Chapitre 2 ) Le rôle des institutions internes et
externes
Bien que l'employeur occupe une place majeure dans la
prévention des actes de harcèlement sexuel dans son entreprise ,
il n'est pas le seul acteur tenu de jouer un rôle actif.
En effet, les institutions représentatives du personnel
(Section 1) tiennent une place essentielle et ce, parce qu'elles doivent
être à l'écoute permanente des salariés ce qui en
fait des acteurs de choix étant donné qu'il leur est plus simple
de déceler une éventuelle anomalie, un éventuel risque de
harcèlement sexuel.
Néanmoins, cette prévention des risques
psychosociaux dont fait partie le harcèlement sexuel ne peut pas se
faire sans l'intervention de services extérieurs à l'entreprise
(Section 2). Ceci peut notamment se justifier par le fait que certains services
extérieurs sont spécialisés et disposent de connaissances
techniques approfondies.
Section 1 ) Le rôle des institutions
représentatives du personnel
Parmi les institutions représentatives du personnel
pouvant trouver leur place ici , une part importante sera laissée au
CHSCT , véritable acteur principal de la prévention du
harcèlement sexuel et des autres risques psychosociaux dans l'entreprise
(A) puis seront explorées les missions des délégués
du personnel (B) , du Comité d'entreprise (CE) ( C) puis des
organisations syndicales (D).
A) La place primordiale du Comité
d'hygiène et de sécurité et des conditions de travail
(CHSCT)
Le CHSCT est régi par les articles L.4612-1 et suivants
du Code du travail.
Il s'agit de l'institution chargée tout
spécialement de veiller à la santé au travail. Il doit
être obligatoirement constitué dans les établissements
occupant au moins 50 salariés, si ce seuil a été atteint
pendant 12 mois consécutifs ou non au cours des trois dernières
années précédentes selon l'article 4611-1 du Code du
travail. Il est possible de voir plusieurs CHSCT au sein d'un même
établissement lorsque celui-ci occupe au moins 500 salariés. Si
une entreprise ne dispose pas de CHSCT, ce sont les
délégués du personnel qui exerceront ses missions.
Le CHSCT est composé de l'employeur ou de son
représentant qui préside le CHSCT , une délégation
du personnel, le médecin du travail et le chef du service
sécurité (tous deux assistants
31
aux séances du comité).
Le CHSCT a donc pour mission de contribuer à la
santé physique et mentale et à la sécurité des
salariés de l'établissement ainsi que de ceux mis à
disposition par une entreprise extérieure. Il doit aussi tendre à
améliorer les conditions de travail et veiller au respect de la
réglementation en la matière.
Pour ce faire, il se doit d'analyser les risques auxquels
peuvent être soumis les salariés . Il peut donc procéder
à des inspections et mener des enquêtes. Il joue alors un
rôle important en ce qui concerne la prévention des risques
psychosociaux. En effet, il peut proposer des actions de prévention du
harcèlement moral mais aussi sexuel selon l'article L.4612-3 du Code du
travail. L'employeur qui refuserait de mettre en oeuvre les actions de
prévention du CHSCT devra motiver sa décision68.
Ensuite, le CHSCT dispose d'attributions consultatives. En
effet, sous peine de délit d'entrave69 , il doit être
consulté par l'employeur avant toute décision
d'aménagement important qui modifie les conditions de santé et de
sécurité ou les conditions de travail et ce, avant la
consultation du comité d'entreprise. Il doit aussi être
consulté en cas de projets d'introduction de nouvelles technologies et
les conséquences de ce projet sur la santé et la
sécurité des travailleurs. L'article L.4612-8 du Code du travail
prévoit aussi qu'il doit être consulté sur la mise en place
d'entretiens individuels d'évaluation des salariés. Il
paraît aussi utile de rajouter que le CHSCT peut faire appel à un
expert afin de rendre un avis suffisamment réfléchi et en toute
connaissance de cause70.
De plus, au moins une fois par an, l'employeur doit soumettre
à l'avis du CHSCT un rapport écrit faisant le bilan de la
situation générale de l'hygiène,de la
sécurité et des conditions de travail dans l'établissement
et, sur un programme annuel de prévention des risques professionnels et
d'amélioration des conditions de travail.
Enfin, face à un danger et notamment face à un
cas de harcèlement sexuel dans l'établissement, le CHSCT a un
rôle d'autant plus fondamental. Cette institution doit savoir faire face
au risque, doit être à l'écoute des salariés. Elle
doit donc prendre en compte et porter un intérêt particulier aux
plaintes des personnes se disant victimes d'un harcèlement et agir en
usant
68 ) Article L.4612-3 du Code du travail
69 ) L'article L.4741-1 du Code du travail prévoit une
peine d'emprisonnement d'un an et d'une amende de 3750 €.
70 ) Ceci est prévu par l'article L.4614-12 du Code du
travail mais seulement en cas de risque grave, révélé ou
non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à
caractère professionnel ou en cas de projet important de modification
des conditions de travail ou de santé et de sécurité. Le
harcèlement sexuel entre dans la première catégorie car
pouvant constituer un accident du travail.
32
d'enquêtes et d'inspections. Si le cas semble
véritablement avéré, le CHSCT peut entrer dans une phase
offensive qui est la procédure d'alerte prévue par les articles
L.4132-1 et suivants du Code du travail.
La procédure peut donc être introduite par un
représentant du CHSCT qui aurait constaté de par lui-même
ou de par l'intermédiaire d'un salarié qui aurait
témoigné ou aurait fait usage de son droit de retrait, une
situation de danger grave et imminent en alertant l'employeur.
L'avis d'un expert peut également être
sollicité.
Le représentant en question va alors consigner son avis
sur un registre spécialement tenu à cet effet dans l'entreprise.
L'employeur aura alors l'obligation de procéder à une
enquête immédiate avec, à ses côtés, le
représentant. Selon un arrêt de la Chambre sociale du 10 octobre
1989 (n°86-44.112) l'employeur ne peut pas refuser au représentant
de se rendre sur les lieux, ni de lui fournir à cet effet les moyens
nécessaires.
L'enquête devra alors déboucher sur des mesures
à prendre afin de faire cesser le risque au plus vite. Dans le cas d'un
harcèlement sexuel ceci peut passer par la convocation de l'auteur du
harcèlement , la mise en oeuvre de sanctions disciplinaires ou
l'affectation dans un autre service si ceci est possible.
Cependant, si divergence il y a sur l'effectivité du
danger ou sur les mesures à prendre, le CHSCT doit être
réuni d'urgence dans un délai maximal de 24 heures. A
défaut d'accord entre l'employeur et le CHSCT sur les mesures à
prendre et leurs conditions d'exécution, l'employeur doit saisir
l'inspection du travail qui peut utiliser la procédure de mise en
demeure ou saisir le juge des référés quand les faits
présentent un danger grave et imminent. Il convient de noter que cette
procédure d'alerte a plus une visée curative que
préventive vu qu'elle tente de remédier à une situation
dont le risque a été réalisé ou dont la
réalisation semble imminente, plutôt que de prévenir
véritablement le risque.
Ainsi donc le CHSCT dispose de moyens d'analyse, de
consultation et d'une procédure d'alerte afin de préserver les
salariés ; moyens qui peuvent être utilisés dans le cas
étudié du harcèlement sexuel.
B) Les missions des délégués du
personnel
Dans un établissement de moins de 50 salariés,
les délégués du personnel sont investis des missions
dévolues normalement au CHSCT qu'ils exercent pendant leurs heures de
délégation (articles L.4611-3 et L.2323-16 du Code du travail).
Un ANI du 13 septembre 2000 sur la santé au
33
travail et la prévention des risques professionnels
prévoit que dans un établissement dont l'effectif est compris
entre 11 et 50 salariés, les délégués du personnel
doivent s'occuper des activités de prévention des risques
professionnels.
Dans un établissement de plus de 50 salariés et
à défaut de CHSCT ,notamment en cas de carence de candidats, les
délégués du personnel ont les mêmes missions ainsi
que les mêmes moyens que les membres du CHSCT selon les articles L.4611-2
et L.2323-6 du Code du travail.
Cependant, ce n'est pas l'instance de représentation du
personnel la plus sollicitée en matière de prévention Or,
les délégués du personnel peuvent présenter
à l'employeur des réclamations individuelles ou collectives
relatives à la santé et à la sécurité ce qui
constitue un moyen de collaboration avec le CHSCT.
De plus, les délégués du personnel
peuvent être alertés et alerter aux-mêmes l'employeur de
situations pouvant être à l'origine de troubles
psychosociaux71. L'alerte peut être mise en oeuvre pour des
atteintes au droit des personnes ou une atteinte à leurs libertés
individuelles non justifiée par la nature de la tâche à
accomplir ou encore, pour des faits de discrimination et même pour des
faits de harcèlement moral ou bien sexuels qui portent atteinte à
la dignité des salariés et comportent des risques pour leur
santé mentale et même physique.
L'employeur devra procéder à une enquête
avec le délégué du personnel afin de remédier
à la situation à risque, si le cas l'impose. Durant cette
enquête les délégués du personnel doivent respecter
les droits de la personne mise en cause . Dans un arrêt de la Chambre
criminelle du 3 avril 2002 (n°01-86.730), deux
délégués du personnel ont été
condamnés pour diffamation non publique et ce, pour avoir affiché
dans un local de l'entreprise réservé au personnel, une note
laissant clairement entendre qu'un dirigeant, contre lequel était
menée une enquête, était impliqué dans des faits de
harcèlement sexuel . Ceci portait donc atteinte à sa
présomption d'innocence ; les délégués du personnel
doivent donc se montrer prudent et agir avec discrétion.
La demande d'enquête ne répond à aucun
formalisme défini mais il est conseillé qu'elle soit
écrite afin de constituer plus facilement une preuve si le juge devait
être saisi par la suite72. En effet,si il y a carence de la
part de l'employeur ou divergence sur la situation à risque, les
délégués du personnel peuvent saisir le Conseil de
prud'hommes qui statut en sa formation de référé si le
salarié intéressé par le risque ne s'y oppose pas. Le juge
pourra ordonner toute mesure afin de faire cesser l'atteinte. Cela passe par
exemple par l'ouverture d'une enquête, le rétablissement dans
ses
71 ) Article L.2313-2 du Code du travail
72 ) Lefebvre F., Harcèlement et risques psychosociaux ,
Ed.Francis Lefebvre , 2012
34
fonctions antérieures d'un salarié dont le
contrat aurait pu être modifié pour motif discriminatoire. Le juge
peut également assortir sa décision d'une astreinte afin de
contraindre l'employeur d'exécuter la décision donnée.
Cependant, cette procédure s'avère plus
offensive que préventive puisqu'il faut là aussi encore, comme
dans le cas du CHSCT, que le risque soit réalisé. Cette
procédure semble donc être un moyen de prévention
inadapté parce qu'elle se situe en aval du risque mais elle ne doit pas
être négligée car elle garde une grande part
d'utilité .
C ) Les missions du Comité d'entreprise
(CE)
Le CE est constitué dans le cadre de l'entreprise
dès lors qu'elle occupe au moins 50 salariés. Sa mise en place
est obligatoire si l'effectif de 50 salariés est atteint pendant 12
mois, consécutifs ou non, au cours des trois années
précédentes. Dans les entreprises de moins de 50 salariés,
des CE peuvent être créés par convention ou accord
collectif de travail.
Le CE est composé de l'employeur ou de son
représentant et d'une délégation du personnel .
Les problèmes généraux concernant les
conditions de travail relèvent de la compétence du CE
73. Le CE doit assurer une expression collective des salariés
permettant la prise en compte permanente de leurs intérêts.
Il doit être consulté en cas de projet important
susceptible d'avoir un impact sur les conditions de travail. Il peut aussi
créer une commission d'examen pour des problèmes particuliers ;
il est donc possible d'en créer une sur le harcèlement au travail
qu'il soit moral ou sexuel. Il peut aussi, dans cette même optique de
prévention, organiser des réunions d'information pour le
personnel qui porterait sur des problèmes actuels 74.
Dans les entreprises de moins de 300 salariés, le bilan
social récapitule en un document unique les principales données
permettant d'apprécier la situation de l'entreprise dans le domaine
social. Ce bilan comporte des informations sur l'emploi, sur les conditions
d'hygiène et de sécurité, les relations
professionnelles... Le CE émet chaque année un avis sur le bilan
social ce qui lui permet d'avoir notamment une vision sociale de l'entreprise
.
De plus, le CE exerce un rôle dans le contrôle des
salariés. Il doit être informé et consulté sur les
moyens ou les techniques permettant un contrôle de l'activité des
salariés, sur les projets
73 ) Article L.2323-27 du Code du travail
74 ) Article L.2325-13 du Code du travail
modifiant les conditions de travail, après consultation
et avis du CHSCT . Il collabore ainsi avec ce dernier.
En cas de non-respect de l'obligation de consultation du CE,
le dispositif de contrôle ou d'évaluation des salariés leur
est inopposable, les éléments de preuve obtenus au moyen d'un tel
dispositif ne sont pas retenus et l'employeur peut être puni pour
délit d'entrave au fonctionnement régulier du CE (article
L.2328-1 du Code du travail).
Donc, le CE exerce des missions en lien étroit avec le
CHSCT ainsi que des missions plus générales pouvant concerner les
risques psychosociaux et plus particulièrement de harcèlement
sexuel dans l'entreprise. Malgré la place importante du CHSCT en
matière de santé et de sécurité au travail , le CE
trouve tout de même une place non négligeable complétant
l'action du CHSCT.
D) La mission des organisations syndicales
L'intervention des organisations syndicales n'est pas
prévue par un texte et demeure très restreinte en matière
de prévention des risques psychosociaux.
Elles disposent cependant de la possibilité
d'intervenir judiciairement. En effet, dans un arrêt Snecma de la Chambre
sociale du 5 mars 2008 (n°06-45.488) un employeur souhaitait mettre en
place dans son entreprise une nouvelle organisation du travail qui aurait
entraîné l'isolement d'un salarié chargé seul
d'assurer la garde et la maintenance de jour. Le CHSCT et le CE avaient
donné un avis défavorable mais l'employeur décidait quand
même de mettre en oeuvre cette nouvelle organisation. Une organisation
syndicale a alors saisit le Tribunal de grande instance (TGI) en demandant
à ce que le juge défende à l'employeur la mise en place du
dispositif. La Cour de cassation après avoir confirmé la
décision de la Cour d'appel qui suspendait la mise en oeuvre de cette
organisation a aussi rappelé qu'il est interdit à l'employeur de
prendre des mesures de nature à compromettre la santé et la
sécurité des salariés.
Les organisations syndicales disposent donc d'une vigilance
judiciaire de prévention qui, une fois mise en oeuvre, peut aboutir
à une mesure judiciaire de suspension. Ces organisations entretiennent
donc des liens quelques peu étroits avec le CHSCT et le CE et peuvent
agir elles mêmes contrairement aux autres institutions.
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