maladie
d'Ile-de-France (CRAMIF).
153
camerounaise, baptisé DAVOC 2008200 et
regroupant universitaires et professionnels installés dans divers pays
de l'OCDE principalement. Un réseau d'experts donc qui ambitionne de
regrouper l'ensemble des migrants camerounais pour des échange
d'idées, de ressources et de projets en vue de mener des actions
multisectorielles d'accompagnement au développement du Cameroun, dans
une démarche partenariale avec les institutions ( Casa-Net travaille
avec les gouvernement camerounais et suisses notamment ) et des structures
privées au niveau national et international. Nombreuses sont les
associations étudiantes camerounaises d'Italie, Suisse,
États-Unis, Allemagne, Chypre, Hollande, Belgique, Angleterre membres de
ce réseau des compétences. En France en sont membres en
l'état actuel de nos informations :
?? l'Association des Étudiants et Stagiaires de
Lyon (AESCL)
?? l'Association des Stagiaires et Étudiants Camerounais
de Bordeaux (ASECB) ?? l'Association des Étudiants Camerounais de
Strasbourg (AECS)*
3.5.2. Le cabinet montréalais AfriExperts
International
AfriExperts est avant tout un réseau
d'experts consultants africains d'horizons géographiques multiples
basé à Montréal au Canada et proposant des expertises en
termes d'accompagnement, de réalisations de missions spécifiques
pour une clientèle variée dans différents champs dont l'
entrepreneuriat et le développement des affaires, le
développement international, les technologies de l'information, la
coopération internationale, les services financiers, la conduite des
projets de recherche, l'immigration. Parce qu'il a fait le choix d'accompagner
les Africains de Montréal dans le processus d'insertion professionnelle
et de reconnaissance de leurs compétences par la valorisation «
du potentiel des compétences africaines dans le cadre des mandats qu'il
réalise au Canada et ailleurs dans monde, AfriExperts International
s'emploie à faire prioritairement recours aux services d'experts
africains qui se démarquent par leurs expériences
professionnelles et leurs aptitudes à agir avec diligence et attention,
pour répondre aux exigences de la clientèle
»201.Pour ce faire , il s'appuie aussi sur son
réseau d'associés et partenaires installés au Canada, aux
USA, en Europe et en Afrique. Parmi les services proposés à sa
clientèle :
?? Création et la gestion d'entreprises
?? Conception, suivi et évaluation des projets
?? Analyse et évaluation des politiques
?? Réalisation des sites web et
référencement
?? Déclarations fiscales et comptabilité
?? Services aux immigrants
?? Le consulting (TIC, développement international,
services financiers, immigration) ;
?? L'assistance sur mesure ;
?? Le placement en emploi ou l'interface entre candidats
à l'emploi et employeurs potentiels : Ce 3e axe de
service s'éclate en une multiplicité de
prestations dont :
? la promotion du réseautage et du mentorat,
? la fourniture des informations sur le marché de
l'emploi canadien,
? les conseils en relations interculturelles dans l'emploi,
200 La 5e édition de ce forum annuel s'est
tenue à Genève les 11 et 12 octobre 2012 autour de la
thématique : « contribution des migrants africains aux
stratégies de développement » avec la participation
d'une importante délégation représentant le gouvernement
camerounais. Au cours de ces assises a été examiné le
Document Stratégique pour la Croissance et l'Emploi (DSCE)
proposé par l'État « pour faire du Cameroun un pays
émergent à l'horizon 2035 » (Voir
www.davoc.org). Le
Réseau Casa-Net participe les 29 et 30 novembre à Genève
au Forum mondial sur les migrations et le développement ou Global
Migration and Development (GFMD) à l'invitation des Nations-Unies.
En outre, dans la perspective de la mobilisation la plus large possible des
compétences camerounaises de l'étranger, un observatoire des
compétences de la diaspora camerounaise (OCDC) serait en cours de mise
en place au Cameroun.
201
Voir le Portail internet du Cabinet AfriExperts International
http://afriexperts.com/
154
? la recherche de potentiels employeurs et la mise en relation
sur la base des objectifs professionnels définis avec les
requérants.
Le Cabinet AfriExperts International, à travers son
Directeur Général Guy Pascal Zambou, a publié en juillet
2012 La première édition de l'annuaire africain de
Montréal, une manière de « contribuer au rapprochement
interculturel et au renforcement des dynamiques d'intégration
économique et socioculturelle des Africains dans la
société québécoise et canadienne ». Ce
répertoire recense majoritairement des adresses d'entrepreneurs
africains de l'agglomération montréalaise, des renseignements
utiles sur les services divers (emploi, associations, services financiers,
etc.) mais aussi les adresses de Québécois dits de souche, dans
une démarche de promotion des alliances stratégiques.
3.5.3. Le Réseau des Entrepreneurs et
Professionnels Africains (REPAF)
Lui aussi basé à Montréal et né
en 2005, le Repaf est un « réseau d'affaires dynamique
d'entrepreneurs, de professionnels et de travailleurs autonomes majoritairement
d'origine africaine »202, et dont les objectifs consistent
à accroître l'influence des jeunes entrepreneurs africains
à Québec promouvoir leur avancement professionnel. Pour ce faire,
le réseau anime les actions suivantes dans le cadre de réseaux
spécifiques spécialisés (« Clubs Affaires »,
« Clubs professionnels », « Journée
Carrière-Diversité », « Speedmeeting affaires »,
« rencontres Première action », « 6 à « 8,
« Galas », « Caravanes »):
?? Développer un réseau dynamique
d'entrepreneurs, de professionnels, de travailleurs autonomes et de dirigeants,
et accroître leur influence;
?? Cultiver les habitudes de réseautage d'affaires comme
outil de succès et de création de valeur;
?? Faire la promotion du professionnalisme et de
l'entrepreneuriat comme outil de création de richesse et
d'intégration;
?? Favoriser l'avancement professionnel des membres dans toutes
les sphères d'activité; ?? Créer une relève
d'affaires forte, diverse et engagée;
?? Outiller les membres dans leur cheminement vers des postes
décisionnels.
À l'issue de ce tour d'horizon non-exhaustif qui
consistait à mettre en exergue les initiatives notables de mobilisation
des compétences par les migrants eux-mêmes et parfois avec l'appui
des gouvernements locaux et des institutions internationales, nous tirons deux
enseignements majeurs :
- Le relai qu'assurent aujourd'hui les associations et
réseaux professionnels dans le processus d'accompagnement à
l'insertion économique et professionnelle des migrants primo-arrivants
et d'installation ancienne comme le montrent les deux exemples canadiens ;
- La nécessité pour les migrants de se
structurer en réseaux régionaux, nationaux ou transnationaux, et
à se
fédérer autour d' une « cause », d'un
thème ou d'un champ spécifique d'engagement et pour lequel la
démarche de mobilisation des compétences visant à apporter
des solutions à la problématique posée doit être de
la même manière préparée, structurée,
planifiée. La crédibilité, la légitimité des
organisations associatives subsahariennes vis-à-vis des partenaires
institutionnels et privés et vis-à-vis des migrants
eux-mêmes tiennent à cette capacité à penser et
organiser l'action, puis à la rendre efficace par la manière et
les moyens avec lesquels elle est conduite.
S'organiser, se compter pour mieux agir, influer sur le cours
des évènements et donc compter, tel est l'horizon
déjà atteint par certaines organisations de migrants subsahariens
en Europe et en Amérique du Nord, nous l'avons
202 Voir le Portail internet du réseau à l'adresse
suivante www.repaf.org/
155
vu. Qu'en est-il des pratiques de mobilisation et
développement des compétences au sein de la communauté
associative subsaharienne du Grand Lyon ?
Section 3 : Pratiques et témoignages des
associations des migrants subsahariens du Grand Lyon en matière de
gestion des compétences des migrants pour le développement et
l'intégration
Le constat général d'une faible pratique de la
mobilisation formelle des compétences des migrants dans le Grand Lyon a
donné prétexte à la présente étude :
comprendre les raisons d'une telle dispersion des compétences et la
difficulté pour migrants à les agréger afin de porter
collectivement des projets d'insertion dans la société d'accueil
ou de développement des pays de départ.
1. Caractéristiques des compétences
individuelles et collectives des migrants
Les opinions recueillies auprès de la vingtaine de
responsables associatifs enquêtés sur la question des
compétences des migrants font apparaitre quelques
caractéristiques majeures :
1.1. Elles sont difficilement quantifiables en raison de
l'absence de données globales pertinentes
À l'exception, du travail précédemment
cité mené sous la direction conjointe de Sciences Po Lyon et du
Résacoop, nous n'avons pas identifié de démarche formelle
de mobilisation des mobilisation des compétences au travers de la
constitution d'un répertoire d'immigrés portant une expertise
particulière. L'association EKODAFRIK qui anime le site web
www.echosdafrique.net
propose néanmoins un annuaire en ligne des africains du Grand Lyon
(avocats, experts comptables, élus communaux, entrepreneurs,
associations, etc.) sans que l'on sache si ces données du reste
pertinentes ont pu servir à susciter la mise en lien des professionnels
recensés d'un même secteur d'activités ou la mise en
réseau d'organisations associatives désireuses de mener des
actions conjointes en mutualisant les moyens. Difficile également de
savoir si les renseignements y sont mis régulièrement à
jour (mobilité oblige) et enrichis au fur et à mesure des
collectes de nouvelles données sur les profils professionnels des
migrants nouvellement installés dans la région par exemple. Il
serait d'ailleurs intéressant d'élargir ce répertoire aux
professionnels subsahariens sur l'ensemble de la région
Rhône-Alpes, de manière à susciter des liens, encourager
les démarches de construction de réseaux professionnels et
associatifs outre-Rhône. Pertinent serait aussi la mise en lien entre les
collectifs d'associations des migrants du Grand Lyon et le Résacoop pour
s'inspirer de la méthodologie d'inventaire des compétences «
africanistes » mené par le second dans le périmètre
rhodanien et identifier les experts subsahariens répertoriés dans
cette base de données.
1.2. Elles sont dispersées et pas toujours
clairement identifiées ni même reconnues par les associations qui
en auraient pourtant bien besoin
En plus du déficit important d'informations
pertinentes de nombres de petites associations de migrants concernant les
interlocuteurs institutionnels chargés de piloter les politiques locales
de la ville et de l'intégration, les dispositifs publics existant et
l'octroi des ressources pour la conduite des actions, sévit aussi une
méconnaissance ou un déficit de crédit à l'endroit
des associations et structures professionnelles de migrants ayant
développé une ingénierie particulière dans le
montage et le suivi des projets d'insertion ou de développement, la
formation professionnelle, l'accompagnement en tous genres203. La
crise de confiance entre migrants peut accentuer ce
203 Citons en exemple le cas du Centre Appui Conseil
Formation, une des rares structures d'insertion économique et
professionnelle des publics en difficulté , immigrés et
non-immigrés, portée et administrée par des migrants.
Né en 2001, les activités du Centre se structure autour de deux
pôles : un pôle Conseil en création et
reprise d'entreprise, suivi post-création, gestion, les TIC, les projets
de santé, l'ingénierie des
156
phénomène, une crise de confiance des migrants
subsahariens vis-à-vis de l'expertise de l'Africain. Les a priori
positifs ou négatifs qu'ont les uns vis-à-vis des autres,
répercutés par le bouche-à-oreille particulièrement
efficace du point de vue des échanges d'informations dans les relations
interpersonnelles, peuvent aider à l'identification et l'adhésion
à une structure professionnelle ou une association d'experts africains
ou au contraire susciter méfiance, réticence et discrédit
qui renforcent la méconnaissance et les préjugés y compris
au sein de la même communauté nationale ou
ethno-régionaliste. Un phénomène assez courant au sein de
la communauté subsaharienne et qui légitime la démarche
d'une association comme l'A2P Nord-Sud-Sud qui a fait de la lutte
contre les préjugés et stéréotypes au sein de la
communauté africaine du Grand Lyon son cheval de bataille ; de
même que la promotion de la transculturalité et sa traduction en
actes par la pratique de l'ouverture et l'imbrication des associations
subsahariennes toutes origines confondues au sein d'un collectif du type
Africa 50 ou le Cosim. L'association s'appuie en effet sur le
constat qu'en plus du déficit de confiance :
« ...les préjugés font que l'on
s'imagine l'autre comme un ennemi, un danger, alors à ce
moment-là, on ne cherche plus à le connaitre, on cherche
plutôt à lui barrer la route. Au lieu de travailler sur des
objectifs communs et la mise en place d'outils qui nous permettent
d'évaluer que nous tendons vers cet objectif commun, de manière
à renforcer la confiance, cette confiance qui n'est pas donnée
une fois pour toutes, qui est à construire et à reconstruire en
permanence ».
Un autre responsable associatif nous confiait dans la
même veine que : « l'expertise c'est important et pour valoriser
certaines choses il faut que les gens en face donnent du respect et de la
reconnaissance à l'expert sinon ça ne vaut rien »
La permanence des attitudes de défiance mutuelle,
accentuée par le facteur concurrentiel pour la captation des ressources
publiques et privées et l'acquisition du prestige social , met à
mal le processus de professionnalisation des associations dont dépendent
l'efficacité des actions, la visibilité et la
légitimité des associations dans leur s quêtes
partenariales.
Nous avons noté parallèlement la
difficulté que rencontraient certains acteurs associatifs à
identifier les organisations par thématiques ou champs d'intervention en
raison d'une invisibilité sur l'espace public de nombre d'entre elles :
absence de sites internet, coordonnées dans les annuaires associatifs
des mairies pas toujours à jour, période d'activités
très variables en fonction de la disponibilité des membres du
mouvement...
1.3. Des compétences globalement peu
disponibles
La non-disponibilité des compétences,
corollaire de leur invisibilité, s'explique tout d'abord par la
réticence de certains migrants à s'impliquer pleinement dans les
activités associatives, même en sachant que ce cadre peut
être pourvoyeur en termes d'aide et d'informations en tous genres :
« Ce sont les conditions. Il y a beaucoup qui n'ont pas le temps de
militer dans les associations et tout. Ce sont les conditions
financières. La plupart des gens qui viennent ici ce sont surtout les
étudiants. Les gens se cherchent. Les gens pour vivre au quotidien c'est
un problème. Ça fait qu'il n'y a pas trop de motivation au niveau
de l'association», justifie un acteur associatif
rencontré.
Les charges familiales, les responsabilités
professionnelles et différentes autres urgences auxquelles sont
confrontés les immigrés de manière générale
dans les pays d'accueil laissent en effet peu de place à l'engagement
bénévole. La population au sein des associations des migrants se
rajeunit, une génération nouvelle qui portent des idées
parfois en rupture avec le système des « anciens », ce qui
crée, comme nous confiait un membre d'un collectif d'associations
originaires d'Afrique de l'Ouest, des conflits de génération qui
peuvent conduire aux blocages et entrainent des risques de scission.
projets socio-économiques ; un pôle
formation en création d'entreprise, aux métiers de
l'informatique, en management des projets et ressources humaines, en
installation et maintenance des systèmes solaires voltaïques et en
ingénierie du développement local.
Voir http://www.centre-acf.fr/
157
À cela s'ajoute le peu d'investissement des migrants
subsahariens à la retraite, « excusés » par la
quasi-totalité des responsables associatifs enquêtés.
Ceux-ci estiment en effet que les retraités, épuisés par
une carrière parfois péniblement vécue, aspirent, pour
certains en tout cas, au retour dans le pays d'origine. Aucune des
études consultées durant notre enquête n'attestent de cette
pratique. Au contraire, l'on assiste à une inversion de tendance avec la
circulation régulière entre ici et là-bas mais la
prolongation du séjour voire l'installation ou la réinstallation
définitive dans le pays d'accueil204.
En conséquence, le cadre associatif dans ces
conditions ne peut que très difficilement être un lieu
d'échanges, de génération des compétences et de
leur développement ; ou un espace de rencontre entre des entrepreneurs
et des personnes qui mettent leurs compétences à disposition.
Toutefois, l'Association des Burkinabé de Lyon (ABL) a
fait le choix de miser sur l'ensemble des burkinabé, quelles que soient
leur niveau de qualification, l'étendue de leurs connaissances ou leur
statut par rapport à l'emploi. La mobilisation des troupes et le
bénévolat, d'après ce que nous en avons observé,
marchent plutôt bien. Son président s'en explique : «
L'association peut être l'espace pour trouver des ressources. C'est
ce qu'on essaie de faire en tout cas dans notre association, par exemple
à travers l'accueil des nouveaux. Pour dire aux gens, même si vous
n'avez pas les moyens, Venez : on brasse les idées ensemble. On peut au
moins apporter des idées ». Elle s'appuie aussi sur son
réseau fort dense de partenaires institutionnels dont la
Communauté urbaine du Grand Lyon et le Consulat du Burkina Faso
associé au dernier Forum économique (le FEDDA) co-organisé
par l'ABL et Africa 50 et qui a été l'occasion
de la mise en relation entre employeurs et candidats burkinabé en
recherche d'emploi ou d'opportunités d'affaires.
1.4. Les compétences sont plus souvent
mobilisées en externe par les associations elles-mêmes
C'est une pratique courante que celle de l'adhésion
aux réseaux associatifs dont nous avons indiqué
précédemment qu'elle permettait, au-delà de la
construction et le renforcement identitaires, d'accéder à la fois
aux ressources et biens informationnels pour la conduite des projets des
migrants, de bénéficier des services et prestations techniques et
administratives proposées par les réseaux en termes de montage ,
suivi et évaluation des projets associatifs , procédure de
montage de dossier de financement, étude de faisabilité,
diagnostic, la représentation et défense de la cause des
associations auprès des instances politiques et administratives,
l'animation des formations pratiques et théoriques sur des
thématiques spécifiques ; comme pratiquent le CADR
autour de la solidarité internationale, le développement
durable , le commerce et le tourisme équitables, ou encore le
Resacoop et le Cosim sur la méthodologie de gestion et
capitalisation des projets .
Cependant, les prestations de formations ou accompagnement au
montage de projets sont peu pratiqués par et au sein des collectifs
associatifs représentant des migrants issus d'un même pays, quoi
que certains soient membre de
204
Voir Emmanuel Jovelin, « Le dilemme des migrants
âgés. Entre le désir du retour et la contrainte d'une vie
en France », in la revue Pensée
plurielle, 2003, pp.109-117.
L'auteur, dans cet article, souligne que peu de migrants
âgés sont satisfaits de leurs conditions de vie en France,
pourtant le retour même s'il est envisagé et fantasmé est
rarement effectué. Les causes identifiées du non-retour dans le
pays d'origine étant : le « fainéantisme »
du retour consécutif à la vie prolongée en
France, « combiné aux difficultés
financières, car pour rentrer au pays, il ne s'agit pas uniquement d'y
aller pour rendre visite à la famille, il faut aussi « arroser
» pour montrer le signe distinctif de la réussite sociale, sinon
mieux vaut ne pas y aller (...)» ; Ensuite le rêve
non réalisé : «
venir en terre d'immigration c'est avoir des rêves. Or
les problèmes économiques font qu'on ne peut rentrer chez soi en
étant pauvre. Ce serait dans ce cas un échec inexplicable.
Plutôt que de subir le regard du vaincu, on préfère rester
en France en maintenant le « mythe de la réussite ».
L'échec économique renvoie à un échec de la vie, de
toute vie passée en dehors de chez soi. L'enrichissement
rêvé au moment du projet du départ se transforme peu
à peu en dettes inépuisables » ; et enfin
les migrants âgés de retour se vivent comme
étrangers chez eux : « vivre longtemps
à l'étranger fait de vous un étranger chez vous et
traité en étranger chez soi. Les personnes qui vivent à
l'étranger sont quelquefois stigmatisées dans leur pays d'origine
où l'intégration et les habitudes de vie ne sont pas
évidentes. Pour les migrants âgés qui, pour certains, ont
passé plus de temps en France que chez eux, le retour est quasiment
impossible car cela les pousserait à faire le chemin inverse :
réapprendre une nouvelle vie dans un pays qui jadis était le
leur. Cette trajectoire à l'envers est inacceptable pour les migrants
âgés qui préfèrent sacrifier leur vie dans le pays
d'accueil ».
158
collectifs nationaux membres du Forim et labellisés
Opérateurs d'Appui aux Projets (OPAP) de solidarité
internationale. Aussi, avons-nous tenté de joindre les services du Forim
en charge de cette question pour comprendre la procédure et les
critères présidant au choix de labellisation des collectifs
communautaires205 , mais en vain.
Les compétences individuelles et collectives externes
au réseau peuvent être sollicitées également et
puisées dans le vivier des relations interpersonnelles, du capital
relationnel accumulé au gré des rencontres et collaborations.
Le constat que nous avons fait toutefois c'est
qu'au-delà du réseau communautaire d'appartenance, peu
d'organisations associatives subsahariennes recourent aux réseaux
associatifs des non-migrants intervenant sur des champs spécifiques. Par
exemple l'ASSFAM, FIJI Rhône-Alpes, le CADR ou les Centres Culturels de
la Vie Associative (CCVA) tels ceux de Vénissieux et de Villeurbanne que
nous avons joint et qui proposent dans leurs catalogues de services en
direction des associations domiciliées dans leurs communes respectives
des formations à la gestion associative ou des thèmes
particuliers.
1.5. Typologie des compétences recherchées
par les associations rencontrées
Elles sont de divers ordre mais leur mobilisation doit tenir
compte du modèle économique de l'association qui repose
principalement sur le bénévolat, comme déjà
indiqué plus haut. Cela suppose la disponibilité en temps des
bénévoles, leur adhésion aux valeurs et objectifs
portés par l'association, et c'est pourtant loin d'être le cas
dans certaines des organisations associatives du Grand Lyon. Des dissensions
internes ont souvent engendré une démobilisation des membres et
une dispersion des compétences, fatalement peu utilisées. Cela
pouvant conduire à une situation de déqualification des migrants
tant dans le champ associatif que professionnel.
Cela dit, les besoins exprimés par les acteurs
associatifs en termes de compétences pour la conduite des projets
recouvrent les domaines suivants :
205 Pour le Forim dont Le Renforcement du réseau des
Opérateurs d'appui labellisés (OPAP) pour un meilleur suivi et
accompagnement des projets de Codéveloppement des OSIM constitue une des
4 activités menées par le PRA-OSIM, un « dispositif
d'accompagnement, de cofinancement et de capitalisation des projets de
développement local portés par les OSIM de base
» , les missions d'une association labellisée OPAP
c'est : le Conseil et l'orientation du porteur de projet, l' Appui technique et
méthodologique, le Contrôle de la qualité, de la pertinence
et de l'éligibilité du projet, Appui à la recherche et
mobilisation de partenaires techniques et financiers, Aide au suivi financier
et opérationnel du
projet, l' Appui à la rédaction des comptes
rendus d'emplois de subvention.
Parmi les associations labellisées
OPAP par le Forim on compte :
- L'Association des Marocains de France (AMF)
- Centre Kram Ngoy / Centre de Formation géré
par la Diaspora cambodgienne (CKN-CEFODIA)
- Les COSIM Rhône-Alpes, Nord-Pas de Calais et
Midi-Pyrénées
- Le Conseil des Béninois de France (CBF)
- Coordination des Associations Guinéennes de France
(CAGF)
- Femmes Inter Associations - Inter Service Migrants
(FIA-ISM)
- Haut Conseil des Maliens de France (HCMF)
- Migrations et Développement (M&D)
- Plateforme des Associations Congolaises de France
(PACOF)
- Plateforme des Associations Franco-Haïtiennes
(PAFHA)
- Réseau des Associations Mauritaniennes en Europe
(RAME)
- Comité de Suivi du Symposium sur les
Sénégalais de l'Extérieur (CSSSE)
- Touiza Solidarité (TS)
- Union Générale des Vietnamiens de France
(UGVF)
- Union des Associations Burkinabé de France
(UABF)
·
Les compétences managériales
: ce sont des compétences d'encadrement (organiser le
travail, résoudre des problèmes...), de direction (manager
l'association, mobiliser l'ensemble des membres et bénévoles,
communiquer, anticiper les évolutions techniques, administratives...)
;
· Les compétences techniques
: maitriser les procédures et les outils (informatiques,
communication), assurer l'autocontrôle, connaitre le marché des
financements associatifs, les dispositifs publics et les interlocuteurs
clés, etc. Elles concernent particulièrement les chargés
de mission au sein des associations, les consultants internes ou externes
justifiant d'une expertise spécifique ;
· Les compétences scientifiques
: effectuer des études, la recherche-action, produire des
synthèses thématiques sur les migrants, conduire des
enquêtes de terrain, des évaluations d'impact, la mobilisation des
ressources documentaires utiles à l'action, articuler l'univers
associatif au monde universitaire, les laboratoires de recherche et les centres
d'information tel le REMISIS ;
· Les compétences interculturelles
: former à s'adapter et évoluer sans encombre dans
un environnement culturel différent y compris sur le champ de
l'insertion professionnelle et l'univers éducatif, sensibiliser les
acteurs sociaux associatifs, institutionnels et civils aux vertus de la bi ou
multiculturalité... ;
· Les compétences linguistiques
: la maitrise de la langue du pays d'accueil et des langues
étrangères ;
· Les compétences pédagogiques
: Former, informer, conseiller, écouter, prendre en compte
les avis et évaluer ;
· Les compétences commerciales et de
communication : gestion des activités
évènementielles, levée de fonds, mobilisation de
ressources non financières, prospection de « clients »,
partenaires, négociations fournisseurs, sous-traitants... ;
· Les compétences personnelles qui
relèvent du savoir-être : capacité
d'adaptation aux nouveaux outils et aux procédures, à
l'environnement juridique et institutionnel, économique et
socioculturel, capacité d'apprentissage, d'acquisition de nouvelles
connaissances et d'élargissement des compétences, être
actif dans le changement, tenir les délais, le goût du travail
bien fait, assumer les aléas, prendre des initiatives, proposer des
améliorations, être solidaire du groupe et faire primer
l'intérêt général sur les intérêts
particuliers...
Ces compétences non-exhaustives se situent donc
à la confluence des trois dimensions que sont les savoirs, les
savoir-faire et les savoir-être.
En ce qui concerne les associations rencontrées, nous
avons noté que ces compétences pouvaient dans certains cas
être :
?? disponibles mais pas suffisamment mises
à contribution dans le cadre des activités
menées
Un responsable dont l'association est membre
d'Africa 50 nous confiait ainsi que ce sont moins les
compétences qui manquent que la définition des missions et
activités qui permettraient de les valoriser : management des projets
dans l'habitat social par exemple, la formation à la
création/reprise et la gestion des micro-entreprises, les
compétences informatiques, etc. Les activités du Collectif
à ce jour gravitent principalement autour de la promotion de
l'interculturel, la lutte contre les discriminations, le soutien scolaire ou
encore la valorisation de la mémoire à travers l'animation de
rencontres scientifiques auxquelles participent des panelistes de
renom206, il est
206
La récente commémoration du massacre des
soldats africains en 1940 par l'armée allemande dans les environs de la
commune de Chasselay (Rhône) où ils furent ensuite inhumés
a vu la participation remarquée d'un historien spécialiste de
l'histoire de l'Afrique et de l'esclavage, le Professeur Elikia Mbokolo.
160
vrai. Le Collectif totalise pourtant plus d'une trentaine
d'associations membres et autant de compétences. Mais les profils et le
potentiel des dépositaires de ces compétences au sein de ces
organisations membres (dont la liste est consultable sur le site internet du
collectif) ne nous sont pas apparus clairement établis.
?? Non-disponibles mais n'ayant fait l'objet,
à notre connaissance du moins d'aucune démarche poussée de
cartographie des compétences des migrants et de constitution d'une base
de données « prête à l'emploi ;
Dans l'optique de combler l'écart entre
compétences recherchées par les associations et les
compétences réellement disponibles mais si peu nombreuses. Au
sein du Collectif Africa 50, l'on nous a tout de même assuré que :
« C'est dans cet esprit que nous voulons constituer un
répertoire des compétences ». Peut-on par exemple
imaginer un réseau d'entrepreneurs d'origine subsaharienne de Lyon comme
il peut en exister ailleurs, au Canada par exemple ? La coordination du
Collectif nous a indiqué que :
« Ça peut être intéressant...on
n y a jamais pensé mais effectivement un réseau de professionnels
d'origine africaine, ça peut même faciliter la création du
répertoire (...) le dernier FEDDA visait en fait la création de
ce type de réseau. Cela existe donc sous une autre forme : les chambres
de commerce et d'industrie. Ce sont des associations de loi 1901 qui
réunissent des professionnels »
?? Le développement des compétences
n'est pas une pratique courante au sein des associations des migrants
subsahariens
Nous indiquions plus haut le recours faible aux ressources et
dispositifs destinés au développement de la vie associative mis
à la disposition des associations par les mairies notamment. À
cela s'ajoute le fait que l'expérience associative n'est pas
collectivement valorisée en dépit d'une sensibilisation faite
auprès des acteurs associatifs par les pouvoirs publics autour de
l'intérêt de la Validation des Acquis de l'Expérience
associative dans l'élaboration d'un projet professionnel. La VAE
pourrait théoriquement du moins contribuer à augmenter
l'employabilité des migrants en recherche d'emploi, et notamment les
jeunes sans expérience professionnelle. L'acquisition des nouvelles
compétences au sein des associations de migrants n'est pas
formalisée, le recours aux formations reste globalement faible en raison
d'un coût forfaitaire d'accès aux sessions pédagogiques
animées par les CCVA et qui ne sont souvent pas à la
portée du budget des petites associations.
Un responsable associatif interviewé témoigne :
« Il y a un déficit de notre côté pour identifier
un peu tous les dispositifs qui nous permettent de capter les moyens. Par
exemple, les fonds pour le développement de la vie associative et
autres, pour proposer ces formations-là de façon interne, et que
ça soit institutionnalisé. En nous mettant ensemble, nous pouvons
aussi peser pour négocier auprès des municipalités pour
avoir des crédits afin d'organiser ces formations parce que ce sont des
formations qui nous permettent d'être citoyens à part
entière dans toute la complexité de notre parcours
2. Quelques préconisations en faveur d'une
politique de mobilisation des compétences au sein des collectifs ou
fédérations d'associations subsahariennes
Mobiliser et valoriser les compétences des migrants et
des diasporas pour le développement nécessite donc tout d'abord
de :
? Tracer un profil détaillé des
compétences spécifiques des migrants subsahariens et plus
globalement des Nord-africains (acteurs socio-économiques, formateurs,
ingénieurs, techniciens, médecins, agents de développement
local, social, rural et urbain...)répertoriés par commune et
exerçant leur métier ou résidant dans le
département du Rhône ; étendre ensuite l'investigation
à la région Rhône-Alpes dans son ensemble.
161
Les acteurs associatifs subsahariens du Rhône et
au-delà peuvent s'inspirer, du point de vue méthodologique,
d'expériences significatives accumulées en la matière
depuis quelques années en différents endroits du monde en
identifiant dans le même temps les nombreux acteurs, institutionnels ou
non gouvernementaux, actifs dans ces domaines dont l'AFD et l'OCDE qui viennent
de réaliser un travail similaire207. Le programme du TOTKEN
Sénégal déjà évoqué, initiative
co-parrainée par le PNUD et le ministère sénégalais
des affaires étrangères et des Sénégalais de
l'extérieur, offre à cet égard sur son site internet un
exemple des plus instructifs208. L'expérience
identifiée la plus récente au cours de notre enquête est un
travail d'inventaire des experts réalisée par deux
étudiants de Sciences Po Lyon pour le compte et sous la férule du
réseau RESACOOP. La mission de ces étudiants consistait en
l'identification dans le département des personnes hautement
qualifiées de toutes origines et horizons professionnels(agronomes,
vétérinaires, médecins, enseignants, universitaires,
formateurs, ingénieurs, techniciens, etc.) ayant une certaine
connaissance du terrain africain et susceptibles d'apporter leur contribution
à l'accompagnement des projets de coopération
décentralisée portés par les migrants au
bénéfice des pays d'origine.
Le projet VITAR 2, une recherche-action conduite entre 2004
et 2007 à Bruxelles sous la houlette de l'organisme IRFAM209
et financée par le fonds Social Européen, met par exemple en
exergue deux types de compétences définies comme des
habiletés non académiques essentielles à l'insertion
socio-professionnelle des migrants en Belgique. En d'autres termes, des
capacités « comme la participation sociale, l'insertion dans
des réseaux, la négociation, l'adaptation à des contextes
nouveaux, etc. [Elles] revêtent une importance stratégique
particulière dès lors que l'on envisage le cas des
sociétés multiculturelles où la discrimination sur le
marché de l'emploi n'est pas chose rare »210.
Ces compétences clés, ce sont :
- Les compétences citoyennes qui sont
des capacités psychosociales transversales des individus
ouverts sur le monde et la société.
- Les compétences interculturelles,
capacités citoyennes particulières qui «
permettent aux
personnes, aux groupes et aux institutions de faire face
à des situations complexes dues à la diversité des
référents culturels dans des contextes inégalitaires
».
Une initiative d'envergure qui réaffirme la
nécessité de la mise en place d'un département
étude recherche action au sein de la fédération des
collectifs des migrants qui mobiliserait le personnel, les sources
d'informations, les outils, corpus théoriques et conceptuels et toutes
autres ressources utiles la conduite de cette investigation. Et pour aller plus
loin, la création des cabinets d'expertise spécialisés
dans l'accompagnement au montage, au suivi et à l'évaluation des
projets de développement et d'insertion/intégration,
adossés à la fédération est fortement
souhaité.
? Dresser un inventaire des domaines d'actions ou des
canaux de mise à contribution pour lesquels les compétences sont
disponibles et mobilisables ; puis procéder par tout support accessible
à la mise en circulation d'informations sur ces compétences
(celles des membres et plus largement celles des non membres du réseau)
auprès de l'ensemble de la communauté associative
rhônalpine, des professionnels et acteurs institutionnels intervenant
directement ou subventionnant les actions dans le champ de
l'intégration.
207
Voir le Rapport 2012 conjoint AFD et OCDE intitulé :
« Mobiliser les compétences des migrants et de la diaspora en
faveur du développement : quelques pistes stratégiques »,
discuté lors d'une conférence le 5 octobre 2012 à
Paris avec la participation du FORIM sous le thème : «
Connaître et mobiliser les compétences des migrants en faveur du
développement ».
208
http://www.tokten.sn/ On peut lire la mention suivante :
« Même si son objectif générique n'est pas de
promouvoir le retour et l'insertion des Experts de la Diaspora, il convient de
noter qu'au cours de sa phase pilote, le TOKTEN a eu comme résultat
dérivé le recrutement définitif de 10 experts
».
209 L'Institut de Recherche, Formation et Action sur les
Migrations (IRFAM) est « un organisme ressource et
d'éducation permanente créé en 1996 par des intervenants
et des chercheurs, au service des professionnels de l'action sociale, de
l'éducation, du développement culturel et économique.
L'institut vise, par une approche multidisciplinaire, à construire des
liens entre la recherche et les interventions dans le domaine de
l'intégration et du développement, ainsi que la lutte contre les
discriminations ». Portail internet de l'Irfam.
210
Altay Manço, « Valorisation des
compétences et co-développement : un projet du FSE pour migrants
africains qualifiés », L'observatoire,
Liège, n°57, p. 15-16.
162
Pour rappel, les domaines qui nous paraissent « prenables
» par les associations des migrants du fait des compétences
individuelles et collectives identifiées au cours de notre enquête
sont : la Formation technique, civique, sociolinguistique ; la
Structuration et gestion des associations ; l'Accompagnement
à la création et suivi post-création d'entreprise ;
le Soutien scolaire des descendants d'immigrés et immigrés
mineurs récemment installés ; l' Accompagnement des
publics migrants à la recherche d'emploi, de logement, aux dispositifs
spécifiques du droit commun ; le Soutien à la
parentalité et l'ouverture de l'école aux parents ; la
Médiation sociale et interculturelle.
? Dresser une cartographie211 des
associations clés, des acteurs publics et des opérateurs
économiques locaux afin d'en solliciter les compétences le cas
échéant, exploiter le potentiel productif, les normes,
connaissances et savoir-faire, dans le cadre de partenariats
stratégiques :
?? Fédération AEFTI du Rhône pour la
Formation des travailleurs immigrés
?? Centre de ressources Ville Intégration
École
?? ASSFAM Délégation du Rhône pour la
formation et l'accompagnement des publics migrants
?? FIJI Villeurbanne pour la formation des femmes, la
promotion et la défense de leurs droits
?? ALLIES pour la gestion du Plan Local d'Insertion et de
l'Emploi dans l'Est et le Sud Rhône
?? URACA pour la prévention et l'accès aux
soins de santé par la prise en compte de l'interculturel
?? CREFE - Centre Ressources enfance Famille
École
?? DDCS - la Direction Départementale de la
Cohésion sociale
?? DRJSCS - la Direction régionale de la Jeunesse,
des Sports et de la Cohésion sociale du Rhône, etc.
? Renforcer la coordination entre les
différents acteurs associatifs subsahariens de la région à
travers la mise en place d'une plateforme de rencontre régionale et
nationale (sur le modèle de l'Assemblée des
Sénégalais de l'Extérieur) et la multiplication des
occasions d'échanges d'expériences relatives à la
mobilisation et la gestion des compétences.
? Valoriser les compétences des migrants
suppose également de consulter plus souvent, dans le cadre des
réponses aux appels d'offres publics, les professionnels africains
individuels et collectifs identifiés pour des actions d'appui aux
projets d'insertion, d'intégration ou de développement solidaire
portés par les associations de migrants ;
C'est le choix qu'a fait le cabinet AfriExperts
à Montréal en associant prioritairement les experts
d'origine africaine aux missions qu'il porte auprès de ses clients au
Canada. Il serait souhaitable également de sensibiliser les associations
de solidarité françaises membres du CADR et du RESACOOP par
exemple à ce type de démarche qui pourrait contribuer à la
fois à régler le problème de la déqualification
professionnelle. Les jeunes diplômés subsahariens qui peinent
à trouver leur place sur le marché du travail français
pourraient y trouver, selon leurs spécialisations, prétexte
à construire ou renforcer un projet professionnel, en optant soit pour
le retour au pays dans le cadre des missions desdites associations soit pour la
migration circulaire entre ici et là-bas. Dans l'optique de nourrir la
réflexion et aller dans le sens de préconisations pertinentes, il
serait souhaitable de consulter des laboratoires de recherche (l'Institut de
Recherche, Formation et Action sur les Migrations-IRFAM Bruxelles par exemple)
ou centre de ressources tel le REMISIS212 ou encore le RESACOOP
travaillant sur la problématique de la mobilisation des
compétences en lien avec les migrants.
211
Une cartographie des compétences à construire
sur le modèle du répertoire d'acteurs privés et
institutionnels réalisé par le réseau associatif
AIMS-Entreprendre pour la Cité intitulé : «
Handicap : vos partenaires pour optimiser votre politique en faveur de
personnes handicapées » dans le cadre du programme
Equal et soutenu financièrement par le Fonds social
Européen.
212
Le REMISIS est un réseau documentaire
spécialisé sur les migrations internationales, les relations
interethniques, l'intégration et la lutte contre les discriminations et
le racisme et qui produit une base de données bibliographiques riche de
plus de 26 000 notices. Son site internet http://www.remisis.org/
propose de faire connaître les documents sur les migrations et de les
localiser. Il présente également « les centres de
ressources membres et partenaires du réseau et travaillant sur le
thème des migrations et de l'intégration. Il donne
également accès à
163
? Identifier les étudiants immigrés ou
descendants d'immigrés (tous cycles et cursus confondus),
structurés en réseaux ou non, puis les sensibiliser aux avantages
de l'engagement associatif et les associer aux opérations
d'enquête de terrain, de production de l'information et des
connaissances, de collecte de la documentation pertinente sur des
problématiques sociales relatives aux migrants de France, l'animation du
portail internet et rédaction de contenus éditoriaux sous la
coordination de l'exécutif du réseau, l'accompagnement individuel
ou collectif à l'insertion sociolinguistique et culturelle : soutien
scolaire des mineurs et des parents ayant des difficultés de langue
(compréhension, écriture et lecture), techniques de recherche
d'emploi, aide à la rédaction administrative, etc.
? Mettre en place un système coordonné
et cohérent de reconnaissance des titres et compétences acquises
sans diplôme reconnu, hors du circuit formel donc, étant
entendu que l'essentiel des migrants n'ayant pas de qualifications importantes
ont pu au cours de leur vie professionnelle antérieure dans les secteurs
informel ou formel mobiliser un ensemble de savoirs, savoir-faire et
savoir-être qui mériteraient d'être valorisés et mis
à contribution dans le cadre des actions d'intégration ici.
? Développer au travers des réseaux des
migrants identifiés une ingénierie de la formation
professionnelle continue en vue du retour à l'emploi, la
gestion administrative et managériale d'une association, le montage d'un
projet d'insertion ou de développement, etc. Il s'agit clairement de
faire d'une association, d'un collectif ou un réseau associatif
un lieu d'acquisition, de maintien, de renforcement et de développement
des compétences, des capacités individuelles et collectives , du
capital social et culturel, bref un cadre de développement et de
valorisation de l'employabilité des immigrés compte tenu
des risques importants que beaucoup courent en termes de
désintégration du marché du travail,
déqualification ou chômage de plus ou moins longue
durée.
? Investir amplement dans les nouvelles technologies
et notamment les réseaux sociaux virtuels populaires et professionnels
(Facebook, Linkedin, Viadeo, Twitter, etc.), les outils collaboratifs
et de communication instantanée à accès libre (gmail
de google, skype, google talk, msn) en les alimentant avec de
l'information pertinente (sociale, politique, administrative et culturelle des
régions d'origine et d'accueil) de manière à toucher un
public migrant large (y compris ceux sans qualifications spécifiques)
tout en s'exemptant des coûts de communication importants.
Le recours à ces outils213 pourrait
permettre de recruter des bénévoles, repérer les
compétences plus directement sur Linkedin et Viadeo
par exemple, connecter les réseaux via leurs membres
présents à titre individuel sur l'une ou l'autre plateforme,
susciter et maintenir le lien entre membres, échanger des informations
pertinentes via des réunions virtuelles par exemple, identifier les
besoins propres à un réseau de migrants dans une zone
géographique donnée dans la région afin d'y
déployer des actions spécifiques, mobiliser les personnes
compétentes afin d' effectuer des transferts de compétences et
des connaissances à l'aide de ces outils, l'animation des formations
à distance entre autres. Les migrants sont de plus en plus jeunes, plus
familiers des nouvelles technologies, désireux de s'identifier à
une communauté dynamique, plus impliquée et engagée sur
les questions politiques et sociales des pays d'origine et du pays d'accueil et
donc plus connectés. En témoignant la présence massive des
associations et autres campagnes de plaidoyer sur les réseaux sociaux et
notamment Facebook qui sert à la fois de vitrine pour
un ensemble d'informations sur le thème des
migrations : - un agenda rassemblant des informations sur les colloques,
journées et conférences ainsi que sur les nouvelle parutions(...)
».
213 À titre illustratif de l'importance du recours au web
2.0 par les organisations diasporiques dans le monde, Le Rapport conjoint
OCDE-AFD sur la mobilisation des compétences des migrants cité
plus haut évoque ainsi le projet e-Diaspora, «
qui a recensé plus de 8 000 sites web se référant à
une trentaine de diasporas dans le monde, montre clairement la richesse et la
vitalité de ce nouvel univers aujourd'hui pleinement investi par les
migrants (
www.e-diasporas.fr)
».
164
se faire connaître mais aussi une plateforme
d'échanges où l'information est diffusée, discutée
et répercutée instantanément.
? la recherche de l'information pertinente est la
pierre angulaire du processus d'intégration. L'accès aux
informations pertinentes (procédurales ou d'intégration sociale,
citoyenne et économique) constitue le coeur même de la
démarche d'intégration professionnelle dans les pays hôte
et le rôle des réseaux sociaux dans leur diffusion est à
cet égard central.
Cela étant, nous pensons que le site internet de
référence des actualités africaines du Grand Lyon
www.echosdafrique.net
pourrait élargir ou enrichir ses rubriques d'informations et
gagner en audience en multipliant des informations pratiques et
synthétiques sur les sujets sociétaux qui impactent directement
la vie des migrants (logement , emploi, cadre de vie, santé, droits
sociaux divers, citoyenneté), les dispositifs et les acteurs des
politiques locales d'accompagnement à l'insertion sociale ,
économique et professionnelle, les adresses utiles(publiques et
privées), les procédures à suivre pour les
démarches collectives des migrants en ce qui concerne les demandes de
financement des projets d'insertion , bref en jouant le rôle d'interface
entre acteurs externes (institutions, associations, entreprises, régies
de quartier, réseaux professionnels...) et les réseaux des
migrants par la mise en ligne de ressources informatives pertinentes.
Notons qu'au-delà de ces quelques
préconisations, il y en a beaucoup d'autres qui ont été
formulées individuellement par les enquêtés au cours de nos
investigations. Ce sont autant les responsables associatifs que les simples
adhérents, acteurs institutionnels et partenaires privés qui ont
leur avis sur les raisons des faiblesses organisationnelles et
opérationnelles des associations des migrants et les solutions possibles
à promouvoir pour pallier ce déficit. Les solutions émises
touchent autant aux réformes impératives des structures
qu'à l'émergence d'un nouveau type d'hommes, une
génération nouvelle de subsahariens actifs, entre autres
préconisations.
165
Chapitre 8 : CORPUS DES PRECONISATIONS PAR LES ACTEURS
ASSOCIATIFS SUBSAHARIENS AU TRAVERS DE LEURS DISCOURS
Le présent chapitre consiste à
énumérer les solutions et modèles relationnels
féconds esquissés par les acteurs associatifs subsahariens au
travers de leurs discours, au cours de notre enquête, dans l'optique de
:
· surmonter les tensions politico-ethniques et luttes
internes de pouvoir qui fragilisent d'ordinaire les associations ;
· renforcer les synergies entre groupes associatifs de
toutes origines ;
· accentuer les échanges de bonnes pratiques et
les expériences porteuses des uns et des autres en matière
d'insertion ici et de développement là-bas ;
· assurer une plus grande visibilité du migrant
subsaharien comme acteur économique et social avec lequel les pouvoirs
publics, le monde économique et les partenaires de la
société civile peuvent compter.
La question ainsi posée des solutions à
promouvoir appelle celle des compétences à mobiliser et à
déployer dans le même temps.
1. Entamer une révolution copernicienne au
niveau des mentalités et des comportements
· La création d'un nouveau type
d'hommes. Il faut y comprendre la nécessité pour
l'Africain d'unifier sa personne autour de sa double appartenance culturelle
(bi-culturalité). Pour l'ONG Passerelle Ngam qui porte cette
revendication, il y a urgence à « construire une passerelle
entre les deux mondes qui habitent en nous » pour réguler la
tension et la désarticulation permanentes entre le soi africain et le
soi européen et qui se soldent par un affaissement du lien communautaire
au mieux, une perte de repères identitaires au pire.
· l'adjonction entre la parole donnée qui
relève de l'oralité africaine et le contrat écrit
européen qui consacre une fois de plus la culture
inédite de l' « Afropéen ». C'est la
conviction de l'association A2P Nord-Sud-Sud :
« Quand on est bi-culturel ou multiculturel et qu'on
le vit comme une richesse et comme une ouverture, comme un renforcement,
à ce moment-là on essaie de capter, de se passer le meilleur de
toutes les cultures, en disant que ça permet de mieux être
soi-même et de mieux être ensemble »,
· La lutte contre les préjugés et
la promotion de la transculturalité y compris et surtout au sein de la
communauté africaine elle-même ;
· Introduire une bonne dose
d'interculturalité dans le management des organisations associatives
en misant sur plus d'ouverture au monde associatif extérieur,
celui des migrants d'autres origines et des non migrants, autre facteur de
mobilisation des compétences utiles ;
· S'emparer de la question de
l'ingénierie sociale : « Cela veut dire mettre les
choses en ordre de manière à ce que la vie puisse être
gérée en commun. C'est ça le sens profond de
l'ingénierie sociale. Les gens sont éparpillés ou
nés en différents endroits. Mettons les structures pour que
chacune réponde aux différents besoins que nous avons, même
si nous ne sommes pas issus d'une même famille, dès lors que nous
nous retrouvons dans un consortium qui s'appelle Nation. Il faut que chacun
trouve sa place.», nous a par exemple confié une des
promotrices de cette démarche.
· Revisiter les concepts d'insertion,
d'intégration, de diversité ou de co-développement
car en effet, dans le domaine que représentent les discours
aussi bien que les pratiques, il y a à déconstruire aussi le
langage souvent préfabriqué et qui ne va pas sans quelque
arrière-pensée idéologique.
166
2. Engager une transformation structurelle en
profondeur
· Favoriser l'émergence ou accentuer la
consolidation des regroupements unitaires associatifs africains dans
un cadre intégré, ouvert, sur le modèle du
fédéralisme, chaque élément de l'ensemble disposant
d'une certaine autonomie et ayant développé une expertise
particulière à faire valoir dans le cadre des prestations
délivrées pour le compte d'une collectivité territoriale
suite à un appel d'offres ou un appel à projets ; ce cadre
opérationnel est l'étape fondatrice qui conditionne les autres
axes d'actions.
· Changer de mode d'organisation interne en
privilégiant des rapports de pouvoir horizontaux avec , en lieu
et place d'une fonction de président aux pouvoirs parfois trop
extensibles, un poste de secrétaire général, pour
désengorger l'exécutif et désamorcer par avance des
sources de conflit inhérents à la hiérarchisation des
pouvoirs au sein des associations des migrants et au-delà d'ailleurs.
· Favoriser l'ouverture : «
C'est important de de nous ouvrir à d'autres expériences, dans
d'autres pays, européens, américains...je sais qu' il y a des
choses assez significatives qui se livrent au Canada, etc. pour que nous
puissions progresser sur ce double plan du renforcement des compétences
individuelles et la construction des projets communs et des cadres qui nous
permettent de mettre en place ces projets là... »,
· Valoriser le bénévolat à
travers les dispositifs génériques de valorisation des acquis de
l'expérience associative (VAEA) aux fins de rentabiliser ces
acquis professionnels ;
· lever le « tabou » de la
salarisation dans les associations des migrants en misant sur la
professionnalisation des prestations et leur rémunération ;
· Améliorer le mode de management en
intégrant les notions de motivation des bénévoles
et la valorisation de leurs apports par un système de
reconnaissance à définir ;
· S'impliquer plus en amont dans la mise en
oeuvre des politiques publiques au sens de la gestion et la
résolution d'une problématique sociale spécifique (emploi,
scolarisation, logement, égalité des chances...) et
s'émanciper dans le même des querelles politiciennes et
positionnements partisans ;
· Promouvoir et généraliser la
culture de l'évaluation et l'art de la critique constructive :
Le voeu est fort justement exprimé à travers les propos de ce
responsable associatif : « Il y a des circonstances qui ont fait que
nous avons décidé de mettre en place Africa 50...mais le
processus n'est jamais terminé. Le cadre est à construire en
permanence ; Il faut évaluer son efficacité et puis il faut nous
évaluer nous-même par rapport à l'implication,
l'engagement, les compétences qu'il nous faut pour répondre aux
défis que nous nous sommes fixés, au niveau de cette
communauté d'intérêts qu'est Africa 50 ou le Cosim
».
3. La valorisation et la mobilisation des
compétences au service des associations des migrants
· Développer plus de partenariats
stratégiques en établissant une cartographie précise des
interlocuteurs privés et institutionnels pour des alliances
fécondes et en identifiant des champs d'expertise pour lesquels
les réseaux des migrants disposent de compétences
particulières ou projettent d'en développer ; et en multipliant
des occasions de mise en relation avec les acteurs publics et
privés les plus en vue sur le champ local de
l'insertion(emploi, logement, linguistique, entraide et
solidarité, formation) d'une part et de l'intégration
de l'autre pour s'instruire mutuellement des problématiques,
dispositifs et pratiques ;
· Promouvoir l'entrepreneuriat auprès des
acteurs sociaux immigrés et particulièrement la création
des entreprises d'insertion par l'économique et des structures
d'insertion par la formation, la langue, le logement ou la culture ;
Comme nous l'avons vu tout au long de cette réflexion,
les groupes diasporiques produisent des ressources sociétales non
négligeables (avec entre autres l'impératif de
l'interculturalité et l'importance des compétences dites
ethniques que nous n'avons pas suffisamment développées ici) qui
doivent être prise en compte dans la politique d'intégration des
migrants dans leurs bassins de vie respectifs. Cela peut se faire par des
partenariats de projet et par le dialogue constant avec les
instances représentant les associations d'immigrés. Concluons
cette partie par cette analyse fort pertinente dont les
références ont été précédemment
citées :
214 Cattacin, op.cit.