Chapitre 5
La généralisation des clauses et des
lois anti-OPA
La première pilule empoisonnée (shareholder
right plan) fût inventée en 1983 par l'avocat d'affaire Wachtell
Lipton . Cependant l'adoption des pilules ne se banalisa qu'à
partir de 1985 ; en 1989 30% des firmes étaient
protégées par une pilule empoisonnée. C'est aussi au
début des années 80 qu'apparurent les premières lois
anti-OPA, peu nombreuses jusqu'en 1988 elles se multiplièrent cette
année là. Si en 1986 seul 6% des firmes étaient
protégées par une loi ou une clause anti-OPA, en 1989 elles
étaient 87% à être protégées. Le lobby des
managers est en grande partie responsable de la généralisation de
ce type de défenses.
Dans une première section nous présenterons
les principales clauses et lois anti-OPA, puis, nous tenterons d'analyser les
conséquences de l'adoption de ces protections sur le déroulement
des OPA et sur la richesse des actionnaires . Dans une dernière
partie nous tenterons d'analyser les causes de la diminution du nombre de
rachats à la fin des années 80 .
Section 1 : Présentation des principales mesures
anti-OPA
Ces clauses affectent les contrats liant les managers aux
administrateurs, les contrats liant les administrateurs aux actionnaires et
donc la vulnérabilité de la firme face aux OPA. Parmi les clauses
anti-OPA nous devons faire la distinction entre les pilules empoisonnées
et les autres clauses. Les pilules empoisonnées regroupent un ensemble
de défenses anti-OPA statutaires ; le principe commun à
toutes les pilules est qu'elles ont la faculté de s'activer en cas
d'attaque sur la cible et d'être désactivées en cas d'offre
amicale. Il est possible pour un conseil d'administration d'adopter une pilule
une fois que l'entreprise fait l'objet d'une OPA .
§1 Les principales pilules
empoisonnées
Il existe différents types de pilules, plus ou moins
gênantes pour les offreurs potentiels.
A) Les flip-in rights plans
Ces plans sont élaborés par le conseil
d'administration puis soumis à l'approbation de l'assemblée
générale des actionnaires.
La mise en place d'une telle pilule permet aux actionnaires
d'acquérir un droit de souscription. Les détenteurs de ce droit,
à l'exception de l'initiateur de l'offre, ont la possibilité de
souscrire à des actions nouvelles à un prix réduit (en
général la moitié du cours de bourse) lorsqu'un
actionnaire hostile vient à dépasser un certain seuil du capital
de la société. Ce mécanisme cache tout simplement une
augmentation de capital, réservée aux anciens actionnaires,
à un prix très favorable. Il provoque une dilution de la
participation de l'attaquant et augmente ainsi le coût total de
l'OPA .
B) Les flip-over right plans
Cette pilule statutaire est une sophistication de la
précédente. Elle est née de la constatation qu'une grande
partie des OPA réussies aux Etats-Unis se soldent par la fusion de la
cible et de l'attaquant. Dès que la pilule est activée elle
permet aux anciens actionnaires d'acquérir à un prix
réduit soit des actions de la société absorbante
(une fois la fusion absorption réalisée ), soit des actions
de la société nouvelle (en cas de fusion proprement dite avec
disparition des deux sociétés existantes ). Contrairement aux
flip-in plans, les flip-over plans entraînent une dilution de la
participation de l'offreur dans le capital de la structure juridique
adoptée après l'OPA et non plus dans celui de la
société cible. Cette pilule est donc d'autant plus dangereuse
qu'elle affaiblit la position de l'attaquant directement dans la
société qu'il contrôle. Cette pilule est très
répandue aux Etats-Unis .
C) Les fair price provisions
La spécificité d'une clause de juste prix est de
dissuader l'initiateur d'une OPA de s'engager dans une opération de
fusion. Cette pilule ne s'active en effet qu'une fois l'OPA réussie et
le contrôle obtenu par l'initiateur, si les dirigeants décident de
fusionner les deux sociétés. L'initiateur doit alors proposer aux
minoritaires qui n'avaient pas apporté leurs titres à l'OPA des
conditions d'échange comparables à celles proposées au
cours de l'offre publique. L'adoption de cette pilule permet de
décourager l'initiateur d'une OPA en augmentant le coût qu'il
devra supporter pour pouvoir fusionner avec la société
visée. Cette clause équivaut en fin de compte à
contraindre l'initiateur à lancer une offre publique sur 100% des titre
de la société visée.
D) Les preferred stocks plans ou dispositifs
à titres privilégiés
Les preferred stock plans font partie des toutes
premières mesures anti-OPA adoptées par les
sociétés américaines durant la première
moitié des années 80. Ces plans instaurent la possibilité
pour les actionnaires de percevoir l'équivalent du dividende annuel sous
la forme d'actions privilégiées remboursables.
Le privilège attaché à ce type d'actions
est le suivant : le porteur a le droit d'exiger l'amortissement de ses
actions privilégiées en cas de prise de participation hostile
supérieure à un seuil statutaire (en général 30% du
capital). De plus, le remboursement se fait automatiquement au prix le plus
élevé payé par l'attaquant, au cours des douze derniers
mois, pour acquérir les actions de la cible (donc au minimum au prix de
l'offre). Ces actions sont cessibles mais l'attaquant qui provoque le
déclenchement de cette pilule ne profite pas du droit au remboursement
si il possède des actions privilégiées. Il peut en
revanche acquérir des actions privilégiées car elles
conservent toujours un droit de vote.
Si l'attaque par OPA hostile réussit et débouche
sur la fusion de la société initiatrice et de la cible, les
actions privilégiées seront converties (en actions de la nouvelle
société ou de la société absorbante ) sur la base
du prix le plus élevé payé par l'acquéreur au cours
des douze derniers mois .
L'intérêt de cette pilule en période
d'offre est de réduire le volume de titres apportés à
l'initiateur en pariant sur le comportement rationnel des actionnaires qui
cherchent à maximiser leur investissement. En effet , le
détenteur d'actions privilégiées a intérêt
à ne pas apporter ses titres à l'offre et à attendre la
fin de celle ci pour, une fois le seuil statutaire dépassé par
l'attaquant, user de son droit à l'amortissement .
Ces plans sont contestables pour deux raisons : d'abord
ils supposent un prélèvement sur les biens sociaux au profit des
actionnaires privilégiés, de plus ils contribuent à
l'appauvrissement de la société en aggravant sa situation
financière.
L'invention de pilules beaucoup plus dissuasives (flip-in ,
flip-over) à contribué au déclin des preferred stock
plans.
E) Les back-end right plans ou dispositifs à
droits en arrière
Cette pilule est apparue pour la première fois aux USA
en 1984, c'est une variante améliorée du dispositif à
titres privilégiés. Comme son modèle, elle se
déclenche lorsqu'un attaquant vient à détenir une
participation supérieure à un certain seuil statutaire. Les
back-end right sont des droit offerts aux actionnaires, qui rattachés
à des actions ordinaires peuvent être remboursés non plus
au prix le plus élevé payé par l'attaquant au cours des
douze derniers mois mais à un prix fixé statutairement
supérieur de 8% à 92% à celui du marché. Comme les
actions privilégiées, la détention de droits en
arrière permet de sortir de la société dans de bonnes
conditions tout en limitant le volume des titres apportés à
l'offre.
F) Les springing voting rights ou droits de vote
bondissants
Une société distribue à ses actionnaires
des actions auxquelles aucun droit de vote n'est rattaché. Toutefois une
clause statutaire leur permet de les récupérer sous certaines
conditions. Ainsi lorsqu'un raider vient à détenir un certain
pourcentage des actions à droit de vote de la société (en
général 30%), la pilule s'active et les actions retrouvent leurs
droits de vote .
L'intérêt d'une telle pilule est
d'entraîner la dilution de la participation du raider dans le total des
droits de vote et , dans la mesure où ce dernier souhaite obtenir le
contrôle de la société , de renchérir
considérablement le coût de son offre.
G) Les suicides poisons pills
C'est une clause statutaire qui vise à compromettre la
pérennité de la société en cas de changement de
contrôle consécutif à une OPA. Une telle disposition
contraint l'initiateur de l'offre à rembourser la totalité de la
dette de la société, généralement dans un
délai de trois mois après la prise de contrôle .
Une telle clause est toutefois préjudiciable aux
actionnaires restés fidèles à la société
puisqu'elle risque de mener cette dernière à la faillite dans le
cas où la société ne pourrait pas rembourser la
totalité de sa dette .
§2 Les autres clauses anti-OPA
Hormis les pilules empoisonnées, il existe un grand
nombre de clause statutaires anti-OPA. Elles peuvent être
adoptées lors de la création de la société ou
ultérieurement ; voici les principales :
A) Blank check preferred stock
Cette clause permet aux administrateurs proches des managers
d'émettre des titre privilégiés pour lesquels ils ont
toute discrétion concernant les droits de vote, les dividendes et
autres droits. Ces titres privilégiés sont émis en cas
d'offre hostile .
B) Classified board
Dans un tel conseil les administrateurs sont divisés
en plusieurs catégories et les mandats électifs de ces
différents administrateurs se chevauchent. Par exemple, dans une firme
avec trois catégories d'administrateurs, chaque année, on ne peut
remplacer plus d'un tiers des administrateurs. Ainsi un offreur hostile devra
patienter trois ans pour remplacer tous les administrateurs, même s'il a
réussi à obtenir la quasi totalité des droits de vote.
C) Stakeolder clause
Cette clause permet au conseil d'administration de rejeter,
avec une base légale explicite, une OPA attractive pour les
actionnaires. Si le conseil estime que les restructurations et autres
réformes proposées par l'offreur seront préjudiciables aux
salariés , aux fournisseurs et autres communautés, il a la
possibilité légale de rejeter l'offre. Notons que cette clause
est tout à fait contraire à la shareholder value.
D) Shareholder meeting requirement
Cette clause vise à empêcher les manoeuvres des
offreurs pour contourner le processus normal de prise de décision dans
l'entreprise. Ces clauses incluent des règles qui interdisent aux
actionnaires autres que les administrateurs ou les managers d'organiser des
assemblées générales d'actionnaires, ou qui imposent
une super-majorité d'actionnaires pour organiser une assemblée
générale spéciale.
E) Les clauses de
super-majorité
Ces clauses stipulent que les décisions prises en
assemblée générale doivent être approuvées
par 75% ou 85% des actionnaires (alors que normalement la majorité
simple suffit). Ces taux excèdent souvent le niveau de participation des
actionnaires aux assemblées générales, ce qui rend ces
votes très coûteux.
Ces clauses concernent le remplacement des administrateurs,
les ventes d'actifs ou les fusions.
F) Les droits de vote
inégaux
Cette clause instaure deux catégories d'actions, les
une ont des droits de vote supérieurs à ceux des autres. En
général les actions à droit de vote supérieur sont
concentrées entre les mains d'actionnaires proches du management en
place.
Cette liste n'est pas exhaustive ; toutes ces clauses ont
pour objectif d'augmenter le coût du rachat. Peu nombreuses jusqu'en 1988
les lois anti-OPA se sont multipliées cette année là,
grâce aux pressions exercées par le lobby des managers . Dans le
paragraphe qui va suivre nous décrirons les principales lois.
§3 Les lois anti-OPA
C'est l'état du Delaware qui fût à l'avant
garde concernant la législation et la jurisprudence anti-OPA .
A) Freeze out law
Ce type de loi interdit à un actionnaire important de
racheter une firme protégée sans avoir obtenu l'accord des
administrateurs de cette firme et ce durant un nombre d'années
précisé. Même après la période de gel, la
plupart des freeze out laws autorisent le rachat seulement s'il satisfait la
clause de juste prix (fair price provision).
Cette loi adoptée par l'état du Delaware en 1988
concerne un grand nombre d'entreprises. Elle requière une période
d'attente de trois ans, elle autorise les rachats durant cette période
seulement si ils sont approuvés par deux tiers des votants à
l'assemblée générale (offreur exclu).
B) Control share acquisition law
Le premier état à adopter cette loi fût
l'Ohio en 1982 ; cette loi requière l'approbation des actionnaires
avant qu'un nouveau grand actionnaire puisse voter en assemblée
générale. Elle concerne les grands actionnaires qui ont
dépassé un certain seuil (un cinquième) dans le capital de
la société protégée .
C) Fair price law
Ce type de loi impose des contraintes similaires à
celles imposées par les fair price provisions. En général,
cette loi interdit le rachat de la firme par un grand actionnaire tant que
l'une des deux conditions ci dessous n'est pas satisfaite :
- le rachat est approuvé par 80% de tous les votants
à l'assemblée générale et par les deux tiers des
votants excepté l'offreur.
- Les actionnaires reçoivent un prix fixé
(très élevé) pour les actions qu'ils vendront à
l'acheteur.
D) Cash-out law
Ce type de loi oblige l'actionnaire qui rachète plus
de 20% des titres d'une société à avertir tous les autres
actionnaires de son projet de rachat . Ces derniers ont alors le droit de
vendre leurs actions à l'offreur à un prix au moins aussi
élevé que le prix le plus élevé payé par
l'offreur durant la période où il a acheté ses titres.
Cette loi à été adoptée par seulement trois
états .
E) Les lois d'approbation des pilules
empoisonnées
Ce type de loi donne explicitement le droit aux entreprises
d'adopter des pilules empoisonnées. Ces lois ne sont pas
négligeables car elles donnent la certitude que les pilules ne pourront
pas être contestées juridiquement.
Toutes ces lois et clauses ont incontestablement
gêné le fonctionnement du marché du contrôle des
entreprises en augmentant les coûts subis par les acheteurs. Mais quel
est l'impact de ces clauses sur la richesse des actionnaires des
cibles ?
Section 2 : L'analyse de la réaction des
marchés financiers à de l'annonce de l'adoption de pilules
empoisonnées
L'adoption de pilules empoisonnées s'accompagne
généralement d'une faible baisse des cours . Ryngaert (1988)
a examiné l'évolution des cours de 283 entreprises ayant
adopté des pilules empoisonnées en 1986 , il trouve une
baisse moyenne de 0.34% . Malatesta et Walkling (1988), après avoir
examiné un échantillon de 132 firmes ayant adopté des
pilules, trouvent une baisse moyenne de 0.92% . Karpoff et
Malatesta (1989) constatent une baisse moyenne de 0.3% après avoir
examiné l'évolution des cours de 1505 firmes dans vingt six
états différents ayant adopté une loi anti-OPA. Ces trois
études sont citées par Comment et Schwert dans leur article de
1995.
Il est possible d'identifier trois effets correspondant
à l'adoption d'une pilule . Le premier correspond à une
perte de richesse pour les actionnaires ; les pilules ont pour objectif
d'augmenter les coûts d'une OPA pour l'offreur donc la probabilité
pour que la firme reçoive une offre de rachat diminue. Ainsi la
probabilité pour que les actionnaires de la cible touchent la prime
liée au rachat est réduite. Ce premier effet correspond à
une baisse des cours . Notons que cet effet peut être pollué
par le fait que beaucoup de managers attendent que l'OPA soit imminente pour
adopter une ou des pilules empoisonnées. Le deuxième effet
augmente la richesse des actionnaires car la pilule accroît le
pouvoir de négociation des managers vis à vis de l'offreur. La
pilule peut être désactivée par les managers en cas
d'accord trouvé avec l'offreur, ils vont ainsi pouvoir négocier
une prime de rachat plus élevée, ce qui est en accord avec les
intérêts des actionnaires de la cible. Le troisième effet
n'est pas évoqué par Comment et Schwert (1995), il est lié
à l'enracinement des managers . La pilule en augmentant les
coûts pour l'offreur isole les managers de la discipline imposée
par le marché.
Ainsi Borokhovich, Brunarski et Parrino (1997) mettent
en évidence le fait que les PDG des firmes ayant adopté des
clauses anti-OPA étaient mieux rémunérés que la
moyenne des PDG des firmes de leur échantillon. Non seulement ces PDG
étaient mieux payés que la moyenne avant l'adoption des pilules
mais leur rémunération a augmenté durant les trois
années qui ont suivi l'adoption. Borokhovich, Brunarski et Parrino
(1997) en déduisent que les PDG ont utilisé les clauses anti-OPA
pour augmenter encore leur niveau de rémunération. Cheng, Nagar
et Rajan (2001) cités par Arye Bebchuk et Fried (2003) trouvent que les
PDG des firmes implantées dans des états ayant promulgué
des lois anti-OPA entre 1984 et 1991, ont ensuite réduit leur part dans
le capital de la firme d'en moyenne 15% ; apparemment parce qu'une telle
participation ne leur était plus nécessaire pour maintenir le
contrôle.
Les études empiriques plaident donc en faveur d'un
enracinement des managers, permis par l'adoption des pilules
empoisonnées.
Une fois ces trois effets mis en évidence, la
difficulté est d'identifier les facteurs qui vont faire que tel ou tel
effet va dominer les deux autres (composition du conseil
d'administration, part du capital détenue par les managers...) .
Brickley, Coles et Terry (1994) ont fait une démarche
en ce sens en cherchant à vérifier l'hypothèse selon
laquelle les conseils d'administration dominés par des administrateurs
internes utilisent les pilules empoisonnées pour empêcher les
rachats (ils ne désactivent pas la pilule même si l'offre est
intéressante pour les actionnaires) tandis que les conseils
dominés par des administrateurs externes utiliseraient les pilules pour
négocier des primes de rachat plus élevées .
Il trouvent qu'en moyenne les investisseurs réagissent
plutôt favorablement (+ 0.94) à l'annonce de pilules lorsque le
conseil de la cible est dominé par des administrateurs externes et
réagissent plutôt défavorablement ( 0.31%) lorsque le
conseil est dominé par des administrateurs internes. Si ils n'ont pas
réussi à montrer que les offres de rachat lancées contre
des cibles dominées par des administrateurs externes
réussissaient plus fréquemment que les offres lancées
contre des cibles dominées par les managers, ils ont en revanche
montré que la présence d'administrateurs externes favorisait
l'évolution de l'offre vers une enchère. Lorsque les cibles sont
dominées par des administrateurs externes, 85.7% des offres
évoluent vers une enchère (bataille entre offreurs) alors que
lorsque le conseil des cibles est dominé par les managers, seules 23.5%
des offres évoluent vers une bataille entre offreurs. Ces batailles
entre offreurs sont évidemment profitables aux actionnaires de la cible
et défavorables au actionnaires de l'acheteur.
En définitive les études empiriques
réalisées sur l'impact de l'adoption de pilules sur la richesse
des actionnaires constatent toutes un effet négatif . Cependant il
n'y a pas de consensus quand à l'ampleur de cet effet (Malatesta et
Walkling 1988, Ryngaert 1988, Lee 1988 cités par Chakraborty et Baum).
L'impact des pilules sur la richesse des actionnaires de la cible dépend
de nombreux facteurs tels que l'opportunisme des managers, lui même
lié à la composition du conseil d'administration . La
situation financière de la cible et la stratégie mise en oeuvre
avant l'adoption de la pilule sont aussi à prendre en compte.
Ce qui est claire en revanche c'est qu'en cas de rachat, la
présence de pilules empoisonnées réduit les gains des
actionnaires de la firme acheteuse.
Les clauses anti-OPA, qui certes augmentent les coûts
pour l'offreur, ont été présentées par certains
comme la cause de la diminution brutale du nombre d'OPA à la fin des
années 80. Que savons nous sur cette question ?
Section 3 :L'implication des clauses anti-OPA dans le
déclin de la vague de rachats
Quelle est réellement la part de responsabilité
des pilules dans le déclin de la vague d'OPA ?
§1 La remise en question des clauses en tant
que principale cause de la baisse du nombre de rachats
C'est un débat qui a été vif ,
aujourd'hui encore il n'est pas tout à fait clos .
C'est durant le deuxième semestre de l'année
1989 que le nombre de rachats a considérablement baissé aux
USA, cette date correspond à la généralisation des
clauses et lois anti-OPA . Si nous regardons les statistiques, nous
constatons que jusqu'en 1986 seul 6% des entreprises américaines
étaient protégées par une mesure anti-OPA (loi ou clause)
alors qu'en 1989 87% des entreprises étaient
protégées par une loi ou une clause anti-OPA . Pour Coffee
(1991), Pound (1992) et d'autres, cités par Danielson et Karpoff (1998)
ce sont les clauses et les lois anti-OPA qui ont mis fin à la vague de
rachat des années 80 . En augmentant le coût des rachats ces
mécanismes auraient découragé les offreurs.
Comment et Schwert ne sont pas d'accord avec cette
explication, dans leur article de 1995 ils ont mis en évidence le fait
que beaucoup de managers attendaient que l'OPA soit imminente pour adopter une
ou des pilules empoisonnées et ils ont montré que la
présence de pilules n'affectait pas vraiment la probabilité de
succès de l'OPA . Heron et Lie (2000) sont d'accord avec cette
analyse puisque selon eux, la présence de pilules augmente le pouvoir de
négociation de la firme cible, ce qui permet d'obtenir une prime de
rachat plus élevée mais n'affecte pas la probabilité de
réussite de l'OPA. Ainsi l'adoption tardive d'une pilule, non
seulement ne dissuaderait pas l'offreur de lancer son OPA, mais en plus
n'aurait pas d'impact sur la probabilité de réussite de l'offre.
Ainsi même si personne ne conteste le fait que les clauses augmentent les
coûts des rachats ni que ces clauses aient empêché une
partie des rachats, pour Comment et Schwertz (1995) la
généralisation des clauses et lois anti-OPA n'est pas la
principale cause du déclin de la vague de rachats à la fin des
années 80 . Ils donnent d'autres éléments
d'explication.
§2 Les autres causes
évoquées
Même s'ils n'ignorent pas l'impact qu'a pu avoir la
généralisation des clauses et des lois anti-OPA en 1988 ;
Comment et Schwert (1995) évoquent la récession qui débuta
en juillet 1990 (NBER) et soulignent qu'en août 1989 le
congrès américain vota une réforme des institutions
financières visant à restaurer la confiance (Financial
Institution Reform Recovery and Enforcement Act). Cette réforme
pénalisa les détenteurs d'obligations à fort rendement
(junk bonds) et ordonna leur vente, simultanément, les
autorités de régulation interdisaient aux banques commerciales de
participer à des transactions où la dette représentait
plus de 75% des actifs. Le marché des junk bonds s'effondra en septembre
1989 lorsque le principal émetteur révéla
l'étendue de sa crise de liquidités. L'effondrement de la
valeur du portefeuille de la banque Drexel entraîna sa faillite et sa
dissolution en février 1990 .
Cette réforme est très certainement responsable
de l'effondrement des prêts octroyés au secteur non financier par
les banques commerciales. Le montant total des prêts accordés en
1989 s'élevait à trente trois milliards de dollars, en 1990 il
n'était plus que de deux milliards ; or nous savons que les banques
commerciales étaient les principaux financeurs des rachats (Comment et
Schwertz 1995).
La réforme des institutions financières
(août 1989) et l'intervention des autorités de régulation
marquèrent la volonté du gouvernement américain d'en finir
avec les rachats financés par la dette, cette réforme
coïncide avec le déclin de la vague d'OPA (deuxième
moitié de 1989). Ainsi, il semblerait que les clauses n'aient pas
joué un rôle déterminant dans la sensible diminution du
nombre de rachats en 1989. S'il est difficile d'évaluer avec
précision la part de responsabilité des clauses anti-OPA dans le
déclin de la vague de rachats, ce qui est incontestable c'est qu'elles
ont entravé le fonctionnement du marché du contrôle des
entreprises, en augmentant les coûts des rachats, et ainsi
favorisé l'enracinement des managers .
Au début des années 80 l'économie
américaine est entrée dans une ère nouvelle.
Cette vague d'OPA a marqué le début d'un
processus à l'origine d'un changement durable dans le comportement des
managers ; ils sont passés d'une stratégie de
rétention et de réinvestissement du free cash-flow à une
stratégie de réduction de la taille de leurs entreprises et de
distribution de dividendes. Si ils ont renoncé à une partie de
leur pouvoir et de leurs prérogatives, c'est parce que le marché
les y a contraint. Le nombre élevé d'offres hostiles est
lié au fait que les intérêts des actionnaires et des
managers n'étaient pas alignés .
Galvanisé par l'utilisation des junk bonds et par la
progression des investisseurs institutionnels dans le capital des grandes
firmes cotées, le marché du contrôle des entreprises a
été suffisamment puissant pour transformer l'industrie
américaine et ainsi rendre les entreprises plus compétitives face
à la montée en puissance de la concurrence
étrangère. Durant cette décennie, les offreurs ont
démontré que les entreprises américaines étaient
inefficientes. Leur compétitivité était en train de
s'effondrer tandis que les concurrents étrangers, notamment japonais,
devenaient de plus en plus dangereux.
Même si elles ont été douloureuses
socialement (entre 1983 et 1987 4.6 millions de salariés perdirent leur
emploi), les restructurations mises en oeuvre étaient
inéluctables ; l'industrie américaine devait se moderniser
afin de faire face à la concurrence étrangère.
Cette vague a aussi et surtout marqué le début
de la shareholder value en tant que principe de gouvernance. Pour Holmstrom et
Kaplan (2001), «La shareholder value est devenue dominante dans les
années 80 et 90 , au moins en partie, parce que le
marché a un avantage comparatif dans la mise en oeuvre des
réformes structurelles que la dérégulation et le
changement technologique nécessitent. » Concernant la
persistance de la shareholder value après la vague d'OPA, Kaplan (1997)
cité par Denis et Kruse (2000), pour expliquer le très faible
nombre d'OPA hostiles lors de la résurgence des OPA dans les
années 90, invoque le fait que les managers et les conseils
d'administration ont retenu les leçons des LBO des années
80 . C'est certes un élément d'explication, mais ce qui a
très certainement permis à la shareholder value de perdurer et de
se diffuser dans le monde entier, c'est l'utilisation massive des stock
options. Elles ont permis, tant que faire se peut, d'aligner les
intérêts des managers avec ceux des actionnaires .
D'après la théorie de la shareholder value, le
fait que les entreprises maximisent la valeur pour l'actionnaire est profitable
à l'économie dans son ensemble parce que les actionnaires vont
réaffecter les dividendes qu'ils reçoivent de manière
efficiente. La dernière bulle spéculative et ses
conséquences nous incite à prendre cette affirmation avec
circonspection . Même si durant cette vague d'OPA le marché a
montré sa supériorité par rapport aux managers en
réaffectant efficacement les ressources ; on ne peut
décemment parler de l'efficience des marchés.
Le marché est, en quelque sorte, un mal
nécessaire !
Je tiens à remercier Jacques Ravix pour ses
conseils avisés.
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