UNIVERSITE DE MONTPELLIER 1
Faculté de Droit et de Science politique
La protection des salariés face au
harcèlement sexuel Mémoire pour le Master 1- Droit
social Présenté par Emeline LOREK Année
universitaire 2014 - 2015
|
Sous la direction de Monsieur A. CHEVILLARD, Maître
de conférences à la Faculté de Droit et de Science
Politique de Montpellier , Avocat à la Cour
2
Les opinions exprimées dans ce mémoire sont
propres à leur auteur et n'engagent pas l'Université de
Montpellier 1
3
LISTE DES ABREVIATIONS
ANACT : Agence nationale pour l'amélioration des
conditions de travail
ARACT : Association régionale pour
l'amélioration des conditions de travail
CA : Cour d'appel
CARSAT : Caisse Nationale de l'Assurance Vieillesse des
Travailleurs Salariés
Cass. soc : Arrêt de la Chambre sociale de la Cour de
cassation
Cass. crim : Arrêt de la Chambre criminelle de la Cour
de cassation
Cons. Const. : Conseil constitutionnel
CDD : Contrat de travail à durée
déterminée
CDI : Contrat de travail à durée
indéterminée
CE : Comité d'entreprise
CHSCT : Comité d'hygiène, de
sécurité et des conditions de travail
Circ. : Circulaire
CPC : Code de procédure civile
C.pèn : Code pénal
CSS : Code de la sécurité sociale
C.trav. : Code du travail
CPAM : Caisse primaire d'assurance maladie
DP : Délégués du personnel
GPEC : Gestion prévisionnelle des emplois et des
compétences
IRP : Institutions représentatives du personnel
QPC : Question prioritaire de constitutionnalité
Rapp. : Rapport
Sén. : Sénat
TGI : Tribunal de grande instance
4
SOMMAIRE
INTRODUCTION 6
PARTIE I - Les mécanismes de protection
antérieurs aux
actes de harcèlement sexuel
12
Chapitre I ) L'obligation de prévention pesant
sur l'employeur 13
Chapitre II ) Le rôle des institutions internes
et externes 31
PARTIE II - Les mécanismes de protection
postérieurs aux
actes de harcèlement sexuel
43
Chapitre I ) La répression des agissements de
harcèlement sexuel 42
Chapitre II ) Le devenir du salarié victime
57
CONCLUSION 77
BIBLIOGRAPHIE 78
ANNEXES 80
5
INTRODUCTION
« Les risques psychosociaux sont l'ensemble des
facteurs qui peuvent porter atteinte à l'intégrité
physique et psychique des personnes » selon le Bureau international
du travail.
Ainsi, les risques psychosociaux (ou RPS pour les adeptes des
abréviations) recouvrent des risques professionnels qui portent atteinte
à l'intégrité physique et mentale des salariés. Il
s'agit alors du « stress, de la dépression,de la souffrance, de
l'épuisement professionnel, voire des discriminations et du suicide.
»1 ainsi que du harcèlement moral mais aussi, sujet un
peu plus tabou, du harcèlement sexuel.
Le harcèlement sexuel est un phénomène de
plus en plus présent dans notre société actuelle.
Évolution des médias, évolution des moeurs y sont pour
beaucoup. Le harcèlement sexuel s'étend désormais au
domaine public avec le harcèlement de rue, au domaine privé avec
le harcèlement dans le couple mais s'est aussi immiscé dans un
milieu au sein duquel il n'a strictement rien à faire : le milieu du
travail. En effet, le harcèlement sexuel est un des nombreux risques
psychosociaux dans l'entreprise.
Cependant, la souffrance au travail n'est pas une notion
nouvelle puisque de tout temps il y a toujours eu des rapports de domination et
d'exploitation dont les salariés pâtissent et auxquels ils sont
tenus de faire face. Monsieur Christophe Dejours, éminent psychiatre,
psychanalyste et fondateur de la psychodynamique au travail, rappelle dans ses
travaux que les chercheurs en psychopathologie ont établi que la
souffrance au travail ne mène pas forcément et de manière
catégorique à la maladie mentale et ce, en raison du fait que les
travailleurs développent d'étonnantes facultés de
défense suivant le milieu professionnel dans lequel ils évoluent.
En effet, selon ces études il s'avère que les ouvriers du
bâtiment ne développent pas les mêmes mécanismes que
les agents de la police nationale. Tant que ces mécanismes de
défenses sont effectifs , tout se passe bien mais en cas de
défaillance, le salarié ne parvient plus à contenir sa
souffrance et la maladie survient. Monsieur Dejours appelle ceci la «
décompression psychopathologique ».
En psychopathologie du travail, subsistent deux conflits :
- le premier oppose le corps et les conditions de travail
1 ) L.Lerouge, Les risques psychosociaux au travail reconnus par
le droit : le couple dignité-santé, in Lerouge L. Risques
psychociaux au travail, p.9
6
- le second oppose le mental et l'organisation du travail, c'est
à dire la répartition des tâches et
le contrôle des tâches effectuées.
Autant le travail peut générer une certaine
souffrance en raison de la relation de domination à laquelle le
salarié est soumis , autant il peut être bénéfique
au maintien d'un équilibre mental et physique.
Concernant l'expansion des risques psychosociaux, la
psychopathologie du travail a permis de trouver des causes à ce
phénomène préoccupant. Sont donc en cause les changements
sociaux intervenus dans les années quatre-vingt et qui ont
engendré de nouvelles formes d'organisation du travail qui se fondent
alors sur la mise en concurrence des individus. Les rapports de
solidarité et de coopération entre les salariés ont
été brisés entraînant alors une souffrance au
travail. Le fameux « L'enfer, c'est les autres »2
de Jean-Paul Sartre trouve alors à s'appliquer ici.
Cette mise en concurrence s'est matérialisée par
l'évaluation individualisée des performances, l'objectif de la
qualité totale de la production et le développement de la
sous-traitance.
Ensuite, la Société d'ergonomie de langue
française qui a été fondée en 1963, a pour but de
promouvoir la recherche, la pratique, l'enseignement de l'ergonomie dans la
perspective d'une meilleure adaptation des moyens et des milieux de travail et
de vie aux personnes.
L'ergonomie est la discipline scientifique qui s'occupe de la
compréhension des interactions entre les hommes et les autres
éléments d'un système. Elle vise alors à
évaluer les tâches données, l'environnement du travail afin
de vérifier si ces éléments sont bien en adéquation
avec les capacités et les limites de l'être humain.
La Société d'ergonomie a donc souligné
que les risques psychosociaux ont des effets nouveaux sur les personnes
notamment au niveau psychique et sur la société en
général. Au delà de leurs effets directs, les risques
psychosociaux ont un effet étendu qui est de remettre le monde du
travail au centre du débat politique.
L'ergonomie met en parallèle le travail et les
révélations qu'il apporte à la personne sur
elle-même. Le travail est donc perçu comme un moyen de
développement de soi. Ainsi, la prévention des risques
psychosociaux aura pour stratégie le développement du
bien-être des salariés.
Les risques psychosociaux demeurent donc complexes et sont
sujets d'études grandement et sérieusement menées tant par
des psychanalystes, que des ergonomistes et même des comportementalistes.
Ces risques font partie intégrante des relations humaines, relations
humaines qui se trouvent donc dans les relations de travail.
2 ) J-P Sartre, Huis clos, 1943
7
Le harcèlement sexuel dont il est question dans cette
étude est donc l'un des risques psychosociaux les plus « en vogue
» ces dernières années et la majorité des
éléments qui seront développés ici seront aussi
applicables aux autres risques psychosociaux, sauf subtilités.
Son cas est traité par les articles L.1153-1 et suivants
du Code du travail.
La notion de harcèlement sexuel recouvre deux
catégories de comportement subis par une victime :
- des agissements répétés ayant une
connotation sexuelle, constitutifs d'un harcèlement sexuel
- des pressions graves exercées pour obtenir un acte de
nature sexuelle, assimilées à un
harcèlement sexuel même si il s'agit d'un acte
unique.
Concernant les faits constitutifs d'un harcèlement
sexuel, avant il s'agit de propos ou de comportements qui ont une connotation
sexuelle qui portent atteinte à la dignité de la victime en
raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit
créent une situation intimidante, hostile ou offensante selon l'article
L.1153-1 1° du Code du travail.
Il s'agit donc de propos ou de comportements qui ont une
connotation sexuelle. Il ne s'agit donc pas nécessairement de contacts
physiques tels que des attouchements3. Un harcèlement sexuel
peut donc être tout à fait caractérisé par des
propos oraux ou écrits ou même des gestes obscènes. De
plus, le terme de « connotation sexuelle » ouvre une porte
suffisamment large pour englober un maximum de propos. Il n'est pas
indispensable que le caractère sexuel des propos ou actes soit explicite
et direct4.
Au niveau de leur fréquence, les juges
considèrent bien souvent qu'ils doivent avoir été commis
au moins à deux reprises afin d'être qualifiés de
harcèlement sexuel. Il peut alors s'agir de caresses furtives sur les
cheveux, les genoux... Cependant, un fait unique à connotation sexuelle
peut être qualifié de harcèlement sexuel si il justifie
d'une particulière gravité (par exemples, une pression afin
d'obtenir des faveurs sexuelles, aussi appelée chantage sexuel ou des
caresses sur les zones érogènes).
De plus, ces actes peuvent porter atteinte à la
dignité de la victime. Il s'agit alors des comportements grivois,
obscènes, des provocations, des injures, des diffamations telles que les
fausses rumeurs...
Ces actes peuvent aussi constituer une situation intimidante,
hostile ou offensante. La situation de travail dans laquelle se trouve la
victime est alors invivable. Ceci peut être le cas même si
aucune
3 ) Rapp.Sén. N°619, p.36
4 ) Circ.crim. 7 août 2012, n°2012-15
8
atteinte à sa dignité n'est constatée.
Une circulaire du 7 août 2012 a même rappelé que crée
une telle situation la personne qui importune quotidiennement son ou sa
collègue en lui adressant des messages ou des objets à
connotation sexuelle, alors que ce dernier ou cette dernière lui a
pourtant demandé de cesser ce comportement.
Les effets des actes de harcèlement sexuel sont donc
exclusifs.
Ensuite, concernant les faits assimilés à du
harcèlement sexuel, il s'agit du fait d'user de toute pression grave
dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle au
profit de l'auteur ou d'un tiers. Ceci est prévu par l'article L.1153-1
2° du Code du travail.
La pression grave recouvre des hypothèses très
diverses dans lesquelles une personne tente d'imposer un acte sexuel à
sa victime en échange d'un avantage recherché par cette
dernière comme un emploi, un contrat à durée
indéterminée, une promotion (appelée ici «
promotion-canapé ») ou encore, d'éviter une situation
dommageable comme un licenciement . Ont alors été
assimilés à du harcèlement sexuel le fait pour un
employeur de tenter d'obtenir des relations sexuelles avec ses
subordonnées en leur expliquant qu'elles ne pourront progresser dans
l'entreprise qu'en acceptant ses avances5 et, le fait de demander
des rapports sexuels en échange d'une augmentation de
salaire6.
Dans ce cas, un acte unique suffit pour être
assimilé à du harcèlement sexuel. Il peut simplement
s'agir de simples contacts physiques destinés à assouvir un
fantasme sexuel, voire à accentuer ou provoquer le désir
sexuel7.
De plus, la finalité recherchée peut être
réelle ou apparente. De ce fait, il suffit que les pressions donnent
l'impression à la victime et aux témoins qu'un acte sexuel
était recherché .
De plus, afin de caractériser un harcèlement
sexuel il faut une absence de consentement. Il convient donc d'établir
un refus explicite et de tenir compte du comportement de la victime. L'absence
de consentement peut résulter d'une demande écrite de cesser les
agissements, d'un silence permanent, d'une demande d'intervention
adressée à des collègues ou des
supérieurs8.
La participation de la victime peut aussi être prise en
compte. L'existence d'un harcèlement sexuel est donc
écarté si la victime a activement participé au contexte
grivois ayant cours parmi le personnel 9.
De plus, si la victime était une personne
vulnérable, ceci constitue une circonstance aggravante influant alors
sur les peines encourues par l'auteur des faits lorsque cette
vulnérabilité est apparente
5 ) CA Paris, 15 septembre 2011, n°09-09898
6 ) CA Douai 21 janvier 2007, n°06-150
7 ) Circ.crim. 7 août 2012, n°2012-15
8 ) idem
9 ) CA Aix-en-provence, 2 décembre 2011,
n°10-15069
9
ou connue. Par vulnérabilité, sont entendues la
maladie, une infirmité, une grossesse, une précarité
sociale ou économique...
La protection spécifique des salariés face au
harcèlement sexuel s'applique pour tous les faits intervenus dans le
cadre des relations de travail et ce, même si les agressions ont eu lieu
hors du temps et du lieu de travail10. Il suffit simplement que ces
faits aient eu lieu entre des personnes en contact en raison de leur
travail.
En France, lors d'une étude menée pour le
Défenseur des droits11 sur un panel de 1005 personnes,
représentatif de la population française âgée de 18
ans et plus. La représentativité de l'échantillon a
été assurée par la méthode des quotas (sexe,
âge, profession de l'interviewé) . Ensuite, a été
pris un échantillon de 306 personnes, représentatif des femmes
actives âgées de 18 à 64 ans. Au total, 615 femmes actives
âgées de 18 à 64 ans ont été
interrogées.
Il a été établi que deux femmes actives
sur dix ont dû faire face à une situation de harcèlement
sexuel dans leur vie professionnelle, situation principalement
caractérisée soit par des gestes et propos à connotation
sexuelle répétés soit par un environnement de blagues
à caractère sexuel.
Dans quatre cas sur dix, un collègue était
à l'origine du harcèlement, et dans trois cas sur dix, la victime
déclare qu'elle était dans une situation d'emploi précaire
au moment des faits.
Si la majorité des victimes de harcèlement
sexuel sur leur lieu de travail en ont parlé à quelqu'un,
près de trois victimes sur dix ne se sont confiées à
personne ; pour celles qui en ont parlé, il s'agissait dans la
majorité des cas de leur famille ou de proches, puis de collègues
.
Les deux tiers des victimes de harcèlement sexuel
estiment qu'elles n'ont pu compter que sur elles-mêmes pour faire face
à cette situation ; lorsqu'elles ont pu compter sur le soutien d'autres
personnes, elles citent en priorité les collègues et les proches
.
Enfin, alors que l'importance de lutter contre le
harcèlement sexuel est jugée de façon quasi-unanime par ce
panel, moins de deux employeurs sur dix ont mis en place des actions de
prévention contre le harcèlement sexuel
Ces données semblent donc alarmantes et le
harcèlement sexuel s'avère donc bien présent et bien
ancré dans les entreprises aujourd'hui. Bien que cette étude
porte sur un panel d'individus de sexe féminin, les hommes sont aussi
victimes de ce délit mais sont touchés plus rarement.
Il convient donc d'insister sur la protection du
salarié face à ce fléau, auprès des entreprises
mais aussi auprès des différents acteurs.
10 ) Cass.soc., 11 janvier 2012, n°10-11.930
11 ) Annexe 1
10
Quelles mesures peuvent donc être mises en oeuvre afin
de protéger le salarié face au harcèlement sexuel ?
Le raisonnement sera alors fait en deux temps .
Premièrement, seront étudiés les mécanismes de
protection antérieurs aux faits de harcèlement sexuel (PARTIE I)
avec le rôle de l'employeur et d'institutions internes et externes
à l'entreprise puis, seront étudiés les mécanismes
de protection postérieurs (PARTIE II) avec la répression de ces
faits et le devenir du salarié victime.
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