La consommation ne se limite pas à l'acte de
consommer, elle s'inscrit également dans un contexte psychologique.
Consommer, c'est avant tout satisfaire un besoin. Les études du
comportement du consommateur permettent aujourd'hui de dresser des profils
types.
Partant du principe que les ménages consomment pour
satisfaire leurs besoins de consommation et que ces derniers sont de
différentes natures, A. Maslow (1943) a proposé une
hiérarchie des besoins à cinq niveaux. En effet, la satisfaction
des besoins physiologiques doit précéder toute tentative de
satisfaction des besoins de protection (sécurité) ; lesquels
doivent être satisfaits avant les besoins d'appartenance (d'amour), qui
précèdent les besoins d'estime de soi (reconnaissance) ; au
sommet de la pyramide se trouvent les besoins spirituels
(dépassement).
Le modèle de Maslow se fonde sur la
hiérarchisation des besoins, alors que cette hiérarchisation
stricte n'est pas pertinente. En effet, le besoin de reconnaissance sociale,
est pour l'homme, un besoin aussi important que les
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besoins physiologiques. Ou tout au moins, il est arbitraire de
hiérarchiser des besoins qualitativement différents sans
justifier cette hiérarchie. Il n'y a donc pas a priori de
hiérarchie aussi directe entre les besoins physiologiques,
sécurité du corps, relationnels et affectifs.
Par exemple, le besoin de reconnaissance sociale ou celui du
lien social, apparaît comme une composante à part entière
de la personnalité à satisfaire pour son développement. On
peut citer le cas des « enfants sauvages », évoqué par
Strivay (2006) qui ont satisfait jusqu'à leur découverte leurs
besoins physiologiques et de sécurité du corps, mais n'ont pas
pour autant développé une personnalité humaine normale.
Certes, Maslow apporte une explication psychologique à
la consommation des individus, cependant la question de savoir si chaque
individu ne cherche qu'à satisfaire un besoin d'un certain niveau que
s'il a complètement comblé ses besoins d'un niveau
antérieur, est toutefois controversée. Car, la plupart des biens
de consommation ont un caractère dual parce qu'ils ont une double
fonction : une fonction d'usage et une fonction symbolique. Ainsi une voiture
sert à effectuer des transports mais elle peut aussi faire rêver,
être un signe de richesse...
Dans l'analyse de la consommation, les sociologues
s'intéressent plus aux styles de vie des ménages qu'au montant de
leurs dépenses, plus à l'usage des biens commercialisés
qu'à leur mise en concurrence sur le marché et plus aux
obligations sociales qu'à la rationalité des arbitrages. Ainsi,
les récentes études sociologiques portant sur les budgets de
familles et leurs consommations s'inspirent toutes de deux grandes
écoles : celle de Frédéric Le Play et de Maurice
Halbwachs.
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La théorie sociologique de Le Play (1947), est
centrée sur la famille; selon lui la famille constitue l'unité
sociale par excellence, celle qui reflète le mieux les
caractéristiques de la structure sociale. Pour Le Play, ce qui
révèle le type de famille, c'est l'observation de son mode de
vie. Ainsi, le mode de vie que Le Play observe est la structure des
dépenses et de revenus de l'année. Pour lui donc, la structure de
revenu et des dépenses est un indice qui sert à déterminer
le type de famille. Frédéric Le Play a donc été le
premier à insister sur la nécessité de mettre la structure
de revenu et des dépenses en relation avec le comportement global de la
famille.
L'approche de Halbwachs (1912), est toute différente,
à la fois du point de vue de son contexte théorique et de sa
méthode. Sa préoccupation principale est de déterminer le
caractère plus ou moins social des habitudes de consommation propres aux
différentes classes sociales. Selon Halbwachs, les besoins et les
manières de les satisfaire ne sont pas les même d'une classe
sociale à l'autre. Et lorsque les mêmes besoins se retrouvent dans
toutes les classes, ils n'y sont pas nécessairement
hiérarchisés de la même façon. Ainsi, Halbwachs
montrera que chez les ouvriers, la proportion des dépenses pour le
logement et celle pour le vêtement avait tendance à augmenter en
même temps que le revenu. Il expliquait ce comportement grâce au
postulat qui dit que quand le revenu augmente, les individus cherchent à
satisfaire moins de besoins primaires qu'auparavant et davantage de besoins
sociaux qui permettent une plus grandes intégration au reste de la
société.
Les travaux de Chombart De Lauwe (1956), réunissent
les deux traditions de Le Play et de Halbwachs. Il cherche ainsi à
intégrer dans l'analyse sociologique l'étude des besoins
subjectivement définis par divers groupes sociaux, la recherche des
motivations qui déterminent les conduites de consommation et les
aspirations propres aux divers groupes de consommateurs. De façon
générale, la structure du revenu ou des dépenses et le
niveau de vie
sont mis en relation avec toutes les dimensions de la
famille, c'est-à-dire l'environnement de la famille, les conditions de
travail de l'homme et de la femme, les rapports intrafamiliaux, les
activités de loisir et tout le domaine des aspirations et des besoins
subjectivement définis.
De plus, pour certains sociologues, la consommation est
considérée comme un marqueur social, un signe d'appartenance ou
de différenciation d'un groupe social à l'autre.
Le sociologue Français Jean Baudrillard
(1970), dans son ouvrage « La société
de consommation », présente la consommation comme un acte
symbolique. Le consommateur n'achète pas uniquement pour la satisfaction
qu'il retire de son utilisation, mais pour afficher son appartenance à
un groupe social qui lui sert de référence. La consommation est
alors un élément du système de relations sociales. Par
conséquent, un individu par sa consommation expose son statut et sa
personnalité.
Bourdieu (1979), quant à lui, lie la consommation
à la notion d'habitus. Les individus ont des goûts et des
préférences qui leur paraissent naturels, mais qui sont en
réalité le résultat d'un habitus qui lui-même
résulte de la société, de la classe sociale et de
l'histoire personnelle de l'individu. Par exemple, en guise d'explication, dans
son ouvrage Bourdieu oppose les repas traditionnels fortement
énergétiques des catégories populaires durant lesquels
règnent profusion et décontraction aux repas raffinés,
équilibré et « distingués» des classes
dominantes.
De même, dans leur ouvrage, Douglas et Isherwood (1978)
soulignent que la consommation est un moyen que les individus ou les groupes
sociaux utilisent pour construire leur symbolisme culturel, c'est-à-dire
les significations et les sens qu'ils veulent donner à leurs actions.
Qu'il s'agisse de suggérer une
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appartenance familiale, communautaire ou de classe, la
consommation agit comme un marqueur culturel pour chacun d'entre nous.
En outre, Veblen (1899), parlant d'effet d'imitation et de
consommation ostentatoire, montre dans son ouvrage « La théorie
de classe de loisir », que certains groupe sociaux occupent une place
à part dans l'échelle du prestige social et que leur mode de vie
ainsi que leurs loisirs constituent un modèle pour d'autres groupes. Les
membres de cette classe aiment consommer des produits qui leur permettent de se
différencier des classes moyennes et populaires afin d'affirmer leur
statut de classe privilégiée. Ainsi, par mimétisme, ce
comportement tendrait à se répandre dans l'ensemble de la
société. Par conséquent, pour Veblen il existe une
domination culturelle qui va des classes supérieures vers les classes
inférieures.
Certes ce phénomène sociologique est toujours
présent, cependant un autre mouvement en sens inverse n'est pas moins
prégnant de nos jours. La culture de masse véhiculée par
les mass médias exerce aussi une forte influence en particulier chez les
jeunes. En effet, à partir du comportement de certains groupes (stars de
la télévision ou du cinéma, loisir de cadres...), il
existe de plus en plus un effet d'imitation des groupes sociaux entre eux et
une diffusion progressive de certains modes de vie et de consommation. C'est
ainsi que l'on pourrait expliquer le phénomène de la mode et
celui de l'accélération de la consommation. Ainsi, la culture des
classes supérieures prônées par Veblen perd de sa
légitimité pour les nouvelles générations.
Corroborant cette thèse antinomique à la
pensée de Veblen, Pasquier (2005) démontre que dans le cas des
lycéens par exemple, la transmission culturelle verticale dans les
milieux favorisés n'est absolument pas automatique. Elle ne se maintient
que dans des conditions très particulières, au prix d'une
ségrégation sociale par le haut, dans des établissements
qui échappent au principe de la sectorisation et ont une certaine
maîtrise du
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recrutement de leurs élèves. Une implantation
géographique de centre-ville semble également jouer un rôle
très important. Quand ces conditions ne sont pas réunies, les
mécanismes de socialisation horizontale risquent de contrecarrer les
mécanismes de socialisation verticale : autrement dit, la culture entre
pairs peut « neutraliser » les acquis de la culture que les parents
essaient de transmettre.
Dans tous les cas, les concepts d'imitation et de
démonstration sociale sont fondateurs en analyse sociologique de la
consommation et on les retrouve sous une forme ou une autre dans la sociologie
de Pierre Bourdieu, de Robert K. Merton et dans une autre mesure dans l'oeuvre
de Jean Baudrillard. Par ailleurs, les contributions de ces auteurs tendent
à fournir des orientations macrosociologiques dans la
compréhension du phénomène de la consommation.
Plutôt qu'inscrire les acteurs au centre du système de relations
sociales, la nouvelle sociologie place les réseaux sociaux au coeur de
l'analyse.
Ainsi, pour enrichir cette nouvelle orientation
théorique Herpin (2001) apporte une réflexion sur la consommation
de masse et l'évolution des valeurs collectives relatives à la
consommation. En effet, pour Herpin l'ordre social dépend moins de la
quantité de produits accessibles que des usages collectifs et des modes
de vie auxquels donnent naissance des réseaux sociaux et les nouveaux
services de la consommation de masse. La sociologie de la consommation de
Herpin se résume donc dans son ouvrage « Sociologie de la
consommation» en trois pôles d'analyse.
- La vie domestique: comment expliquer les permanences, les
changements
et les spécificités des pratiques
budgétaires de différents milieux sociaux? - La
société de consommation de masse: intégration, domination
ou jeu
d'acteurs?
- Enfin, les bien conviviaux et les valeurs collectives
c'est-à-dire les usages collectifs des biens de consommation?
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Dans le prolongement de cette conception théorique,
Swedberg et Granovetter (1994) définissent le réseau comme un
ensemble régulier de contact ou de relations sociales continues
qu'entretiennent tous les individus ou groupes d'individus. Ce réseau de
relations sociales est un contexte qui recouvre d'une part les
opportunités et les contraintes associées aux relations sociales
bilatérales des agents (l'encastrement relationnel) et d'autre part les
opportunités et les contraintes que fait peser sur eux l'architecture
des réseaux à l'intérieur desquels il réalisent
leurs actions (l'encastrement structurale).
Par ailleurs, Granovetter (1985), dans une critique
adressée à la thèse
« d'encastrement» et de « desencastrement
» de
Karl Polanyi (1983)12, affirme que ces deux visions
extrêmes (encastrement et desencastrement) n'ont que peu de choses
à nous apprendre sur le fonctionnement actuel de la vie
économique. Pour Granovetter, les acteurs ne se comportent pas et ne
prennent pas leurs décisions comme des atomes indépendants de
tout contexte social; pas plus qu'ils ne suivent docilement un scénario
écrit pour eux et qui serait fonction de l'ensemble des
catégories sociales auxquelles ils appartiennent. Dans sa thèse
« d'embeddednes » : les actions que les acteurs entretiennent pour
atteindre un objectif sont encastrées dans un système concret et
continu de relations sociales.
En mettant en évidence le rôle des
réseaux, Granovetter remet en cause le postulat selon lequel le
marché résulte de choix rationnels d'individus
indépendant. L'action économique, dit-il, est une action sociale
ne se réduisant
12 Polanyi, dans son ouvrage a proposé la notion de
l'encastrement qui consiste à intégrer les faits
économiques à l'intérieur des faits sociaux, ensuite avec
l'apparition du troisième modèle c'est-à-dire celui de
l'économie d'échange, le « desencastrement »
apparaît. En quelques sorte, il analyse le système de
marché autorégulateur de sa naissance jusqu'à sa mort. De
ce système résulte la séparation de l'économie et
de la société qui se soumet alors au marché. Ainsi, quand
le marché en vient à maitriser le système
économique, la société subit une mutation importante. En
somme, le marché n'est plus intégré dans la
société, c'est la société et les relations sociales
qui y sont encastrées.
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pas à l'intérêt, elle a d'autres
motivations comme la quête de reconnaissance, de statut, de
socialité ou de pouvoir. La nouveauté de son approche est qu'il
considère que la dimension sociale de l'activité
économique n'est pas une entrave à l'expression d'une
rationalité maximisatrice. Ainsi, il ne faut plus prendre comme point de
départ de l'analyse l'agent isolé mais les interactions des
agents pris dans un contexte social global. Et ce contexte renvoie au
réseau de relations sociales.
Toutefois, Bourdieu (2000) qualifie la démarche de
Granovetter d'interactionnisme méthodologique. Il lui reproche de ne
reconnaître que l'effet de l'anticipation consciente et calculée
que chaque agent aurait des effets de son action sur les autres agents et de
faire disparaître tous les effets de structure et toutes les relations
objectives de pouvoir.
En outre, l'analyse de Trentemann (2008), sur le rôle
de l'Etat et des mouvements sociaux, tend à montrer qu'en encourageant
ou en décourageant la consommation, ils jouent un rôle important
dans la fabrique sociale et politique du consommateur comme citoyen mais
également comme acteur économique.
De leur coté, Paul Di Maggio et Hugh Louch (1998)
insistent sur la prise en compte des réseaux sociaux dans l'acte
d'achat. Ils montrent ainsi comment les consommateurs s'appuient sur leurs
réseaux de relations pour acheter un bien ou un service.
En somme, les déterminants de la consommation sont
nombreux. Certes, l'individu dispose d'un choix individuel, mais ses
goûts et ses préférences sont en partie
déterminées par son groupe d'appartenance. De ce point de vue, sa
consommation ne sert pas uniquement à satisfaire un besoin d'usage, elle
sert aussi à satisfaire un besoin social, à montrer son
identité culturelle ou à exhiber le statut social auquel il se
réfère.