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Epargne et dépenses de consommation des ménages en milieu rural. Cas du village d'Adjamé Bingerville en Côte d'Ivoire

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par Fabrice Oswald TANOH
Université Félix Houphouët Boigny Abidjan - Master 1 de sociologie économique 2012
  

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PREMIERE PARTIE

CONSTRUCTION DE L'OBJET ET AXE METHODOLOGIQUE
DE LA RECHERCHE

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Chapitre 1 : CONSTRUCTION DE L'OBJET D'ETUDE

I-1 Problématique

I-1-1 Contextualisation du sujet

La pauvreté des ménages est un concept complexe et multidimensionnel dont la définition suscite des polémiques entre les scientifiques et les chercheurs spécialistes de la question (Rapport Unicef, 2005). Elle se présente généralement sous deux dimensions: la dimension monétaire et la dimension non monétaire.

S'agissant de la première dimension, elle se rapporte aux notions de précarité de revenu et de chômage. Ainsi, les économistes définissent la pauvreté d'un ménage comme étant « l'incapacité d'un individu ou d'un groupe à acquérir une quantité de biens et de services» (Citro et Michael, 1995) ou encore un ménage vivant en dessous du seuil de pauvreté c'est-à-dire avec moins de 1 Dollar U$/jour (moins de 500F/jour), (Banque Mondiale, 2010). Cependant, cette approche par le revenu en tant que mesure unique de la pauvreté à ses limites parce que la pauvreté des ménages revêt de nombreux aspects qui ne sont pas forcement causés par la précarité de revenu. En effet, (Adam Smith, 1776) l'avait déjà noté dans la Richesse des Nations: « (...) est pauvre celui qui n'a pas le moyen de participer à la vie sociale ». Ce qui conduit à la définition de la seconde dimension de la pauvreté: la dimension non monétaire.

L'approche non monétaire de la pauvreté des ménages est appréhendée par les sociologues comme une insatisfaction des besoins de base (éduction, santé, hygiène, eau potable, emploi, habitat, etc.) qui sont nécessaires à l'atteinte d'une certaine qualité de vie. Pour (Sen, 2000), la pauvreté s'explique par une privation de capacités élémentaires qui se traduit, par l'illégalité dans la distribution des libertés substantielles et individuelles, par l'inaccessibilité aux opportunités économiques et au manque d'opportunités sociales des

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populations. Quant à (Paugam, 2005), il définit la pauvreté comme étant un phénomène structurel3 dont les croyances et les pratiques sont encastrées dans les structures familiales et les relations sociales et qui sont reproduites de génération en génération. Aussi, cette pauvreté est traduite par les notions de privation de travail et de disqualification sociale qui renvoient à la pauvreté extrême et la rupture du lien social. Mais la pauvreté s'exprime aussi par une très grande souffrance liée au sentiment de l'inutilité sociale, la souffrance, l'absence de reconnaissance et le mépris social. (Paugam, 2009).

En somme, la pauvreté n'est plus un phénomène strictement monétaire mais est liée à la question de la précarité de l'emploi, à la dévalorisation du statut social, à la rupture du réseau relationnel et cumule bien souvent des problèmes de santé, de difficultés d'accès au logement, d'insalubrité et d'insécurité sociale.

Au regard de ces deux approches définitionnelles du concept de la pauvreté, quelle est le constat actuel de la pauvreté des ménages en Côte d'Ivoire?

Selon le DRSP (2008), le taux actuel de pauvreté en Côte d'Ivoire est de 48,9% contre 10% à 33,6% entre 1985 et 1998. Ce qui signifie qu'une personne sur deux est pauvre, et que ce nombre a été multiplié par 10 en l'espace d'une génération. L'analyse de l'évolution de l'incidence de pauvreté entre 1985 et 2008 montre que la pauvreté est plus accentuée en milieu rural qu'en milieu urbain. Le taux de pauvreté est passé en milieu rural de 15% en 1985 à 49% en 2002 puis à 62,45% en 2008. En milieu urbain, la pauvreté est passée de 5% en 1985 à 24,5% et 29,45% sur la même période.

3 Caractéristiques de la pauvreté des pays en voie de développement. Attachés aux valeurs familiales et traditionnelles, les individus conçoivent par exemple comme une richesse le fait d'avoir plusieurs enfants. Avoir de nombreux enfants, malgré la précarité permet de reproduire cette croyance. Cette conception de la famille est un indicateur de la culture de la pauvreté.

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Aussi, les statistiques disponibles issues de (l'ENV, 2008) indiquent que le taux de chômage s'est accru. De 6,4% en 2002, le taux de chômage de la population active est estimé à 15,7% en 2008. Le chômage des jeunes âgées de 15-24 ans est le plus important. Le taux de chômage de la population active de ce groupe d'âge est de 24,2% en 2008 et celui des 25-34 ans est de 17,5%. Le chômage touche plus les femmes que les hommes. Il est plus important en milieu urbain qu'en milieu rural et particulièrement dans les grandes villes comme Abidjan. En effet, le taux de chômage des femmes est de 19,8% contre 12,1% chez les hommes. Il est de 27,4% en milieu urbain contre 8,7% en milieu rural.

De plus, la situation de l'emploi c'est-à-dire le salaire des fonctionnaires s'est fortement détérioré au fil des années. Les dernières décennies se sont caractérisées par une hausse constante de la précarité des travailleurs et de la baisse de leur pouvoir d'achat dû aux effets conjugués de deux phénomènes : le plafonnement des salaires depuis 1996 et la cherté de la vie. Comme l'indique Joseph Ebagnérin4 « Nous ne pouvons plus joindre les deux bouts, nos salaires peinent dans les escaliers quand les prix se sont envolés dans les ascenseurs. Savez-vous que beaucoup de familles dans notre pays n'arrivent plus à s'offrir deux repas par jour ? Chaque jour, les prix des denrées de première nécessité s'envolent vers le firmament. Mr. Le Premier Ministre faites baisser les prix de tous les produits de consommation. Nous ne supportons plus la cherté de la vie ». Ces propos illustrent les difficultés qu'ont la plupart des ménages ivoiriens à se nourrir, à se loger et à soigner leurs membres.

Toutes ces difficultés ont pour conséquence social l'affaiblissement des solidarités traditionnelles qui fonctionnent comme des filets de sécurité sociale

4 Secrétaire général de l'Union Générale des Travailleurs de Côte d'Ivoire (UGTCI). Propos tenus à l'occasion de la célébration de la fête du Travail le samedi 01 Mai 2013 en présence du Premier Ministre Daniel Kablan Duncan. Il a fait l'état des lieux de la situation dans laquelle se trouvent les travailleurs de Côte d'Ivoire et leurs familles.

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(Akindès, 2001). Cela se traduit d'abord par un mode de vie de plus en plus individualiste qui a pour effet la remise en cause de l'hébergement et de la scolarisation prolongée d'enfants de parents proches. Aussi, des risques accrus de chômage qui frappent surtout la population masculine. Enfin, la montée de la délinquance juvénile et de la criminalité dans les villes constitue également l'un des effets de la précarité de revenu des ménages et de la cherté de la vie.

Face à cette situation, les ménages ivoiriens développent des stratégies de résilience. Pour Akindès (2001), ces stratégies peuvent être classées en deux catégories. La première stratégie renvoie à une élévation du pouvoir d'achat des ménages jusqu'au niveau des dépenses incompressibles. Elle se traduit d'une part, par l'ajustement du budget des dépenses de consommation. En effet, les ménages modifient la structure de consommation en réduisant la part de certains postes de dépenses. La différence économisée est réinjectée dans d'autres dépenses dites prioritaires. D'autre part, les ménages cherchent à accroitre leurs revenus à travers la pluriactivité qui consiste à diversifier les sources de revenu par l'exercice d'activités parallèles et pour certains par la mise au travail des enfants.

La seconde stratégie mise en oeuvre par les ménages en vue de résister contre la précarité de revenu et la cherté de la vie consiste à ajuster les habitudes de consommation aux ressources réelles. Ce comportement s'explique par deux habitudes. Tout abord, les ménages rationalisent l'accès à certaines dépenses de consommation en excluant les membres qui ne s'inscrivent pas dans le cercle de système de parenté rapproché (Akindès, 1999). Ensuite, les ménages rabaissent leur prétention dans les pratiques de consommation en réduisant la qualité des produits de consommation. Ce qui justifie par exemple, chez bon nombre de ménages citadins à Abidjan l'intérêt pour les woro-woro, espèce de taxi-ville dont le fonctionnement s'est, pendant longtemps, inscrit dans une logique informelle (Aloko N'Guessan et Aka,

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1996: 41-64), cité par Akindès. Cette option de transport collectif, plus pratique et plus rapide que les moyens de transport en commun et moins coûteux que les taxis de course individuelle, s'inscrit dans les pratiques urbaines de gestion collective et individuelle de la crise de la cherté de la vie.

En résumé, partant de ces conditions de vie précaires où les ménages déploient de nombreuses stratégies d'ajustement tant dans la restructuration de leurs dépenses de consommation que dans la recherche de nouvelles sources de revenu afin de résister à la crise, quelle est la place de l'épargne dans ces processus stratégiques d'adaptation et de réorganisation des dépenses ? Comment expliquer la tendance des ménages à l'épargne dans ce contexte de cherté de la vie, où les revenus tendent à baisser plutôt qu'à augmenter? En d'autres termes, pour quelles raisons les ménages ivoiriens, en particulier les ménages vivant en milieu rural, épargneraient-ils sachant qu'ils sont sujets à la précarité?

Autant de questionnement qui conduit a cette étude approfondie de l'épargne des ménages dans un contexte de précarité de revenu et de cherté de la vie.

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand