Section 1 : Les migrants subsahariens du Grand Lyon et
la question de l'inclusion sociale
1. Insertion sociale « formelle » dans le
Grand Lyon : Modalités, champs, discours, raisonnements,
pratiques
Les associations de notre échantillon et celles
figurant sur le répertoire des associations du Rhône pratiquant
l'insertion privilégient 3 approches fondamentales :
?? l'insertion par les valeurs :
prévention et lutte contre les discriminations dans l'espace public
(école, administration, services publics) et privé (entreprises),
promotion de l'interculturalité/transculturalité et soutien
à la parentalité. Les descendants d'immigrés sont ici
particulièrement concernés.
?? L'insertion par l'économique :
soutien à la création d'activités
génératrices de revenus au vu de l'autonomisation
économique des migrants et migrantes, formation à la gestion et
au suivi. Les femmes en sont le public prioritaire.
?? L'insertion par la pratique de l'art et
l'artisanat : arts plastiques, artisanat, sculpture, poterie,
broderie...très orientée vers les femmes également
Autrement dit, les associations de migrants sont peu
présentes dans les champs de l'accompagnement à la recherche de
logement et amélioration du cadre de vie des personnes précaires,
l'accompagnement à l'insertion professionnelle et les questions de
santé et la formation linguistique par exemple à visée
professionnelle pour ceux des migrants ayant des difficultés
particulières de langue. Avant d'en arriver aux causes, analysons dans e
détails les activités des organisations sus-citées.
89
1.1. Organisations pratiquant l'insertion sociale et
l'intégration nationale par les valeurs culturelles Elles sont
au nombre de deux dans notre échantillon de départ :
o A2P Nord - Sud-Sud : Actions
Perspectives-Prospectives Nord-Sud-Sud est l'association par excellence
qui porte la question de l'intégration par la culture et notamment
l'interculturalité et la transculturalité au coeur des
réflexions progressivement agissantes au sein de la communauté
africaine du Grand Lyon. Avec à sa tête un président
arrivé et installé depuis 1972, cette association est membre de
collectifs associatifs tels Africa 50 au sein desquels elle anime des ateliers
et porte des débats sur cette problématique. Elle se positionne
comme un passeur ou médiateur de cultures et mène en ce sens des
activités de promotion de l'interculturel, de l'Universel et des vertus
des particularités ethniques. De l'aveu de son président, cette
démarche est :
(( La voie d'une meilleure connaissance de sa propre
culture, de son histoire, de ses cultures, l'histoire des relations
Afrique-Europe aussi. Pour dire que si nous sommes ici, c'est aussi à
cause de l `histoire, de cette histoire-là. Si nous sommes là
c'est nous sommes acteurs aussi de ce territoire français et que nous
faisons partie de la communauté nationale et que l'identité
française est riche des identités multiples et l'identité
africaine entre autres. L'objectif c'est que nous soyons pleinement fiers de ce
que nous sommes. Et pas seulement fiers d'une partie de nous-mêmes.
Être fiers, nous reconnaître tels que nous sommes, la
complexité de ce que nous sommes aujourd'hui. Nous sommes africains,
mais nous sommes africains européens. Et c'est là que
j'apprécie de nouveaux concepts tels que l'a forgé
Léonora Miano, nous sommes des « Afropéens
», pour dire qu'il est important que nous sachions nous poser pleinement
dans toute notre complexité ; Et c'est important aussi que nous sachions
résister à des assignations à résidence, à
des simplifications, à des réductions de la part d'autres, selon
les moments, selon ce qui les arrange , nous disant que nous sommes «
irréductiblement africains », ou à d'autres moments
:»nous avons cessé d'être Africains, nous nous sommes
complètement assimilés `'. Non ! Nous sommes tous là et
nous n'avons pas à nier une part de nous. Il y a là aussi toute
une dimension du savoir-être, du savoir-vivre(...) les cultures
africaines, l'histoire africaine ont des choses à nous dire
».
Cette dialectique interculturelle implique la connaissance de
soi, de ses propres culture, personnalité et société, y
compris dans la relation des Européens au monde africain dans le cadre
des actions de solidarité internationale ou de développement ; et
surtout dans la relation entre Africains eux-mêmes. Et de ce point de
vue, nombre de griefs ont été exprimés vis-à-vis de
la communauté africaine du Grand Lyon dont la quasi-totalité des
associations de notre échantillon qui sont en lien direct avec les
migrants subsahariens.
A2P fait donc aussi de la lutte contre les
préjugés et stéréotypes qui font le lit des
discriminations, du racisme, de la xénophobie, du repli identitaire, de
la fermeture de soi à l'autre un de ses chevaux de bataille :
(( Les préjugés, les
stéréotypes, ce n'est pas seulement celui qui vient de loin,
entre hommes et femmes, entre voisins, entre nous. Nous parlions d'histoire. Il
y a un véritable impact de l'histoire de la colonisation sur nous qui
fait qu'il y a des personnes qui ont tendance à ne pas reconnaitre
à leur juste valeur les africains qui ont fait les mêmes
études. Cela tient des a priori que nous entretenons tous. L'un
des domaines d'intervention d'A2P c'est de travailler précisément
sur les représentations, les stéréotypes, en
commençant par faire émerger à la conscience ces
stéréotypes et puis après de travailler à les
déconstruire et à s'engager dans un processus de connaissances ;
Car ce qui explique ces préjugés c'est l'ignorance en fait. Et
lorsqu'on consent à s'engager dans une relation à l'autre tel
qu'il est et non pas tel qu'on voudrait qu'il soit, à ce
moment-là, on peut gagner le combat de l'enrichissement des imaginaires
et donc de la transculturalité, parce qu'on est capable d'aller
au-delà des préjugés que l'on a vis-à-vis des
autres. »
Et c'est fort de cette conviction et s'appuyant sur ce
paradigme de la rencontre nécessaire de » l'un et de l'autre»
en terre de France et en terre africaine qu'A2P anime des ateliers, des
conférences, des formations sur cette problématique au sein des
structures de volontariat international dans le Rhône (notamment au
Service de Coopération et de Développement où a longtemps
officié son président), par exemple, afin de préparer les
volontaires à la rencontre avec cette altérité
africaine.
L'organisation s'est associée à deux ONG
allemande et italienne afin de conduire, dans son versant
français et lyonnais, un projet intitulé
« Cross Community School» (auquel participe également
la
90
structure qui nous accueille en stage, le Centre A.C.F.),
consistant à recueillir les opinions des élèves,
étudiants et enseignants afin d'évaluer l'ampleur du
phénomène des discriminations en milieu scolaire, les
modalités des actions de prévention, puis à faire en ce
sens des recommandations spécifiques.
A2P porte ce projet au sein d'AFRICA 50 sous la houlette de
laquelle elle mène ces activités, lequel projet
bénéficie du label du collectif123. Ce qui nous permet
de dire qu'au travers d'A2P, c'est AFRICA 50 qui porte ce projet en tant que
faire-valoir du projet, au niveau local du moins.
o MIFERVAL : le Mouvement
International des Femmes pour la Réhabilitation des Valeurs est un
groupe de femmes issues de cultures différentes, mues par des objectifs
communs qui se déclinent comme suit :
- la réhabilitation des valeurs humaines et le
développement des échanges interculturels.
- La lutte pour le maintien de la place des parents dans la
cellule familiale, leur responsabilité dans
l'éducation des enfants ; le soutien à la
parentalité dans une société égalitariste où
le droit d'aînesse peut être mis à mal du fait de
l'affirmation des droits de l'enfant, l'ouverture de l'école aux parents
(un des axes du PRIPI d'ailleurs) afin de les aider à gérer au
mieux la scolarité de leurs enfants, rempart contre l'échec
scolaire qui frappe majoritairement les enfants d'immigrés au niveau de
l'enseignement primaire et secondaire.
- La sensibilisation des jeunes face aux violences et
facteurs de déviance.
- L'encouragement des jeunes à la (re)
découverte de la richesse des cultures d'origine et la culture
d'accueil,
tout en développant la solidarité entre les
peuples sans distinction de race, ni de religion.
En gros, MIFERVAL, née en 2008 et
présidée par une femme, ancien fonctionnaire international
d'origine mauritanienne, porte un discours quelque peu semblable à celui
d'A2P et milite pour la rencontre des cultures, l'éducation à la
diversité, la réhabilitation des valeurs culturelles des groupes
d'origine et leurs transmissions aux jeunes descendants d'immigrés
souvent en déshérence culturelle.
Ces démarches participent d'une stratégie
identitaire d'insertion, mais qui se pose en s'opposant à la tentation
du communautarisme, puisqu'elle promeut l'ouverture à l'autre et la
connaissance approfondie par les migrants, jeunes et adultes, femmes, enfants,
primo-arrivants, de la société d'accueil tout en
développant la solidarité entre les peuples sans distinction de
race ni de religion.
1.2. L'Insertion sociale par les pratiques artistiques
et l'artisanat
o FEDAM (Femmes, Éducation,
Développement artistique, Médiation) : De
création très récente mais affichant déjà de
grandes ambitions par l'originalité de sa démarche, le
FEDAM développe une démarche d'accompagnement
à l'émancipation socioculturelle et psychologique des femmes par
la pratique de l'art comme mode de (re)construction de soi, de
réappropriation de son identité, de réinsertion accomplie
dans la société quoique fortement marquée par la
domination sociologique et politique des hommes.
Aspirant à développer une assise territoriale tant
en France qu'en Haïti, au Bénin et partout ailleurs, le FEDAM a
pour objectifs :
o Le soutien international à l'Enseignement des Arts
aux Femmes dans le Monde ;
123
La labellisation d'un projet analysé et
intégré dans le programme annuel d'Africa 50 est essentielle pour
les associations membres du collectif dont les projets peuvent
bénéficier d'un appui technique et d'un financement à
condition que ceux-ci rentrent dans les critères définis par le
bailleur. Principal bailleur sollicité d'ailleurs par ce collectif : La
communauté urbaine de Lyon qui aurait, selon un des coordonnateurs du
collectif, identifié celui-ci comme partenaire technique pour ce qui
concerne les projets portant sur les questions d'insertion/intégration
et d'intérêt général dans le Rhône. Le
principe de la labellisation est le même que celui en vigueur au sein du
FORIM qui dispose d'un dispositif interne de financement des projets
jusqu'à un certain seuil, 75% notamment du coût total du projet
présenté. Ce dispositif est dénommé le PRA-OSIM
(Programme d'Appui aux projets des Organisations de Solidarité
Internationale issues de l'Immigration).
o
91
La création de centres d'éducation ou de
formation des pratiques artistiques et culturelles et la Promotion de
l'Éducation Culturelle et Artistique auprès de Femmes ;
o Favoriser la diversité culturelle par
l'échange de pratiques, d'expériences ou de savoir-faire
;
o L'appui des initiatives culturelles des femmes artistes
issues de milieux marginalisés ;
o L'encouragement de toutes les formes de publication et de
diffusion mettant en valeur les talents et la créativité des
femmes.
Entre autres activités à mener : la
Création d'ateliers et de centres de formation d'expression artistique
et culturelle puis la Création et l'animation d'événements
artistiques et culturels.
La démarche (artistique donc) de FEDAM fait appel au
concept du genre, mais se veut avant tout une association féminine qui
s'interdit toute inféodation à l'idéologie
féministe.
Au-delà de la pratique de l'insertion sociale des
migrants et non migrants aussi par les valeurs culturelles, une association,
féminine elle aussi, a fait le pari de l'intégration des femmes
en privilégiant l'approche économique et entrepreneuriale plus
spécifiquement.
1.3. Insertion sociale des femmes dans le Grand Lyon :
Une approche par l'économique
o ALPADEF -Sénégal et
International : L'Alliance Panafricaine pour le
Développement de l'Entrepreneuriat Féminin , association
réunissant des femmes majoritairement d'origine immigrée, y
compris sa Présidente124, a développé une
expertise en matière de formations-action et d'accompagnement des femmes
sénégalaises souvent sans emploi et sans qualifications
particulières puis plus globalement d'Afrique de l'Ouest dans le montage
et la prise en main de leurs projets de création d'activités
génératrices de revenus. L'association, investie depuis 3 ans
dans le double espace culturel Afrique-France, a mobilisé pour cela un
parterre de compétences de haute facture où se recrutent chefs
d'entreprises, professeurs, journalistes, informaticiens, experts en
ingénierie du développement local, étudiants
d'écoles de commerce et de communication.
o ALPADEF-France, son versant français, porte
les mêmes objectifs que ceux précédemment cités mais
en direction cette fois des femmes immigrées avec ou sans emplois.
Née au Sénégal en 2008, l'association, en
discutant avec les femmes, est partie du constat que :
- les femmes avaient besoin de formation au montage et la
gestion d'activités génératrice de revenus afin
de sortir de la logique de micro-crédit qui, de l'avis de
la présidente de l'association :
«... Ne va pas trop loin et, de plus, crée
une sorte de marginalisation des femmes et renforce un préjugé
selon lequel, en Afrique, la Finance c'est pour les hommes et la microfinance
pour les femmes...Au Sénégal par exemple, les chambres de
commerce sont plus souvent fréquentées par les hommes que par les
femmes. Parce que derrière, il y a un relai qui est celui des banques et
dont l'accès est particulièrement difficile pour les femmes. Ce
d'autant qu'en certains endroits du continent africain, les femmes ne peuvent
ouvrir par exemple un compte bancaire sans l'accord du mari, de l'oncle, etc.
Une situation socio-économique qui est en train de changer heureusement
».
- ce constat s'est accompagné d'une lecture
socio-anthropologique sur la condition et l'attitude de certaines
femmes migrantes en France, moins entreprenantes au
demeurant. La présidente d'ALPADEF s'en explique en ces termes :
124
Universitaire en école de commerce et gestion,
universités lyonnaises et corrélativement consultante
internationale pour les
entreprises sur la diversité et le développement
durable.
92
(( La femme en Afrique est active, actrice. Et
malgré la vision occidentale de la femme battue, soumise et autre, moi
je vois que là-bas ce sont elles qui gèrent tout. Avec des formes
culturelles différentes. Ici en France, en revanche, les femmes
deviennent invisibles. Elles perdent totalement cette force. Quand elles
viennent ici, très souvent c'est pour accompagner ou rejoindre leurs
maris. Et quand elles sont ici, elles n'ont plus la force ou l'autonomie et je
pense aussi à leur identité féminine africaine. Il y a une
sorte de déperdition ici. Elles restent à l'ombre des hommes, en
exerçant de petites activités de commerce ...il y a à mon
avis une sorte d'appauvrissement du potentiel de la femme africaine dès
qu'elle arrive ici ; je pense qu'elle souffre encore plus du
déracinement que l'homme. Ici, si la femme n'est pas
`'éduquée», n'est pas cultivée, ne parle pas bien le
français, alors qu'est ce qui lui reste à faire ? Vendre des
boubous à la maison ! »
Il s'est donc agi pour l'association de créer des
formations-actions dans les secteurs d'activités identifiés par
les femmes : restauration, textile, services, agriculture (transformation des
produits agricoles), d'organiser des conférences sur le thème des
femmes migrantes et la création d'entreprise, où d'assister aux
rencontres des réseaux professionnels des femmes, toutes origines
confondues.
Néanmoins, au-delà du traditionnel
problème de l'accès aux subventions, l'association se heurte
aussi aux réticences des personnes cibles, ce qui pose un
problème de mise en place et d'animation des dispositifs prévus
pour l'accompagnement de celles-ci. La direction d'ALPADEF apporte à ce
sujet quelques éclairages :
(( Le problème du coup c'est qu'il faut faire du
porte-à-porte. Pour arriver à dénicher les femmes et les
faire venir à nos formations, il fallait faire du porte-à-porte,
parce que les femmes spontanément ne viennent pas. Mais vu qu'il faut
des financements pour faire ça, nous nous sommes limitées
à l'objectif d'accompagner 6 à 7 femmes porteuses de projet de
création d'entreprise par an. Mais il y en a une qui a
déjà laissé tomber, c'est donc vous dire...
»125
Cela étant, ALPADEF, particulièrement sensible
à la construction des consortiums, s'appuie stratégiquement sur
un large réseau d'associations professionnelles et de promotion
économique des femmes dans le Grand Lyon et au niveau national, parmi
lesquelles : Résolink, Action'elles, Supplément
dames, les Marianne de la République, etc. L'association
est membre du conseil d'administration de l'ONG de développement
Passerelle NGAM incluse dans notre
échantillon, et membre cotisant des collectifs AFRICA 50
et SOPE (Solidarité pour exister, collectif des
associations sénégalaises de Rhône-Alpes).
Une pratique des alliances stratégiques qui permet ainsi
à l'association d'être identifiée et d'avoir ses
entrées dans des cercles professionnels et décisionnels
fermés. Une pratique à promouvoir à l'échelle des
associations de migrants dont la majorité souffre d'un déficit de
ressources relationnelles ou capital social ? Nous y reviendrons dans le
chapitre consacré aux réseaux des acteurs associatifs
subsahariens du Grand Lyon.
Ce tableau des pratiques d'insertion effectué, notons
que figurent dans le répertoire des associations du Rhône d'autres
associations composées entièrement ou majoritairement de migrants
et pratiquant l'insertion de manière formelle ou alors sous des formes
alternatives tournées vers l'entraide intracommunautaire.
2. Formes communautaires des pratiques d'insertion :
l'entraide et la solidarité sur la base de l'appartenance
ethno-régionaliste
2.1. Les formes et les paliers de la
communautarisation divergent
Les associations subsahariennes de France comme d'autres
régions d'ailleurs sont communautaires au sens où : -
d'une part la majorité et parfois l'intégralité des
membres appartiennent à la même communauté
:
o nationale : elle se construit alors autour
d'un sentiment partagé par les membres de l'appartenance à la
communauté nationale. Exemple : le SOPE des
Sénégalais, l'ABL des Burkinabés, ANAN pour les
Nigériens, ou Fraternité Novissi pour les Togolais du Grand Lyon
;
125
Extrait de l'Entretien du 24 octobre 2012 avec ALPADEF
o
93
continentale : promeut donc une vision
panafricaine qui transcende les ethno-espaces, une posture transculturelle
donc. Exemple : le collectif Africa 50 ;
o ethno-régionaliste : basée
sur l'appartenance `'mécanique» à un même village, une
même région dans le pays d'origine. Exemple :
Solidarité des Akpossou-Akébou d'Europe, région
du sud du Togo ;
- et d'autre part, elles ciblent leurs actions en
direction des membres de la communauté d'origine principalement, en
termes d'entraide ici ou de développement solidaire avec les
localités d'origine.
2.2. Des problématiques sociales et sociologiques
sensiblement identiques
Ces pratiques « grégaires » s'appuient sur
le constat de la similitude des difficultés sociales rencontrées
par les migrants subsahariens en termes d'insertion professionnelle, sociale,
économique dans le pays d'accueil. Et rien de mieux que de se
réunir pour y faire face ensemble. Or, si les immigrés à
titre individuel ont souvent recours aux dispositifs et outils
dédiés à l'insertion dans les domaines de l'emploi, du
logement, la santé, de la citoyenneté, ou de l'accompagnement
à la création d'entreprise, il reste qu'à titre collectif
ou associatif, ces recours sont faibles, les dispositifs et les acteurs qui les
promeuvent parfois méconnus. Il y a un déphasage manifeste entre
difficultés sociales du groupe communautaire et la nature des solutions
apportées à celles-ci, puisqu'ici priment l'entraide
traditionnelle et la solidarité intracommunautaire : aides
financières ponctuelles aux personnes désargentées,
accueil des nouveaux arrivants, orientations et accompagnement dans les
démarches administratives, hébergement, informations
échangées pour la recherche du travail, les initiatives
entrepreneuriales, dans un contexte économique et de l'emploi assez
tendu, où les réseaux relationnels ne sont pas toujours
très étoffés ni réellement stratégiques pour
décrocher un emploi ( cf. chapitre consacré aux immigrés
et le marché du travail dans le Grand Lyon).
2.3. Une communauté de l'entraide et de la
solidarité par excellence : L'association des Burkinabé de Lyon
(ABL)
L'Association des Burkinabé de
Lyon estime entre 400 et 450 Burkinabés à Lyon et
ses environs. Née en juillet 2005, cette association à but non
lucratif s'est donné pour objectif principal la promotion de la culture
du Burkina Faso dans le Rhône. Cela se traduit concrètement par
l'organisation et l'animation chaque année d'une semaine culturelle
à l'occasion de laquelle sont organisés forum
économique126 et conférences en tous genres ouvrant
une fenêtre sur les potentialités et toutes les
opportunités économiques au Burkina favorables à
l'investissement des entreprises françaises ou les initiatives
entrepreneuriales des Burkinabé, diplômés ou non ,
candidats au retour.
Le second objectif consiste en l'accueil des Burkinabé
primo-arrivants (étudiants, migrants familiaux ou professionnels...)
puis suivent un catalogue d'activités permettant leur insertion du point
de vue de l'emploi et des démarches administratives en tous genres. :
« Faire en sorte qu'ils se sentent appartenir
à la famille ABL, leur fournir les premières informations pour
faciliter leur vie en France. Pour les étudiants s' »inscrivant
dans la même université que celle des anciens, l'objectif est
qu'ils fassent connaissance et se passent des polycopiés afin que ces
nouveaux puissent réussir leur année. Le travail, c'est pareil.
C'est un système de
126 À l'instar du FEDDA, le Forum Économique
pour le Développement Durable de l'Afrique, qui s'est tenu en mai
dernier à la Chambre de Commerce et d'Industrie de Lyon avec le concours
de partenaires multiples, dont la Région Rhône-Alpes, la
communauté du Grand Lyon , l'Insa, Lyon Latitude, etc. La
finalité de cette rencontre était de : « faire en sorte
que la diaspora africaine et ouest-africaine en particulier puisse apporter une
contribution efficace et effective au développement des pays africains
». Ponctué par des réflexions sur les bases du
développement en Afrique, la promotion de l'entrepreneuriat
auprès des jeunes burkinabé de France, la mise en relation des
entreprises françaises et burkinabé et les activités
culturelles et sportives. Quatre volets qui avaient pour objectif de «
créer une cohésion de groupe et faire en sorte que les gens,
burkinabé et amis du Burkina Faso, apprennent à se connaitre,
à travailler en `'task force» », rencontre qui fut
parrainée entre autres par le Ministre burkinabé de
l'environnement et du développement durable, qui a
séjourné 4 jours durant dans l'agglomération lyonnaise
pour cet évènement.
94
réseau. On essaye de se donner les contacts de
professionnels. J'ai permis à certaines personnes d'avoir des stages
là où je travaille (...) C'est vrai qu'avec le forum qu'on
organise, nous avons une base de données qui est déjà
constituée. On connaît à peu près les professionnels
burkinabés dans la région. Et pendant le forum, il y a une
rubrique qu'on appelle « carrefour des métiers ». Et ça
permet de mettre ces professionnels en contact direct avec les étudiants
et les stagiaires. C'est une plateforme d'échanges entre professionnels,
jeunes professionnels et étudiants. Ce qui peut permettre de
décrocher des stages ou un emploi et puis de développer leur
réseau. Donc nous on a cette base de données là
».
Pour ce faire, l'ABL s'appuie sur un ensemble de leviers et
un réseau communautaire fort pour atteindre ces objectifs:
o l'association est autant un lieu de construction de la
cohésion qu'un espace de rencontre (entre demandeurs d'emplois et
potentiels employeurs d'origine burkinabé) et de
génération des compétences ;
o le forum économique de mai 2012 a été
la concrétisation du renforcement du réseau des Burkinabé
du Grand Lyon appuyé par le Consul du Burkina à Lyon et les
autorités locales qui ont multiplié des initiatives visant
à tirer parti des compétences des Burkinabé de
l'extérieur ;
o L'identification et l'inventaire des professionnels
d'origine burkinabé travaillant à Lyon ;
o Les Burkinabé ont décidé d'un commun
accord de créer une seule instance associative représentant les
burkinabé afin d'éviter les dispersions en tous genres.
L'association s'est donnée à ce sujet en 2009 un objectif
globalement atteint, nous confiait son actuel Président :
fédérer tous les Burkinabé de Lyon autour des projets de
l'association. Ils sont étudiants, professionnels, chômeurs,
diplômés, très qualifiés, sans qualifications...
;
o Un lien communautaire national fort qui transcende les
frontières ethniques et surtout politiques ;
o Un partenariat fort avec la Communauté Urbaine de
Lyon facilité par l'accord de coopération
décentralisée entre celle-ci et la ville de Ouagadougou ;
o L'ouverture de l'association à toutes les
nationalités, amies du Burkina Faso ;
o Une chambre de commerce Franco-Burkinabé qui a la
réputation d'être dynamique.
Cela étant , en dépit de cet investissement
massif dans l'entraide et la solidarité intracommunautaire sur la base
de l'appartenance nationale ( et transnationale), à la question de
savoir si l'ABL s'appuyait aussi sur les dispositifs institutionnels
d'accompagnement à l'intégration des primo-arrivants dans le
département stipulés par le document-cadre du Plan
départemental d'Intégration, la réponse a
été sans ambiguïté : « c'est vrai qu'on ne
pousse pas très loin, mais on prend certains aspects qui nous paraissent
importants ».
Cet exemple illustre à suffisance le primat des
pratiques traditionnelles (même si transculturelles) de l'entraide et la
solidarité intracommunautaire. Les communautés africaines donnant
par là le sentiment de se suffire à elles-mêmes en ne
recourant que peu ou pas aux outils permettant des actions de plus grande
envergure en termes de recherche d'emploi, de logement, de formation, etc.
La force et l'efficacité des réseaux
traditionnels d'entraide, de solidarité, d'insertion restent très
variables cependant, en fonction des communautés associatives en
présence et dépendront de plusieurs facteurs :
- Le mode de gouvernance et les compétences
managériales
- La personnalité du président
- La force du lien social ou communautaire et/ou la
cohésion au sein de l'instance associative
- Le niveau d'implication des adhérents ou la force du
bénévolat
- Le degré d'ouverture à d'autres cultures,
d'autres apports ou emprunts, etc.
2.4. La communauté sénégalaise du
SOPE, entre entraide traditionnelle et prélude à une pratique de
l'insertion formelle
Solidarité pour Exister
(SOPE). Cette appellation laisse entrevoir
d'entrée de jeu toute la quintessence de l'idéal solidaire et la
pratique de l'entraide qui a fait la réputation des
Sénégalais de France et d'Italie notamment :
95
reconnaissance sociale, économique, politique et
socio-anthropologique par l'importance de la littérature
consacrée à ce sujet depuis une trentaine d'années.
Très impliquée dans la vie sociale et citoyenne
par les activités (des professionnels et des élus communaux) de
certains de ses membres, le SOPE a la particularité d'être une des
rares associations du Rhône à disposer d'une Maison culturelle.
C'est le cas dans la commune de Villeurbanne. Faut-il y voir le résultat
d'un lobbying « intelligent » et efficace pratiqué par le SOPE
via un de ses membres influents, élu communal et actuel adjoint au Maire
de cette ville en charge de l'Éducation ? Est-ce à mettre au
crédit de la culture d'une communauté de migrants connue pour son
réseau associatif d'envergure et très intégré, les
pratiques transnationales de sa diaspora (dont celle des très
qualifiés), son dynamisme socio-économique et sa mobilisation sur
les questions cruciales ayant trait non seulement au développement des
localités d'origine mais aussi et surtout, depuis quelques
années, à l'intégration pleine et entière de ses
ressortissants en France ?
Malgré de multiples relances
téléphoniques, nous avons été en peine d'obtenir un
rendez-vous avec le coordonnateur local des activités du SOPE. Nous nous
sommes néanmoins entretenus brièvement avec le
référent francilien de l'organisation qui nous a invité
à consulter le Portail internet qui résume les actions
menées par le collectif à Lyon, la Région Ile-de-France ou
Bordeaux. Ce que nous avons fait.
Il en ressort quelques enseignements instructifs relatifs
à notre questionnement de base : quelles pratiques de
l'intégration/insertion par le SOPE dans le Grand Lyon.
2.4.1. La communauté africaine la plus novatrice sur
les questions d'intégration et d'insertion ?
À la différence des Burkinabé
réunis sous une seule bannière, le collectif SOPE
fédère 16 associations sénégalaises du Grand Lyon
représentées chacune au sein du conseil d'administration par deux
membres.
Sa raison sociale porte fondamentalement sur
l'intégration des populations immigrées d'origine
sénégalaise (migrants et descendants d'immigrés), entendue
au sens de l'amélioration des conditions de vie de celles-ci dans les
champs de :
?? La protection et la promotion sociale
?? L'éducation
?? La santé
?? L'accompagnement scolaire
?? Le sport
?? La culture
?? L'humanitaire
?? La solidarité internationale
La structure du bureau de cette instance reste pyramidale,
mais ce qui nous est apparu instructif ce sont les postes de secrétaires
généraux en charge des problématiques sociales et des
publics que recoupent les domaines et les populations-cible des politiques
d'insertion de la ville et de l'intégration :
?? les femmes : celles notamment réunies
en associations
?? les jeunes : question portée par deux
secrétaires généraux, signe de l'importance
accordée aux
problématiques qui en découlent : échec
scolaire, déshérence culturelle, déviance,
parentalité, etc.
?? la valorisation de la mémoire et de
l'immigration
Signe de l'intérêt particulier porté aux
questions d'intégration de ses ressortissants en France, la
communauté sénégalaise de l'Hexagone (
société civile, politiques, étudiants, cercles
économiques...) s'est réunie en avril 2012 en région
parisienne, à Saint-Denis, afin de débattre et de formuler des
propositions allant dans le sens de la
96
promotion et la défense des droits sociaux,
économiques et politiques des immigrés d'origine
sénégalaise en France. Suite aux travaux des groupes de
réflexion mis en place, des axes d'actions ont été
dégagés qui devaient faire l'objet d'une saisine des
autorités gouvernementales nouvellement installées depuis
l'élection du nouveau Président de la république, M. Macky
Sall. Ce sont entre autres axes :
?? Les droits sociaux des migrants
sénégalais de France : retraites décentes,
parité pour les allocations familiales des ayant-droits restés au
Sénégal, revalorisation des pensions militaires
?? Vie familiale en migration : échec
scolaire et phénomène de délinquance des descendants
d'immigrés, reconnaissance de la double culture pour les enfants et les
familles et la transmission culturelle aux enfants, meilleur accueil et
assistance aux étudiants et stagiaires en France, régularisation
des sans-papiers, insertion socio-professionnelle
?? Vie consulaire : amélioration des
services consulaires de proximité pour le confort de tous les
sénégalais (horaires, accueil, information au public...)
?? Maison des Sénégalais de
l'extérieur : carrefour de rencontre et de partage entre
associations, entrepreneurs, acteurs de la solidarité
?? Représentation dans les assemblées
représentatives : sénat, assemblée nationale,
Conseil économique et sociale, choix des députés
représentant les sénégalais de l'extérieur,
à l'instar de ce qui se fait au palais bourbon en France
?? Migrants, acteurs de développement et
coopération décentralisée : entre
redéfinition des programmes de co-développement
France-Sénégal et la valorisation du rôle des associations
comme actrices de développement
?? Transferts financiers : modalités de
leur canalisation vers l'investissement productif 2.4.2. Une association
communautaire comme une autre ?
La particularité de ces discussions c'est que les
différentes actions promues appelle nécessairement un ancrage de
celles-ci dans les politiques publiques en matière d'insertion et
d'intégration. Difficile de dire quel serait l'ampleur du recours
à ces dispositifs par les immigrés sénégalais dans
leur ensemble. Il serait intéressant de suivre l'évolution de ces
propositions afin d'en évaluer la mise en application et ses effets sur
les conditions de vie des immigrés et descendants d'immigrés en
France et dans le Grand Lyon.
Pour l'heure, ces mesures , la plupart en tout cas , ne
faisant l'objet d'aucune application concrète formelle,
l'intégration/insertion par le SOPE dans la région lyonnaise se
pratique sur le mode informel, traditionnel à tout le moins, sans que
l'on soit en mesure de dire à quel point la communauté
sénégalaise pratique l'ouverture à d'autres
communautés ,en termes d'accueil ou d'emprunt. Quoi qu'il en soit, le
Portail internet du SOPE atteste d'une pratique de la solidarité
communautaire, comme d'autres associations finalement, à travers le
déploiement d'activités socio-culturelles aidant :
?? Au renforcement de la cohésion au sein de la
communauté entre les générations (échange
intercommunautaire et intergénérationnel
»),
?? À l'accompagnement scolaire
?? À l'éducation à la santé
?? L'atelier informatique
?? L'atelier de cuisine
En clair, pas d'actions particulières, en tout cas
manifestes, en direction de l'accès à l'emploi, la formation
professionnelle, la formation linguistique à visée
professionnelle, l'insertion par l'économique des hommes et des
femmes.
3. 97
Permanence des systèmes traditionnels
d'entraide
Sur le plan collectif, l'entraide reste de mise dans la
plupart des associations tournées spécifiquement vers le
développement solidaire127 des localités d'origine de
leurs membres, sans la préoccupation de s'installer en France.
Or, alors que dans les années antérieures le
séjour en France était vécu comme une parenthèse
entre deux étapes de la vie, les données semblent avoir
changé depuis lors. Parmi les immigrés partis se
réinstaller dans le pays source, il y en a qui reviennent en France
après un échec connu : une entreprise qui dépose le bilan,
l'environnement socio-économique et politique
délétères, une stabilité précaire, toutes
choses qui sont peu favorables à l'investissement productif. En
conséquence, certains migrants ont opté pour une migration
circulaire, des allers et retours entre le pays et la France, en confiant la
gestion de petites activités génératrices de revenus
à un proche (amis, famille) ou à une personne de la
communauté villageoise.
Un responsable associatif, arrivé et installé en
France depuis 1984, auto-entrepreneur et patron d'un espace de vente, nous
confiait ainsi que :
«Au départ, c'était dans les 4 ans
après mon arrivée ici que je prévoyais de rentrer au pays,
mais plus ça avance et plus cet objectif s'est dissipé.(...) Dans
mon cas, les conditions du retour.. ;euh.. ;je ne vois pas ce que je peux faire
là-bas, et vu la façon dont nos pays sont gérés ;
Moi si je retourne là-bas aujourd'hui , je ne serai rien...Maintenant
s'il faut partir , il faudrait que je le fasse avec mes moyens d'existence, or
je ne suis pas issu d'une famille « élue
»128(rires); et donc si j'y arrive, quelles que soient mes
compétences acquises grâce à mes voyages, nos dirigeants je
ne sais pas s'ils en sont conscients...Quoi que sur place on a aussi des gens
bien compétents, mais moi, si je rentre au Cameroun , je ne vois pas ce
que je peux faire à part peut-être faire les affaires...mais le
cadre institutionnel des affaires là-bas, je ne peux plus, je
n'arriverai pas à m'insérer. Quand tu te lances dans les
affaires, c'est pour réussir. Étant un homme très objectif
et très réaliste, j'y vais, j'observe, je vois que je ne pourrai
pas(...) Aujourd'hui je suis à ma 28e année ici, et au
début mon objectif était de repartir. J'ai essayé
déjà, j'y ai fait des investissements, pourtant c'est comme si je
n'avais jamais rien fait : Pas de rentabilité, pas de gens assez
fiables. Comme j'y vais régulièrement, j'observe avec la
mentalité occidentale, je n'incrimine personne, c'est le système
qui est en cause. Un entrepreneur là-bas, avec toute sa bonne
volonté se lancera mais n'aboutira pas au résultat attendu parce
qu'il y a trop des impondérables, des facteurs extérieurs qui
jouent. Par exemple, cela fait deux mois que j'étais en contact
permanent avec le propriétaire du local que je viens de reprendre ici.
Les règles sont claires, vous savez que vous allez payer telle somme ici
ou fournir tel papier ; alors que là-bas, si vous allez pour faire un
papier vous allez y passer une semaine...Pour un papier à signer, on va
vous dire que : `'non, le chef n'est pas là ! ». Alors naïf
comme vous êtes, vous y croyez. Je n'ai aucune raison de douter de la
parole de cette personne...Je demande : `'il sera là quand ?' ; On me
dit : `'demain», et après le lendemain quand tu reviens, on te dit
que le `'chef a voyagé», et on vous balade pendant une semaine,
jusqu'à ce que vous rencontrez quelqu'un qui vous dit : `'Mais...mais tu
n'as rien compris ! Donne -lui 1000 francs CFA, tu verras, le chef sera
là» ! (Rires)...Alors, vous aurez passé une semaine pour
faire un document qui n'a même pas besoin d'une minute ici. Ce sont tous
ces facteurs qui poussent les jeunes entrepreneurs à l'échec au
pays. Je peux vous dire que la plupart des gens que j'ai connus ici, les
anciens, et qui sont rentrés s'installer au pays, je peux vous dire que
90% sont revenus ou cherchent à revenir. Ah oui oui oui ! Mais dans le
lot, il y a peut-être 10% qui ont réellement réussi
à se réintégrer au pays...Sinon...voilà quoi
!»129.
Cela étant, la question de la réinsertion
socio-professionnelle ou économique va se poser pour ces anciens
candidats au retour dans le pays d'origine, qui ont parfois tout soldé
au moment du départ. Il faut repartir de zéro.
4. La création d'entreprise, hors du
champ des préoccupations des associations subsahariennes
?
De « retour dans le pays d'accueil », en France et
à Lyon donc, notre entrepreneur a multiplié des initiatives
entrepreneuriales, dans une démarche toujours individuelle, comme c'est
le cas pour nombre d'entrepreneurs
127 Notons toutefois avec C. Daum la contradiction apparente
existant entre le fait d'intervenir par des actions collectives centrées
sur un seul village ou une localité, portant sur des problèmes
précis vécus là-bas et le développement au sens
fort de ce mot. Et en particulier avec ce que ce concept implique de plans
d'ensemble nécessairement régionaux et nationaux. Certaines
associations, souligne DAUM, modulent d'ailleurs cette ambition dans leur
intitulé en association d'aide au développement du village par
exemple.
128
Cossue, dans le jargon populaire local...
129
Extrait de l'Entretien du 16 octobre 2012
98
africains rencontrés à la « rue de la
Guillotière »130à Lyon, en l'absence de
relais associatifs forts spécialisés dans l'accompagnement
spécifique131 des migrants à la création
d'activités génératrices de revenus au sein de la
communauté des migrants de Lyon ; à l'exception notable de
structures identifiées tel le Centre A.C.F à
Villeurbanne qui nous a accueilli en stage ou les
établissements publics ou privés tous publics qui abondent dans
le département.
C'est dans cette optique que nous avons investigué
quelque peu au coeur de cette artère marchande, recherchant une
association d'entrepreneurs ou une fédération des patrons de
boutiques subsahariens dans la ville de Lyon, en vain. Il n'en existait pas. De
l'aveu même de deux propriétaires d'une boutique de commerce
alimentaire de détail consultés, les soutiens ou l'accompagnement
à la création d'entreprise dans le commerce de détail et
les services en particulier relèvent des démarches et des
réseaux d'entraide personnels (amicaux et familiaux) des
entrepreneurs.
Un responsable associatif déplore en ces termes cet
état de fait :
« En ce qui concerne l'entrepreneuriat immigré
au sein de la communauté africaine du Grand Lyon, là aussi on
retrouve les mêmes réalités culturelles et la primat de
l'intérêt particulier sur l'intérêt
général. C'est dommage qu'il n'y ait pas d'occasion de
rencontres, d'échanges d'information. C'est vrai, il y a beaucoup
d'initiatives lorsque vous allez à la `'rue de la
Guillotière», à différents niveaux. Bon, je me dis,
c'est dommage qu'il n'y ait pas de besoin de rencontres, d'échanges
d'informations, de lobby. Cela peut aider par exemple à créer des
synergies pour réussir ensemble, créer de l'emploi, des
structures de formation. »
D'autant que la communauté africaine de Lyon compte des
créateurs d'entreprises mais aussi des experts ayant des
compétences en matière de gestion de projet, de management
d'entreprises. Il ne nous a pas été possible de vérifier
s'il pouvait y avoir une réticence de la part de ces experts à
collaborer avec les associations souhaitant promouvoir l'entrepreneuriat
auprès des migrants africains au niveau collectif, ou avec des porteurs
individuels de projets de créations d'activités. Un acteur
associatif confessait en effet que :
« À ma connaissance, je n'ai pas eu
écho de prises d'initiatives dans ce sens-là... C'était
l'un des objectifs d'une association que nous avions créée, faire
l'inventaire de l'existant, orienter et puis pourquoi pas solliciter des
contributions spécifiques pour le suivi et autre.... Il y a quelques
chefs d'entreprises effectivement, Il y a des initiatives individuelles pour
créer des activités mais qui restent isolées. Pour moi
c'est un domaine qui reste un chantier à travailler, parce que notre
présence c'est aussi par l'économique que nous pouvons l'affirmer
»
Une analyse qui rejoint notre postulat de départ selon
lequel pour être individuellement efficace là-bas au travers des
projets de développement solidaire, encore faut-il que les migrants
soient économiquement, socialement et politiquement solides ici. Or, au
sortir de notre enquête, force est de constater que la question de
l'insertion par l'économique reste très peu investie par les
acteurs associatifs africains. Au point où en consultant les catalogues
associatifs des communes, peu sont apparues les Entreprises d'insertion par
l'économique ou les structures de formation spécialisées
dans l'accompagnement pour le retour vers l'emploi ou la création
d'entreprise. Le Centre ACF qui nous accueille en stage apparaissant ainsi
comme une des rares structures créées et administrées par
un migrant subsaharien et ayant ces vocations. D'où notre
démarche d'étude visant à comprendre les raisons
conjoncturelles, culturelles, organisationnelles, opérationnelles et
individuelles de ce déficit dans le Grand Lyon.
À tout prendre, la pratique de l' entraide et de la
solidarité ne s'appuie que fort rarement sinon pas du tout sur les
dispositifs d'insertion génériques existants en matière
d'accompagnement à la création d'entreprise, de recherche
d'emploi et de logement, de prévention spécialisée, bref
d'intégration sociale, au vu des opinions recueillies au cours de notre
enquête. Est-ce suffisant pour en faire une généralisation
? À notre sens, une enquête plus
130
Artère marchande lyonnaise célèbre pour
ses vitrines alimentaires exotiques, salons de coiffures et son
éclectisme fortement dominé
par les cultures africains subsahariens.
131
Lévy-Tadjine déjà cité insiste dans
sa thèse de doctorat tout particulièrement sur la
nécessité de prendre en compte et d'intégrer dans le
processus d'accompagnement les spécificités culturelles de
l'accompagné, de même que le cadre culturel dans lequel il inscrit
sa démarche entrepreneuriale : intégrationniste,
ségrégationniste, assimilationniste.
99
approfondie sur le recours individuel ou collectif des
immigrés subsahariens aux instruments d'accompagnement au retour vers
l'emploi et la création d'activités de production permettrait
d'évaluer l'ampleur du phénomène est les mesures à
promouvoir. Ce que n'a pas permis le temps court de notre recherche.
5. Associations communautaire vs associations
communautaristes
C'est en raison de l'exclusivisme, de la « quête
du typique » communautaire, réelle ou supposée, des
associations dites communautaires que le qualificatif «
communautaristes » leur est quelques fois assigné. Une
assignation à géométrie variable, selon les
communautés en présence132et la catégorie
socio-professionnelle et le statut de ceux qui expriment ce discours.
Les critiques sont portées par des acteurs tant du
monde institutionnel qu'associatif, y compris certains immigrés
eux-mêmes, qui y voient les germes du cloisonnement ethnique,
l'expression du repli identitaire, de la non-fluidité interculturelle
dans une société culturellement plurielle, de la non-ouverture
à d'autres communautés migrantes africaines ou autres et
non-migrantes, et du risque réel du cloisonnement des associations de
migrants. Ceci explique d'ailleurs en partie l'attitude frileuse des pouvoirs
publics à subventionner les associations d'entraide et de
solidarité intracommunautaires qui sont du coup le parent pauvre de
l'octroi des financements publics. Sans doute en raison d'un
préjugé fort tenace des instances politiques et administratives,
que résume fort à propos un élu communal du Grand Lyon
:
« Il y a une espèce de volonté de ne
pas passer par les associations communautaires au nom de la lutte contre le
communautarisme...moi je fais très clairement la différence entre
communautarisme et l'existence des communautés. Ce n'est pas tout
à fait la même chose. Mais la réaction politique
très fréquente est quand même d'assimiler les deux et donc
de se méfier. Du coup, on a tendance à reléguer les
associations communautaires dans un rôle d'entraide interne, dans un
rôle folklorique...Elles participent aux fêtes et font la
cuisine...Mais l'idée qu'elles peuvent jouer un rôle vraiment dans
l'intégration est
133
beaucoup moins fréquente. Du coup ça se
retrouve... .Euh...j'ai peu d'exemples à part les
Sénégalais de l'association SOPE ».
Ainsi, d'après ces acteurs, les associations d'entraide
intracommunautaire ont plutôt mauvaise presse car, de l'avis de leurs
contempteurs, elles ne rechercheraient pas de liens extérieurs, ni une
ouverture à d'autres associations, ne serait-ce que par curiosité
de ce qui s'y fait, et bien, et ils considèrent par conséquent
qu'en dirigeant leurs actions exclusivement vers la communauté, elles ne
mènent pas nécessairement des actions d'intérêt
général et se disqualifient des chances d'obtenir des
subventions.
Conséquence de ces réticences de politiques, les
associations communautaires d'entraide fonctionnent pour l'essentiel sur des
fonds propres, qui sont bien modestes du reste. D'où un taux
d'activité annuel moyen relativement bas et la difficulté
qu'elles ont à fournir des cahiers de compte et des rapports
d'activités à jour, justifiant des actions
réalisées, des capacités financières
endogènes et des compétences fortes ; conditions
extrêmement sélectives pour l'accès aux subventions
publiques que ne remplissent pas toujours ces organisations, fatalement
marginalisées.
Section 2 : Causes de la non-implication des associations
des migrants dans le champ formel de l'insertion/intégration dans le
Grand Lyon
132 La communauté burkinabé de Lyon
bénéficie d'un crédit et d'un traitement différent.
Appréciée pour son dynamisme socio-économique et
l'efficacité de son organisation. Le parallèle peut être
fait de même avec l'association SOPE des Sénégalais. Pour
autant, selon certains acteurs associatifs eux-mêmes, le
phénomène de la non-ouverture et donc la non-interaction entre
les associations subsahariennes concerne autant les Sénégalais
que les autres. Les Burkinabés se défendant de ce cloisonnement
en faisant valoir que l'association est ouverte tant aux burkinabé
d'origine que les amis du Burkina Faso. Est-ce là que réside la
recette du succès de l'Association des Burkinabé de Lyon qui
jouit du même crédit auprès des migrants d'autres
communautés ?
133
Notons que l'un des leaders de cette association, au moment de
notre enquête est actuellement élu communal adjoint au Maire de
Villeurbanne, en charge de l'Éducation.
100
(( Cela fait à peu près un an que nous
formons les femmes de la diaspora. Avant on ne s'en occupait pas. Parce que
d'abord on attendait d'avoir des aides qui ne sont pas venues du tout. Mais il
se trouve qu'il y a beaucoup d'associations qui sont payées par
l'État qui font ça. Disons que ce n'est pas notre coeur de
business. Le nôtre, c'est le Sénégal. Ici, c'est du
secondaire ». ALPADEF.
Ces propos résument à eux seuls l'essentiel des
raisonnements exprimés par les responsables associatifs d'origine
immigrée dans la région lyonnaise.
o « Ce n'est pas l'objet de l'association...
»
C'est le principal argument avancé par les
associations tournées vers le développement solidaire avec les
pays d'origine, mais qui pourtant se positionnent statutairement sur l'accueil
et l'entraide.
o Les migrants envisagent toujours un retour dans le
pays d'origine pour y passer leur retraite et vivre leurs derniers
jours
Le Président d'un important collectif d'associations nous
expliquait ainsi que :
(( Les immigrés n'ont pas définitivement
déposé leurs valises et entretiennent toujours l'espoir d'un
retour dans le pays d'origine pour y vivre paisiblement leur retraite
».
Cela justifie-t-il le peu d'engagement des personnes
retraitées d'origine subsaharienne dans les associations
rencontrées durant notre enquête ?
C'est aussi l'avis de cet autre responsable associatif
(globalement partagé par les répondants) pour qui la projection
du retour au pays natal explique le non-investissement des immigrés dans
les champs officiels de l'insertion et de l'intégration dans leurs
bassins de vie :
« Le problème ici c'est que les gens qui sont
venus c'est pour être des Africains de passage. Et dans la tête de
ceux qui sont là, ils se disent toujours tournés vers l'Afrique
pour passer là-bas leur retraite. Les gens ne se voient pas mourir ici.
Ils se projettent dans un retour de là où ils viennent. Et par
rapport à ça, ils préfèrent économiser leurs
sous pour aller mourir là-bas. Dans ce cas-là, même si tu
dis à quelqu'un qu'il faut créer une structure de soutien ou
d'accompagnement à l'intégration des migrants, il
préfère faire ses économies dans l'optique du retour au
pays ».
o Méconnaissance des problématiques
sociales globales relatives aux migrants dans le département et la
région ainsi que les catégories spécifiques des migrants
concernés.
Cela nous a amené à plusieurs reprises, au
cours de notre enquête, à fournir (à la demande de certains
enquêtés) quelques renseignements statistiques collectés
auprès des institutionnels et d'autres acteurs associatifs, autour des
problématiques sociales, spécifiques aux migrants, de
l'accès à l'emploi, au logement, à la culture, aux
dispositifs de droit commun...Avec évidemment toute la précaution
de rigueur tant les chiffres communiqués peuvent varier d'une structure
à l'autre et selon les champs concernés.
o Méconnaissance des politiques publiques
d'intégration nationale et d'insertion et de même que l'ensemble
des outils existants permettant de réduire et rattraper les
écarts entre les immigrés dans une certaine proportion et ce
qu'est une intégration accomplie (cadre de vie décent,
scolarité normale, parentalité normale, emploi stable,
participation à la vie sociale et citoyenne).
101
Les 3/4 des responsables associatifs
interviewés134 nous ont confié n'avoir pas
connaissance des axes d'actions, des publics prioritaires et aboutissants de la
politique d'intégration locale énoncée dans le PRIPI et le
PDI, et encore moins les quartiers prioritaires de la politique de la ville et
leurs réalités sociodémographiques ; arguant qu' il y a
dans la communauté associative africaine un problème réel
de circulation et de partage de l'information, du fait du cloisonnement des
associations communautaires des migrants et de l'absence d'une structure
représentative forte et rassembleuse en serait une des causes.
Parmi les outils les plus souvent promus permettant
l'insertion des publics en difficulté, la formation continue d'adultes
et jeunes adultes dans toutes ses variantes occupe une place centrale. Pourtant
peu de migrants y recourent, y compris lorsqu'il s'agit de se former aux
techniques de gestion administrative ou de management d'une organisation
associative. La faute au manque de moyens135 et de temps.
En témoignent les propos de cet acteur associatif :
« C'est vrai, quand on voit la vie que nous menons
ici, le travail, la famille...les moyens, il faut aller les chercher. Il y a un
déficit de notre côté pour identifier tous les dispositifs
qui nous permettraient de capter les moyens. Par exemple les fonds pour le
développement de la vie associative et autres pour proposer ces
formations-là de façon interne, et que ça soit
institutionnalisé. En nous mettant ensemble, nous pouvons aussi peser
pour négocier auprès des municipalités (Conseil
général, région) pour avoir des crédits afin
d'organiser ces formations, parce que ce sont des formations qui nous
permettent d'être citoyens à part entière dans toute la
complexité de notre parcours(...) C'est l'un des grands chantiers de mon
point de vue. Il y a déjà quelques pas au niveau du Grand Lyon,
notamment avec Africa 50, parce que ça fait 2 ans que nous essayons de
négocier un budget global...».
Ainsi, malgré les facteurs socio-économiques et
politiques qui poussent à prolonger son séjour dans le pays
d'accueil ou à s'y installer définitivement tels que : les
problèmes liés au monde du travail, la gestion des relations avec
les responsables des foyers de travailleurs migrants, l'accroissement du taux
de chômage des migrants et la dégradation de leur qualité
de vie , pour ceux habitant les espaces dits de
précarité136 où ils constituent la
moitié de l'effectif des habitants, les difficultés liées
aux cartes de séjour, la forte limitation des entrées de nouveaux
migrants sur le territoire...Malgré tous ces facteurs, les migrants
apparaissent ici en peine de se saisir de manière collective des outils
existants dans le cadre des orientations des politiques d'intégration (
soutien à la parentalité et à la scolarité des
enfants d'immigrés, soutien à la recherche d'emploi pour les
femmes et les primo-arrivants , l'aide aux personnes âgées dans
les foyers de travailleurs migrants...) et d'insertion pour faire valoir leurs
droits sociaux137 et économiques. Alors même que le
contexte devrait au contraire :
« ...Ouvrir une nouvelle étape qui impose des
rapprochements avec la société d'accueil, rapprochements rendus
nécessaires car l'on ne peut plus se suffire à la seule
structuration communautaire pour faire face aux conflits impliquant de nouveaux
acteurs :
138
sociétés gestionnaires de foyers, justice,
avocats, comité de gestion et de soutien aux associations diverses
»et aux difficultés sociales manifestes.
À propos par exemple des immigrés
âgés sans qualification, au chômage dans les années
90, rentrés dans leurs pays d'origine ou installés
définitivement en France, Christophe DAUM note que :
134 À la rare exception de ceux pratiquant l'insertion
de manière formelle et de quelques autres intervenants sur
l'éducation à l'interculturalité, à la
transculturalité et au développement tels les associations
Passerelle NGAM, ALPADEF, A2P, MIFERVAL, etc.
135
Le droit d'entrée à une formation dans les
centres de la vie associative, comme à Villeurbanne, est souvent payant.
Les fonds des associations de migrants étant souvent modestes, le
recours dans ces conditions à une formation visant le
développement des compétences individuelles ou collectives
devient par conséquent problématique.
136
Dont certains quartiers prioritaires de la Ville de
Villeurbanne, Vaulx-en-Velin, Bron, Vénissieux, Saint-Priest,
Caluire-et-cuire ou encore les arrondissements du Sud-est de la ville de Lyon.
Voir le rapport 2010 de l' Insee sur les zones de précarités du
Grand Lyon, déjà cité.
137
Institut Panos Paris, « Quand les immigrés du
sahel construisent leur pays », synthèse de l'étude
« Migrations et développement »
réalisée par Christophe DAUM, L' Harmattan, 1993. : A propos des
immigrés étant retournés dans leurs pays pour y faire
valoir leurs expériences acquises durant la parcours migratoire,
l'auteur de l'étude note : « le très faible nombre qui
ont fait valoir les droits acquis pour la retraite, bien qu'ayant naturellement
cotisé pendant leur temps salarié en France. On ne
dénombre que de très rares retraités qui touchent
effectivement une pension dans leur village ».
138
Institut Panos Paris, op.cit.
102
« Très rares sont ceux de cette
génération qui ont réussi à acquérir une
qualification professionnelle reconnue dans le monde industriel. La
société française ne propose pas à ces
catégories de travailleurs d'accéder aux filières de
formation professionnelle, elle les exclut ainsi des possibilités de
promotion sociale. En retour, il ne semble pas que ce fait ait
constitué, à l'époque, une revendication des
communautés. On ne constate en effet que rarement des stratégies
personnelles affirmées. Plusieurs immigrés qui prenaient sur leur
temps de loisir pour se former (alphabétisation en cours du soir,
formations diverses...) témoignent en ce sens :»les autres me
disaient que j'étais fou de perdre mon temps ainsi» ».
Parmi toutes les raisons évoquées par nos
enquêtés expliquant ce peu d'ancrage des associations
subsahariennes dans les politiques d'intégration et d'insertion, il y a
aussi :
o Une réticence de la part des administrations
publiques locales et régionales à travailler avec les structures
associatives morcelées et n'ayant pas une assise géographique
importante au niveau régional ou national. Pour illustrer ce
fait, voici ce que nous a rapporté un acteur associatif, membre d'un
réseau d'OSIM :
« La DAIC139 lance tous les ans un appel
à projets pour l'intégration des migrants en France. Mais ils ne
s'intéressent qu'à des associations nationales,
c'est-à-dire comme la Croix-Rouge. Or, le déficit de nos
associations des migrants, c'est qu'elles ne sont pas nationales. Notre
collectif a répondu il y a 3 ans à un appel à projets de
la DAIC et c'est ce qui nous a été répondu. Nous voulions
prendre en charge la formation des primo-arrivants. Nous pensions que ce sont
les migrants qui peuvent mieux comprendre les migrants mais la réponse
qui nous a été opposée c'était : « Vous
êtes à Lyon , mais pas à Bordeaux, ni à Strasbourg.
Et on a besoin d'une association qui recouvre l'étendue du territoire
pour faire le même travail partout où il y a des primo-arrivants
».
Aussi nous sommes-nous demandé si le Forum des
Organisations de solidarité issues des Migrations (FORIM) qui revendique
700 associations et collectifs d`associations de migrants de France sur son
portail internet (dont certains collectifs associatifs subsahariens du
Rhône) n'était pas en capacité de porter des projets
d'accompagnement à l'intégration des migrants à
l'échelle nationale. Mais pour notre interlocuteur, la réponse
était sans ambiguïté :
« C'est là même la faiblesse de ce genre
de choses(...) Si vous voulez que le FORIM existe , il faut qu'il ait les pieds
enracinés dans les régions(...)Or, même si au FORIM ils ont
redéfini leur stratégie en 2010, en acceptant de travailler avec
nous parce qu'ils ont vu là-bas à Paris que notre collectif
ça marchait et qu'on ne leur faisait pas de l'ombre, eh bien vous voyez
qu'ils peinent toujours à créer les COSIM [ Collectif des
organisations de solidarité issues des migrations ] dans d'autres
régions. Et aujourd'hui, c'est à peine s'ils ne demandent pas au
COSIM Rhône-Alpes d'aller créer d'autres COSIM ailleurs(...) Tout
ça c'est pour dire que nous les migrants nous sommes quand même
porteurs de bonnes idées. Si aujourd'hui le FORIM marche, il le doit en
partie à notre collectif(...) Pour autant, la faiblesse est
là-dedans. Si on avait été des gens capables de comprendre
que nous avons là un outil formidable et puissant, nous irions frapper
à la porte de l'Union Européenne pour présenter un projet
fort et lever des subventions(...) On a les personnes [les compétences
nécessaires] mais on n'arrive pas à avoir le pouvoir. On ne peut
pas que se contenter de la petite subvention que donne le Ministère de
l'Intérieur...c'est vraiment lamentable !!! »
Or, dans le statut de ce collectif « national »,
au-delà de la coordination des actions de solidarité et de
développement des pays d'origine, l'accompagnement à
l'intégration est un des domaines dits prioritaires et ce
139 LA DAIC c'est La direction de l'accueil, de
l'intégration et de la citoyenneté , chargée de
« l'ensemble des questions concernant l'accueil et
l'intégration des populations immigrées s'installant de
manière régulière et permanente en France. Dans ce cadre
elle assure l'élaboration, l'impulsion, la mise en oeuvre ainsi que le
suivi de mesures liées à l'intégration de ces personnes.
Ainsi, elle veille à la prévention des discriminations
liées à l'origine et à l'égalité des
chances, et ce par des actions telles que l'apprentissage de la langue
française comme facteur premier de l'intégration, l'accès
à l'activité professionnelle et la lutte contre les
discriminations, l'égal accès des populations d'origine
immigrée aux services publics et aux droits sociaux ou le suivi de
l'ensemble des conditions de logement des populations immigrées et
notamment celles concernant les foyers de travailleurs migrants ».
Portail internet du Ministère français de l'intérieur.
103
d'autant qu'aux yeux de certains responsables associatifs qui
se sont exprimés dans le cadre de cette enquête, les axes
d'intervention développés par le PDI du Rhône sont «
prenables » par les associations des migrants subsahariens. Toutefois,
pour un de nos répondants :
« (...) on ne le pourra que si nous sommes
organisés. Nous ne sommes pas organisés. Moi, j'ai l'art d'aller
chercher la bonne information. Quand la Mairie de Lyon et les autres nous
disent `'Si vous voulez parler, organisez-vous», eh bien on comprend que
c'est l'organisation notre point faible »
o Selon certaines administrations locales, le secteur de
l'insertion apparait déjà trop saturé par un nombre
important de structures d'insertion140. Par conséquent,
certaines organisations associatives se sont recentrées uniquement sur
le développement solidaire avec les pays d'Afrique. Un acteur associatif
d'origine immigrée à Lyon en témoigne :
« Moi, je me suis tourné vers l'Afrique. Une
copine à moi, une immigrée africaine elle aussi, voulait
créer une structure d'insertion comme ça. Et nous avons
été voir la DDASS141 à Lyon et elle nous a
répondu qu'elle était déjà submergée par des
structures comme ça. Parce que nous on travaillait sur les nouvelles
formes d'esclavage en ce qui concerne les femmes et en particulier des femmes
africaines. Donc nous avions cette idée là et c'est la DDASS qui
nous répondu que même si nous procédions à la
création de quelque chose maintenant, ce serait saturé et que
nous n'aurions pas les moyens pour durer parce qu'il y en a trop. À
force de créer encore et encore, à la fin, les gens ne veulent
plus donner de l'argent pour tout ça . Tant qu'il n y a pas d'offre ou
de demande, tu ne peux pas faire vivre une structure».
Or, il nous est apparu qu'il existait une demande forte en ce
qui concerne notamment la prise en charge des migrants âgés dans
les foyers de travailleurs migrants, mais est-elle connue des associations
africaines du Grand Lyon dont une part importante du public âgé
est originaire du continent ? En supposant que les retraités veuillent
tous retourner dans le pays d'origine pour y passer leur retraite et y vivre
leurs derniers jours, il se pose parfois la question de la
transférabilité de leurs droits sociaux ( retraite y compris).
L'Assemblée des sénégalais de l'Extérieur s'est par
exemple penché sur la question en avril dernier en région
parisienne et des propositions ont été soumises au gouvernement
sénégalais nouvellement élu. Les retraités ou les
migrants âgés qui font le choix du retour au pays de départ
peuvent être confrontés à ce type de difficultés.
Est-ce une préoccupation pour les associations de migrants dans le Grand
Lyon ?
« Mais chacun endure sa galère pour le moment.
Tant que quelque chose ne t'habite pas dans la tête, ça ne pourra
pas venir dans les gestes. Dans la tête des gens, je suis né
là-bas et j'irai mourir là-bas... », déplorait
un des acteurs associatifs rencontrés.
Serait-il par conséquent exagéré
de conclure que l'intégration des migrants subsahariens du Grand Lyon se
fait sans les migrants eux-mêmes ?
Pour certains de nos répondants, cela ne fait pas de
doute. Une des raisons évoquées étant qu'au sein des
associations elles-mêmes : « Il y a une lutte acharnée
entre les migrants pour la captation des ressources publiques et le pouvoir
» et qui les éloigne des sujets essentiels. Ajoutés
à cela un important problème structurel, opérationnel et
une difficulté à identifier et mobiliser les compétences,
d'où qu'elles procèdent : migrants, non-migrants,
étrangers ou nationaux, au niveau local ou transnational. Aspects sur
lesquels nous reviendrons dans le chapitre consacré aux réseaux
diasporiques.
Section 3 : Comment inciter les migrants à se
saisir plus collectivement des dispositifs institutionnels d'intégration
et d'insertion et à se rapprocher des structures publiques et
privées gestionnaires des politiques publiques en lien avec la question
des migrants au niveau local ?
1. Corpus de solutions émises par les acteurs
eux-mêmes
140 Nous en avons identifié près d'une centaine
oeuvrant à Lyon et les alentours. Voir l'annuaire des associations du
Rhône.
141
Direction Départementale des Affaires Sanitaires et
Sociales du Rhône
104
La question s'inscrit dans la ligne de celle du Haut-Conseil
à l'Intégration : à savoir investir dans les associations
pour réussir l'intégration, y compris les associations
communautaires. Cela impliquerait la prise en compte des «
compétences ethniques »142 sur lesquelles nous
reviendrons dans le même temps. Nous nous sommes enquis de ce sujet lors
de notre enquête auprès d'un élu communal pour qui :
4J « D'abord il faudrait casser ce
préjugé bien français qui assimile associations
communautaires
et communautarisme(...),
Après il faudrait qu'il y ait une politique de
contact systématique avec ces associations ; et ça on ne le fait
pas. Et je ne sais pas si ce sera toujours bien pris par elles. Parce
l'idée du politique qui veut mettre son nez là-dedans, ce n'est
pas forcément ce qui est apprécié.... »
Cela induit-il qu'il pourrait y avoir une méfiance
systématique de la part de certaines associations de migrants si les
politiques venaient à initier un contact avec elles ? Notre élu
communal est affirmatif : « Oui, je crois. Puis il y a l'entre-soi qui
joue. »
Une chargée de mission et formatrice pour
l'ASSFAM143 interviewée lors de notre enquête
déplorait aussi le fait qu'à propos de ces associations :
« On ne leur laisse pas de place...il y a une gêne, elles sont
taxées de communautaristes ...à tort quelques fois».
En ce qui concerne la forme du contact à créer,
selon cet adjoint au maire en charge de la démocratie locale et la lutte
contre les discriminations, il pourrait prendre la forme d' :
4J « Un soutien financier aux associations
communautaires. Il y a la politique de la ville très
générale, il est vrai, qui joue
sur les quartiers où il y a beaucoup de
migrants.
4J Ça passe aussi par des soutiens aux
femmes , par exemple ce que fait FIJI
Rhône-Alpes144 qui est une association qui
fait de l'accompagnement, du soutien, de l'aide
personnalisé et de la formation en direction des femmes
immigrées, maghrébine ou africaines, en particulier sur tous les
problèmes de droit privé souvent compliqué, de droit
international privé. Et donc nous on les finance par exemple. Elles
interviennent auprès des femmes migrantes et ce n'est pas communautaire
».
4J À propos de
l'interculturalité, certaines
communes ont engagé des réflexions sur la question, avant-
gardiste sur les questions d'intégration/insertion des
populations immigrées, la 2e la plus importante en termes
d'effectif après Lyon, La Mairie de Villeurbanne par exemple a produit
un texte intitulé « Démocratie et
Diversité » et qui :
« ...Développe un point de vue qui n'est pas le
plus courant en France, justement à partir de l'idée de
l'existence des communautés, l'intérêt de cette
multiculturalité, avec la nécessité de passer par cette
interculturalité.. .On a réfléchi au moins
là-dessus, oui...On a participé à l'enquête du
CRAN145, une grande enquête sur la lutte contre les
discriminations, donc on leur a communiqué un rapport assez important
sur ce texte et d'autres choses... »
142 On peut y voir les compétences qui sont
développées en interne par les communautés associatives
qui les mettent au service des actions qui impliquent
l'interculturalité.
143 Association Service Social Familial Migrants,
Délégation du Rhône.
144
Vu sur le Portail internet de l'association : « Femmes
Informations Juridiques Internationales est une association à vocation
régionale
qui défend les droits personnels et familiaux ayant
une dimension internationale (mariages mixtes, déplacements illicites
d'enfants, divorces prononcés à l'étranger). La structure
née en 2002 d'un partenariat institutionnel et associatif
(la Délégation régionale des droits aux
femmes et à l'égalité-DRDFE, l'Agence pour la
cohésion sociale et l'égalité des chances-ACSé, le
Secrétariat général aux affaires régionales-SGAR,
Femmes contre les intégrismes-FCI, Le Centre d'Information des Droits
des Femmes et des Familles du Rhône-CIDFF), lutte contre les
discriminations et vise à faire respecter l'égalité entre
les hommes et les femmes. Elle offre des informations et des conseils
juridiques relatifs au droit international de la famille au public comme aux
professionnels. À ce titre des juristes assurent des permanences
téléphoniques et accueillent le public sur rendez-vous. Par
ailleurs, l'association offre des formations pour les professionnels et les
sessions de sensibilisation pour le public». FIJI
Rhône-Alpes. http://www.fiji-ra.com/
145 Conseil Représentatif des Associations Noires de
France
105
?? De ce point de vue, la Mairie reste disposée
à travailler avec les associations communautaires ; qu'elles portent des
actions d'intérêt général national ou exclusivement
au niveau local. Mais, une fois de plus, l'institutionnel souligne
l'intérêt pour ces associations d'une
intégration en réseaux,
car :
« À l'époque où il y avait le
CARA146, c'est sûr ça facilitait les choses, c'est
clair. Moi je regrette qu'il n'y ait pas assez de
fédérations...Moi je préfèrerais qu'il y ait
effectivement des regroupements qui permettent de parler un peu collectivement
et de mobiliser aussi des associations différentes ».
De là à inciter formellement les associations de
migrants africains à se constituer en collectifs pour «
faciliter le dialogue », la Mairie de Villeurbanne n'a pas
spécifiquement engagé de réflexion en ce sens, s'appuyant
sur l'idée que ce n'est pas au politique d'organiser les associations
subsahariennes du Grand Lyon, l'initiative devant venir des acteurs
eux-mêmes. Le Collectif Africa 50 ambitionne, nous l'avons
souligné, de porter cet impératif et d'incarner la vitrine
principale de toutes les associations de culture africaine et caribéenne
dans le Grand Lyon. Pour autant, d'après des renseignements
collectés au cours de notre enquête, le collectif n'est pas
suffisamment visible au sein de certaines mairies. C'est ce qu'indique
l'élu communal de notre investigation :
« Tout ce que je vois c'est des mails que je
reçois, mais je ne les connais pas...À ma connaissance il n y a
pas eu de demande formelle [émanant du collectif Africa 50] qui nous ait
été adressée, sinon je l'aurais su... ».
La situation est différente à l'échelle
de la Communauté du Grand Lyon, partenaire institutionnel et financier
central du Collectif Africa 50 qui fut très impliqué lors de la
Célébration du Cinquantenaire des Indépendances africaines
pilotée par le collectif. Un de ses coordonnateurs nous confiait ainsi
que :
« Les associations qui vont au niveau du Grand Lyon
de leur propre initiative, on les renvoie vers Africa 50. En ce sens, une
partie du travail [de la visibilité institutionnelle et du
positionnement en tant référent principal des organisations
africaines] est réalisée. Maintenant il y a un travail de
communication à faire en sorte que toutes les associations de culture
africaine reconnaissent vraiment l'objectif du collectif, adhèrent et
puis passent par le créneau qu'on a défini afin d'aller de
l'avant ensemble(...) je pense que dans les trois années à venir,
Africa 50 aura plus de portée, plus de voie ».
Difficile d'attester la pertinence de ces propos, nous n'avons
en effet pas pu rencontrer toutes les associations ayant engagé une
telle démarche, individuellement ou sous la bannière du
collectif. Pour le moment, du reste, en matière d'ancrage dans les
politiques publiques de la ville et d'intégration nationale, au vu des
données recueillies sur le terrain et des observations faites ( rapport
d'activités verbaux principalement), seuls le volet culturel ( la
valorisation de la mémoire, la promotion de l'interculturalité,
la prévention des discriminations le soutien à la
parentalité, le soutien scolaire) et les débats autour de la
relance des économies africaines et les initiatives entrepreneuriales
à promouvoir sur le continent noir( à travers le FEDDA) semblent
s'inscrire sur cette ligne. Encore que l'objectif majeur d'Africa 50 c'est
principalement d'assurer la promotion de la présence de l'Afrique et la
contribution des Africains à la vie de la cité lyonnaise et de
ses environs.
L'appropriation par le collectif Africa 50 des dispositifs
existants de la politique de la ville en matière d'Insertion, et de la
politique d'intégration, permettant un accompagnement global des
primo-arrivants, des femmes et des migrants âgés (publics
prioritaires du PRIPI/PDI) reste donc pour l'heure marginale. Néanmoins,
selon les principaux coordonnateurs qui reconnaissent ce déphasage avec
les problématiques sociales et réelles des immigrés de
manière générale et des subsahariens en particulier, des
travaux de réflexion seraient en cours dans ce
sens :
« Ça c'est l'objectif d'Africa 50. Nous sommes
en train de travailler là-dessus. C'est vrai qu'aujourd'hui, toutes les
structures d'insertion dont vous parliez, on n'a pas encore abordé ces
aspects, mais on passera obligatoirement par ça, on en a parlé
lors de nos deux dernières réunions. En fait pour nous,
l'intégration va passer par la base, et ça va commencer par les
femmes et les enfants en particulier ceux qui sont nés ici, qui sont
perdus et qui ne connaissent pas bien leur culture. Fl y a des activités
qui sont en train d'être mises en place pour permettre l'insertion des
jeunes puis des femmes ; Aujourd'hui on a ciblé le milieu scolaire. Nous
sommes en train de voir l'association des parents d'élèves au
niveau de Lyon, dans les écoles. Fl y a une activité qui
est
146 Collectif des associations des migrants africains dissous
suite à de multiples dissensions internes. Des versions convergentes
nous ont été rapportées lors de notre enquête par
des responsables d'associations anciennement membres de cette
fédération.
106
prévue le 31 octobre pour inciter les parents par
exemple à entrer dans tout ce qui est associations. Fl y a aussi une
activité sur l'éveil des enfants, dès l'âge de 4
ans. Aujourd'hui on le fait à Villeurbanne au sien des associations, et
on fait en sorte que ces gens-là puissent faire venir les enfants.
L'objectif à terme c'est de la faire dans chaque commune, d'aller vers
ces populations. Mais tout ce qui est insertion des personnes
âgées dans les foyers de travailleurs migrants par exemple, on n'a
pas encore soulevé le problème. Mais effectivement sur ce
plan-là, il y a du boulot à faire ».
2. Quelques préconisations pour une implication
forte des associations des migrants dans la mise en oeuvre du Plan
départemental d'Intégration du Rhône
Les pistes que nous indiquons peuvent avoir déjà
été explorées par certaines associations et mises en
oeuvre à moyenne et petite échelle ou pas du tout. L'ambition
n'est pas d'être exhaustif ou de réinventer la roue. Elle est
plutôt de mettre en exergue l'importance de ce qui existe, les acteurs
associatifs et les acteurs institutionnels en présence qui animent les
dispositifs d'intégration et d'insertion. Elle est surtout de mettre en
lumière ce qui se fait déjà au sein des organisations
associatives françaises des non migrants dans les champs qui pourraient
interpeller les migrants du Grand Lyon.
? Le ou les collectifs d'associations de migrants
pourraient faire de la pédagogie au travers des sessions d'information
explicative à destination des associations membres, communautaires ou
non, ayant un intérêt pour l'insertion sociale de ses
adhérents et désirant porter des projets en ce sens.
Pédagogie autour du PRIPI et du PDI local, ses enjeux, ses publics
cible, la place dévolue ou à prendre dans ces espaces par les
associations africaines organisées en réseaux, de même que
les tenants et résultats attendus du Plan local pour l'Insertion et
l'Emploi dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville et les
actions prévues en matière d'amélioration du cadre de vie
des habitants des espaces de précarité dans le Grand
Lyon.
Cela suppose :
?? un travail de recueil de données :
socio-économiques (taille et composition des familles, logement, emploi,
revenus, santé), démographiques... par tous moyens accessibles
pour une évaluation de l'importance des problématiques sociales,
des ressources disponibles (fonds, compétences, personnel et temps) des
collectifs associatifs subsahariens pour un espace à occuper, une
partition à jouer à l'échelle communautaire et
transcommunautaire dans l'agglomération lyonnaise.
?? La mise en place des bureaux d'études et
d'expertise conseils par les migrants disposant de capacités
techniques et opérationnelles et offrant de formation, d'études
techniques et évaluation de projet, analyse des politiques publiques
dans les domaines du développement social et économique local,
accompagnement à des entrepreneurs migrants et non migrants à
l'international, les TIC, les services financiers, l'ingénierie...
?? Un effort accru d'ouverture et de rapprochement
avec les associations des migrants pratiquant déjà l'insertion
de façon communautaire ainsi que les organisations
transculturelles du type Passerelle Ngam ou Africa 50, dans
une démarche intégrative (alliances stratégiques). Un
cadre opérationnel intégré qui permette la mobilisation de
toutes les compétences utiles, y compris les compétences
«culturelles » , avec des objectifs opérationnels et
stratégiques clairs, pour les champs de l'accès à
l'emploi, l'accès au logement, aux droits sociaux, aux dispositifs du
droit commun, à la protection sociale de tous les migrants en situation
régulière, tous âges, sexe et périmètres
géographiques confondus.
? Développer des partenariats forts et
féconds avec les acteurs associatifs non migrants actifs dans ces champs
et reconnus d'utilité publique par les pouvoirs publics. Ces
associations sont gestionnaires ou pas des dispositifs d'insertion ou
d'intégration de l'État. Ces partenariats assureraient d'abord
une plus grande visibilité politique, sociale et professionnelle des
collectifs des migrants africains, puis la multiplication d'occasions
d'échanges d'expériences et des pratiques ; et enfin une
collaboration sur le terrain avec les professionnels de ces
secteurs.
107
Les partenariats stratégiques peuvent se construire avec
:
? Les régies de quartier pour des
zones à forte présence des migrants (Villeurbanne, Lyon Sud-est,
Vaulx-en-Velin, Vénissieux, Bron, etc.): Régie de Quartier de
Bron (RQB), ou la régie de quartier Micro Initiatives Rilliarde (AMIR)
pour l'insertion sociale et professionnelle, par exemple ;
? Les associations spécialisées dans
l'accompagnement des migrants tels l'ASSFAM147 pour la
formation civique linguistique et professionnelle des femmes et migrants
âgés, ou l'ALPIL148 pour le logement des travailleurs
immigrés dans le Rhône ;
? Les associations de migrants d'autres
communautés souvent très implantées et actives
dans le domaine de l'insertion (Marocains, Portugais, Arméniens ...) en
vue d'initier des débats, pratiquer du lobbying institutionnel sur des
questions ayant trait à l'intégration. Cette ouverture pouvant
permettre dans le même temps d'accéder aux réseaux
économiques et professionnels, publics et privés, de ces autres
organisations.
? Les associations généralistes et
professionnelles impliquées dans la gestion locale du PLIE et autres
dispositifs en faveur du retour à l'emploi
dans des secteurs spécifiques (BTP, secteur hospitalier,
services à la personne, commerces, formation, enseignement ; et
l'accès au logement des familles et personnes
isolées dans le Rhône, ...) ; la formation
sociolinguistique et professionnelle ; et pour des publics migrants
spécifiques plus souvent exposés au chômage ou au travail
précaire : jeunes en rupture avec le milieu scolaire, jeunes
diplômés, cadres au chômage, personnes sans qualifications,
seniors migrants...149Nous pensons par exemple à
l'association ALLIES qui gère le PLIE pour la partie Sud du
Rhône.
? Les acteurs institutionnels départementaux et
régionaux en charge de la mise en oeuvre dans le Grand Lyon du
Plan Départemental de l'Intégration pour le Rhône et la
Politique de la ville : ACSE, DJRSCS, Préfecture à
l'égalité des chances...
Le Répertoire des associations du Rhône est un
outil accessible permettant d'identifier les acteurs clés de
l'intégration/insertion pour les communes concernées.
Des mesures peuvent être déployées
à l'infini et mériteraient une étude approfondie pour une
plus grande implication de la communauté africaine dans la vie
économique et sociale de l'agglomération lyonnaise. Promouvoir la
présence de l'Afrique dans le Grand Lyon doit pouvoir prendre la forme
d'une série d'actions en faveur de l'insertion sociale et
économique formelle des migrants subsahariens, toutes
générations confondues, en vue d'une intégration
accomplie. Mais cela suppose de mobiliser des compétences fortes
(déjà existantes mais non répertoriées) ; cela
apparait possible par la constitution des réseaux associatifs
intégrés et forts. Et c'est à ce jour loin d'être le
cas en ce qui concerne la communauté africaine du Grand Lyon, au vu des
avis et analyses recueillies auprès des responsables associatifs.
147 L'ASSFAM offre un catalogue de formations à
destination du public migrant : ateliers sociolinguistiques (apprentissage du
français), accompagnement des migrants âgés vers
l'accès aux droits, formation des professionnels, intégration
professionnelle des femmes migrantes, des ateliers prévention
santé et des séances d'échanges autour de la
parentalité. Lieux : Vénissieux, Lyon 1er et
7e arrondissements.
148 ALPIL : Action pour l'insertion sociale par le
logement a pour vocation d' « Améliorer le logement
des travailleurs immigrés et des catégories
défavorisées de la population. Promouvoir leur
intégration. »
149 Par exemple l'Association lyonnaise pour l'Insertion
Économique et Sociale(ALLIES) qui porte bien son nom et travaille
à l'insertion par l'économique des publics en difficulté.
Elle est gestionnaire du Plan Local pour L'Emploi et l'Insertion (PLIE) de la
ville de Lyon.
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