Partie 3
Les associations subsahariennes et les réseaux
diasporiques. Logiques de construction et d'affiliation, coûts et
bénéfices
? Pourquoi, comment et à quelle ampleur les
organisations associatives subsahariennes du Grand Lyon pratiquent-elles
l'ouverture aux réseaux associatifs ? À quel point tirent-elles
parti de leur capital social en termes de mobilisation des compétences
et de fabrique des acteurs socio-économiques en France et pour les pays
d'origine ?
Notre enquête sur les réseaux associatifs des
migrants africains tente de répondre à ce corpus
d'interrogations. Nous abordons tout d'abord la question des
réseaux diasporiques sous l'angle de la théorie des
réseaux sociaux en tentant d'en dégager les principales
caractéristiques (chapitre 5) et en faisant une analyse des pratiques
d'affiliation des migrants aux réseaux, des stratégies à
l'oeuvre, les intérêts que font valoir les uns et les autres et
les dynamiques relationnelles qui y ont cours (Chapitre 6).
Chapitre 5 : Les réseaux diasporiques
subsahariens dans le Grand Lyon. Essai de caractérisation p.109
Section 1 : Les réseaux diasporiques à la
lumière de la théorie des réseaux sociaux et la
théorie des champs de Pierre Bourdieu 109
Section 2: Émergence de l'esprit diasporique panafricain
à Lyon, entre détermination et échecs 116
Section 3 : Réseau social et Capital social. Pourquoi
s'affilie-t-on à un réseau associatif de migrants subsahariens
dans le Grand Lyon ?
117
108
Chapitre 6 : Discours et pratiques associatives
subsahariennes autour de la mobilisation du capital social p.120
1.
109
Les réseaux des migrants subsahariens du Grand Lyon 120
2. Des motifs d'adhésion multiples aux réseaux
associatifs 122
3. Migrants subsahariens du Grand Lyon : la Force du
réseau ? Inventaire des motifs de démobilisation des membres de
l'engagement associatif 124123
4. Quelques Préconisations en faveur du regroupement
fécond des associations des migrants en collectifs départementaux
et en une fédération régionale 132
Chapitre 5 : Les réseaux diasporiques subsahariens
dans le Grand Lyon. Essai de caractérisation
Les responsables associatifs enquêtés nous ont fait
part de leurs sentiments et visions à propos du fonctionnement des
réseaux des migrants, leur intérêt, les difficultés
rencontrées, les solutions envisagées, les alternatives
développées.
Il nous importe avant tout de revenir sur quelques données
théoriques et conceptuelles générales, replacer la
question des réseaux associatifs diasporiques dans leur contexte
socio-anthropologique et historique.
Section 1 : Les réseaux diasporiques à la
lumière de la théorie des réseaux sociaux et la
théorie des champs de Pierre Bourdieu
À la base des réseaux associatifs des migrants ,
il y a des groupes de personnes originaires d'un même village, d'une
même ethnie, d'une même région, d'un même pays , de la
même sous-région, d'un même continent ou encore d'un
ensemble de continents par rapport au continent du pays d'accueil. Cet ensemble
de personnes selon les caractéristiques propres à chaque origine
porte habituellement le nom de diaspora.
Natalia BUGA dans sa thèse déjà citée
fait référence à un concept élastique, au
départ employé pour désigner les seules diasporas
historiques (telles les diasporas juive et arménienne) et qui a fait
depuis lors l'objet de toutes sortes de définitions basées sur
des critères ou trop restrictifs ou trop larges. Pour notre part, dans
le cadre de ce travail, nous avons souscrit à la définition
revisitée qu'en donne l'auteure de cet intense travail intitulé :
Les Diasporas comme ressources d'intégration dans
l'économie mondiale150 . Pour Buga, en effet,
est diaspora :
« L'ensemble des migrants originaires du même
pays qui se sont installés pour une période longue, voire
permanente dans plusieurs territoires de destination et continuant de garder
des liens forts de nature diverse avec le pays source. Le noyau d'une diaspora
est composée par des membres qui ont une forte nécessité
et motivation à s'identifier à leur groupe d'origine qui
préserve, développe et transmet les valeurs du pays de
départ. Ils ont aussi la volonté d'apporter leur contribution au
développement de la patrie en mobilisant les ressources
générées par la diaspora, afin de mettre en oeuvre des
projets de développement adressés au pays de départ.
»
En clair, les membres de la diaspora ont en partage un
sentiment d'appartenance au groupe d'origine créé à la
suite d'une dispersion générale vers différents
territoires d'arrivée. Il existe des liens plus ou moins forts entre le
groupe et le pays de départ, les membres s'identifient par
nécessité ou par volonté au groupe et sont mus à
différentes échelles et selon les ressources par l'objectif
d'aider au développement économique et social, et
150 Thèse soutenue publiquement le 21 juillet 2011, sous
la direction de Jean-Baptiste Meyer (Faculté d'économie de
Grenoble), l'un des auteurs de l'ouvrage Diasporas Scientifiques publié
aux éditions de l'IRD.
110
politique parfois, de leurs territoires d'origine. Et pour
assurer le transfert des ressources financières et non
financières(RNF), la diaspora s'appuie sur un ou des réseaux
diasporiques qui, en fonction de leur niveau d'évolution, vont tenter
d'élargir les liens avec les communautés de même origine
dispersés dans d'autres pays d'accueil.
1. Essai de caractérisation des
diasporas
Ainsi, au vu de cette définition, la diaspora apparait
d'abord et avant tout comme une dispersion spatiale, une «
dissémination dans un non-lieu » d'après la formule de Ma
Mung151. C'est aussi une expérience sociale, une aventure qui
peut être à la fois individuelle et collective.
La diaspora, c'est aussi le lieu de l'inventivité, de
l'élaboration de stratégies identitaires permettant de
s'insérer dans la société d'accueil. Toutefois, même
si le réseau diasporique constitue aussi un lieu de fabrique de
l'identité nationale, régionale, continentale, ethnique, la
culture diasporique qui nait de l'expérience migratoire et des processus
d'identification à un groupe n'est pas nécessairement soluble
dans l'ethnicité elle-même. Elle ne s'y confond pas puisqu'elle
peut être très éclatée, très
hétérogène, ce qui est d'ailleurs le trait de
caractère principal des réseaux diasporiques transculturels :
ALPADEF, MIFERVAL, AFRICA 50, FEDAM, ACF, etc.
À Lyon, aujourd'hui, la diaspora panafricaine ne se
vit plus comme « une condition pathologique, diminuée, faite de
larmes et de souffrances » mais plutôt comme « un mode
d'être légitime et positif »152. Elle
revendique cette attitude positive quand elle valorise la mémoire ou
l'histoire de l'immigration, quand elle promeut la présence de l'Afrique
dans la cité, en mettant en avant les réussites individuelles et
collectives des africains en situation de migration. C'est d'ailleurs en ce
sens que l'expérience migratoire apparait comme le lieu et l'occasion
pour les groupes diasporiques ou les migrants à titre individuel, de se
constituer un patrimoine composé d'un ensemble de ressources qui
permettent à la diaspora d'apporter une contribution significative au
développement du pays d'origine d'une part, et d'autre part à
l'entraide, la solidarité entre membres d'une même
communauté dans le pays d'accueil : ressources financières,
cognitives, relationnelles, institutionnelles, organisationnelles,
symboliques.
Par ce patrimoine dont une part conséquente est
transférée dans les pays source, parfois au détriment du
bien-être individuel et collectif dans le pays d'accueil, les diasporas
ont engendré des externalités positives ou négatives,
à la suite d'effets intentionnels ou non-intentionnels, en tout cas
à un niveau tel que les pouvoirs publics tant dans les pays
d'immigration que ceux d'origine s'activent à impliquer de
manière formelle les immigrés dans les politiques nationales de
développement, dans les stratégies de lutte contre la
pauvreté. C'est le cas au Sénégal, au Mali, en Afrique du
Sud ou Au Maroc par exemple, et bien avant ces pays, la Chine et L'Inde ont mis
en place des politiques et dispositifs de soutien aux initiatives
économiques et socioculturelles des leurs expatriés. Ce qui fait
des diasporas de ses deux pays les plus dynamiques et entreprenantes au monde,
de même que les diasporas juive et russe.
2. Typologie des diasporas
151
Emmanuel Ma Mung, « Non-lieu et utopie : la diaspora
chinoise et le territoire », in Revue des migrations internationales,
1994. Cet
auteur est l'initiateur du laboratoire d'études sur les
migrations internationales, MIGRINTER, de l'université de Poitiers.
Chargé de recherche au CNRS.
152
Voir Richard Marienstras, Être un peuple en
diaspora, éd. Cahiers libres, 1975. Marienstras est un des
pionniers du « diasporisme »,
fondateur du Cercle Gaston-Crémieux, cercle de
réflexion qui fut notamment à l'origine de la revue
Diasporiques.
111
En considérant la constitution des réseaux
diasporiques comme un processus long fait d'étapes, Natalia BUGA
distingue deux types de réseaux en fonction de la direction
des relations entretenues :
?? Les réseaux primaires :
Ils apparaissent à la première étape d'évolution de
ce processus. Ce sont souvent des réseaux élémentaires qui
ont pour vocation de relier les migrants avec leur pays d'origine mais
« sans les relier entre eux dans le pays d'accueil à cause de
l'absence d'une diaspora comme une entité bien structurée
». Le centre ( le pays d'origine) est à ce niveau-ci de
l'évolution du réseau diasporique le seul horizon d'attachement
ou d'atteinte, le seul point d'intérêt.
?? Les réseaux secondaires du 1er
niveau : correspondent à l'étape d'après
dans la mesure où la communauté des migrants s'agrandissant dans
le territoire d'accueil, il va se constituer progressivement de petits
regroupements de personnes qui cherchent à s'identifier au groupe
d'origine :
« ... Pour valoriser leur identité et
même partager les mêmes valeurs, la même culture, la
même langue, des éléments qui rendent le groupe
différent de la société d'accueil (...) A ce stade, le
niveau de structuration des communautés diasporiques est faible mais
leur existence dénote l'apparition des prémices d'organisation de
la diaspora. ».
C'est l'étape de la mise en lien (sous la forme d'un
collectif, d'une fédération, d'un forum) des associations
regroupant les membres d'une même communauté dispersés sur
le même territoire donné. Les collectifs des Béninois,
Burkinabé, Camerounais ou Congolais de Rhône-Alpes correspondant
aux réseaux secondaires de niveau 1. De même que le FORIM qui se
pose comme instance de coordination de toutes les associations de migrants de
France.
?? Les réseaux secondaires du second
niveau : C'est la troisième étape du processus
d'évolution des réseaux diasporiques. Ils désignent les
réseaux diasporiques dont les membres de même origine
installés dans divers pays d'installation sont reliés et portent
des actions collectives au bénéfice des migrants eux-mêmes
dans les pays d'installation ou des populations dans les pays d'origine. On
parle alors à ce niveau de diaspora structurée
pour désigner ce système où les pôles
de migrants au niveau international sont interreliés mais toujours dans
une perspective de contact avec le pays d'origine. Ainsi par exemple,
le réseau CASA-NET en Suisse, association qui
interconnecte les Camerounais hautement qualifiés de tous les continents
et qui compte dans ses rangs des associations d'étudiants camerounais
d'Italie, de France (Lyon , Bordeaux), d'Allemagne, du Canada, d'Australie ou
du Royaume Uni.
On retrouve également dans cette catégorie les
réseaux d'expatriés de nature: scientifique, technique,
institutionnelle, professionnelle, financière. Jean-Baptiste Meyer cite
par exemple les réseaux suivants connus pour leur dynamisme et
bénéficiant du soutien actif de leurs pays d'origine :
? « Le réseau Caldas qui
possède quelques centaines d'inscrits dans plusieurs « noeuds
» locaux aux États-Unis et en Europe ;
? Le réseau SANSA (South African
Network of Skills Abroad) rassemble plus de 2500 membres répartis dans
65 pays du monde ;
? Les nombreuses associations indiennes et
chinoises regroupant plusieurs milliers de membres (American Society
of Engineers of Indian Origin, Chinese Association of Science and
Technology-USA, par exemple) qui sont particulièrement actives aux
États-Unis ;
? Les Marocains ou les Tunisiens ont
également plusieurs associations d'expatriés hautement
qualifiés, certaines francophones et d'autres présentes sur les
campus nord-américains (Savoirs et Développement, Tunisian
Scientific Consortium, Association des chercheurs enseignants tunisiens de
France) ;
? Les biologistes algériens
expatriés qui ont fondé un réseau disciplinaire
(Algebio) ».
3. Comment s'organisent et se structurent les
réseaux diasporiques africains du Grand Lyon ?
112
Le maintien des contacts avec les pays d'origine remonte aussi
loin que les vagues successives de la migration africaine en France. Mais c'est
à partir de 1981 que les premières associations villageoises
verront le jour avec un statut juridique officiel, dans le prolongement des
caisses de solidarité d'alors. La composition interne des
communautés évoluant, avec l'accentuation de la migration
familiale à la même époque (femmes et enfants venant
rejoindre le mari ou le conjoint en France), les associations communautaires,
habituellement repliées sur elles-mêmes, vont dans le même
temps rechercher plus souvent l'ouverture vers des réseaux qui ne
relèvent plus de la stricte logique villageoise.
Les contacts dès lors vont se multiplier grâce et
à travers les réseaux diasporiques primaires et secondaires de
niveau 1 au sens de la classification précédente : associations
ethno-régionalistes, associations nationales, collectifs d'associations,
associations professionnelles, étudiantes, diasporas scientifiques.
Dans le Grand Lyon, des diasporas, il en existe plusieurs,
originaires d'une même région. Aussi, parler d'Une diaspora
africaine parait inadéquat étant donné les
caractéristiques sociologiques, socio-politiques, linguistiques et
culturelles ainsi que les trajectoires historiques propres à chaque
groupe de migrants, et à l'intérieur de chaque groupe.
Dans le cas de l'Afrique, plurielle par ses peuples et leurs
cultures, la variété de ses trajectoires historiques,
économiques et socio-politiques, les déterminants, les formes et
les destinations, bref les dynamiques migratoires sont très
différentes d'un groupe diasporique à l'autre. L'histoire de
l'immigration en France depuis 1945 atteste de ces variations, nous l'avons vu.
L'immigration maghrébine et subsaharienne en France, si elles ont
été déterminées à la fois par l'effort de
guerre durant les deux conflagrations mondiales du 20e
siècle, puis par les besoins de l'industrie française en
main d'oeuvre durant les Trente Glorieuses, les formes et la temporalité
ont quelque peu divergé. L'immigration subsaharienne en France
s'étant accrue depuis les années 90, féminisée
à souhait et a vu émerger des migrants africains venus de pays
n'ayant eu aucun passé historique direct sinon de façon marginale
avec la France. Ainsi note-t-on aujourd'hui dans le Grand Lyon par exemple une
communauté importante de Ghanéens et de Congolais de la
République démocratique.
Les cultures et sous-cultures propres à chaque groupe
pays, les facteurs politiques et socio-économiques des pays d'origine de
même que les projets migratoires collectifs ou individuels des migrants
sont autant de marqueurs puissants qui soulignent la spécificité
de chaque migrant ou chaque groupe de migrants, selon qu'ils seront
Camerounais, Malgaches, Burkinabés ou Centrafricains.
Le contexte migratoire (ensemble des conditions socioculturelles, politiques et
économiques locales, nationales et internationales) influe
également sur les comportements individuels ou collectifs et forge les
représentations, les attitudes qui irriguent de façon complexe et
variable (selon le lieu, le temps et le groupe) :
? la relation des migrants avec la communauté nationale du
pays d'accueil,
? les contacts d'une communauté de migrants avec son pays
d'origine
? la force des liens entre membres de la même
communauté d'origine en France
? les relations entre communautés originaires du
même pays mais dispersées dans différentes villes
et régions de France et d'Europe : les Burkinabé de Lyon,
Bordeaux, Paris, Londres...
? les rapports entre communautés ethnolinguistiques
originaires des pays du continent africain : maghrébins et
subsahariens par exemple.
3.1. Caractéristiques générales des
organisations associatives de migrants dans le Grand Lyon : Entre lieu de
stabilisation identitaire et émergence d'un ghetto
identitaire
Le mouvement associatif migrant originaire de l'Afrique
subsaharienne tant au niveau national que local s'est beaucoup
transformé au cours de son histoire. De l'époque des caisses de
solidarité villageoises à la constitution des 1981 des
premières associations de migrants en France résolument
tournées vers l'entraide des membres et les transferts des ressources
financières, relationnelles et symboliques à la communauté
villageoise dans le pays d'origine , les associations subsahariennes se sont
aussi différenciées parallèlement, conjointement au
changement de la société. En dépit du fait que nous
disposions de peu de données sur le développement historique de
la vie
associative des migrants africains, spécifiquement dans le
périmètre lyonnais, nous nous sommes appuyés sur
l'histoire récente de ce mouvement associatif pour dégager
quelques grandes tendances générales toujours en vigueur
aujourd'hui.
Figure 5. Synthèse des différents types de
diasporas, inspirés de la classification proposée par Natalia
Buga (inspirée de sa thèse sur les réseaux
diasporiques).
Figure a. Réseau diasporique primaire Figure
b. Réseaux secondaires de type 1
d'accueil -Région C
Migrants dans pays
Migrants dans pays d'accueil -Région 1
Migrants dans pays d'accueil -Région 2
Migrants dans pays
d'accueil-Région D
M ig rants
Migrants dans le pays Migrants dans le pays
d'accueil A d'accueil C
d'accueil B
Migrants dans le pays
Pays d'origine (Le Centre)
113
Figure c. Réseaux secondaires de type
2
Migrants Allemagne
M i g r a n ts Migrants USA
Migrants Canada
Migrants Afrique du
Sud
Migrants France
Pays d'origine
Légende :
Figure a: Migrants sans aucun lien dans le pays d'accueil
(dominante associations communautaires)
Figure b : Migrants inter reliés dans
différents territoires du même pays d'accueil (type
fédérations régionales ou COSIM)
114
Figure c : Faisceau de relations entre collectifs de migrants
dans le même pays d'accueil et interreliés à d'autres
collectifs de migrants dans différents pays d'installation.
3.1.1. Plus identitaires et communautaires que
revendicatives
Par le socle communautaire (ethnique, national ou continental)
sur lequel elles se constituent et par la nature des activités qu'elles
mènent et des objectifs qu'elles s'assignent, les associations de
migrants subsahariens sont plus souvent identitaires que revendicatives.
? Elles sont plus souvent Identitaires
au sens où elles s'attachent, à quelque niveau que
ce soit (association familiale, villageoise ou réseau continental)
à maintenir un équilibre identitaire eu égard au contexte
fragilisé qui tend à déstabiliser. Elles ont en ce sens
pour vocation de répondre au besoin de s'individualiser par une
appartenance, en jouant ainsi un rôle de stabilisation des moeurs et des
valeurs dans ce contexte trouble , sans repères et l' environnement
pluraliste ; toutes choses qui forcent soit à l'assimilation pure et
simple à la culture dominante ( nationale ou régionale) soit
à la réaffirmation de sa spécificité culturelle, au
requestionnement et à la réinvention de son identité. Dans
le même ordre d'idées, Sandro Cattacin et Morena La Barba
soulignent que : « Ces associations [identitaires communautaires]
créent la confiance, de la sécurité ontologique, de
l'estime de soi ; des archipels dans une société plurielle
»153.
? Elles sont moins revendicatives en
Rhône-Alpes dans la mesure où très peu d'actions
portées par elles, individuellement ou collectivement, s'orientent vers
la promotion et la défense des droits sociaux spécifiques aux
migrants ou encore l'accompagnement de ceux-ci vers les dispositifs de droit
commun, ne serait-ce que pour ceux des publics ciblés par les politiques
locales d'intégration et d'insertion. En clair, une implication
collective et organisée fort marginale dans l'intégration sociale
prise dans ses multiples dimensions.
? En revanche quelques prémices d'actions
revendicatives commencent à se dessiner , nous l'avons
souligné déjà, portées par le collectif Africa 50,
fondée sur une base continentale donc transculturelle, tout au moins en
ce qui concerne la valorisation de la mémoire et l'histoire des migrants
dans la Région , leurs apports divers au développement de la
cité lyonnaise, puis les actions de prévention et lutte contre
les discriminations liées notamment à l'origine , d'où
l'accent mis sur les démarches de sensibilisation à l'inter et
à la transculturalité. De ce point de vue, les réseaux
associatifs de migrants produisent des ressources sociétales154
« qui doivent être prises en compte dans la politique
d'inclusion des migrants dans les sociétés d'accueil ».
Cette position d'entre-deux confère au Collectif Africa 50 un
caractère de réseau associatif communautaire, « politique
» et social, fondé sur une base continentale et non plus seulement
ethnique.
3.1.2. Une stratégie identitaire gagnante à
petite échelle mais un risque réel d'auto-exclusion dans
l'accès aux subventions publiques
153 Sandro Cattacin et Morena LA Barba : «
Migration et Association : La vie associative des
migrants - une exploration de leur rôle et développement en Europe
occidentale », octobre 2007.
154
Au sens qu'en donnent les deux auteurs pré-cités
: « la capacité de créer ponctuellement des liens
sociaux et fonctionnels entre les différents
groupes et sous-systèmes d'une société
territorialement précisée par des horizons communs de ses
composants », op.cit.
115
Si elles apparaissent plus faibles dans leur poids social et
politiques, elles restent néanmoins plus fortes dans leurs effets de
stabilisation identitaire. Le marquage identitaire des associations
subsahariennes du Grand Lyon a donc ses bénéfices en dépit
des a priori négatifs qui découlent des discours des
pouvoirs publics, souvent principaux bailleurs de fonds de ces organisations.
Et comme nous le soulignions déjà, la société
française, aveugle aux différences, a tendance à se
méfier des regroupements spatiaux et ethno-régionalistes de
personnes d'origine immigrée, même lorsqu'elle tend à les y
enfermer du fait de préjugés tenaces qui fragilisent la
cohésion sociale.
3.1.3. Les associations subsahariennes reflètent
aussi une hétérogénéité interne du point de
vue des statuts divers des membres
Il n'est par exemple plus possible de lire les associations
dans une logique relativement cohérente du point de vue des motifs de
migration ; on peut trouver dans la même association, par exemple, des
requérants d'asile, des clandestins ou des personnes avec un statut de
séjour stable. Des migrants primo-arrivants, des immigrés
d'ancienne installation et des immigrés naturalisés, davantage
d'hommes que de femmes dans les associations mixtes, toutes les
générations aussi s'y côtoient, ce qui occasionne parfois
un choc des valeurs, des cultures et amènent à des crises
internes qui peuvent conduire au blocage au niveau de l'exécutif, comme
nous le verrons plus loin.
3.1.4. Les associations des migrants cherchent des
coalitions dans une logique plus pluraliste mais peu de partenariats
stratégiquement forts
Les choix stratégiques des associations migrantes
d'Afrique subsaharienne se trouvent ainsi ballotés entre clôture
communautaire, inclusion de la population immigrée elle-même et
partenariat avec les acteurs étatiques et de la société
civile. Nos investigations nous ont permis d'identifier 3 types d'attitudes ou
de réactions qui fondent les stratégies relationnelles des
associations migrantes vis-à-vis du pays d'accueil. La classification
à venir s'inspire des travaux de Sandro Cattacin et Morena La Barba
déjà cités sur les associations de migrants dans l'Europe
occidentale d'après-guerre. L'enjeu et les gains potentiels de chacune
des stratégies varient d'un groupe à l'autre.
? la stratégie « Exit » ou
d'auto-exclusion: Cette réaction caractérise
particulièrement les associations
communautaires qui relèvent des réseaux
diasporiques primaires. Ici, tout tourne et s'oriente vers la communauté
du pays d'accueil et du pays de départ. Les lieux de rencontre sont
souvent homogènes (membres du groupe ethnique) et la visée de ces
regroupements se résume à la stabilisation identitaire. Ce sont
des associations globalement refermées sur elles-mêmes, même
si leurs membres peuvent , à titre individuel, participer activement
à la vie sociale de la cité et s'impliquer dans d'autres
mouvements pour défendre par exemple certaines causes.
? La stratégie « Voice » ou de
lutte de reconnaissance : les associations pluriethniques, nationales
ou
continentales, entrent dans cette catégorie et visent
avant tout à affirmer la spécificité de leur
identité, leur double culture, une particularité qu'elles
souhaitent voir prises en compte dans les politiques publiques d'accueil et
d'intégration des populations migrantes. Elles sont souvent
engagées sur le front de la lutte contre les discriminations, la
xénophobie et le racisme, réclament du respect et la
reconnaissance citoyenne des immigrés anciens ou primo-arrivants, en
déployant des actions à destination des populations
concernées mais aussi des pouvoirs publics souvent peu regardants des
particularismes. Cette catégorie d'associations pratiquent
déjà une certaine ouverture vis-à-vis des acteurs
extérieurs au groupe dans le pays d'accueil, multiplient des
partenariats avec des acteurs multiples appartenant à d'autres
réseaux : organisations de migrants et des non migrants, les
administrations étatiques, le monde de l'entreprise et les
fondations.
? La stratégie « Loyalty » ou
stratégie de coopération ou de participation aux
initiatives d'inclusion :
une troisième stratégie consiste à «
entamer par le regroupement de migrants un dialogue avec les
autorités du pays d'accueil. Cette stratégie de
coopération permet aussi de profiter de subsides pour
116
réaliser des mesures spécifiques d'inclusion et
fait des associations de migrants des ponts entre les besoins des migrants et
les options politiques ».
Si de manière générale l'augmentation en
poids de la stratégie de coopération est
caractéristique du monde associatif migrant contemporain, il reste que
l'implication des associations migrantes africaines dans les mesures
d'inclusion sociale dans le Rhône est marginale. Cela permet de penser
que cette stratégie de coopération reste à construire,
à renforcer, pour le bénéfice des populations migrantes
mais aussi des administrations locales dont l'intérêt est de voir
s'intégrer tous les migrants résidant sur son territoire pour une
longue durée du moins, en dépit des résistances qui se
manifestent de part et d'autre, et réaffirmer la cohésion sociale
au niveau de sa population globale.
Section 2: Émergence de l'esprit diasporique
panafricain à Lyon. Entre détermination et échecs
1. Genèse d'une diaspora panafricaine à
Lyon
L'une des tentatives majeures de construction d'un
réseau diasporique africain dans le Grand Lyon été la
création du Collectif des associations Africaines de Rhône-Alpes,
le CARA, qui marquait l'émergence d'une volonté des Africains de
Lyon et de la région Rhône-Alpes de travailler ensemble et
d'affirmer la présence de l'Afrique dans le territoire, à travers
des projets de développement solidaire et des actions allant dans le
sens du renforcement de la cohésion sociale au sein de la
communauté et dans sa relation à la société
d'accueil. Cette expérience inédite mobilisatrice a
échoué au bout de quelques années du fait de nombreux
blocages consécutifs aux dissensions internes : mauvaise gouvernance,
conflits personnels pour le leadership, tensions latentes
ethnico-politiques...avec pour conséquence une démobilisation des
membres... La dissolution de cette instance associative a eu pour
conséquence une balkanisation accentuée des associations
subsahariennes du périmètre lyonnais et, fatalement, une perte de
visibilité et de légitimité aux yeux du politique. Nous
citions déjà plus haut les propos d'un élu communal qui a
bien connu cette organisation. Un processus d'involution qui n'a pas
facilité le maintien à flots de l'idéal panafricain dans
la région.
Depuis lors, face à ce « trou structurel
»155 de la communauté associative subsaharienne, des
initiatives localisées d'agrégation des associations originaires
du même pays se sont multipliées : le CIRAL pour les Ivoiriens,
ANAN pour les Nigériens, ABRA pour les Béninois,
Fraternité Togolaise Novissi et CTRA pour les Togolais, ACTRA pour les
Tchadiens, le CACRA pour les Camerounais, SOPE pour les
Sénégalais , l'ABL pour les Burkinabé de Lyon , etc. Des
réseaux secondaires mais de type 1, au sens où ils sont apparus
peu interconnectés avec les réseaux diasporiques des
communautés d'origine dans d'autres pays d'installation.
2. L'AN II de l'émergence diasporique panafricain
à Lyon
Il faut attendre l'année 2010 pour qu'émerge un
souffle diasporique panafricain nouveau avec la Célébration du
Cinquantenaire des Indépendances des pays anciennement sous colonisation
française et dont les communautés 156sont quasiment
toutes représentées dans l'agglomération lyonnaise : le
lancement d'AFRICA 50, Collectif d'Associations de
Cultures Africaines et des Amis de l'Afrique, lancement qui a
bénéficié d'un retentissement médiatique et
politique bien au-delà des frontières de l'agglomération
lyonnaise.
155
D'après la théorie des réseaux sociaux, les
« trous structurels » correspondent aux "espaces vides" dans un
réseau social où aucune arête
ne relie deux sommets. En gros, dans le cadre de notre
étude, ils renvoient aux zones inoccupées qui s'étendent
entre les collectifs nationaux d'associations des migrants subsahariens dans le
Grand Lyon. Toutefois, renchérissent les théoriciens des
réseaux sociaux, « Les trous structuraux peuvent être
stratégiquement remplis en connectant un ou plusieurs noeuds ensemble.
Ils peuvent aussi être entretenus afin de maximiser la rentabilité
d'un réseau ».
156 On dénombre environ 58 nationalités en tout
dans le Grand Lyon, toutes origines confondues.
117
À l'issue de cette célébration s'est
dès lors posée la question de sa pérennité et de sa
vocation. Collectif d'associations pour quoi faire ? De l'intégration ?
De l'Insertion ? Du plaidoyer exclusivement ? Du développement solidaire
des pays d'origine ? Un outil de plus de promotion de la culture africaine dans
le Rhône ?
Faut-il y voir au contraire l'amorce d'une révolution
copernicienne de tous les membres de la communauté africaine du Grand
Lyon désirant être acteurs à part entière de la vie
économique, politique et culturelle de la cité « grand
lyonnaise » autant que des pays du continent africain dont ils sont
issus?
Avant d'en revenir au portrait, aux missions, activités
et les logiques partenariales qui ont cours au sein de ce collectif, un des
rares à porter l'ambition de fédérer les
communautés africaines, à l'échelle subsaharienne donc, il
convient de revenir sur l'ensemble des constats faits par les acteurs africains
eux-mêmes et desquels procèdent cette volonté de
fédération. Quels raisonnements, quels manquements les
responsables associatifs, solidaires de la démarche Africa 50 ou pas,
font-il valoir qui justifient une action fédérative ?
Section 3 : Réseau social et Capital social.
Pourquoi s'affilie-t-on à un réseau associatif de migrants
subsahariens dans le Grand Lyon ?
Réfléchir aux motivations d'affiliation aux
réseaux de coordination des actions des migrants c'est se poser la
question à la fois du capital social dont ces groupes et réseaux
disposent, leur efficience quant aux objectifs assignés, le degré
de relations ou d'interactions qu'entretiennent les acteurs membres de ces
réseaux, les rapports de forces qui s'y jouent, l'allocation des
ressources et l'accès à l'information de toutes les forces en
présence. En deux mots : La stratégie et les
intérêts des uns et des autres. Procédons à une
rapide exploration des points clés de la théorie des
réseaux sociaux et la théorie des champs de Pierre Bourdieu, qui
intègre le concept de capital social et mêle analyse macro (les
structures) et analyse micro (choix individuels).
1. Approche « bourdieusienne »
du capital social centrée sur les communautés
Pour le sociologue Pierre Bourdieu le capital social
désigne « l'ensemble des ressources actuelles ou potentielles
d'un agent qui sont liées à un réseau durable de relations
plus ou moins institutionnalisées d'interconnaissance et
d'interreconnaissance »157. Ainsi, lorsqu'un individu
possède un capital social fort, c'est-à-dire l'ensemble de ses
relations situées à l'intérieur et à
l'extérieur d'un réseau d'acteurs, il peut facilement mobiliser
ses « contacts » pour atteindre ses objectifs (interconnaissance) ou
encore « obtenir un appui nécessaire dans un contexte
particulier (interreconnaissance), maximisant ainsi le rendement de son capital
culturel, institutionnalisé ou non».
Alors que le réseau social s'appuie sur la construction
individuelle des relations qui constituent un réseau, le capital social
insiste lui sur la situation de l'individu qui s'inscrit dans une dynamique
sociale où son capital est soit hérité, soit construit. De
plus, la valeur de ce capital sera fonction de la « présence de
ressources réticulaires potentiellement "utiles", mais aussi des
ressources ou du capital détenu par les acteurs du réseau
»158
En nous inspirant de la théorie des champs de Bourdieu,
nous verrions dans la dynamique d'affiliation d'une association à un
réseau un jeu, qui plus est, ouvert. Le milieu associatif dans le Grand
Lyon et l'ensemble des relations qu'il entretient avec les bailleurs de fonds
divers étant le champ où se déroule le jeu. Pour Bourdieu,
chaque champ valorise un certain type de capitaux, et dans le cas
d'espèce la levée des subventions publiques et
157
BOURDIEU P. (1980), « Le capital social », Actes de
la recherche en sciences sociales.
158
LEVESQUE M. & D. WHITE (1999), « Le concept de capital
social et ses usages », Lien social et politique-RIAC, 41, pp.
23-33
118
privées, l'entrée dans les réseaux
d'importance permettant d'accéder aux informations les plus
stratégiques (appels d'offres, circuit décisionnel, contacts
utiles, etc.).
Dans cette veine, pour saisir les motivations qui portent les
uns et les autres à adhérer ou non à un réseau,
pour comprendre pourquoi les agents sociaux agissent comme ils le font,
Bourdieu convoque deux concepts :
? L'intérêt : qui est une condition
de fonctionnement du champ dans la mesure où il motive les gens
à
concourir pour l'enjeu : « En jouant le jeu, les
agents investissent leurs capitaux dans le champ dans le but de recevoir un
dividende et, par conséquent, d'augmenter la valeur des capitaux
»159.L'intérêt d'adhérer à un
réseau associatif peut donc être de plusieurs ordres : tout
d'abord pouvoir mener le projet et atteindre les objectifs que l'association
adhérente s'assigne ; ensuite l'accès à l'expertise des
uns et des autres pour la réalisation de ce projet , l'accès aux
financements, la recherche d'une référence ou labellisation
socioprofessionnelle qui confère du relief à une candidature par
exemple, la quête d'une visibilité auprès des acteurs
publics et privés pourvoyeurs des moyens d'actions, et la participation
aux activités du réseau qui peut servir la stabilisation
identitaire comme nous l'avons déjà souligné mais aussi
à la constitution d'un capital social utilisable ultérieurement
dans une recherche de fonds : participation aux forums, salons, rencontres
professionnelles en tous genres...Signe qu'il n'existe pas qu'un seul
intérêt, il en existe plusieurs, variables selon le temps et les
lieux.
? La stratégie qu'il définit
comme: « un ensemble d'actions ordonnées en vue d'objectifs
à plus ou moins long terme et non nécessairement posés
comme tels » ou encore des : « Lignes d'action objectivement
orientées que les agents sociaux construisent sans cesse dans la
pratique et en pratique, et qui se définissent dans la rencontre entre
l'habitus et une conjonction particulière du champ
»160. Donc, la stratégie est possible quand un
acteur possède les capitaux nécessaires et qu'il se trouve en
présence d'une situation sociale à laquelle il a un
intérêt à participer. Adhérer à un
réseau illustre un intérêt à quelque chose mais
exprime aussi une stratégie visant à s'appuyer sur son
réseau relationnel pour accéder à plus de ressources :
cognitives, financières, techniques, opérationnelles,
relationnelles, organisationnelles.
Les réseaux diasporiques composés d'associations
de migrants aux intérêts et objectifs multiples s'appuient sur la
notion de réciprocité qui conduit vers le capital social.
Autrement dit, ce sont les choix faits par les individus représentant
les associations adhérentes à un réseau qui fondent les
actions et les relations entre les individus. Celles-ci conduisent à la
construction de relations durables. Ces relations deviennent par
conséquent à la fois fondatrices du réseau social et
ressources pour les individus membres d'une association ou d'un collectif
d'associations.
2. Réseaux sociaux et qualité du capital
relationnel
Selon d'autres auteurs, qui nuancent les positions
bourdieusiennes ci-haut indiquées, les motifs individuels seuls ne
suffisent pas pour conférer de la ressource. Encore faut-il qu'elles
soient de qualité et surtout qu'elles soient rentables. La notion de
qualité du capital social implique l'idée que le
capital social possède des vertus à la fois quantitatives au sens
où elles sont rattachées au nombre de relations susceptibles
d'être mobilisées, et qualitatives dans la mesure où elles
sont reliées aux positions sociales des agents engagés dans ces
relations. C'est un point de détail qu'apportent Deschenaux et Laflamme
sus-cités:
« Le volume de capital social que
possède un agent est fonction de l'étendue du
réseau de relations qu'il peut mobiliser, mais aussi du
volume de capital (économique, culturel ou social) de chacun des
membres du réseau de relations auxquelles il peut
159
Frédéric Deschenaux et Claude Laflamme : «
Réseau social et capital social : une distinction conceptuelle
nécessaire illustrée à l'aide
d'une enquête sur l'insertion professionnelle de jeunes
Québécois »
160
Bourdieu, op.cit.
119
faire appel(...) La possession d'un capital social suppose
que l'agent aura mis en oeuvre, de façon consciente ou non, des
stratégies d'investissement social afin d'instituer ou de reproduire des
relations sociales directement ou potentiellement utilisables ».
Le sociologue J.Granoveter va lui aussi dans le sens d'une
étendue des relations qui confèrent du poids au capital social.
Mais il met un accent tout particulier sur la notion des liens distendus qui,
en dépit de leur apparente faiblesse, recèle un potentiel pour
l'enrichissement du capital social :
« Un réseau se compose de liens forts issus de
relations soutenues (par exemple des amis proches) et de relations plus
distendues, donc potentiellement faibles, avec des connaissances. Une personne
bien pourvue en capital social aura un réseau qui double les liens forts
de liens faibles diversifiés, lui permettant de pénétrer
d'autres réseaux. La force des relations étant tributaire de
l'investissement dans leur entretien »161.
En d'autres termes, un réseau fort et efficace c'est
celui qui sait tirer parti de « la force des liens faibles ».
Les liens faibles correspondent aux relations que l'on entretient se
situant hors du réseau d'appartenance. On peut atteindre ce
réseau extérieur ou réseau d'interreconnaissance
au travers d'un membre ou des membres du réseau
d'interconnaissance. C'est l'association des liens forts et des liens
faibles qui confère de la qualité à un capital social et
mène à l'élargissement de son champ de valorisation.
À tout prendre, la participation aux activités
d'un réseau, l' investissement d'un individu avec d'autres dans un
réseau d'acteurs, le volume des acteurs impliqués en termes
d'investissement, la réciprocité des échanges et la force
des liens faibles sont autant de facteurs qui participent à la
qualité et à la force du capital social. Celui-ci aidant à
accéder aux ressources de nature diverse utiles à la
réalisation du projet ou à la défense de la cause que l'on
porte.
Ainsi, pour Frédéric Deschenaux et Claude Laflamme
:
« Plus une communauté compte d'associations de
bénévoles, plus elle est en bonne santé. Ses membres se
font davantage confiance et le sentiment d'appartenance à la
communauté grandit, se traduisant notamment par une plus forte
participation électorale. »162
Ce point théorique des notions de réseaux social
et capital social effectué, penchons-nous à présent sur
les pratiques des associations des migrants d'origine subsaharienne en
matière de mobilisation des ressources relationnelles et leur
degré de rentabilité en regard des projets et causes à
faire valoir.
161 On doit la notion de « force des liens faibles » au
sociologue américain GRANOVETER qui publie en 1973 un article
intitulé : « The strenght of weak ties », American Journal
of Sociology, 78, dans lequel il développe ce concept.
162
Frédéric Deschenaux et Claude Laflamme, op.cit.
120
Chapitre 6. Motifs d'appartenance aux réseaux
associatifs selon les responsables associatifs membres des réseaux de
migrants à Lyon
Si toutes les associations des migrants subsahariens ne sont
pas nécessairement affiliées à un réseau associatif
dans le Rhône, une proportion importante de celles-ci s'en
réclame. De taille, d'âge , domaines d'actions d'importance
variables, les réseaux diasporiques identifiés au cours de notre
enquête ont des pratiques d'ouverture aux associations quelque peu
semblables. Ils sont en effet souvent composés par les mêmes
associations membres, à quelques différences près.
1. Les réseaux des migrants subsahariens du Grand
Lyon
Deux collectifs dans le Rhône et dont la
réputation dépasse les frontières rhodaniennes regroupent
l'essentiel des associations migrantes qui intéressent notre
étude. Ce sont :
? Le COSIM Rhône-Alpes, un
collectif des organisations de solidarité issues des migrations
, créé en 2007 qui regroupe 31 associations (cotisantes)
de migrants majoritairement subsahariens (en plus du Maghreb et l'Asie du
sud-est), tournés vers le développement solidaire des pays
d'origine et peu impliqués dans les actions d'intégration en
Rhône-Alpes en dépit de ce qu'indique l'un de ses objectifs
principaux :
?? renforcer la capacité des OSIM de Rhône-Alpes
à participer au développement de leurs pays d'origine, par un
appui individualisé au montage et au suivi de leurs projets ;
?? favoriser un mieux vivre ensemble ici en promouvant le
«faire ensemble» et en réunissant ici et là-bas les
acteurs de la société civile ;
?? faire connaître l'action des migrants en faveur du
développement solidaire et de l'intégration de leurs
diasporas.
Le COSIM est avant tout un opérateur technique d'appui
aux projets et qui a une compétence reconnue en la matière par
les instances institutionnelles autant que les associations qui y
adhèrent afin de bénéficier des prestations
d'accompagnement et de conseil : montage d'un projet, étude technique de
faisabilité, diagnostic de terrain, montage d'un dossier de financement,
bref toute la chaîne d'élaboration, d'exécution et de suivi
du projet. Le COSIM est un partenaire du FORIM en région parisienne et
les projets qu'il labellise peuvent bénéficier d'un appui
technique et financier grâce au PRA-OSIM, le dispositif de subvention mis
en place et lui-même financé par le Ministère de
l'Intérieur français.
? Le Collectif Africa 50, collectif
fédérant des associations de culture africaine et
caribéenne de même que
les « amis de l'Afrique », né en 2010
à la faveur de la célébration du Cinquantenaire des
Indépendances des pays africains anciennement sous colonisation
française. Il revendique aujourd'hui plus d'une trentaine
d'organisations membres, dont l'objectif est « d'assurer la
coordination des associations de
121
culture africaine et des amis de l'Afrique en vue de
créer, animer et gérer un espace pour promouvoir la
présence de l'Afrique et de la Caraïbe dans le Grand Lyon
».
S'il nous a été difficile d'identifier, comme
dans le cas du COSIM, celui ou ceux qui sont effectivement à
l'initiative de ce collectif ( migrants ou suggestion des instances
institutionnelles du Grand Lyon ), tant de versions divergent à ce
propos, tant à l'extérieur qu'au sein même de celui-ci, il
apparait à ce jour comme l'organisation la plus importante,
symboliquement du moins, fédérant l'essentiel des collectifs des
organisations associatives africaines ; et celle qui a les faveurs du «
politique » au niveau local pour deux raisons :
?? D'une part, la pertinence de la démarche
privilégiée par le collectif, intégrative, transculturelle
et émancipatrice, pour briser la clôture communautariste et/ou le
cloisonnement conscient ou non de certaines OSIM africaines et pour porter
ensemble des actions en termes d'intégration accomplie des populations
immigrées ( telle en est l'ambition en tout cas ) et la pleine
reconnaissance de leur contribution à la construction de la cité
du Grand Lyon et au-delà.
?? D'autre part, cette visibilité, en construction du
reste, tient au retentissement médiatique des conditions (très
discutées donc) de son contexte de naissance : la
célébration d'un événement historique ayant
d'importants sous-entendus et implications politiques si l'on en juge par les
avis de quelques-uns des acteurs associatifs enquêtés.
Africa 50 privilégie donc, en tout cas en
l'état actuel de son évolution, l'insertion par la valorisation
de la mémoire, la réappropriation de celle-ci par les descendants
d'immigrés nés ici et parfois tiraillés entre
méconnaissance de l'histoire de leurs origines et « vexations
sociales » diverses (discriminations à l'embauche,
déscolarisation, etc.) , et donc l'histoire de l'immigration, un des
pans de la politique publique d'intégration nationale des populations
immigrées en Rhône-Alpes.
L'avènement d'Africa 50 est l'expression de
l'envie d'union d'une communauté subsaharienne traversée et
caractérisée par tant de différences : historiques,
linguistiques, socio-politiques, culturelles...mais qui tente la construction
identitaire autour d'un socle commun : celui du lien originel avec le continent
africain. L'expérience migratoire, disions-nous plus haut, peut
être l'occasion de se réinventer, de fabriquer un espace culturel
et social inédit qui permette d'unifier les deux mondes qui habitent en
soi : la culture d'origine et la culture du pays d'accueil. Mais cette ambition
portée par le collectif ne va pas sans sa cohorte de rapport de forces,
de tensions que nous évoquons dans les lignes à venir.
Ce rappel fait, intéressons-nous à
présent, certes dans une moindre mesure, à un troisième
réseau d'acteurs associatifs qui compte lui aussi des associations de
migrants, il est vrai, en petit nombre :
? Le CADR, Collectif des Associations de
Développement en Rhône-Alpes, né en 1986 et
revendiquant une cinquantaine d'associations de solidarité
internationale actives sur les champs du commerce équitable, du tourisme
solidaire, du soutien aux projets de développement, de la finance
solidaire, de formation à la solidarité internationale. Il se
veut avant tout une plateforme de réflexion et d'échanges
d'expériences entres les associations membres, d'animation et de
sensibilisation à la solidarité internationale puis de mise en
réseau avec les acteurs institutionnels dont les collectivités
territoriales.
Le CADR a développé une expertise dans les
champs de la formation, de l'éducation au développement et
à l'économie sociale et solidaire, initie des débats, des
séances de réflexions et de production de connaissances
théoriques et pratiques sur des thématiques en relation avec la
solidarité internationale. Sa force tient à sa multiple connexion
à d'autres réseaux dont : le Réseau Paix et
développement, le Réseau Rhône-Alpes pour
Haïti, le Réseau Commerce Équitable et
économie solidaire, le Réseau Découverte et
Partage.
? Le Réseau d'appui à la coopération
décentralisée en Rhône-Alpes (RESACOOP)
122
À contrario du Cosim et du Collectif Africa 50,
initiatives des migrants, le Resacoop est l'émanation des
autorités intercommunales en Rhône-Alpes et regroupe les acteurs
de la solidarité et la coopération internationales de la
région dont quelques associations de migrants.
Ces trois réseaux ont donc en partage une
poignée d'associations de migrants investies ou qui tentent de
s'investir ici et là-bas en même temps. Mais ce commun
dénominateur ne constitue pas pour autant, de notre analyse, un pont,
une passerelle, une occasion de construire un partenariat fort entre ces trois
pôles associatifs. À la suite de nos échanges avec les
acteurs membres de ces trois instances, il est apparu nettement une absence de
collaboration réelle sur des thématiques transversales touchant
à la cause des migrants, tant en ce qui concerne le développement
solidaire que les actions d'intégration en France.
2. Des motifs d'adhésion multiples aux
réseaux associatifs
Il ressort de l'analyse des discours des acteurs associatifs
rencontrés durant ces quelques jours d'enquête trois
catégories de motivation. Adhérer à un réseau
étant avant tout un moyen et non une fin. En effet, selon les
associations et les projets qu'ils portent, le réseau associatif est
:
2.1. Un moyen de se connaitre et de se
reconnaitre
Lieu de construction ou du renforcement de l'identité
d'origine et du lien communautaire, les réseaux diasporiques
subsahariens sont le mécanisme qui confère aux diasporas
nationales leur existence indépendante par rapport au pays d'accueil.
Pour Georges Prévélakis, le réseau diasporique est ainsi
« un des éléments fondamentaux de la survie des
diasporas ; c'est ainsi qu'elles arrivent à combattre la tentation de
l'assimilation, comme si le capital iconographique se répartissait sur
un grand nombre de centres connectés entre eux
»163. À travers sa capacité à former
des réseaux, une diaspora acquiert son autonomisation, tant par rapport
au pays d'accueil qu'au pays de départ. Vis-à-vis du pays de
destination, l'autonomisation se manifeste par la résistance à
l'assimilation mais aussi par la pérennisation des valeurs acquises dans
le pays d'origine.
C'est tout le sens de la démarche du Collectif Africa
50 qui veut faire « exister » la communauté africaine du Grand
Lyon, étape par étape, en revisitant dans un premier temps
quelques pans de l'histoire des relations Afrique-France, du moins en ce qui
concerne l'agglomération de Lyon. Le questionnement de l'identité
des « Afropéens » du Grand Lyon en d'autres termes, exercice
par lequel passe, de l'analyse des coordonnateurs du collectif, une
intégration pleinement assumée et réussie des
immigrés. La mémoire ici a donné occasion au
réseautage et à la collaboration des subsahariens de la
région. Une stratégie identitaire dont nous doutons qu'elle soit
le motif principal d'adhésion de l'ensemble des membres du collectif.
2.2. Un moyen de connaître et d'être
reconnu
Le réseau d'appartenance prend les formes d'un espace
de fabrication, d'enrichissement et de mobilisation du capital social en vue de
la captation de ressources diverses, une carte à posséder dans
son jeu. Le réseau aide à identifier les partenaires
stratégiques, les interlocuteurs institutionnels, les dispositifs de
financement existants et d'autres ressources utiles à l'atteinte des
objectifs d'une association membre. Mais nous avons constaté qu'à
Lyon , au sein des organisations rencontrées, le capital social se
limitait bien souvent à l'accumulation de contacts ou de relations qui
permettent l'obtention privilégiée d'informations ou de
subventions, consacrant par là le primat de la logique de subvention sur
la logique de prestation de services en relation avec l'intégration ou
l'insertion des populations immigrées dans le Rhône. Il nous est
néanmoins paru difficile, en raison du mutisme de nos répondants
sur la question, de décrypter comment fonctionnait le système
d'interconnaissances et
163 Georges Prévélakis, Les réseaux des
diasporas, L'Harmattan, Coll. Géographie et Cultures, 1996,
443p.
123
d'interreconnaissance au sens du contact direct d'un membre du
réseau avec une personne bien placée eu sein d'une instance
pourvoyeuse de fonds. Le silence sur la question était
particulièrement de mise.
Toutefois, plusieurs témoignages concordants et
l'observation des pratiques partenariales des associations
enquêtées nous ont permis de noter une forme de planification
stratégique en termes d' expériences d'implication
variées, de participation multiple à différents
réseaux. Les réseaux COSIM et Africa 50 s'imbriquant, en
apparence du moins, dans une sorte de mutuelle adhésion de l'une
à l'autre. Mais, comme nous le verrons, le partenariat entre ces deux
types de réseaux, émanations de migrants subsahariens, est loin
d'être réel.
Au-delà du COSIM ou d'Africa 50, des associations, dans
une démarche individuelle, ont souvent fait le choix stratégique
d'adhérer à d'autres réseaux, selon leurs domaines
d'intervention. C'est davantage le cas des deux associations féminines
transculturelles dont ALPADEF. Cette Alliance panafricaine , présente
sur le front français et ouest-africain , en plus d'être active au
sein d'Africa 50 après être passée par le COSIM, est membre
de trois réseaux féminins nationaux ou locaux :
Supplément Dames, Résolink, Action'elles...qui
bénéficieraient d'un certain crédit auprès des
instances publiques. La présidente de cette association accorde une
importance particulière à la constitution des consortiums.
Construire des alliances stratégiques pour ALPADEF est donc un
impératif majeur. Au-delà des compétences de haute facture
la qui composent, l'association a une pratique de représentation, de
promotion d'elle-même qui peut la rendre moins dépendante aux
réseaux dont les droits de cotisation à l'année peuvent
souvent constituer un motif démobilisateur pour les organisations
associatives à petit budget.
2.3. Un moyen de participation
Participation que nous désignons ici avec M. Gauthier
et J. Piché comme : « la capacité des individus et des
groupes à influencer les orientations de la société et
à investir les lieux de pouvoir, et cela, peu importe le palier
d'activité où se dessinent et se prennent les orientations qui
dictent la vie en société »164. La
participation à la vie d'un réseau, la pleine implication dans sa
dynamique de reconnaissance recèle une potentielle rentabilité.
C'est en même temps un moyen de se reconnaître et d'être
connu. Elle peut aussi répondre simplement à un besoin de vivre
un idéal, de défendre une cause, sans une
arrière-pensée de rentabilité financière,
relationnelle ou symbolique.
En marge de notre enquête, nous avons aussi
découvert une pratique plutôt rituelle qui a cours au sein des
collectifs de migrants, et sans doute autre part : gonfler superficiellement
l'effectif des membres pour donner du poids au réseau et en
démultiplier l'influence fictive, y compris lorsque les associations
supposées membres ne se sont pas acquittées de leurs droits de
cotisation. Plus le réseau revendique un nombre conséquent
d'adhérents, plus légitime il semble apparaître au regard
des bailleurs de fonds, notamment publics, qui incitent assez souvent les
associations à se fédérer en réseaux en vue d'une
meilleure traçabilité de l'usage des fonds alloués et un
meilleur suivi des projets financés. Asseoir sa légitimité
en tant que collectif ou réseau afin de lever plus facilement les
subventions serait la motivation principale de cette pratique. Des responsables
associatifs interrogés se sont d'ailleurs étonnés de
figurer sur la liste des associations membres de ces réseaux alors
qu'ils n'y siègeaint plus et ne s'acquittaient plus des droits de
cotisation. Des associations sont-elles ainsi des membres fantômes de
réseaux des migrants comme en témoigne ce responsable associatif
:
« Le première année de notre
adhésion, j'ai payé. J'ai pensé franchement avoir un grand
retour. En vain. C'est ça le problème. En effet, on a
présenté des projets, portés par ce réseau,
même si ce n'était pas de sa faute. Pour nous ça devait
être un gain total. Mais ils ont été tous rejetés.
Alors je me suis dit :»Je ne vois pas l' »intérêt de
payer une cotisation pour je ne sais pas trop bien quoi. Et puis, après
3 ans d'existence, je pense que notre association est bien connue. Donc pas
d'intérêt d'en être toujours membre. Du coup, j'ai dit
clairement aux dirigeants : `'Moi, je ne paye plus. Vous me radiez si vous le
voulez `'. Eh bien ils n'ont pas du tout radié notre association. C'est
donc toujours exactement comme avant mais sans payer. Et chaque fois que
je
164 GAUTHIER M. & L. PICHE (2001), « Participation des
jeunes aux lieux d'influence et de pouvoir », L'Action nationale,
XCI(7), pp. 77-86
124
les vois, ils ne vont pas me demander de payer puisque j'ai
dit non. Sinon, j'y vais et je donne ma contribution en termes d'idées ;
c'est bizarre quoi ! ».
La démobilisation de certaines associations
interrogées, leur désolidarisation des réseaux
évoqués, de leurs démarches respectives, si pertinentes
soient-elles, tiennent aussi à tout un complexe de facteurs d'ordre
à la fois structurel, culturel, conjoncturel et personnel.
3. Migrants subsahariens du Grand Lyon : la Force du
réseau ? Inventaire des motifs de démobilisation des migrants de
l'engagement associatif
De l'aveu de l'ensemble des responsables associatifs
interrogés (une vingtaine environ), s'il est un commun
dénominateur à la balkanisation de la communauté
associative africaine du Grand Lyon et les velléités de
regroupement des communautés à l'échelle ethnique,
nationale et continentale, c'est bien en raison du constat globalement
partagé que les Africains, les Subsahariens du moins, peinent à
composer et travailler ensemble, pour toutes sortes de raisons. Les plus
communément évoquées pour expliquer la fragilisation des
initiatives intégratives étant :
3.1. Le pouvoir
Autour du pouvoir que confère la position de
Président, dont la réalité et
l'importance des privilèges varient d'une association à l'autre,
gravitent tout un ensemble de problématiques dérivées dont
:
? « La malgouvernance »
Des cas de mauvaise gestion, de détournements de fonds,
de non-traçabilité des investissements financiers
effectués par l'exécutif, d'absence de cap défini par le
« chef »...nous ont été rapportés, et qui ont
justifié la démobilisation massive des membres, ou le
démembrement ou pire, la dissolution pure et simple de certaines
organisations associatives dont la plus emblématique et la plus
mémorable est le Collectif des Associations Africaines de la
Région Rhône-Alpes ( CARA).
? La personnalisation à
outrance
Elle est subie dans le sens où toutes les
responsabilités incombent ou sont laissées par les autres membres
à la seule charge du président, souvent initiateur de
l'association. Il est donc considéré comme légitime qu'il
doive être sur tous les fronts. C'est souvent le cas pour les
associations de moindre envergure. Mais l'identification de l'association
à la personne du Président est souvent voulue et le pouvoir
devenant monopolistique au-delà des limites qu'en fixe le statut165
; ce fait d'abus de pouvoir a été
régulièrement énoncé au cours de notre
enquête.
? La lutte pour le leadership
165 Le président a pour attribution de convoquer le
conseil d'administration et les assemblées générales. Les
statuts précisent en temps normal le pouvoir du président mais
dans le cas contraire, ce dernier représente l'association dans tous les
actes de la vie civile. C'est lui qui, en cette qualité, passe les
contrats au nom de l'association : location, vente, achat, engagement de
personnel, mise en oeuvre d'une procédure de licenciement. De plus,
l'article L.225-56 du code de commerce français précise que le
président d'une association est investi des pouvoirs les plus
étendus pour agir en toutes circonstances au nom et dans
l'intérêt de cette dernière. Cela lui donne le droit en
particulier de prendre toute mesure conservatoire, en l'occurrence de suspendre
de leurs fonctions, les membres du bureau, alors même que les statuts de
l'association ne confèrent au président aucun pourvoir
particulier. Le président a donc qualité pour agir devant les
tribunaux au nom de l'association, que ce soit comme demandeur ou comme
défendeur, sans qu'il soit nécessaire que les statuts le
prévoient expressément. C'est à lui que devront être
délivrées les assignations à comparaitre, les
significations de jugement.
125
Corollaire du fait précédent, la lutte pour le
pouvoir au sein des associations subsahariennes est perçue comme l'une
des causes principales du délitement du lien communautaire et la
démobilisation des bénévoles. Les associations sont lieux
de débats, d'initiatives, mais aussi de tensions, de conflits parfois
bloquants. Cela est dû en partie au modèle organisationnel de ces
associations très hiérarchisé, vertical et qui accorde une
place centrale à la fonction du Président ou à un
comité restreint de personnes chargés de la définition et
la mise en oeuvre des orientations de l'organisation. Le pouvoir a tendance
à y être contesté en raison de la non-reconnaissance par
les contestataires de la légitimité ou de la
représentativité de la personne élue ou alors de la
non-reconnaissance d'une motion de démission du président
initiée par une assemblée générale. Selon certains
de nos répondants, ces conflits pour le pouvoir sont
particulièrement exacerbées dans les associations ayant
bénéficié d'importantes subventions et dont la gestion
peut être perçue comme non-transparente par une partie de
l'assemblée. Les cas de figure menant à la lutte pour le
leadership sont légion, en dépit de la fonction finalement
ingrate de présidente, particulièrement en période de
crise.
? La désarticulation entre culture du pays
d'accueil et la culture d'origine
Elle va se traduire par une appropriation insuffisante des
outils et méthodes modernes de gestion et de management des
organisations associatives, les modèles culturels du groupe d'origine
(qui s'appuient sur la force du consensus, l'adhésion aux positions du
chef en dépit des résistances souvent larvées) ayant
tendance à prendre le pas sur la culture démocratique (la force
de la majorité, la légitimité populaire, la transparence
dans la gestion...) que prône le code juridique appliqué au
management des associations en France.
Témoignage d'un membre d'un collectif d'associations
issues d'un pays africain et qui illustre à suffisance le tiraillement
permanent des migrants africains entre références à la
culture d'origine et la culture du pays d'accueil, selon les situations et les
contraintes :
« Nous avons toujours été une
société basée sur l'unité. C'est-à-dire que
lorsqu'on a un problème, on ne le règle pas tout seul dans son
coin. Donc chaque membre vient et chacun discute. Au milieu, il y a ce qu'on
appelle le chef du village, apparenté ici à un juge, et qui va
donner tort ou raison à untel. Et lorsque le verdict tombe, personne ne
le discute. Cela veut dire que l'autorité est installée. Or,
aujourd'hui dans notre association, il y a un problème qui se pose.
C'est que le chef n'a plus le rôle de juge. Il devient
décisionnaire et a tendance à tout imposer. C'est lui dicte
l'objectif à atteindre. Or, pour pouvoir définir un objectif, il
faut où toi-même tu veux aller. Si c'est pour faire des
soirées, nous on n'a pas besoin de chef pour faire les
soirées(...) Notre association est une structure démocratique
dans les textes mais pas dans la culture, parce que c'est la culture qui
détermine l'être humain. Si l'être humain ne se reconnait
pas dans sa culture et ne voit pas sa culture exprimée dans ce qu'il met
en place, il est complètement en déphasage. Et c'est ce qui
amène les guerres intestines. Donc la manière dont notre
association est structurée ne correspond pas à notre culture.
Parce que dans notre culture, on a le respect du chef. La manière dont
nous avons parlé du chef la dernière fois [contestation des
positions du président à propos d'une stratégie
partenariale à engager avec des structures non migrantes], on n'aurait
pas pu ».
Et cet autre président d'association,
dépité, qui regrette que la personnalisation à outrance de
la question du pouvoir, choisie ou subie, affecte des enjeux importants :
« C'est peut-être aussi un problème
démocratique. Se dire que si nous mettons aujourd'hui telle ou telle
personne à tel poste, c'est des mandats, 3 ans par exemple, puis on
renouvelle une fois. C'est aussi important d'expérimenter d'autres
personnes puis de faire en sorte qu'il y ait d'autres personnes qui prennent
des responsabilités et qui se forment pour les prendre. Donc il y a ce
travail qui à mon avis n'est pas suffisamment fait parce que cela
relève du long terme bien entendu, du renforcement des
compétences, des capacités. Mais on reste très souvent
englué dans le quotidien, le montage des projets, la course aux moyens
pour réaliser ces projets. Et on perd de vue finalement que chaque
action que nous posons, nous devons la mettre en perspective avec les
objectifs. Il y a ce décalage, ce déphasage, cette césure
qui pose problème. C'est pareil aussi dans le domaine du
développement. Les prêts, on finit par les considérer comme
une fin en soi. Alors que pour moi, c'est des étapes, des moyens...
»
? Le conflit entre les générations au
sein des associations
126
La difficile communication entre les « anciens et les
jeunes » est une des manifestations éloquentes du « choc des
cultures » à l'oeuvre dans les organisations associatives. Faisons
parler cet acteur associatif qui rend bien compte de cette tension
:
« Il y a dans nos associations, un problème de
génération ; la génération qui est la mienne
[trentenaire] n'est pas celle du président. Si tu veux, lui, sur
certains points, il va avoir une position pas très souple, rigide,
fermée. Moi je vais être plus souple. Je vais lui dire `'tu as
tort». Or, dire cela au président, chez nous ça ne se fait
pas. Ce n'est pas dans ma culture. Mais la culture occidentale veut que je dise
à mon président tu as tort. Ce qui a fait que j'ai pu lui dire
ça, c'est que j'ai été formaté. Je suis en France
depuis 23 ans. J'en ai aujourd'hui 38. Mais celui qui n'a pas été
formaté comme moi, qui est par exemple arrivé depuis 5 ou 10 ans,
lui il ne va jamais comprendre pourquoi un `'petit», parce que je suis un
`'petit», lui dit Non ! ».
Cette attitude est confirmée par un autre responsable
d'association qui estime que : « Il y a cette difficulté de
passer de l'implicite à l'explicite. Une difficulté à
trouver les moyens ou les mots pour dire les choses à un
aîné, à une femme, à un jeune, de façon
respectueuse, en lui faisant comprendre que ce n'est pas contre sa personne
mais pour viser l'objectif que nous nous sommes collectivement fixés
»
? Les rapports hommes/femmes sont aussi en
question
Une responsable d'association nous faisait ainsi remarquer que
dans l'essentiel des organisations des migrants du Rhône, peu nombreux
étaient les responsables femmes à la tête des associations
mixtes, y compris des collectifs. Sexisme, non-intérêt ou
non-disponibilité des femmes pour ces postes à
responsabilité ? Une enquête plus approfondie permettrait d'en
savoir un peu plus. Nous n'avons pas porté l'investigation plus loin sur
ce champ-là, faute d'interlocutrices et de temps.
? Le contrôle de l'information comme facteur de
renforcement des positions dominantes
Kamel Béji et Anaïs Pellerin soulignent que
« la recherche d'informations pertinentes dépend : de
l'accessibilité à l'information, de l'engagement et la
volonté du détenteur de l'information de la diffuser et de la
confiance accordée à l'informateur »166.
Or, au vu du comportement des migrants, en règle
générale, qui consiste à recourir plus souvent aux
informations provenant du réseau ou du lien auquel ils ont le plus
confiance, le réseau communautaire, la détention et la
rétention de l'information deviennent un attribut du pouvoir, comme en
ont témoigné nombre de nos répondants ; et parfois sources
de conflits entre le détenteur et les autres. Les informations pouvant
être diffusées au compte-gouttes, partielles, avec des biais ou
pas du tout selon les ressources en jeu. Parce qu'au sein d'un réseau
les informations accumulées peuvent être convergentes,
complémentaires, divergentes ou contradictoires, des théoriciens
des réseaux sociaux tels Ronald Burt (1992) suggèrent de «
bâtir des ponts entre les différents réseaux [qui]
permettrait pour les nouveaux arrivants d'accéder à une
information de meilleure qualité et de réduire les
possibilités d'émergence de biais informationnels
»167. En d'autres termes, les migrants récents en
recherche d'emploi gagneraient à recourir à différents
réseaux, ce qui permettrait d'accéder à plus
d'informations pertinentes et utiles à l'intégration dans
l'emploi, même si cette multiplication des réseaux ne va pas sans
un risque de biais informationnels, c'est-à-dire «
l'écart entre deux informations provenant de sources différentes,
soit entre l'information reçue et l'information pertinente
»168.
? La politisation latente des groupes associatifs des
migrants participe aussi de cette
démobilisation
Par politisation, nous entendons le processus par lequel pour
des raisons d'intérêts personnels ou collectifs manifestes ou
occultes, des acteurs d'une organisation associative vont prendre position sur
des questions liées à
166 « Intégration socioprofessionnelle des
immigrants récents au Québec : le rôle de l'information et
des réseaux sociaux », 2010, idem.
167
Ronald Burt, «Structural Hole: The Social Structure of
Competition», Cambridge, Massachusetts: Harvard University Press,
1992.
168
Kamel Béji, Anaïs Pellerin, idem.
127
la confrontation politique entre professionnels de la
politique dans le pays d'origine avec lequel l'association reste très en
lien et/ou dans le pays d'accueil. L'engagement politique en faveur de tel ou
de tel groupe, notamment en situation électorale, peut être
pourvoyeur de ressources, ou en tout cas faciliter l'accès à
celles-ci dès lors que les acteurs politiques soutenus, officiellement
ou de manière voilée, arrivent aux affaires,
généralement à la tête des instances administratives
qui octroient les subventions (Mairie, communautés de communes, conseil
général, conseil régional, etc.). Témoignage d'un
acteur associatif africain :
« Effectivement, ça c'est réel hein,
même si on est apolitique, on va forcément côtoyer des gens
qui sont politiques. Parce que quand tu organises un forum, une
conférence d'envergure et que tu présentes un dossier de
subventions, il y a des politiques qui sont en face, ce sont des élus
qui vont lire ton dossier ou en tout cas une partie et qui vont prendre la
décision. Même s'ils ne lisent pas tout ton dossier, ils vont
prendre la décision de t'accorder la subvention ou pas. Dans ce
cas-là effectivement, il y a la politique qui intervient(...) Mais
ça ne nous empêche pas de chercher d'autres subventions ou de
réaliser ces activités qui nous tiennent à coeur par
d'autres moyens ; Par les cotisations des bénévoles, nous on
réalise ces projets... ».
Toutefois, de manière générale, les
responsables d'organisations dites apolitiques se méfient de
l'engagement partisan au sens de la politique politicienne :
« Les politiques ici, on connait leur capacité
d'instrumentalisation. Ils veulent des adhérents, s'afficher :»nous
on est avec ceux-là... etc... .etc.» Afficher nos convictions c'est
important. Mais ce qui est malheureux, c'est encore cette tentative de
coloration pour bien se faire voir. Moi je dis qu'il faut absolument
éviter cette instrumentalisation-là. Nous sommes ici pour
réfléchir. » .
D'autres en appellent carrément à un apolitisme
radical et s'en expliquent :
« Le fait d'être apolitique c'est pour que tout
le monde se retrouve autour d'une table, bossent sur un projet....Faire sa
journée culturelle, faire son forum, sans parler de politique. Parce que
si tu parles...disons tu es de tel ou tel parti, ça va froisser les
gens. Il ne faut pas parler de politique. Notre objectif n'est pas de faire de
la politique. Par contre s'il y a une information qui concerne par exemple les
élections , le vote des ressortissants de notre pays ici, c'est une
information à passer qui n'est pas politique mais qui est un
devoir...s'il faut passer par l'association pour donner ces informations sans
prendre parti, on les donne...Après , au niveau du vote, chaque
adhérent vote pour qui il veut. Voilà ! Nous on ne parle pas de
politique au sens de la politique politicienne. Notre objectif n'est pas du
tout ça ».
C'est le signe que certains responsables associatifs restent,
en dépit des sollicitations de politiques, tout à fait lucides
quant à la nécessité de prendre part au débat
politique au sens de l'art de gérer la cité, du diagnostic, de
l'analyse et la gestion des questions sociales ou sociétales.
L'articulation Migration et Intégration en est. Telle est en
tout cas la conviction de ce responsable associatif pour qui la
résolution de la tentation du politique n'est possible que
:
« ...dans la mesure où on est capable de se
poser des questions de confiance, de l'équilibre entre
intérêts personnels et intérêt général,
de la capacité à résister pour ne pas se laisser
instrumentaliser. Être au clair pour ne pas se laisser solliciter par les
politiques ici , y compris les politiques de nos pays, comme ces associations
qui sont purement et simplement des relais ici de partis politiques locaux. Il
faut rester vigilant ».
3.2. Les causes attitudinales et le poids des
préjugés
? La crise de confiance mutuelle et la
non-reconnaissance de l'expertise des Subsahariens par la
« clientèle africaine »
;
La valorisation des compétences des migrants est un axe
que privilégient de nombreux acteurs par la promotion de la cartographie
de ces compétences, leur mise en relation, leur mise en relief et leur
mise à contribution dans les actions de développement
là-bas et d'intégration ici. C'est une démarche d'autant
plus impérative que les migrants ayant développé une
expertise dans un domaine particulier souffrent parfois d'une double exclusion
:
- la non-reconnaissance de leur expertise par la
communauté nationale des experts et qui se manifestent par
une sollicitation fort marginale des subsahariens de France dans les actions de
coopération avec les
128
pays africains, ce fait ayant été
confirmé par des associations de français engagées dans le
champ de la solidarité internationale notamment avec le Mali.
- La non-reconnaissance par les migrants
Subsahariens eux-mêmes qui auraient, de l'avis de certains de nos
répondants, un a priori négatif de l'expertise africaine
; Pour des raisons qui sont difficilement cernables tant elles
relèvent des croyances propres à chacun. Ce déficit de
confiance entre membres qui sévit au sein de la communauté
associative subsaharienne du Grand Lyon se nourrit du préjugé que
« le goût du travail bien fait est l'apanage du Blanc
», un préjugé tenace, stigmate psychoculturel des
années de colonisation mentale et qui est aussi à la base de la
fragilisation des réseaux d'acteurs associatifs migrants.
Cette situation selon certains responsables d'associations
conduit ainsi nombre d'organisations de migrants à ne pas recourir aux
savoir-faire et services des cabinets d'études par exemple (quand il en
existe) administrés par des migrants subsahariens, car ceux-ci sont
présumés « pas assez rigoureux ni compétentes
dans leurs démarches d'accompagnement, ni ponctuels ni discrets
». Cela relève-t-il de la « jalousie » entre experts
d'origine africaine livrés à une concurrence farouche dans un
microcosme (tout le monde se connait dans le Grand Lyon) comme justifiait un de
nos enquêtés ? Du manque d'ouverture et donc de la
méconnaissance des capacités techniques et opérationnelles
avérées entre experts ? Difficile à dire tant les avis sur
la question divergent.
Un médecin africain interviewé officiant dans un
grand hôpital de l'agglomération lyonnaise nous confiait ainsi que
les patients immigrés qui prenaient rendez-vous avec son service
préféraient consulter les médecins « blancs » et
« français ». Principale raison évoquée,
réelle ou supposée: les Subsahariens ne seraient pas assez
discrets et ne respecteraient pas assez le secret médical des
patients. Le thérapeute interviewé évidemment s'en
est défendu et a insisté sur l'importance de la
réputation, de l'image, de la présentation de soi, du
paraître chez l'Africain corrélée à la crainte de
l'opprobre sociale. Aussi, peu de patients migrants de cet hôpital,
venant consulter pour les tests de SIDA par exemple, éviteraient
soigneusement les médecins subsahariens. Cet évitement est
manifeste lors des salons locaux de la solidarité nationale ou
internationale où l'association de prévention et de lutte contre
le SIDA et les infections hépatiques que co-préside notre
enquêté tient souvent un stand de sensibilisation avec
distribution des moyens de protection (préservatifs notamment). Une
situation qui rend difficile le travail d'information et de prévention
contre les Maladies sexuellement transmissibles (MST) de cette association au
sein de la communauté subsaharienne, nous confiait son
co-président. L'adhésion à un réseau national
d'acteurs associatifs et institutionnels de lutte contre les MST répond
sans doute au besoin d'approcher par d'autres moyens cette communauté,
au travers des campagnes de sensibilisation de l'association nationale AIDES,
un de ses plus importants partenaires.
Au total, la crise de confiance entre Subsahariens affecte
fortement la volonté de travailler ensemble y compris au sein d'une
même communauté ethnique et occasionne une déperdition
d'énergies et de compétences préjudiciable aux initiatives
des migrants.
? Cette crise de confiance s'accompagne du
déficit de la culture du contrat et du respect de la
parole donnée
Ce qui pose la question de l'inscription des acteurs dans un
double cadre de référence culturel qui suppose de prendre en
compte autant les valeurs de la culture d'origine et celles de la
société de résidence. Un des responsables associatifs
rencontrés a fort bien résumé cette dialectique entre le
contrat écrit moderne et la force de la parole donnée des
sociétés africaines :
« Quand on donne sa parole, c'est très
africain. La parole c'était le lieu de l'engagement. Elle était
lourde de sens et elle était habitée. Il faut les deux. Il faut
ma parole et le contrat. Le contrat renforce davantage cet engagement mutuel.
Et la modernité de l'Afrique c'est de montrer que la parole,
l'engagement, le poids que l'on donne à la parole c'est moderne, c'est
d'aujourd'hui. Et que lorsque les contrats capotent, c'est tout simplement
parce qu'elles étaient basées seulement sur le papier. Et qu'on
n'avait pas travaillé suffisamment sur la dimension confiance,
communication, relation.... ».
129
Une confiance déficitaire, comme on l'a vu, du fait des
pré-jugements qui affectent les rapports entre acteurs sociaux de la
même communauté panafricaine :
« ...tout à fait ! Et c'est là que
quand je parle de passeur de culture, c'est de dire :»qu'est-ce qu'il y a
de bon dans le papier qu'on signe `', `'qu'est-ce que ça implique
?», `'qu'est-ce que cela représente ? `' . Je dirais que quand on
est biculturel ou multiculturel et qu'on le vit comme une richesse et comme une
ouverture, comme un renforcement, à ce moment-là on essaie de
capter, de se passer le meilleur de toutes les cultures en disant que ça
permet de mieux être soi-même et de mieux être ensemble les
uns les autres(...) C'est là aussi que les associations à travers
les réseaux et les collectifs peuvent permettre des avancées,
l'acquisition de cette culture de la parole donnée et du contrat. Il y a
des manquements sur les deux plans : africain et européen. Le fait que
quand on est un collectif on a un souci de se donner des
règles».
? Une insuffisante incorporation des règles du
code des associations en France, des règles de
fonctionnement et des outils modernes de management
des organisations associatives
Cette situation a conduit à des situations telles que
l'incurie dans la gestion des fonds de l'association, la personnification de
l'association souvent par le créateur, les blocages statutaires
consécutifs à une interprétation à
géométrie variable des dispositions des statuts et du
règlement intérieur. La quasi-totalité des responsables
associatifs interviewés ont déploré cet état de
fait, sans jamais se mettre en cause eux-mêmes. Nous avons toutefois
donné la parole à des membres simples de certaines associations
qui nous ont fait part d'une liberté d'interprétation des
dispositions des statuts de l'association selon la position au sein de
l'organisation et selon la génération des acteurs
concernés. Une des raisons du conflit des générations
évoquées plus haut réside dans la difficile cohabitation
des règles de la démocratie à l'occidentale et les
règles coutumières de gestion des groupes et règlement des
litiges. La jeune génération estimant que les anciens
s'arcboutent sur le sacro-saint principe du droit d'aînesse pour ne pas
avoir à engager l'association vers des actions plus progressistes, des
actions d'ouverture par exemple ; les anciens estimant que les jeunes manquent
de plus en plus de respect aux aînés et aux valeurs
traditionnelles de la communauté d'origine.
D'où les préconisations émises par
certains de nos répondants, notamment de promouvoir au sein des
associations subsahariennes la culture de l'évaluation mais aussi de la
critique positive qui permettent de progresser vers le mieux-faire. C'est le
cas de ce responsable associatif pour qui, en plus de la restauration de la
culture de confiance, du respect du contrat et de la parole donnée, des
vertus du débat contradictoire, il faut aussi :
« (...) une culture de l'évaluation et faire
une pédagogie afin de faire comprendre que ce n'est pas un
contrôle ; la faire de façon positive. Il y a des gens qui voient
souvent l'évaluation comme un contrôle ou une sanction mais il
faut montrer l'évaluation dans son aspect positif et contributif
à l'évolution, au progrès. On évalue pour
progresser. Il faut intégrer ça ».
Cela dit, les conséquences logiques de la crise multiforme
de confiance entre Subsahariens sont nombreuses :
? Le délitement du lien
communautaire
L'expérience migratoire qui fonde ou renforce le lien
communautaire peut, à certains égards, en provoquer son
affaiblissement. Cela tient à la qualité et à la force des
relations qu'entretiennent les acteurs au sein d'un réseau. Une
qualité qui se déprécie au vu des clôtures
communautaires qui persistent entre groupes diasporiques, ou des tensions qui
agitent jusqu'aux micro-communautés qui jouissent habituellement d'un a
priori positif pourtant trompeur. Nous avons ainsi assisté à de
vives tensions entre membres de bureau d'un collectif d'associations de
migrants d'origine ouest-africaine, migrants perçus de
l'extérieur comme une communauté harmonieuse et très
intégrée à l'image de la stabilité socio-politique
du pays d'origine. La réalité en interne est évidemment
toute autre.
D'aucuns ont mis cet affaiblissement du lien communautaire et
le primat des individualités sur le compte de la guerre que se livrent
groupes et individus pour la captation des ressources et d'autres l'expliquent
par une identité culturelle qui se perd au contact de la culture du pays
d'accueil et qui justifierait les sursauts panafricanistes visant à se
prémunir contre toute tentation assimilationniste. C'est le discours et
l'idéal de reconquête identitaire que
revendique le collectif Africa 50.
130
? La démobilisation des adhérents et la
faiblesse du bénévolat
Ce sont aussi une des caractéristiques des associations
subsahariennes du Grand Lyon. Peu de disponibilité des
bénévoles happés par les urgences et les charges
professionnelles et familiales de la vie quotidienne ou ne voyant pas
d'intérêt ou de gain direct à leur engagement. Ce que
confirme Jean-Baptiste-Meyer et alii169, estimant que les
organisations de migrants :
« (...) sont généralement de petites
structures (en nombre de membres et en ressources) qui comptent principalement
sur la disponibilité de chaque membre. Ces derniers consacrent le temps
résiduel (hors temps de travail et hors temps familial) aux
différentes tâches concernant tant le fonctionnement de
l'organisation que les rapports avec les divers acteurs du pays d'accueil et du
pays d'origine. Cela est à l'évidence un facteur de
fragilité et attire l'attention sur la nécessité d'une
professionnalisation, dépassant le simple volontariat, ce qu'une
intégration de type fédératif peut permettre
».
À ce « temps résiduel » du
bénévole s'agrègent les facteurs démobilisateurs
soulignés plus haut, la faiblesse du bénévolat associatif
subsaharien est une conséquence directe du lien communautaire qui se
délite et de la prééminence des intérêts
particularistes sur l'intérêt général qui se perd,
nous ont confié, amers un répondant sur deux. Nous avons
d'ailleurs noté dans la même veine un engagement très
marginal des retraités qualifiés ou semi-qualifiés et les
migrants âgés de manière générale dans les
activités bénévoles des associations de
développement solidaire et d'insertion en France, là où la
situation dans les associations françaises est différente , avec
une très forte implication des retraités ou personnes
âgées dans la vie associative. Différences de culture ?
Est-ce le fait de facteurs purement conjoncturels liés à la
situation matérielle, familiale et socioprofessionnelle personnelle des
migrants concernés ? Nous n'avons pas eu l'occasion de rencontrer
individuellement les migrants âgés pour nous enquérir des
causes de cette attitude.
? La notion de l'africanité des
migrants d'origine subsaharienne en France et dans le Grand
Lyon
est elle-même en question
En effet, le délitement de ce lien communautaire trouve
aussi explication dans la façon dont chacun vit son «
africanité » et la reconstitution de l'idéal culturel
africain par sa promotion dans le département du Rhône.
L'africanité ici diffère selon les générations, les
projets migratoires, les groupes communautaires, la situation socio-politique
des pays de départ, le degré de mixité interculturelle des
alliances familiales, etc.
L'africanité, dans notre entendement, c'est le
sentiment d'appartenance d'une personne à un groupe d'individus
liés « culturellement » par un ensemble de manières,
conscientes ou non, de faire, d'agir, de sentir, d'être à soi et
au monde, de penser, par la similitude des invariants liés aux us et
coutumes des groupes ethniques et qui transcendent les frontières
politiques et linguistiques. Les individus constitutifs de ce groupe culturel
sont originaires (directement ou par leur ascendance immédiate) de
l'Afrique subsaharienne. Ils sont conduits, volontairement ou non, à
cohabiter plus ou moins pacifiquement, puis à construire et partager une
vision, mieux, un regard endogène sur le monde, une philosophie de
l'être et de la vie, et une relation à l'Autre influencée
par moult facteurs.
L'africanité tient aussi au partage d'une
mémoire commune construite autour des traumatismes et expériences
douloureuses liés à la Traite négrière,
l'esclavage, la colonisation, la participation de la « force noire »
à l'effort des deux guerres mondiales et ses répercussions
multiples sur les soldats africains et leurs descendants , les
problématiques actuelles des économies en déliquescence ,
des situations d'anomies socio-politiques et de
169
Diasporas Scientifiques. Comment les pays en
développement peuvent-ils tirer parti de leurs chercheurs et de leurs
ingénieurs
expatriés ? (sous la coordination
scientifique de J-B Meyer, Rémi Barré, Valéria Hernandez,
Dominique Vinck), IRD, collection Expertise
collégiale, Paris, 2003, p.62
131
profonde crise des valeurs morales , sociales et
sociétales , de l'élargissement du fossé entre les
élites politiques et le peuple ; des phénomènes qui
drainent des transformations permanentes et en profondeur des
sociétés africaines contemporaines et des personnalités
individuelles.
Un essai de définition loin d'être parfait mais
qui ne doit cependant pas minorer l'idée qu'au-delà de ses
caractéristiques « objectives », l'africanité
est avant tout une affaire de perception et d'appréciation
personnelles, une notion à géométrie
variable qui, par les manoeuvres de l'Histoire , mute avec le temps, avec les
gens , avec l'espace et les mouvements migratoires des populations, les
réalités et conditions historiques propres à chacun selon
ses origines, ses trajectoires de vie et son projet migratoire
personnel170. L'africanité varie donc, c'est une
dynamique, une dialectique, un état en mouvement, qui enfle ou
désenfle selon les contextes.
Les subsahariens du Grand Lyon n'échappent pas à
cette observation. Les acteurs entendus au cours de l'enquête ayant
déploré le délitement de ce sentiment communautaire en
dénonçant le primat des intérêts particularistes des
uns et des autres sur l'intérêt général, le peu
d'ouverture de certains acteurs associatifs à la culture
démocratique de la société d'accueil, la tentation et la
personnalisation à outrance du pouvoir au sein de quelques organisations
, le manque de rigueur dans la gestion de la chose commune et plus encore les
disensus
ethno-politiques qui fragilisent le mieux vivre ensemble au
sein même de la communauté associative subsaharienne du Grand
Lyon.
Débattre de cette problématique (et notamment de
la substance que chaque rhodanien se reconnaissant dans une quelconque origine
subsaharienne veut bien donner à ce concept) est d'autant plus
essentielle qu'elle influe directement sur le vouloir-agir des acteurs, les
motivations, l'implication des uns et des autres dans le renforcement des liens
communautaires, au sein et en dehors des associations et la réalisation
des actions collectives de développement économique et social au
bénéfice de l'ensemble des migrants et des non-migrants.
Refermons cette section avec cette analyse ô combien pertinente du
journaliste et sociologue Ndongo Mbaye:
« Une première réalité s'impose
de manière flagrante : (l'africanité) est seule. Que
véhiculent les concepts (si tant est qu'ils existent ?)
d'européanité, d'américanité, d'asiaticité,
d'océanité ? Rien. Ou en tout cas rien de palpable tant dans une
dimension et une perspective historique, sociologique, économique que
culturelle et politique. Dès lors, l'africanité ne serait-elle
pas une sorte de monstre du Loch Ness, d'Arlésienne dont on parle, mais
que personne n'a jamais vu ? N'est-elle pas une simple commodité
lexicale dont la signification chercherait en vain son sens ? Et à
supposer même qu'elle existe, il faudrait poser les fondements de la
réalité de sa représentation et de son
autoreprésentation (...) Étant entendu que la vision de
l'Africain sur son `'Africanité» (supposée ou
présupposée) ne sera sûrement jamais la même que
celle dont on l'affuble, aussi riches et scintillants qu'en soient les
oripeaux. Que peut signifier `'africanité» pour les paysans de
l'Afrique profonde, pour les éleveurs des contreforts du Fouta-Djalon,
pour le commerçant dioula, pour le pêcheur Lebou ou pour le Dogon
? Parlez-lui de valeurs et de traditions africaines eu égard à
son ethnie, à sa tribu, à son aire de vie, à son cercle
d'us et coutumes : il vous comprendra mieux. »171
3.3. Les facteurs conjoncturels
? La faiblesse des ressources disponibles des
associations explique pour une grande part le primat
des logiques de subvention des activités
menées sur les logiques de prestation
Il s'en suit que les associations de migrants s'engagent peu
dans les champs où la concurrence pour l'accès aux subsides de
l'État est particulièrement rude. C'est le cas dans les secteurs
de l'intégration sociale et l'insertion par l'emploi, la langue et le
logement où les organisations des migrants subsahariens sont si peu
actives. La politique
170 C'est typiquement le cas des migrants âgés
tiraillés entre le désir du retour dans le pays d'origine et la
prolongation du séjour dans la société d'accueil.
171
Ndongo Mbaye, extrait de l'article « A la recherche de
l'Africanité » in l'Africanité en
questions, Revue Africultures, 2001.
132
d'intégration nationale est sous-traitée
principalement aux associations françaises d'intégration sans les
acteurs migrants eux-mêmes, en d'autres termes.
· La non-ouverture aux acteurs non migrants
(associations, entreprises, groupes, pouvoirs publics) et le cloisonnement
communautaire expliquent en partie ce peu de visibilité auprès
des acteurs majeurs de la question migratoire et
intégrative
C'est ce travail de décloisonnement que portent et
animent de plus en plus des collectifs associatifs transnationaux tels Africa
50, le COSIM, le Forim. Les collectifs nationaux des migrants subsahariens
restent pour autant encore très recroquevillés et pas toujours au
fait des dispositifs et moyens disponibles pour accompagner les leurs dans le
processus d'intégration économique et socio-professionnelle.
Au final, en raison de ces facteurs bloquants, les
Subsahariens du Grand Lyon, pourtant désireux d'unité et
d'action, peinent à construire un projet associatif global,
cohérent, intégré, fédérateur qui serait
suffisamment fort, légitime et visible pour susciter l'adhésion
du grand nombre, mobiliser l'ensemble des compétences, même
lointaines, engagées ou non dans la vie associative. Les raisons de la
démobilisation ici évoquées ne sont pas exhaustives. Tout
juste sont-elles les plus significatives au regard des discours exprimés
par nos interlocuteurs durant la série d'entretiens que nous avons
menés dans différentes communes de l'agglomération
lyonnaise. La situation est-elle pour autant sans issue ?
Nombreuses sont celles qui restent déterminées,
comme le Collectif Africa 50, Alpadef, le promoteur du Centre ACF, l'A2P
Nord-Sud-Sud, Miferval, Passerelle Ngam, l'ABRA ou encore l'ABL
portées par la conviction qu'une révolution peut se faire
avec une poignée d'hommes et de femmes de « bonne volonté
», dès lors qu'un premier pas est fait sur le chemin de ce que la
communauté associative africaine du Grand Lyon voudrait être dans
un monde culturellement complexe mais si riche d'occasions de rencontres et de
partage. C'est fort de cette conviction que nous aussi nous hasardons à
proposer quelques pistes d'actions, sans doute déjà
envisagées par les acteurs susmentionnés...ou pas.
4. Quelques Préconisations en faveur du
regroupement fécond des associations des migrants en collectifs
départementaux et en une fédération
régionale
Tout d'abord, un rappel des éléments justifiant
et légitimant le renforcement des démarches intégratives :
la fédération des groupes associatifs subsahariens du Grand Lyon,
la mutualisation de leurs forces et moyens, la mise en commun et en
cohérence de leurs actions dans le double champ du développement
et de l'intégration :
> Le contexte difficile d'accès aux subventions de
l'État en raison d'une forte baisse du financement des associations
enregistrée depuis les 5 dernières années, sous la
présidence Sarkozy notamment ;
> la forte réduction du nombre d'associations
partenaires de l'État dans le champ de l'intégration ;
> le développement des marchés publics et
des appels à projets qui a entraîné une augmentation du
niveau d'exigence des pouvoirs publics et bailleurs de fonds en matière
de professionnalisation des associations en plus de la qualité des
réponses exigées ;
> la concurrence rude auxquelles sont confrontées
les associations de migrants de petite taille et ne disposant que de
très peu de moyens ;
> la concentration des subventions publiques sur des
associations d'envergure et de modeste taille sélectionnées avant
tout sur la base de l'ancienneté du partenariat avec l'État, les
critères de qualité et de professionnalisme et qui disposent de
moyens rédactionnels, techniques, financières pour
répondre aux
133
appels d'offres, ceux qui leur assurent une certaine
visibilité, gage de légitimité pour obtenir un financement
;
? la fragilisation et la non-visibilité des
associations subsahariennes dans l'espace public qui résultent de leur
extrême atomisation, trop souvent tentées qu'elles sont par
l'isolement et l'exclusivité dans le portage du projet, démarches
de collecte de fonds au succès pourtant limité comme en
témoignent de nombreux responsables associatifs eux-mêmes ;
? la confusion régnant dans l'esprit des politiques,
administrations étatiques et l'opinion publique entre associations
communautaires et associations communautaristes ;
? l'absence criante des structures associatives issues des
migrants au sein des instances de concertation et d'élaboration des
politiques publiques d'intégration et d'insertion dans la région
Rhône-Alpes et dabs le département du Rhône ;
? la trop faible proportion des associations des migrants
ayant remporté un marché public dans le domaine de
l'intégration/insertion et ce qui en ferait des partenaires de
l'État...
Ce contexte peu favorable aux démarches individuelles
nous amène à penser à la suite de l'ensemble des acteurs
entendus durant cette enquête qu'une initiative fédérative
ferait reculer les obstacles. Pour ce faire, quelques actions préalables
nous apparaissent indispensables :
? OEuvrer à l'élaboration et la mise en
place d'une seule et unique fédération172 des
associations des migrants subsahariens, démocratique, disposant
d'une assise départementale et régionale forte. Cette
fédération s'appuierait sur une démarche doublement
revendicative et partenariale avec les institutions ad hoc de l'État.
Régionale, elle serait donc représentative de collectifs
associatifs issus des 8 départements de Rhône-Alpes (un par
département), disposant des compétences étendues puisque
s'appuyant sur un réseau d'associations de migrants et non-migrants
spécialisés dans des champs spécifiques (ingénierie
de la formation, gestion de projets de développement,
création/reprise d'entreprise, soutien scolaire des jeunes, insertion
par l'emploi, le logement, accompagnement des migrants âgés, des
femmes...), bref porteuse d'un projet associatif global régional
structuré autour de deux axes principaux :
?? l'intégration et l'insertion
multidimensionnelle des migrants dans la région en relation avec les
objectifs du PRIPI Rhône-Alpes d'une part,
?? l'aide et le développement solidaire avec les
pays d'origine d'autre part.
Construire une fédération de collectifs
associatifs départementaux suppose en même temps une structuration
au niveau local des organisations fédérées. Il serait
souhaitable quelle que soit la configuration organisationnelle qu'elles
conservent une part d'autonomie et une personnalité propre. Il s'agit de
faire émerger Un et un seul collectif d'associations de
migrants subsahariens par département, clairement
identifié, aussi bien par les
172
Extrait de l'ouvrage collectif Diasporas Scientifiques
(sous la direction de Jean-Baptiste Meyer), IRD, 2003, p.62 :
« Le modèle de la
fédération d'organisations locales,
observé dans plusieurs cas, améliore la capacité de
négociation avec le pays d'origine et d'accueil. L'émergence
actuelle des fédérations d'organisations de migrants offre aux
DST la possibilité de s'associer à d'autres pour le
développement de projets (...) Cette
modalité organisationnelle en fédération représente
en effet un atout incontestable pour Les diasporas car elle permet de
gérer une masse critique relativement importante d'expatriés et
une pluralité de spécialisations professionnelles et de registres
d'investissement(...)Ces fédérations ont pour vocation de doter
Les associations de capacités d'action pour mener des projets de
développement dans les pays d'origine. Voici Les objectifs de ce
regroupement : la mutualisation des compétences et le partage de
ressources techniques, le développement de la formation
des membres et la professionnalisation de leurs actions, la
capacité de négociation avec les institutions d'État (pays
d'origine et d'accueil) et l'accès au financement de
projets et à des fonds de coopération. Les
fédérations, disposant de plus de ressources, d'infrastructure,
de relations sociales, peuvent parfois embaucher du personnel administratif,
permettant aux membres des associations de se concentrer sur les
activités de coopération et de développement du pays
d'origine et sur la création des liens entre ce dernier et le pays
d'accueil.».
134
immigrés porteurs de projets que par les partenaires
privés et institutionnels. Les collectifs départementaux
pourraient ainsi bénéficier de l'appui de la
fédération régionale ainsi constituée, laquelle
pourrait à son tour intégrer une confédération
nationale des fédérations régionales des migrants, sur le
modèle des réseaux des AGEFIPH (Association de gestion du
Fonds pour l'Insertion professionnelle des personnes
handicapées)173 ou du CRAJEP
déjà cité. L'enjeu ici étant de :
> Contribuer au développement économique et
social des immigrés à l'échelle de la région tout
en s'ancrant avec cohérence dans les initiatives de l'État qui
vont dans le même sens ;
> Faciliter l'identification des organisations
associatives des migrants par les pouvoirs publics et les partenaires
privés multiples afin de consulter celles-ci dans le cadre de
l'élaboration des politiques publiques en rapport avec
l'intégration et l'insertion des immigrés (primo-arrivants,
femmes, migrants âgés, descendants d'immigrés...) ;
> Porter un projet cohérent, collectif, lisible,
des revendications et recommandations discutées et approuvées par
les migrants, et la mise en oeuvre par ceux-ci des actions de
développement social en faveur des immigrés en butte aux
difficultés d'insertion sociale et professionnelle ;
> Échanger des informations permettant d'optimiser
et reproduire les bonnes pratiques, tirer profit des expériences des uns
et des autres ;
> Aider à formaliser les réseaux informels
préexistants ;
> Asseoir et renforcer la légitimité des
organisations associatives des migrants en tant que partenaires viables,
capables d'initiatives, de production de solutions, de co-construction ou
co-gestion avec l'État et les partenaires tiers des actions
d'accompagnement et d'insertion des publics en difficulté.
· S'appuyer pour ce faire sur un socle
fédérateur particulier, une cause spécifique commune pour
laquelle une mobilisation est identifiée par tous comme souhaitable et
pertinente, une cause qui pourrait inciter les Africains de France, toutes
origines confondues, à construire une diaspora forte, visible et
entreprenante au sens où le sont diasporas chinoise et indienne.
Promouvoir et renforcer l'esprit et l'identité panafricaine qui puisse
irriguer les pratiques et les attitudes et inspirer des initiatives
transnationales sur le continent africain ;
· Consolider les liens de confiance entre les
migrants récents, anciens et les différents réseaux
sociaux, formels et informels, que leur ouvrirait la
fédération pour faciliter ou fluidifier le processus de
l'intégration sociale, économique et professionnelle. Et donner
enfin sens à la formule « Force du réseau » et
l'appliquer légitimement aux subsahariens du Grand Lyon ;
· Faire reculer la logique de subvention au
profit de la logique des prestations en concevant et développant des
services divers (inspirés de la demande sociale ambiante) en direction
des publics migrants en difficulté et répondant, entre autres
besoins, aux impératifs des politiques publiques d'insertion et
d'intégration ; la participation à ces politiques se
concrétisant via la formalisation des offres et des candidatures aux
appels à projets, appels d'offres et les subventionnements directs des
structures administratives nationales et européennes en charge du suivi
et du financement de ces actions:
o Offre de formation multi-champs :
linguistique, civique, professionnelle, et développement de
compétences individuelles, pour les membres du réseau manifestant
ce besoin, et en direction
173 L'AGFIPH est une association nationale
agréée par le ministère du travail, de l'emploi et la
formation professionnelle qui oeuvre pour l'insertion ou le maintien de la
personne handicapée dans l'emploi, la formation et l'octroi à ce
public des aides spécifiques. Elle compte 20
délégations régionales. Elle est composée
d'un conseil d'administration qui fixe les orientations,
définissent la stratégie et les axes d'intervention, un
comité de direction qui organise, met en oeuvre et
évalue la politique de l'Agefiph, et enfin 4 commissions
dont les travaux alimentent les débats et inspirent les
axes d'actions et les irriguent les pratiques : commission financière,
commission politique d'intervention, commission Études des conventions
nationales, commission Études et Évaluation et Communication.
Elle compte de nombreux partenaires institutionnels et des opérateurs
d'accompagnement et d'appui sur le terrain (réseau Cap Emploi,
organismes d'accompagnement spécifique, chargés de mission
information et sensibilisation...)
135
des acteurs hors réseau, dans ou hors du cadre du CAI
(Contrat d'Accueil et d'Intégration) : primo-arrivants, femmes, jeunes,
personnes handicapées, etc.
o Aides à la recherche d'emploi, accompagnement
personnalisé à l'insertion socio-économique :
par la promotion et le soutien des migrants pour la
création des entreprises d'insertion par l'activité
économique (EIA) dans les quartiers prioritaires de la politique de la
ville ; la sensibilisation et l'incitation des migrants anciens et
primo-arrivants aux initiatives (auto)entrepreneuriales ; le soutien
logistique, relationnel et financier aux projets d'investissement des migrants
dans l'agglomération lyonnaise; en s'appuyant de même sur les
dispositifs publics de soutien à la création d'entreprise telles
que les exonérations fiscales substantielles octroyées aux
opérateurs économiques implantées dans les zones franches
urbaines et les zones urbaines sensibles (pour rappel, 27 ZUS dans le Grand
Lyon).
? Bâtir de véritables alliances
stratégiques dans l'optique d'une collaboration féconde et le
partage d'expériences avec les coordinations régionales et
nationales d'associations des migrants, des fédérations et
mouvements associatifs nationaux spécialisés dans les champs de
l'insertion par l'emploi (CRAJEP), le logement (ADOMA), la santé
(URACA), de l'éducation populaire, de l'intégration (AEFTI,
ASSFAM...) et le développement solidaire (RESACOOP, CADR...)
;
? Encourager les associations de migrants à se
constituer en une série de petits réseaux basés non
seulement sur des liens géographiques mais aussi sur des
éléments d'identification tels que :
- le sexe : réseau
des femmes. Nous verrions à ce sujet un réseau composé de
toutes les associations
féminines de migrantes du Grand Lyon avec à sa
tête des organisations d'experts tels ALPADEF, MIFERVAL et autres ;
- la génération :
réseau des jeunes migrants impliqués dans les actions
d'insertion, d'intégration et de développement comme il en
existe par centaine dans la seule communauté malienne de la
région parisienne ;
- la profession : associations
professionnelles, groupes d'experts, groupement de défense des
intérêts des chefs d'entreprise d'origine immigrée par
exemple ;
- la culture : de manière
à réaffirmer une identité et construire des passerelles
qui permettent une ouverture pleine et entière à d'autres
cultures dont celle du pays d'accueil ;
- la combinaison de l'ensemble de ces
éléments d'identification ;
? Inciter tout particulièrement à la
constitution des réseaux professionnels des migrants (avocats,
enseignants, chercheurs, médecins, aides-soignantes, chefs d'entreprise,
auto-entrepreneurs, techniciens, etc.) afin d'assurer collectivement la
visibilité de leurs expertises respectives auprès des publics
migrants pour des actions d'accompagnement, de formation formelle ou non
formelle, et auprès des institutionnels pour des actions
ponctuelles.
? Encourager les petites associations de migrants
à solliciter et intégrer des réseaux d'acteurs associatifs
y compris dans d'autres communautés ethno-régionalistes et dans
d'autres départements et régions de France de manière
à enrichir leur capital social et leur capital informationnel. L'enjeu
étant de se doter d'un avantage concurrentiel sur un champ, celui de la
course aux financements, où les organisations se livrent une concurrence
féroce.
? Dans l'optique de répondre aux appels
d'offres et appels à projets départementaux (et régionaux
à plus long terme) dans le cadre du PRIPI Rhône-Alpes, du PDI
Rhône ou de la politique de la ville du Grand Lyon, il convient pour les
associations et réseaux associatifs de migrants, qui disposent de
manière éparse de compétences déjà
exercées d'Investir, par le biais à travers des offres de
services à destination des publics migrants de toutes origines, les
champs d'intervention suivants:
- veille stratégique des marchés
publics/réponse Appels d'offres/projets...
Pôle ingénierie de conduite des projets
- diagnostic, étude de
faisabilité, demande de financements, suivi
- évaluation des projets,
rapports...
Pôle Intégration Accueil,
orientation, 1res infos pertinentes et officielles pour démarches
administratives et insertion professionnelle et économique des
primo-arrivants (CAI, formation civique, linguistique).
sociolinguistique ;
-Soutien scolaire, remise à niveau (jeunes et parents en
difficulté scolaire)
Valorisation des acquis de
l'expérience associative, dév. des
compétences internes
Pôle Formation (transversale) -
ingénierie de
la formation professionnelle et
Pôle Étude-recherche pour l'action et
Commissions des travaux Réalisation études et
enquêtes, élaboration de guides théoriques et
méthodo, collecte et mise à disposition, ressources
documentaires, lien avec universités
(association de loi 1901) -Management, encadrement, - signature
des conventions avec les institutions
locales/régionales...
-Orientations et stratégies globales, planification...
Pôle
Accompagnement des femmes
-Insertion par l'emploi, l'économique, l'art, la
santé, les pratiques interculturelles et -le soutien à la
parentalité. Formation, sensibilisation.
associations des migrants
départementale des
Coordination
Pôle informatique, événementiel et
communication
visibilité du collectif sur le web (réseaux
sociaux, référencement), organisation, conférences,
recruter
bénévoles, relations médias.
Levée de fonds...
Pôle Insertion -inventaire des dispositifs
publics et acteurs clés -suivi des jeunes et migrants âgés
en quête d'emploi - accès au Logement, Santé, culture,
lutte contre discriminations, délinquance, Entrepreneuriat dans les
quartiers prioritaires...
des alliances stratégiques,
cartographie des compétences et acteurs, susciter la mise
en réseaux, émergence des réseaux
professionnels des migrants...
Pôle Partenariats Prospection et
constitution
136
Figure 5 (précédente) :
Représentation d'un modèle de structuration d'un réseau
sur la base des compétences spécialisées des associations
membres174.
174
Les associations membres du collectif ou du réseau
interviennent dans chaque pôle selon son expertise. Exemple : Pour ce qui
est de l'accompagnement des femmes migrantes du Grand Lyon, dans la
configuration idéale de notre collectif départemental,
l'association ALPADEF (et les réseaux féminins dont elle est
membre) et le Centre ACF interviendraient conjointement dans le Pôle
« insertion des femmes par l'économique » via le soutien
à l'entrepreneuriat , FEDAM pour l'insertion par l'expression
artistique, MIFERVAL et A2P pour le soutien à la parentalité et
la médiation sociale et familiale, AIPES pour la santé des
femmes, etc.
137
Figure 6 : Deux modèles de réseaux
structurés .Extraits du support de cours de Rémi Bachelet
(Centrale Lille) sur les réseaux sociaux.
138
- l'apprentissage des valeurs de la
République et de la citoyenneté (une
priorité d'intervention du PRIPI
Rhône-Alpes)175,
- la médiation familiale et le soutien
à la parentalité176
;
- la médiation sociale et
inter-trans-culturelle afin de faciliter la dimension
culturelle et citoyenne de l'intégration177de même que
la mise en réseau des associations de migrants, au-delà de leurs
différences ethnolinguistiques ;
- le soutien scolaire178des descendants
des migrants de la 3e génération et des migrants
mineurs récemment arrivés en France ; ces
deux derniers axes étant d'ailleurs le point de rencontre et de
complémentarité (axes d'intervention, objectifs,
sources de financements) des politiques publiques de l'intégration et
de la ville dans le Grand Lyon.
Autres champs d'intervention qui nous paraissent à la
portée des compétences individuelles et collectives des
associations de migrants subsahariens rencontrées au cours de notre
enquête et ayant développé à titre individuel ou
collectif une expertise particulière :
- les actions de formation des associations
membres et non membres des réseaux de migrants : structuration,
gestion, communication, collecte de fonds, ressources humaines,
responsabilité juridique et sociale, création , ouverture et
animation des réseaux associatifs, cartographie des acteurs essentiels
pour les associations des migrants engagés dans les actions d'insertion,
d'intégration, de solidarité communautaire ou de
développement solidaire... ;
- l'interprétariat social et linguistique
;
- la réalisation d'études scientifiques de
terrain : recherche-action, diagnostics, impact et
d'évaluation de la politique locale d'intégration
ou d'insertion menée...
- la conduite d'actions d'appui méthodologique
à travers la diffusion des bonnes pratiques et
la réalisation des guides.
- Aide administrative, morale, matérielle aux
étudiants venant des pays d'origine pour les universités de la
région (ce que fait l'ABL avec un certain succès)
? OEuvrer à construire au sein de la
fédération une spécialisation sur le champ de la
constitution et l'animation des réseaux (activité susceptible de
bénéficier des financements du Fonds Européen
d'Intégration) ; et procéder à l'organisation
d'événements ponctuels de mise en réseau des migrants
réunis en associations en multipliant des opportunités
d'échanges à moyen et long terme ;
? Établissement d'une plate-forme de
communication et d'information interactive qui permette la discussion sur de
multiples thèmes, comprendre ce qui fonctionne bien et pourquoi,
l'auto-évaluation collective des actions engagées, le partage sur
les retours d'expériences autour de projets portés par
les
175 Cet axe d'intervention consiste en la mise en place des
actions de formation visant une meilleure connaissance des institutions, des
lois et des valeurs de la République et des usages qui permettent de
savoir vivre ensemble au sein de la société française. Il
correspond par ailleurs à l'axe 2 de l'appel à projet DAIC 2012 :
« connaissance et promotion des valeurs de la société
d'accueil ».
176
De l'avis même du HCI dans son rapport 2011, les
associations actives dans le champ de la médiation familiale et le
soutien à la parentalité,
« reçoivent à ce titre près de 8
millions d'euros de subventions annuelles dans le cadre d'appels à
projet nationaux ou déconcentrés dans le cadre du programme 106
`'actions en faveur des familles vulnérables». Sur ces
financements, un tiers est déployé vers les zones prioritaires de
la politique de la ville ». Ce champ d'intervention de la politique
nationale d'intégration apparait largement à la portée des
associations si on en juge par leurs actions massives, essentielles et
reconnues par les pouvoirs publics. Les publics migrants constituent plus de la
moitié de la population résidant dans les quartiers prioritaires
de la ville, d'où toute l'importance d'investir ce champ pour les
associations de migrants subsahariens dans le Rhône, pour autant qu'elles
puissent être porteuses d'une offre de services forte, cohérente
et s'appuyant sur un réseau de compétences identifié et
solidaire.
177
Un domaine d'action investi principalement mais isolément
sur l'interculturalité par deux associations de notre échantillon
: Miferval et
A2P-Nord-Sud-Sud, toutes deux membres du collectif
Africa 50.
178
Les actions de soutien scolaire s'ancrent en effet dans deux
politiques publiques différentes mais complémentaires : d'un
côté, les projets de réussite éducative de la
politique de la ville pilotés par l'ACSE et pour lesquels il a
reçu en 2010 95 millions d'euros de budget. D'un autre
côté, le PRIPI prévoit également ce type d'actions
dans son volet territorial, en direction des enfants d'immigrés
spécifiquement. Ces actions sont financées, quoique marginalement
à hauteur de quelques centaines de milliers d'euros, par le programme
budgétaire 104.
139
migrants ici et là-bas, la diffusion des bonnes
pratiques, l'expression des besoins et la mise en exergue des expertises
mutuelles des migrants afin d'y répondre : le « Networking
».
Cela passe entre autres médias par :
- l'élaboration d'un portail internet interactif
concentrant et diffusant toutes informations pertinentes,
officielles et utiles (actualités sociales, politiques,
administratives et culturelles liées aux questions
d'intégration/insertion en direction des migrants) facilitant le
processus d'accueil et l'accompagnement à l'intégration et
l'insertion des migrants récemment ou anciennement installés ;
l'alimentation et la maintenance régulières de cet espace virtuel
;
- La création de supports matériels de liaison
d'échanges du type lettre de réseau179
;
? La création d'une Maison des subsahariens
du Grand Lyon (par une acquisition ou location immobilière) qui
servirait d'espace fédérateur des initiatives associatives, des
rencontres et contacts en face à face, des échanges
d'informations entre experts qualifiés, migrants semi ou non
qualifiés, professionnels, étudiants, acteurs institutionnels
dans la région Rhône-Alpes.
? L'initiation et la participation aux
forums-débats, y compris via les forums de discussion sur internet, sur
les questions ayant trait à l'intégration sociale, culturelle,
économique et citoyenne des migrants, occasion de formuler et porter des
requêtes auprès des acteurs institutionnels ;
? Participation au développement social et
économique local des rhodaniens d'origine immigrée et les non
migrants à travers :
- Les activités visant au renforcement de
l'employabilité des migrants au travers de la création des
structures de formation et d'accompagnement vers le retour
à l'emploi, la création des entreprises d'insertion par
l'activité économique et l'emploi ;
- Les activités de soutien ou d'accompagnement
à l'aide à l'intégration des nouveaux arrivants dans le
pays d'accueil ;
- Les activités de représentation des
immigrés vis-à-vis des autorités du pays d'accueil et des
pays de départ.
? Activités régulières, culturelles,
civiques, de création des liens entre les migrants récents et les
anciens
(à l'image de ce que fait l'ABL) et entre les
migrants et les non-migrants à travers une participation à la
« Semaine de l'Intégration » que prévoit le
document-cadre du PRIPI Rhône-Alpes pour distinguer des migrants qui se
seraient illustrés par un parcours d'intégration
réussi.
? Créer les conditions de mise en place d' un
fonds d'investissement productif pour financer les projets
d'intégration/insertion des publics migrants de France et les projets de
développement des pays d'origine, à l'instar de ce qu'envisage de
créer le réseau de migrants sénégalais de haut
niveau, né il y a peu : le réseau DiaspoSen.
La mise en oeuvre de ces actions implique tout d'abord la
volonté d'agir, d'agir ensemble et d'agir dans ce sens,
l'intérêt d'agir et surtout la mobilisation des
acteurs-clés, migrants et non-migrants, dotés des
compétences adéquates. Quel est l'état de la question en
ce qui concerne la communauté associative subsaharienne du Grand Lyon ?
Quelles pratiques y ont cours en termes de recrutement des compétences
et leur valorisation ? Les réponses à ces questions font l'objet
du prochain chapitre.
179
Il serait intéressant à ce sujet de consulter le
Portail web d'une association professionnelle initiée par des migrants
en région parisienne : l'URACA (Union de Réflexion et
d'Action des Communautés Africaines), fondé par
l'ethnopsychiatre Moussa Maman et ayant pour objectif la prévention
sanitaire et sociale globale associée à la défense des
cultures africaines. http://www.uraca.org/
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