Chapitre 2 : Les formes de l'écrit
électronique
Le législateur a tiré toutes les
conséquences de l'équivalence de l'écrit
électronique et de l'écrit papier, en transposant à
l'écrit électronique les contraintes propres à l'acte sous
seing privé et à l'acte authentique (Section I).
Qui plus est, l'ordonnance du 16 juin 2005 récemment
mise en oeuvre par le décret du 5 février 2011, a offert aux
parties la possibilité de conclure un contrat électronique selon
de nouvelles modalités en consacrant dans le code civil
l'équivalence de la lettre électronique et de la lettre sur
support papier (Section II).
Section 1 L'écrit électronique et les
formes traditionnelles de la preuve littérale
Il était indispensable à l'émancipation
du commerce électronique d'instaurer un principe d'équivalence
probatoire entre l'écrit électronique et l'écrit papier.
Pour autant, il aurait été possible d'admettre cette
équivalence tout en réservant un statut particulier à
l'écrit électronique.
Cependant, le législateur n'a pas véritablement
distingué ce dernier de son homologue sur support papier, tant lorsqu'il
s'agit d'un acte sous seing privé (I) que lorsque l'acte est authentique
(II)
§1 L'acte sous seing privé et les contraintes
propres à l'écrit sur support papier
Les articles 1322 et suivants du Code civil définissent
le régime juridique applicable à l'écrit sous seing
privé30. Notamment, les parties doivent respecter plusieurs
contraintes propres à sa validité sous peine de ne pouvoir
prouver leurs droits et obligations.
Ces contraintes sont distinctes suivants la nature du contrat
dont les parties veulent
30 Il s'agit de l'écrit rédigé et conclu
sous signatures privées
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prouver le contenu. En premier lieu, l'article 1325 du Code
civil oblige les parties à un contrat synallagmatique à
établir autant d'écrits sous seing privés que de parties
ayant un intérêt distinct sauf à confier l'écrit
unique à un tiers indépendant mandataire commun aux deux
parties31.
La conception de l'original dans l'univers électronique
pose problème. En effet, celle-ci variera selon la technologie
utilisée et la manière dont les parties à un contrat
électronique échangent leurs consentements. Notamment, on peut se
demander à quel moment l'original est constitué lorsque plusieurs
transmissions de données numériques ont été rendues
nécessaires pour conclure le contrat32.
Enfin, l'original est fréquemment conservé par
le professionnel sans qu'un exemplaire n'ait été envoyé au
co-contractant.
C'est pourquoi un dernier alinéa a été
intégré à l'article 1325 aux termes duquel «
l'exigence d'une pluralité d'originaux est réputée
satisfaite pour les contrats sous forme électronique lorsque l'acte
établi est conservé conformément aux articles 1316-1 et
1316-4 et que le procédé permet à chaque partie de
disposer d'un exemplaire ou d'y avoir accès ».
En second lieu, lorsque les parties ont conclu un contrat
unilatéral dans lequel une seule des parties « s'engage envers
l'autre à lui payer une somme d'argent ou à lui livrer un bien
fongible », l'acte sous seing privé constatant le contrat doit
comporter outre la signature de celui qui souscrit l'engagement, la mention,
« écrite par lui-même » de la somme ou de la
quantité en toutes lettres et en chiffres.
L'article 1326 du Code civil tel qu'énoncé a
fait l'objet d'une modification par la loi du 13 Mars 2000 pour adapter cette
contrainte particulière à l'impossibilité d'insérer
dans l'écrit électronique une mention manuscrite.
De ce fait, la mention n'avait plus à être
écrite par le débiteur, « de sa main » mais « par
lui même ». La modification entendait ainsi permettre de
considérer qu'une telle mention avait été apposée
lorsque le débiteur l'avait écrite par l'intermédiaire
d'un clavier, qu'il s'agisse d'un clavier numérique, informatique ou
digital.
Cependant, le texte était lacunaire dès lors
qu'il ne disait rien quant aux conditions de mise en oeuvre de cette exigence.
En effet, l'important était d'établir un système apte
à garantir que ladite mention avait bien été
apposée par le débiteur lui même, à défaut,
on ne pouvait que
31 C.Cass, Civ 1ère, 17 Oct. 1955, Gaz Pal. 1955,
2, 394 ; C.Cass, Civ 1ère, 2 juil. 1952, D. 1952, 703
32 A.Penneau, « La forme et la preuve du contrat
électronique » , 6.50 p 311 in l'acquis communautaire, le
contrat électronique , J.Rochfeld, Etudes juridiques, Economica 2e
édition
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déplorer cette lacune mettant en échec l'esprit de
l'article 1326 du Code civil.
C'est un arrêt rendu par la Cour de Cassation le 13 mars
200833 qui est venu pallier cette lacune en considérant que
la formalité devait être accomplie au moyen d'une technologie
comportant « des procédés d'identification conformes aux
règles qui gouvernent la signature électronique ou un tout autre
procédé permettant de s'assurer que le signataire est le
scripteur de ladite mention ».
Autrement dit, les exigences propres à la mention
écrite par la main du débiteur sont réputées
satisfaites dès lors que les conditions d'authentification plus
générales de l'écrit électronique sont remplies.
Certains auteurs ont en cela dénoncé l'existence d'un
déclin de la formalité manuscrite par suite d'un « effet
boomerang » du principe d'équivalence34.
L'analyse des conditions mises en place par le
législateur pour assurer le respect de ces formalités par les
parties à un écrit électronique montre à quel point
ces formalités, naturelles lorsqu'il s'agit d'un écrit sur
support papier, le sont beaucoup moins lorsque l'écrit est établi
sous forme électronique. Le législateur aurait tout simplement pu
dispenser les parties à un écrit électronique d'avoir
à les respecter.
Ces « excès » sont la manifestation du soucis
du législateur qui est d'assurer une intégration complète
de l'écrit électronique au sein des preuves littérales. Ce
dernier ne peut assimiler l'écrit électronique et l'écrit
papier tout en permettant au premier d'être dispensé des
obligations propres au second.
Dans la même ligne directrice, la loi du 13 mars 2000 a
mis en place l'acte authentique électronique, tandis qu'un décret
du 10 août 200535 est venu en préciser les conditions
d'application, en modifiant de fond en comble le décret du 26 Novembre
1971 relatif aux actes établis par les notaires.
33 Cass. Civ 1ère, 13 mars 2008, Bull. Civ., I, n°
73, JCP G 2008, II, 10081, obs. E. Putman, Défresnois
2008, art 1346, obs. R. Libschaber
34 A.Penneau, « la forme et la preuve du contrat
électronique », 6.52 p 319, in l'acquis communautaire, le
contrat électronique , J. Rochfeld, Etudes juridiques, Economica
2ème édition.
35 Décret n° 2005-973du 10 août 2005 modifiant
le décret n°71-941 du 26 nov. 1971 relatif aux actes établis
par les notaires, JORF 11 août 2005, p. 13096. Voir B. Reynis,
« L'acte authentique électronique »,
Défresnois, 25 avri. 2005, n° 1, p. 100.
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