Florent Suxe
La preuve du contrat électronique
Mémoire sous la direction de Madame le Professeur
Françoise Labarthe
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Master 2 Recherche en Droit des Contrats
2011-2012
Université Jean Monnet (Paris XI)
2
SOMMAIRE
Introduction Page 3
Partie 1 La preuve écrite du contrat
électronique Page 7
Chapitre I L'admission de l'écrit électronique
au sein des preuves littérales Page 8
I L'équivalence conditionnée de
l'écrit électronique et de l'écrit papier Page 9
II Le pré-requis indispensable au principe de l'
équivalence probatoire : la validité de la
signature électronique Page 13
Chapitre II Les formes de l'écrit électronique
Page 19
I L'écrit électronique et les formes
traditionnelles de la preuve littérale Page 19
II : La lettre électronique : équivalent de
la lettre sur support papier Page 23
Partie II Les limites de la preuve
écrite du contrat électronique Page 28
Chapitre I L'imperfection intrinsèque de la preuve
électronique Page 28
I Les vices entachant la perfection de l'écrit
électronique Page 29
II La procédure de contestation de la preuve
littérale électronique Page 32
Chapitre II Les remèdes à l'imperfection de
l'écrit électronique Page 36
I Les remèdes directs à l'imperfection de
l'écrit électronique Page 36
I Les remèdes indirects à l'imperfection de
l'écrit électronique Page 44
Conclusion Page 45
Bibliographie Page 47
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Introduction
Le développement des nouvelles technologies a
profondément modifié les rouages du commerce. Initié par
la création de l'arpanet1 qui donnera lui même
naissance à l'internet2, ce phénomène a en
effet largement contribué à l'accroissement et à
l'accélération des échanges en offrant tant au
professionnel qu'au consommateur de nouveaux supports de conclusion des
contrats.
Un auteur écrit d'ailleurs à cet égard
« depuis que le panier d'osier ou de métal s'est
transformé en panier virtuel, la visite des magasins et autres lieux de
consommation est désormais possible en tout lieu et à toute
heure. Libéré de toute contrainte physique, le «
cyber-consommateur » peut aujourd'hui pratiquement tout acheter sans avoir
à se déplacer au-delà du lieu où se trouve son
ordinateur et sans avoir à solliciter d'autres muscles que ceux qui
déplaceront sa souris »3. Ainsi, il est aujourd'hui
plus facile que jamais d'acheter un bien ou de commander un service depuis chez
soi, sans contact physique avec son co-contractant.
Cette mutation des modes de consommation,
caractérisée par la dématérialisation du support de
conclusion du contrat, s'est accompagnée irrémédiablement
d'un changement dans la méthode classique de perception du contrat.
C'est pourtant très tardivement que le Droit
français s'est adapté à cette évolution sous
l'impulsion des travaux entrepris et entérinés par les
institutions communautaires4. Il aura en effet fallu attendre que
l'Union Européenne adopte plusieurs directives pour que le
législateur français intègre dans Code civil et le Code de
la consommation les spécificités inhérentes au
développement du « contrat électronique », vecteur de
développement du « commerce électronique ».
1 Arpanet (acronyme anglais de « Advanced Research Projects
Agency Netwok »), est le premier réseau à transfert de
paquets développé aux Etats Unis par la DARPA. Il est
l'ancêtre de l'internet.
2 Internet est un système d'interconnexion d'Autonomous
System et constitue un réseau informatique mondial, utilisant un
ensemble standardisé de protocoles de transfert de données. Il
s'agit d'un réseau de réseaux, sans centre névralgique,
composé de millions de réseaux aussi bien publics que
privés. Il transporte un large spectre d'informations et permet
l'élaboration d'applications et de services variés comme le
courrier électronique, la messagerie instantanée et le World Wide
web.
3 E.Grimaux, « La détermination de la date de
conclusion du contrat par voie électronique », Comm. Comm.
Elect. 2004, chr. N° 10, p. 15
4 Directive 97/7/CE du Parlement européen et du Conseil du
20 mai 1997 concernant la protection des consommateurs en matière de
contrat à distance, JOCE n° L 144, 4 juin 1997, p. 21 ; Directive
1999/93 CE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre
1999, sur un cadre communautaire pour les signatures électroniques,
JOCE n° L 13, 19. janv. 2000, p. 12 ; Directive 2000/31/CE du
Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à
certains aspects juridiques des services de la société de
l'information, et notamment du commerce électronique, dans le
marché intérieur, JOCE L 178, 17 juill. 2000, p. 1
4
Le but était clair, il s'agissait de permettre la
réalisation du marché unique, en soulevant l'ensemble des
obstacles juridiques à la validité et à la preuve du
contrat électronique tout en assurant la confiance dans
l'économie numérique.
La consécration d'un régime propre au contrat
électronique a d'ailleurs fait naître une nouvelle classification
des contrats fondée sur le support de conclusion des engagements
contractuels qui, traditionnellement et conformément au principe du
consensualisme, n'existait pas.
En principe, tout contrat se forme par l'échange des
consentements de sorte que la manière dont cette rencontre se
réalise n'était pas, sauf exception, un élément
déterminant quant à la formation du contrat. Ce n'est que dans un
second temps qu'elle prenait de l'importance, sur le terrain de la preuve des
droits et obligations des parties.
Quoiqu'il en soit, la notion de contrat électronique
est difficile à cerner. En effet, d'une part, le concept, qui nous vient
du Droit Communautaire, recouvre deux dénominations distinctes selon
qu'il est conclu par un professionnel avec quiconque ou selon qu'il l'est par
un professionnel avec un consommateur. Dans le premier cas, il est
dénommé « contrat électronique », dans le
second, « contrat à distance ».
D'autre part, seul le contrat à distance est
défini clairement à l'article L 121-16 du Code de la
Consommation5 comme : « toute vente d'un bien ou toute
fourniture d'une prestation de service conclue, sans la présence
physique simultanée des parties, entre un consommateur et un
professionnel qui, pour la conclusion de ce contrat, utilisent exclusivement
une ou plusieurs techniques de communication à distance ».
Au contraire, le « contrat électronique »
n'est défini que de manière allusive par le Code Civil et la loi
LCEN6 du 21 juin 2004.
Ainsi, l'article 1369-4 du Code civil dispose : «
Quiconque, propose, à titre professionnel, par voie électronique,
la fourniture de biens ou la prestation de services, met à disposition
les conditions contractuelles applicables d'une manière qui permette
leur conservation et leur reproduction ».
Si la démarche était de définir le
contrat électronique, la méthode est quelque peu maladroite. En
effet, la définition n'est énoncée à priori qu'en
vue d'élaborer une règle - le
5 Ordonnance n° 2001-741 du 23 août 2001 portant
transposition de directives communautaires et adaptation au droit communautaire
en matière de droit de la consommation, JORF 25 août
2001, p. 13645. Ce texte assure la transposition fidèle de la directive
97/7/CE du 20 mai 1997
6 Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans
l'économie numérique, JORF, 22 juin 2004, p. 11168
5
professionnel qui fait une offre par voie électronique
doit mettre à disposition les conditions contractuelles...- de sorte
qu'elle s'apparente plus à un champ d'application de la règle
énoncée qu'à une véritable définition
générale du contrat électronique.
On ne peut pas en réalité considérer que
l'initiative du contrat électronique soit l'apanage du professionnel.
D'ailleurs l'article 1369-1 du Code civil évoque la possibilité
de mettre à disposition des conditions contractuelles par voie
électronique. Cela renvoie à la formulation de l'offre et il
semble bien que l'article ne réserve pas cette possibilité au
seul professionnel. Au demeurant, l'article 1369-6 du Code civil qui exclut du
régime propre au contrat électronique les contrats conclus par
échange d'e-mails confirme que la définition donnée
à l'article 1369-4 est réservée aux contrats conclus
directement en ligne sur un site internet.
Si l'on délaisse ce critère organique, on peut
du moins s'inspirer du critère matériel - la proposition par voie
électronique de fourniture de biens ou d'une prestation de services-
pour transposer cette « définition » au non-professionnel
offrant. Ainsi, le Code civil ne définirait que le contrat
électronique initié par le professionnel, pour en
déterminer le régime aux articles 13694 et suivants et il
conviendrait de s'inspirer de ce concept pour élaborer une
définition au moins doctrinale du contrat électronique
initié par le non-professionnel.
En outre, la critère matériel de
définition du contrat électronique est pour le moins lacunaire.
On ne sait à la lumière de l'article 1369-4, pas plus qu'aux
articles suivants, ce qu'est la « voie électronique ».
La loi LCEN ne nous en apprend pas davantage, son article 1er
ne définit que la « communication au public par voie
électronique » par référence à l'utilisation
d'un « procédé de communication électronique » :
« On entend par communication au public par voie électronique toute
mise à disposition du public ou de catégories de public, par un
procédé de communication électronique, de signes de
signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature qui
n'ont pas le caractère d'une correspondance privée ».
Enfin, on ignore à la lecture du Code civil ou de la
loi LCEN s'il est indispensable pour la qualification du contrat que la voie
électronique soit celle exclusivement utilisée lors de la
conclusion. Cette précision est pourtant fondamentale, comment qualifier
un contrat dont le contenu a été proposé par e-mail et
accepté par courrier postal ?
La définition du contrat à distance par
l'article L 121-16 du Code de la consommation ne comporte pas de telles
lacunes. Ainsi on apprend que l'utilisation d'une « technique de
communication à distance » -ce qui englobe la voie
électronique- doit être exclusive lors de la
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conclusion du contrat. Dans notre exemple, l'envoi par
courrier postal de l'acceptation ne ferait pas obstacle à la
qualification de contrat à distance.
Qui plus est, le Code de la consommation ajoute que le contrat
doit être conclu sans la présence simultanée des deux
parties, ce qui écarte de sa définition les contrats conclus
à l'aide d' une technique de communication à distance alors que
les parties sont néanmoins en face l'une de l'autre : ainsi lorsqu'elles
concluent via l'internet au moyen d'ordinateurs dans la même
pièce.
A la lumière des « indices » qui nous sont
donnés par les définitions générales du Code civil
et du Code de la consommation, on peut considérer, avec la
démarche la plus logique qui soit, que le contrat électronique
est le contrat de vente de biens ou de prestation de services qui est conclu
exclusivement par la voie électronique.
A cet égard, on peut à priori dresser une liste
non limitative des différentes façons de conclure ce contrat :
par l'intermédiaire d'ordinateurs, via un réseau fermé, ou
encore via un réseau ouvert tel l'internet, soit directement en ligne
depuis le site du cyber-commerçant soit par échanges d'emails, ou
enfin par telex et sms.
L'adoption de dispositions propres à la
définition et à la formation du contrat électronique ne
pouvait suffire à assurer complètement son intégration.
En effet, la faculté de prouver un contrat revêt
pour les parties un intérêt au moins aussi important que la
possibilité de le conclure, à telle enseigne que nombreux sont
les praticiens qui tiennent pour indu ce qui n'est pas prouvé et
considèrent comme inexistant un engagement dont la formation ne peut
être démontrée.
Cette conception, quoique critiquable - un contrat qui n'est
pas prouvé peut néanmoins exister, ce qui démontre une
confusion entre la forme et la preuve du contrat- tente de refléter
l'impasse dans laquelle se trouve la partie qui n'est pas en mesure de prouver
l'existence du contrat.
En effet, conformément à l'article 1315 du Code
civil, il appartient à celui qui réclame l'exécution d'une
obligation de la prouver. Le demandeur qui ne parvient pas à faire la
preuve du contrat électronique doit donc être
débouté.
Les acteurs du commerce électronique n'échappent
pas à cette obligation. A cet égard, nous nous proposons de
comprendre comment les parties peuvent faire la preuve de leur contrat
électronique.
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En réalité, le système probatoire
réglemente et hiérarchise les modes de preuves 7 en
obligeant le justiciable à fournir un écrit lorsque sa demande
dépasse un certain montant. Il est ainsi indispensable de permettre aux
parties à un contrat électronique de se prévaloir d'un
écrit dématérialisé, autrement appelé «
écrit électronique » sauf à leur empêcher de
pouvoir exercer leurs droits.
C'est sur ce postulat que le législateur
français a transposé par la loi du 13 Mars 2000 la directive
communautaire du 13 décembre 1999 consacrant le principe
d'équivalence de l'écrit électronique et de l'écrit
sur support papier.
De gros efforts ont été entrepris par le
législateur pour permettre aux parties de se prévaloir d'une
preuve écrite de leur contrat électronique (Partie I).
Malgré cela, après plusieurs années de recul, on
s'aperçoit à quel point leur situation reste fragile tant il leur
est difficile de se conformer aux exigences d'un système
éminemment complexe (Partie II).
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