SECTION II LE DOMMAGE « MORAL »
§1 DEFINITION
Il s'agit des atteintes à l'honneur d'une personne,
à sa considération, à sa réputation et ce, par des
écrits, des injures, des paroles diffamatoires ou par tout autre moyen
(ex. Adultère, rupture injustifiée d'une promesse de mariage). Il
peut s'agir également des douleurs qui causent à la victime les
souffrances physiques ou morales à la suite d'un accident par exemple,
la réputation se fait grâce au prix de la douleur, le pretium
doloris.
Exemples : une jeune fille et peut être un jeune homme
qui à la suite d'un accident, doit garder une cicatrice trop visible ou
quelconque préjudice, qui diminue son harmonie physique, son
esthétique et peut être ses chances de mariage. Ses souffrances
constituent un préjudice, un dommage esthétique.
Il peut enfin s'agir des douleurs que l'on ressent à la
suite de l'atteinte à la sensibilité et à l'affection
à la suite de la mort ou même des blessures graves subies par un
être proche et aimé, voir même par un animal. C'est le
dommage dit affectif. Cette dernière hypothèse a
23
soulevé les difficultés particulières
relatives à la limitation des proches ou des amis qui pouvaient disposer
de l'action en réparation (tous ceux qui justifient de leurs peines :
parents, conjoint, fiancé, ami, certains proches seulement...). Les
solutions en jurisprudence sont restées divergentes46. De ce
fait nous pouvons relever en outre le cas, de l'arrêt classique de
revirement illustrant la prise en considération du préjudice
d'affection subi par une personne du fait de la mort de son concubin « la
cour ; sur le moyen unique vu l'article 1382 (258 CCCLIII) du code civil :
« Attendu que ce texte ordonnant que l'auteur de tout
fait ayant causé un dommage à autrui sera tenu de le
réparer, n'exige pas, en cas de décès, l'existence d'un
lien de droit entre le défunt et le demandeur en indemnisation ; attendu
que l'arrêt attaqué, statuant sur la demande de Mme Graudras en
réparation du préjudice résultant pour elle de la mort de
son concubin Paillette, tué dans un accident de la circulation dont
Dangereux avait été jugé responsable, a infirmé le
jugement de première instance qui avait fait droit à cette
demande en retenant que ce concubinage offrait des garanties de
stabilité et ne présentait pas de caractère
délictueux, et a débouté ladite dame Graudras de son
action, au seul motif que le concubinage ne crée pas de droit entre les
concubins ni à leur profit vis-à-vis des tiers ; qu'en
subordonnant ainsi l'application de l'article 1382 (258 CCCLIII) à une
condition qu'il ne contient pas, la cour d'appel a violé le texte
susvisé. Par ces motifs, casse... ».
Les juges avaient constaté que la concubine vivait avec
le seul revenu de la victime décédée, mais (la
jurisprudence Graudras a été cassée pour défaut de
base légale47.
Le dommage moral réside dans une atteinte à des
valeurs non pécuniaire, c'est-à-dire à toutes formes de
sentiments humains, atteintes à l'honneur (injures, diffamation,
à la pudeur, violations de la vie privée, publication illicites
d'images) à l'affection, adultère, perte d'un animal ou d'un bien
ayant une valeur d'attachement au-delà de son prix économique et
plus généralement, aux joies et plaisir, de la vie (privations de
la possibilité de certaines activités, trouble dus par exemple
à des nuisances).48
Le terme dommage « moral » est aussi impropre, plus
encore peut être, que celui de dommage « matériel ». Ce
que l'on désigne ainsi, ce sont les dommages qui n'entraînent pas
par eux-mêmes une perte économique, une diminution du «
patrimoine » : le terme exact eût été celui de
dommages extrapatrimoniaux. Il aurait évité les confusions qui
sont toujours la rançon d'une terminologie inadéquate.
Malgré tout, nous le conserverons, parce que malheureusement il est
usuel. Du moins faut-il voir ce qu'il recouvre. Or, sous ce vocable unique sont
rangés des dommages extrêmement divers, et il n'est pas sûr
que le même régime convienne à touts les espèces de
dommages « moraux », ni que les objections qui ont
été
46 LUTUMBA Wa LUTUMBA et Pindi Mbensa Kifu, Cours
de : Droit Civil des Obligations, in manuel pédagogique, UNIKIN
2011 PP. 168-169
47cass. Belge Ch. Mixte, 27 février. 1970,
veuve Graudras c/ Dangereux, in Philippe delebecque,
frédéc-Jérôme Pansier, op. cit., P. 83-84
48 Alain BENABENT, op. cit., P. 339
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faites contre le principe même de leur «
réparation » aient la même force quant aux uns et aux
autres
§2 PRINCIPE DE LA REPARATION DU DOMMAGE
MORAL
Ce principe a fait l'objet d'une controverse classique. On
évitera de s'y laisser noyer, puisque aussi bien la controverse, sans
être tarie, semble apaisée. En bref, il existe tout un courant
hostile à la réparation du dommage « moral ». Ce qui
n'a pas empêché la reconnaissance du principe.
A. LES OBJECTIONS AU PRINCIPE
L'objection principale que l'on fait, c'est que, ce dommage
étant par hypothèse extrapatrimoniale, on ne voit pas comment il
pourrait49 être réparé pécuniairement,
l'indemnité de responsabilité prenant le plus sauvent la forme de
dommages et intérêts. Accorder 1000 F ou 100.000 F pour
réparer la douleur, le chagrin, le préjudice esthétique,
etc., ne supprime pas la douleur, n'efface pas le chagrin du moins s'il
était sincère ne rend pas la beauté perdue, etc. «
battre monnaie » avec ses larmes a-t-on dit, c'est rendre la victime
odieuse, méprisable, du moins celle qui ne se borne pas à exiger
un franc symbolique ; et, dans ce dernier cas, on peut s'interroger sur la
signification de ce symbole. Sur un plan plus « terre-à-terre
», on observe que la réparation du dommage moral gonfle dans de
lourdes proportions le montant des réparations qui, de plus en plus
sauvent, sont prises en charge par une compagnie d'assurance,
c'est-à-dire en définitive par la collectivité des
assurés, lesquels payeront de ce fait des primes plus
élevées.
On ajoute que de nombreuses législations
étrangères n'accordent pas de réparation pour les
préjudices « moraux » ; qu'en France même les
réparations perçues au titre des accidents du travail n'en
tiennent pas compte. Jusqu'à une époque récente, on se
prévalait encore de ce que le conseil d'Etat, lorsque la
responsabilité de l'auteur du dommage relevait de la compétence
des juridictions administratives, ne prenait pas en considération le
dommage moral, sauf dans de cas exceptionnels où il entraînait un
« trouble dans les conditions d'existence », ce qui le rapprochait du
dommage « matériel »... ; mais ce dernier argument s'est
évanoui depuis que le conseil d'Etat a opéré un revirement
et semble accorder indemnités pour préjudices moraux.
B. LA RECONNAISSANCE DU PREJUDICE
En définitive, c'est la thèse contraire qui
triomphe en jurisprudence : on reconnaît, certes, que l'indemnité
pécuniaire ne répare pas ce qui par hypothèse est
irréparable, mais ajoute-t-on, si les dommages et intérêts
n'ont pas en ce cas une vertu « indemnitaire », du
49 Boris Starck, Droit Civil Obligations 1.
Responsabilité délictuelle, 2eme Editons
«s.l.n.d», p.62
50 Idem, p 64
25
moins offrent-ils une « compensation ».
L'indemnité accordée n'est pas « réparatrice »,
elle est « satisfactoire ». L'argent permet de se procurer certaines
joies, et si la somme est quelque peu important, des satisfactions
réelles, qui vont par exemple de l'achat d'un téléviseur
ou d'un train électrique jusqu'au voyage autour du monde, source de
distraction, d'intérêt et d'oubli « plaie d'argent n'est pas
mortelle », a pour complément : « l'argent pense bien des
plaies, physiques et morales ». On renforce ce plaidoyer en
déclarant que mieux vaut une « réparation »
inadéquate que pas de réparation du tout. Certains, les plus
nombreux, reconnaissent, en outre, que la réparation du préjudice
moral obéit en grande partie à l'idée de sanction dans le
sens répressif de terme, que l'idée de « vengeance »
n'en est pas absente, qu'il faut bien se résigner à y voir une
survie de l'idée de peine privée. La peine privée
était une institution normale en droit romain (la victime obtenait
à ce titre plus que le préjudice matériel) ; et elle s'est
maintenue, sous une forme restreinte, il est vrai, dans tout notre ancien droit
sous le nom d' « action criminelle privée », dont le domaine
recouvrait celui des dommages moraux, résultant d'un fait criminel,
« des crimes de sang », et dont l'exercice était d'ailleurs
limité aux membres de la famille de la victime et, chose remarquable,
elle était donnée même aux « bâtards ».
Bien que les rédacteurs du code civil semblent avoir voulu
écarter résolument cette action fondée sur l'idée
de vengeances, la jurisprudence y revient sous la poussée de forces
profondes : il serait vain de nier le ressentiment, la haine même, que
provoque l'auteur de dommages dont les conséquences, même non
pécuniaires, sont souvent atroces, et si les juges estiment qu'une
indemnité peut avoir un caractère « expiatoire », on
peut bien déplorer que les hommes ne soient pas
pénétrés de l'esprit charité, mais on ne saurait
fermer les yeux sur cette réalité. Au demeurant, cette discussion
abstraite ne saisit pas la diversité des situations que l'on range sous
ce même vocable de « dommage moral ». Le moment est venu pour
nous de faire les distinctions qui s'imposent ; on verra alors que dans
certains cas les critiques adressées à la réparation du
préjudice moral sont réellement injustifiées, tandis que
dans d'autres elles ont plus de poids. Conformément à des
idées qui nous sont maintenant familières, on distinguera les
préjudices suivant qu'ils sont indépendants de la mort, des
atteintes corporelles d'un être humain ou de la destruction d'objets
matériels, et ceux qui en sont au contraire une
conséquence.50
§3 DOMMAGES MORAUX INDEPENDANTS DE TOUTE ATTEINTE
CORPORELLE OU MATERIELLE
Ce sont ceux que, dans la terminologie proposée par la
théorie de la garantie, nous avons dénommés les dommages
purement moraux. Ils résultant de l'atteinte aux droits
extrapatrimoniaux, droits de la personnalité, droits individuels ou
droits familiaux (les « personnes morales » elles-mêmes peuvent
s'en prévaloir, le cas échéant).
Des indemnités sont accordées pour des chefs
divers : violation du droit de garde et de visite des enfants ; manquement au
devoir de fidélité, méconnaissance de l'autorité
parentale
26
On se bornera à citer quelques exemples pris au hasard
parmi d'innombrables espèces. Des dommages et intérêt sont
accordés pour :
s Atteintes à l'honneur
Elles proviennent de propos diffamatoires ou injurieux,
d'allégations mensongères (grossesse « extra-maritale »
d'une femme mariée), d'accusation de contrefaçon de brevet,
d'insinuation de participation à l'exécution de
résistants...
Dans la majorité des cas, outre le versement de
dommages et intérêts, l'auteur est condamné à faire
insérer à ses frais un extrait du jugement, ce qui est un mode de
réparation adéquate. Par ailleurs, la plupart des atteintes
à l'honneur sont en même temps constitutives de l'infraction
pénale de dénonciation calomnieuse, d'injures ou de
diffamation.
s Atteintes à la vie privée
« Ici en terme d'explication, nous relèverons les
exemples comme suit : divulgation de la grossesse d'une vedette,
révélation de l'adresse d'une personnalité ou de sa
maladie..., il est indifférent que la victime ait
précédemment toléré une violation de
l'intimité de sa vie privée, l'autorisation ou la
tolérance ayant un caractère ponctuel et n'engageant pas l'avenir
».
s Atteintes au nom
Le droit au nom est défendu contre toute usurpation,
dès l'instant qu'existe un risque de confusion entre le titulaire du nom
et l'usurpateur celui-ci, que l'usurpateur l'utilise comme patronyme ou comme
pseudonyme, ce qui suppose le plus souvent la rareté ou la
célébrité dudit nom. Mais d'ordinaire, l'atteinte au nom
résulte surtout de l'emploi d'un nom réel dans une oeuvre de
l'esprit (roman, pièce de théâtre, film) ou à des
fins commerciales (enseigne, marque, etc.).
s Atteintes au droit moral de l'auteur, de
l'artiste ou de l'inventeur
La violation de la paternité de l'oeuvre donne lieu
à de nombreuses décisions : droit du cartonnier et du lissier
d'une tapisserie, droit de l'auteur d'une fontaine, omission de citer le nom
d'un savant dans un ouvrage traitant d'une question où les études
de ce savant avaient apporté une contribution capitale, le fait
d'attribuer à une personne les oeuvres d'une autre (reportage de
photographies attribuées à un reporter autre que celui qui les a
prises ; en ce cas, le préjudice moral se double d'un préjudice
matériel).
s Atteintes aux droits familiaux
51 Idem, 64-66
52 Idem, 66-68
27
(baptême sans l'assentiment du père), trouble
apporté à l'intimité de la vie familiale, refus d'un mari
de confession israélite de délivrer le « gueth »
à sa femme.51
? Atteintes au droit à l'image
L'image, prolongement de la personnalité, est
protégée en soi et non seulement comme participant de la vie
privée. C'est pourquoi l'utilisation sans permission de l'image d'autrui
justifie l'action en responsabilité : film pris à l'insu d'une
personne et utilisé dans une séquence pornographique, publication
d'une photographie au téléobjectif d'une actrice nue sur un
bateau au large.
? Atteintes à la morale commerciale
La renommée d'une maison de commerce peut avoir
à souffrir de comportements indélicats. Tel est le cas lorsqu'une
société a prêté à des fins publicitaires des
vêtements de sport et que le producteur de filme insère la
publicité dans des séquences pornographiques mettant en apparence
la marque de ladite société.
Il existe d'innombrables autres décisions (atteintes
à la pudeur, atteinte au droit à la voix, atteinte à la
mémoire des morts. On peut se demander si les tribunaux ne vont pas
quelquefois trop loin. Que penser, par exemple, de cette décision qui
condamne une entreprise de pompes funèbres pour avoir avancé
l'heure de la cérémonie et qui, de ce fait, a privé la
famille de la possibilité d'y assister... ?
Compte tenu de ce que tous les dommages dont il est question
dans cette rubrique, dommages indépendants de toute destruction
matérielle, de toute atteinte à l'intégrité
physique ou à la vie humaine, ne sont des sources de
responsabilité que s'ils résultent d'une faute prouvée de
celui qui les a causés il ne paraît pas douteux que
l'indemnité allouée a plus un caractère sanctionnateur,
dans le sens répressif de ce terme, que réparateur, et que sa
véritable justification se trouve dans l'idée de peine
privée. De très nombreux auteurs se rangent à cette
manière de voir. Pour les dommages moraux dont il s'agit, nous croyons
pleinement justifiée la condamnation de l'auteur de la faute qui les
provoqués, et c'est une nette confirmation de l'idée que la
responsabilité civile a, outre la fonction de garantie, celle de
sanction des fautes en vue de leur prévention, somme toute une fonction
de peine privée.
Les choses se présentent sous un jour différent
pour les autres dommages moraux52
28
§4 DOMMAGES MORAUX RESULTANT D'UNE ATTEINTE
CORPORELLE OU MATERIELLE
1°. Destruction des choses et animaux
La victime du dommage obtiendra évidement la
réparation pour la perte éprouvée et le gain manqué
au titre du dommage matériel subit. Mais peut-elle en outre exiger une
réparation supplémentaire pour le préjudice moral que
cette perte lui cause, somme toute, pour le chagrin qu'elle éprouve du
fait de sa disparition ? Question étonnante,
2°. Atteinte à la vie ou à
l'intégrité corporelle
Cette question est autrement importante et délicate que
la précédente. Ici la réparation du dommage « moral
» est couramment admise. Cependant, ces termes recouvrent des dommages
très différents les uns des autres, qu'il nous faut distinguer
avec soin.
a. Citons en premier lieu l'indemnité accordée
en considération des souffrances physiques consécutives à
un accident corporel : la douleur dans le sens médical du terme. Ces
souffrances, souvent intolérable de plus ou moins longue durée,
permettent d'obtenir une indemnité dénommée le pretium
doloris. Certes, la somme allouée n'effacera pas la souffrance, mais
elle permettra à celui qui l'a éprouvée de se procurer
quelques joies consolatrices.
Cette indemnité est quotidiennement accordée
(il est inutile de citer des décisions, la jurisprudence étant
constante). Elle n'est pas subordonnée à l'existence d'une faute
du responsable, celui-ci a pu être condamné en vertu de textes ou
de jurisprudences
b. Les accidents corporels peuvent entraîner, en plus
ou en dehors des souffrances physiques, divers autres dommages « moraux
». « Préjudices d'agrément », c'est-à-dire
privation des joies de l'existence (par exemple pratiquer les sports ou
pêcher au linge), parmi lesquels une place à part est faite au
« préjudice juvénile » (enfant privé des jeux de
son âge) et à la « privation des joies du mariage »
(mari devenu impuissant à la suite d'un accident).
Ainsi ont été déclarés
préjudices indemnisables : la privation de l'odorat et du goût, la
privation partielle de la pratique de la danse classique, l'interruption d'un
voyage touristique et l'obligation corrélative d'atteindre la sortie de
l'hôpital de son amie, la difficulté de porter des objets lourds
et d'exercer une forte préhension avec sa main droite, le retard de 2
mois et 10 jours dans la consommation du mariage, l'impossibilité de
s'adonner pleinement à son métier, source de satisfactions
à la fois privées et professionnelles, la perte du sentiment de
la perfection de son harmonie corporelle éprouvée à
l'occasion de son enseignement...
En ce domaine, la jurisprudence fait preuve d'une conception
démesurément extensive du dommage. En premier lieu, sa
définition du préjudice d'agrément dépasse
largement la perte des joies légitimes que l'on peut atteindre de
l'existence pour embrasser la moindre gêne psychique que ces
difficultés quotidiennes entraînent pour la victime. En second
lieu, les
29
tribunaux n'exigent pas que la démonstration soit faite
de la privation d'une activité d'agréments potentiels
désormais diminuées ou interdites fondant un droit à
réparation. Enfin, peu importe le fait que la victime ne soit pas
consciente d'éprouver un tel préjudice, qu'elle ne se rende pas
compte de son état et ne se souvienne pas de sa vie antérieure,
« l'indemnisation d'un dommage n'étant pas fonction de la
représentation que s'en fait la victime, mais de sa constatation par les
juges et de son évaluation objective ».
« Préjudice esthétique » : une
personne est défigurée, ou subit des mutilations ou des
cicatrices diverses au visage ou sur son corps. Dans certains cas ; le
préjudice esthétique a une incidence sur la capacité de
gain de la victime, l'esthétique jouant un rôle indéniable
dans certains emplois, les « hôtesses » par exemple ; elle est
alors indemnisée au titre du dommage matériel ; mais alors
même que le préjudice esthétique n'aurait aucune
répercussion pécuniaire, les tribunaux accordent unanimement une
indemnité de ce chef.
Là encore, la faute du responsable n'est pas une
condition de la réparation qui, de ce fait, n'est pas une peine
privée (l'assurance couvre d'ailleurs généralement la
responsabilité pour ce genre de préjudices). Peu d'auteurs
critiquent ces indemnisations : leur caractère « satisfactoire
» ; si non réparateur, n'est pas niable en ce cas, et le
bénéficiaire étant la victime elle-même, sa demande
n'a rien d'odieux ou de méprisable.
Ce qu'il faut éviter, c'est d'aborder des
indemnités lorsque le dommage n'est pas sérieux. Il nous
paraît difficile d'approuver cette décision qui alloue une
indemnité pour préjudice esthétique résultant d'une
éruption dermatologique consécutive à l'absorption d'un
médicament, empêchant la princesse de B... de se vêtir d'une
robe décolletée...en plein mois de juillet ; il est vrai que dans
cette espèce le pharmacien est condamné pour faute dans la
préparation du médicament, ce qui s'explique la
sévérité du tribunal ( encore la manifestation du
caractère répressif de la condamnation civile).
Le « préjudice d'affection » est
également indemnisé ; s'il s'agit du chagrin provoqué par
la mort d'un « être cher » (dans le sens affectif du terme), ou
même par la vue de ses souffrances ou infirmités quelquefois
atroces si la victime de l'accident survit. Cette indemnité, que l'on a
appelée le pretium affectionis (mais l'expression n'est pas
entrée dans les usages), soulève un problème très
différent de celui des autres préjudices « moraux »
jusqu'ici exposés. En effet, ce n'est pas la victime directe de
l'accident qui la réclamation, des tiers, ses « proches ».
C'est en considérant ces demandes que l'on a dénoncé le
caractère odieux et méprisable de ceux qui « battent monnaie
» avec leurs larmes. A cet égard, la question peut en effet se
poser, mais il était important de ne pas confondre dans une même
catégorie des dommages « moraux » essentiellement
différents. Quoi qu'il en soit, la question de « préjudice
d'affection » appartient à un problème plus
général : celui de savoir si des tiers, et non la victime
directe, peuvent demander une réparation à l'auteur du dommage,
pour le préjudice non seulement « moral », mais aussi «
matériel » qu'ils ont personnellement
53 Idem, p.68-72
30
souffert : c'est le célèbre et difficile
problème des « dommages par ricochet », dit aussi «
dommage réfléchi »ou « dommage médiat »
...53
Les incertitudes affectant la notion de «
préjudice d'agrément », mérite d'être soulever.
Cette notion n'a fait son apparition en jurisprudence et encore assez
timidement qu'à partir des années 1950. Il s'agit donc d'un
concept relativement récent. Or la définition de ce nouveau chef
de préjudice a suscité, ces dernières années, des
hésitations. Des tendances assez différentes se sont
manifestées en doctrine et en jurisprudence à ce sujet. Jusqu'aux
années 1970, le « préjudice d'agrément »,
réparé à ce titre, à la suite d'une
invalidité, était très généralement
identifié à la perte de la possibilité d'exercer certaines
activités de loisir. Tantôt les juges retenaient explicitement la
pratique antérieure, par le demandeur, d'un sport ou d'une
activité artistique que l'accident avait rendu désormais
impossible, c'était la conception la plus restrictive et la plus
élitiste ; tantôt ils se contentaient de constater
l'impossibilité générale de jouir des plaisirs d'ordre
culturel, sportif, social et mondain, qui sont normalement accessibles aux
personnes de l'âge et de la condition de la victime. Mais les tribunaux
réduisaient ordinairement le préjudice d'agrément à
la privatisation des distractions et satisfactions que procurent les seuls
loisirs. C'était donc là incontestablement un préjudice
moral parmi d'autres, car il ne pouvait, de toute évidence, être
confondu ni avec le « préjudice esthétique » ni avec
« les souffrances physiques et morales » entraînées par
la blessure elle-même, ni a fortiori avec le préjudice d'affection
subi par les proches. Cependant, depuis quelques années, une conception
plus large du préjudice d'agrément a été
proposée par certains auteurs et consacrée par certaines
juridictions. Elle consiste à identifier le préjudice
d'agrément à la perte de tous les agréments ordinaires de
la vie, quelle que soient leur nature et leur origine, c'est-à-dire
à l'ensemble des souffrances, gênes et frustrations ressenties
dans tous les aspects de l'existence quotidienne en raison de la blessure et de
ses séquelles.
Or, il est évident que, si on tire toutes les
conséquences logiques de cette définition, elle ne peut que
remettre en cause la liste actuelle des préjudices méritant une
évaluation distincte.
D'abord, comme nous l'avons déjà
constaté, le préjudice d'agrément ainsi entendu tend
à s'identifier à l'aspect physiologique et fonctionnel de
l'invalidité, et par conséquent, si cette orientation se
confirmait, elle conduirait à réduire l'indemnisation de
l'incapacité temporaire ou permanente à son seul aspect
économique. Mais, en outre et ceci intéresse davantage la
question qui est examinée ici cette définition large
entraînerait nécessairement la disparition de la plupart des
autres préjudices moraux qui se trouveraient englobés dans le
préjudice d'agrément, celui-ci recouvrant désormais les
différentes formes de souffrances qui étaient auparavant
isolées sous les rubriques de pretium doloris, « préjudice
esthétique », ainsi qu'éventuellement «
préjudice juvénile », « sexuel »...
Par conséquent, si cet essor du concept de
préjudice d'agrément était définitivement
consacré, il provoquerait sans doute, une remise en cause de la liste
actuelle des préjudices méritant une évolution
distincte.54
31
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