Contribution socio-anthropologique à l'analyse de la protection des civils par les forces de défense républicaine dans les conflits armés en RCA( Télécharger le fichier original )par Blandine Laurette NGNOLO Institut des Relations Internationales du Cameroun - Master 2 2015 |
F. REVUE DE LA LITTERATURELa revue de littérature sera présentée en deux points selon la structure de notre sujet d'étude. Nous avons reparti les documents consultés de façon suivante : 1. Approche Forces armées africainesJakkieCilliers53(*) estime queles armées africaines ont été constituées le plus souvent au moment de l'accession à l'indépendance à partir d'unités héritées de l'époque coloniale, elles vivent en marge de la société et sont devenues « des instruments destinés à monopoliser, préserver et redistribuer les richesses ; bref leur raison d'être est d'assurer la suprématie d'une faction ou d'une ethnie ». En outre l'Afrique est dépourvue des bases politiques fondamentales sur lesquelles asseoir le type de coopération efficace et volontaire en matière de sécurité que l'on trouve partout dans le monde ; impossible d'y trouver le terreau population constitué de citoyens bien informés sur lequel puisse se développer une culture de non violence. Pour lui, dans les pays occidentaux le principe d'une armée constitué de « citoyens soldats » s'est trouvé intimement lié au processus d'édification de l'unité nationale et le service militaire est devenu un élément essentiel de la citoyenneté républicaine. Comi. M. Toulabar54(*) dénonce la pratique du monoethnicisme dans les forces armées en Afrique en prenant l'exemple sur le Togo où la tribu régnante a toujours recours à des méthodes éprouvées l'une d'entre elles, la plus courante est de réduire l'armée nationale à une milice tribale qui encercle la capitale : « sur les quelques 12 600 militaires que comptaient en 1992 les forces armées togolaises (FAT) dont 8700 basé à Lomé la capitale près de 10 000 sont originaire de la région nationale du chef de l'Etat (Kara) ou de ses environs » ; cela n'est pas propre au Togo : c'est la loi générale en Afrique. . De même que le Togo la plupart des Etats africains sont foncièrement patrimonialisés où se confondent le public et le privé, ou même encore la tendance à privatiser est nettement affirmée ; et s'il existe un secteur de l'Etat à privatiser en priorité pour des raisons évidentes ce sont bien les forces armées qui constituent l'armature du régime beaucoup plus que le parti unique ; Pour Dominique BANGOURA55(*), les forces armées postcoloniales sont placées sous l'autorité du pouvoir politique et sont utilisés à des fins politiciennes qui les détournent de leurs missions et de leurs fonctions elles perdent leur compétencepuis deviennent triplement conflictuelles au regard de la société tout d'abord qu'elles ne protègent pas et qu'elles agressent au regard d'elles-mêmes, ensuite divisées et traitées différemment d'un corps à un autre par le Chef de l'Etat soucieux de les dominer au regard du pouvoir politique confisqué, enfin elles ne sont ni aptes ni habilités à l'exercer, les forces de l'ordre les Gardes présidentielles, les milices extrémistes contribuent à la même logique de violence lié au pouvoir politique. Leurs meurtres, exactions, forfaits, leur facilité à dresserles ethnies et les populations les unes contre les autres ne diffèrent plus de la logique des forces armées. Jean Delors Biyogue- BI- Ntougou56(*) estime qu'au sein de l'armée togolaise qui comptait en 1993 environ 13 000 hommes, 10 000 étaient originaires du Nord, région natale du président Eyadema, 7 000 auraient été de la même ethnie que lui tandis que le sud du pays n'y était représenté qu'à hauteur de 3 000 hommes et sur les 300 officiers que comptaient ladite armée 250 étaient de l'ethnie Kabyé ; la situation sera identique au sein de l'armée congolaise ainsi sur 39 officiers généraux 28 sont originaires du Nord région natale du président Sassou et les 11 autres étaient du Sud ; au Zaïre de Mobutu par exemple chaque chef militaire aurait procédé au recrutement massif des jeunes de sa contrée ou de son ethnie, chaque général ou ministre de la défense se préoccupait avant tout de la promotion et des envois des officiers de sa tribu ou de sa région natale en formation ou en stage à l'étranger ; la situation porte une grande marque de ces habitudes , au Cameroun 80% des soldats de l'armée proviennent de l'ethnie et de la région du Président ; en RCA Kolingba, Patassé firent de même. Dominique BANGOURA57(*) quant à elle soutient que de même que l'Etat postcolonial n'est pas un Etat nation, faute d'une nation et en présence d'un pluralisme social, l'armée postcoloniale n'est pas une armée nationale. Non seulement elle ne revêt pas les traits d'une armée au sens classique du terme, mais de plus et surtout elle ne reflète pas la société. Les dirigeants politiques avides de pouvoir installés durant des décennies et même grâce à la vie au sommet de l'Etat assurent leur longévité et leur survie politiques grâce à la force. Les dirigeants politiques préfèrent recruter des éléments fiables qu'ils peuvent contrôler et manipuler. De plus, les structures et les moyens manquent pour héberger, nourrir, former et équiper tous les jeunes en âge d'accomplir leur service militaire. De ce fait, la règle qui prévaut pour le recrutement et plus encore pour l'encadrement des forces armées africaines est celle du clientélisme politico-ethnique. L'armée n'est en aucun cas le reflet global de la société. Dans ce contexte, la mission première de l'armée qui est de défendre la patrie est détournée, dénaturée. Sa finalité n'est plus la protection de l'Etat, des citoyens et de leur patrimoine commun, mais celle du régime autoritaire en place. Kossi Mawuli Agokla58(*)reconnait que l'armée et les forces de l'ordre ne sont pas le miroir des composantes de la population, par les procédés assez sélectifs et discriminatoires de recrutement et promotion, qui offusquent plus d'un... l'ethnicisassion de l'armée comme déjà souligné à travers les processus de recrutement et de carrière des éléments des forces armées, il ya bien souvent une très forte ethnicisassions de l'institution de défense autour de l'appartenance ethnique du chef de l'Etat, chef suprême des armées. Alain Fogue Tedom59(*)répertorie les maux dont souffrentles armées africaines que sont : la dérive ethniciste, l'affairisme, l'indiscipline, le clientélisme et une trop forte politisation. Elles partagent en commun une indiscipline face à la déontologie professionnelle. Les scènes de pillages auxquelles elles se livrent régulièrement tout comme les rackets qu'elles pratiquent sur les populations civiles aussi bien en temps de paix qu'en temps de guerre civile confirment ce déficit de discipline. Placées en situation de conflits, elles révèlent un manque de formation, d'encadrement et surtout de moyens matériels. Cependant, dans le cadre d'une réforme de fond, le défi majeur des armées africaines reste celui de la diffusion des valeurs républicaines. La réussite d'une telle entreprise suppose que les problèmes qui soulèvent les antagonismes, parfois artificiellement construits par le pouvoir politique, sont préalablement résolus. Dans de nombreux pays du continent en effet, à force d'être instrumentalisée par les dirigeants politiques, l'armée est parcourue par d'innombrables divisions qui sont de nature clanique, ethnique ou politique. Néanmoins, le clivage ethnico-politico est celui qui a dévoyé les armées africaines. Mathurin Houngnikpo60(*) quant à lui estime que l'ère postcoloniale en Afrique a vu produire un dérapage des forces armées par rapport à cette philosophie dans de nombreux Etats africains : depuis l'avènement de l'ère de « l'indépendance politique », les forces armées de plusieurs Etats se sont divisées en factions, en groupes ethniques et en forces partisanes loyales à toute une gamme d'intérêts particuliers divers, au détriment de la société toute entière. L'une des conséquences de cette réalité est la détermination par les forces armées que leur fonction première est de « débarrasser la société des politiciens irrécupérables ». Pour Marc Frontier61(*), l'absence de réputation et de statut social du métier des armes situent d'emblée les premières armées africaines à la périphérie des Etats qu'elles sont supposées défendre. Sur le continent africain, la force dans toute l'acceptation du terme, jusqu'à sa dimension magique, est un concept psychiquement omniprésent. Au moment des indépendances, il n'en existe aucune représentation. Elle est absente. Pire, l'antimilitarisme latent qui prévaut chez les élites politiques ne peut être corrigé, compte tenu de l'absence de tradition et de l'inexistence d'une classe aristocratique d'origine féodale au sein des jeunes institutions. Plus déprimant encore, dans la zone de succession coloniale franco-anglo-belge, les seuls éléments entrainés au métier des armes ne sont pas des forces de résistance, mais au contraire, des soldats africains ayant servi les forces impériales européennes. Au moment d'édifier les nouvelles armées nationales, seul ce noyau à la loyauté jugée incertaine présente un minimum de compétence. En raison de leur origine récente et de leurs accointances tant fonctionnelles que culturelles avec les ensembles militaires européens. Ne serait ce que par leur formation, ces armées sont coupées de toutes les traditions militaires à enracinement africain, lesquelles ont elles-mêmes été autrefois érodées par la colonisation. La composition sociologique de l'institution ne reflète donc pas la structure sociale mère. Yves Alexandre Chouala62(*) constate que les armées africaines souffrent pour la plupart d'une tare congénitale ; celle de leur construction non sur des bases républicaines mais beaucoup plus sur le modèle milicien et prétorien. Cela peut être compréhensible dans la mesure où certaines de ces « armées nationales » dérivent des « troupes coloniales » ; avec leur modèle d'allégeance et leur construction de l'obéissance et de la soumission plus aux individus qu'aux institutions étatiques elles mêmes. La grande vaque de monolithisme et de l'autoritarisme politique a fini par ériger le « culte de la personnalité » et la vénération des individus en modèle politique et par conséquent structuré la vie des institutions et des organes de l'Etat autour de l'omnipotence et de la magnificence des présidents-rois déifiés. Au cour de cette période monolithique, le pouvoir a cessé d'être une institution d'Etat pour devenir la propriété d'un individu, qu'il se soit dénommé « osagyefo », « guide suprême », « empereur », « père de la nation », « sage », « léopard » etc. L'armée a cessé d'être un corps républicain pour s'affirmer et se mettre en branle comme une « garde prétorienne » ou, si l'on veut faire coïncider les mots avec les choses « une milice » quasi privée. Contrairement à la dynamique du pouvoir de l'époque moderne qui a consisté « en un effacement progressif de la figure du prince comme héros politique et son remplacement par la définition des mécanismes impersonnels qui assurent l'institutionnalisation du pouvoir dans les structures juridico-politiques ou qui pérennisent une domination par des procédures de reproduction de l'obéissance », les Etats africains se sont plutôt caractérisés par des pratiques de désinstitutionalisation du pouvoir politique au profit de sa personnalisation. Les armées africaines (exception faite au Bénin) ont ainsi pour la plupart subit des processus de personnalisation qui ont finalement construit d'elles l'image et la réalité de garde prétoriennes ou de soldatesques à la solde de quelques leaders autoritaires et tyrans. A travers ces différentes contributions nous pouvons dire que les armées africaines sont comme le pensaient les philosophes de lumière qui considéraient les armées permanentes de la moitié du 18ème siècle comme un moyen employé par le despotisme pour séparer artificiellement l'Etat de la Nation. Les propos d'Edem KODJO ancien Secrétaire de l'OUA semblent encore être en grande partie d'actualité : « les armées africaines telles qu'elles sont à l'heure actuelle sont tout sauf des armées capables de remplir la triple mission qu'elles assument dans les États indépendant : protection du pays, protection de l'espace national, moyen de politique extérieure [....] au lieu de se fonder sur l'expérience historique des peuples africains et sur les réalités de la politique mondiale actuelle pour définir les données fondamentales de leur stratégie ... nombre de responsables africains élaborent les plans de défense à partir des menaces supposées provenir de leur propres peuples.63(*) Dans une approche critique des armées africaines en ce qui concerne leur caractère républicain,les auteurs font abstraction de préciser que ces armées fonctionnent malgré tout selon la spécificité militaire qui est universelle notamment à travers le code et les commandements du soldat, les principes de cohésion et d'esprit de corps. Cette universalité se renforce d'autant plus par le fait quela majorité des officiers de ces armées se forment dans les grandes académies militaires étrangères et aussi du fait de la coopération militaire entre les Etats du Nord et du Sud. C'est cette approche d'universalité que nous aborderons en parlant des forces armées Centrafricaines. * 53Jakkie CILLIERS, DIAMOND Larry, Marc PLATTNER, Le rôle de l'armée en démocratie, Baltimore Maryland, Nouveaux Horizons, 1996, P. 68. * 54 Cité par Melchior MBONIMPA, Ethnicité et démocratie en Afrique : l'homme tribal contre l'homme citoyen, l'Harmattan, 1994, P.18 * 55Dominique BANGOURA, « Etat et sécurité en Afrique » in Politique Africaine n°61,Khartala ,Mars 1996. http://www.politique-africaine.com/numeros/pdf/061039.pdf * 56 Jean Delors BIYOGUE-BI-NTOUGOU, Les politiques africaines de paix et de sécurité, Paris, l'harmattan, 2010, P. 175-176 * 57 Dominique BANGOURA, Etat et sécurité en Afrique : des idéologies sécuritaires à l'insécurité ou l'incapacité de l'Etat à assurer ses fonctions de défense et de sécurité, P.154-155, www.gemdev.org/publications/cahiers/pdf/24/cah_24_Bangoura.pdf, consulté le 23 Octobre 2014. * 58Kossi MAWULI AGOKLA, « L'armée, émanation de la nation : entre quasi-impossibilité et volontarisme » communication dans le cadre du colloque international, forces de défense et de sécurité au coeur de la sécurité humaine, 8-11 Novembre 2010, Dakar, Sénégal P. 62-63 * 59Alain FOGUE TEDOM, « Le contrôle démocratique des armées », communication dans le cadre du colloque international « forces de défense et de sécurité au coeur de la sécurité humaine », 8-11 Novembre 2010, Dakar, Sénégal P. 20 * 60Mathurin HOUNGNIKPO, « Relations entre les FDS avec la nation », communication dans le cadre du colloque international « forces de défense et de sécurité au coeur de la sécurité humaine », 8-11 Novembre 2010, Dakar, Sénégal, P. 53. * 61 Marc FRONTIER op cit, P. 15 * 62Yves Alexandre CHOUALA « le rôle des armées dans le processus démocratique en Afrique », communication dans le cadre du colloque 2011 sur « 50 ans de défense et de sécurité en Afrique : états et perspectives stratégiques », Simbock, Yaoundé, P. 63. * 63 KODJO Edem, Et demain l'Afrique, Paris, éditons Stock 1985, P.304-305 |
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