CHAPITRE 2 : L'articulation du droit de
rétractation et de la faculté d'essai....Page 75
SECTION 1 : Les raisons de la stipulation d'une
condition résolutoire Page 76
§ 1 L'inclusion du délai de
rétractation dans le délai d'essai Page 76
§ 2 Le transfert des risques Page
77
SECTION 2 : Les modalités d'exercice du droit
de rétractation Page 80
§ 1 De la rétractation sans motif au
contrôle de l'abus dans l'appréciation subjective
du bien acquis Page 81
§ 2 Les modalités d'expression de la
rétractation et de la faculté d'essai. Page 82
Conclusion Page 85
Bibliographie indicative Page 88
6
Introduction
Le développement des nouvelles technologies a
profondément modifié les rouages du commerce. De la
création de l'Arpanet1 au cours des années 1970
à l'avènement du Web 2.02, auquel lui succédera
bientôt la version 3.03, ce phénomène a
largement contribué à l'accroissement et à
l'accélération des échanges en offrant tant aux
professionnels qu'aux consommateurs de nouveaux supports de conclusion des
contrats. Un auteur écrit d'ailleurs à cet égard «
depuis que le panier d'osier ou de métal s'est transformé en
panier virtuel, la visite des magasins et autres lieux de consommation est
désormais possible en tout lieu et à toute heure.
Libéré de toute contrainte physique, le « cyber-consommateur
» peut aujourd'hui pratiquement tout acheter sans avoir à se
déplacer au-delà du lieu où se trouve son ordinateur et
sans avoir à solliciter d'autres muscles que ceux qui déplaceront
sa souris »4.
En effet, il est aujourd'hui possible d'acheter tout type de
produit directement en ligne, des biens les plus courants, comme les
denrées alimentaires ou les vêtements, aux biens les plus
spécifiques, personnalisés à la demande de l'acheteur.
C'est ainsi que la pratique recèle d'idées toujours nouvelles et
dont l'originalité rend difficile l'application du Droit.
A cet égard, nous avons décidé de porter
notre attention sur une idée qui nous semble révéler au
mieux tant l'équilibre difficile qu'entretient l'imagination des
web-entrepreneurs et le régime juridique des contrats à distance
que le constat selon lequel l'achat en ligne est devenu, d'un simple mode
alternatif de consommation, un véritable mode de vie.
1 Arpanet (acronyme anglais de « Advanced Research
Projects Agency Netwok »), est le premier réseau à transfert
de paquets développé aux Etats-Unis par la DARPA. Il est
l'ancêtre de l'internet.
2 Le Web 2.0 est l"Internet liant les personnes entre elles, au
départ par le courrier électronique, puis qui s'est
généralisé avec le phénomène des blogs, des
forums de discussion agrégeant des communautés autour de sites
internet et enfin avec les réseaux sociaux.
3 Le Web 3.0, lui, n'est pas vraiment défini. En fait,
l'expression est employée par tous les spécialistes pour
expliquer ce que sera selon eux la prochaine étape de
développement du web. Les deux thèses dominantes sont de
considérer le Web 3.0 comme l'Internet des objets1, qui émerge
depuis 2008, l'autre thèse dominante est d'en faire le web
sémantique.
4 E. Grimaux, « La détermination de la date de
conclusion du contrat par voie électronique », Comm. Comm.
Elect. 2004, chr. N° 10, p. 15.
7
Le site internet en question, récemment
créé, déploie son activité dans le
prêt-à porter. Il propose aux internautes qui ne souhaitent pas
s'embarrasser d'un déplacement physique en boutique, de renseigner leurs
goûts et leurs styles, directement en ligne, afin qu'un styliste
choisisse pour eux les habits et accessoires qui composeront bientôt leur
garde-robe.
Ainsi, l'acheteur renseigne sa taille, ses mensurations, puis
sélectionne d'une part les styles qu'il affectionne et d'autre part les
différents types de vêtements et accessoires dont il a besoin
(chemises, pantalons, chaussettes, ceintures...). En confirmant ces
informations, il réalise un premier clic qui lui donne accès
à sa commande récapitulative, affectée d'un numéro
de « malle ». A cet instant, il peut faire appel à un styliste
dont les coordonnées s'affichent à l'écran afin de donner
de plus amples informations sur ses préférences ou en vue
d'obtenir des conseils vestimentaires. Un récapitulatif des informations
qu'il a mentionnées s'affichant sur le site, il a possibilité
d'en vérifier le détail et d'en corriger le contenu avant de
valider définitivement son achat en renseignant ses coordonnées
bancaires, sans connaître précisément le prix à
payer, car la seule information dont il dispose est que la valeur de la malle
ne dépassera pas 1500 euros.
Son styliste référent détermine alors le
contenu de la malle selon les informations que l'acheteur a renseignées,
chacun ayant la possibilité de joindre l'autre afin d'obtenir de plus
amples renseignements. A la réception de la malle, l'acheteur en
découvre le contenu et a la possibilité d'en renvoyer tout ou
partie au vendeur, s'il n'est pas satisfait.
Ce n'est qu'à ce moment précis que l'acheteur
connaîtra le prix des biens qu'il a souhaité garder et que le
vendeur aura la possibilité d'obtenir un paiement correspondant à
la valeur totale de la malle, déduction faite des biens dont l'acheteur
aura souhaité se séparer le cas échéant, en
transmettant l'ordre de paiement à la banque de ce dernier.
Cette prestation nous semble être une vente dans la
mesure où s'opère un transfert de propriété
à titre onéreux, le gestionnaire du site web s'engageant à
livrer les choses vendues, et l'acheteur à les payer, comme le
prévoit l'article 1582 du Code civil, même
8
si nous démontrerons plus loin qu'elle peut
éventuellement correspondre à une prestation de service en raison
de l'intervention du styliste.
Cependant, sa singularité se dessine à travers deux
aspects particuliers.
D'une part, un certain effet de surprise attend l'acheteur qui
recevra la malle, dans la mesure où il n'a pas une connaissance
précise de son contenu, quand bien même il aurait orienté
les décisions de son styliste référent en renseignant ses
préférences. L'acheteur accepte en effet, le temps d'une
transaction, de « perdre » partiellement « la vue » en s'en
remettant au vendeur, ce qui explique que le styliste et l'acheteur aient
réciproquement la possibilité de se contacter entre chacun des
deux clics en vue de la validation définitive de l'achat. Comme nous le
verrons, ces particularités posent de nombreuses questions au regard de
l'obligation du vendeur de définir les caractéristiques
essentielles des biens vendus, de la validité de l'accord des
volontés et de la procédure d'échange des
consentements.
D'autre part, la prestation proposée par le site
pourrait correspondre à la vente à l'essai prévue par le
Code civil à l'article 1588. Non définie par la loi, une telle
qualification ne semble qu'induite par l'article 1588 du Code civil aux termes
duquel « la vente à l'essai est toujours présumée
faite sous condition suspensive ». Ainsi, la condition suspensive
consisterait en la réussite de l'essai pratiqué par l'acheteur,
autrement dit, en la satisfaction de ce dernier à l'égard des
biens qu'il a acquis. De cette façon, la formation définitive de
la vente est suspendue à la réussite de cet
évènement. La réalisation de la condition opère
rétroactivement de sorte que la vente est réputée conclue
au moment de l'échange des consentements qui a
précédé l'essai par l'acheteur.
Cette variété de vente se distingue de la vente
pure et simple comme le rappelle l'article 1584 du Code civil qui ajoute, en
outre, que la vente peut également être faite sous condition
résolutoire.
En effet, comme le confirment la Doctrine et la jurisprudence,
la vente à l'essai peut également être faite sous cette
condition5. Dès lors, le mécanisme est sensiblement
5 G. Baudry-Lacantinerie, Traité théorique et
pratique de droit civil, t. XIX : Paris, Larose et Forcel, 1901, n° 148 ;
M. Planiol et G. Ripert, Traité élémentaire de Droit
civil, t. X, par J. Hamel : LGDJ 1956 ; Cass. Req., 28 juillet 1873
: DP 1874, 1, p. 440
9
différent, la vente étant définitivement
formée dès l'échange des consentements sur la chose et le
prix. Cependant, la survenance de l'évènement - l'échec de
l'essai, c'est-à-dire, l'insatisfaction de l'acheteur en l'espèce
- met fin rétroactivement au contrat qui était
définitivement formé au moment de l'échange des
consentements.
Le choix du mécanisme de la condition dans la vente
à l'essai n'est pas sans conséquences, au regard notamment du
transfert des risques. Ainsi, lorsque la condition est suspensive, les risques
de la chose pèsent sur le vendeur tant qu'elle ne s'est pas
réalisée, par opposition à la vente sous condition
résolutoire, dans laquelle les risques pèsent sur l'acheteur
dès l'échange des consentements dans la mesure où le
contrat est définitivement formé dès cet instant.
En outre, le mécanisme pourrait produire des
conséquences autrement plus complexes à l'égard du droit
de rétractation, ce sur quoi nous nous interrogerons plus loin.
Telle que nous venons de la décrire, la vente «
surprise » à l'essai pose donc de nombreuses difficultés au
regard du régime juridique des contrats à distance. En effet, de
nombreux textes de droit interne ou de source européenne sont
susceptibles de s'appliquer à la vente « surprise » à
l'essai, lorsque celle-ci est conclue à distance et notamment par voie
électronique. Pour ne citer que ceux qui retiendront notre attention
dans le cadre de la présente étude, il est possible d'en
distinguer trois types.
Ainsi, d'une part, les articles L 111-1 et suivants du Code de
la consommation seront à envisager dans le cadre de l'obligation
générale d'information du professionnel, vendeur ou prestataire
de service. Il s'agira par ailleurs de comprendre les modifications
apportées par le projet de loi relatif à la
consommation6 transposant notamment la directive du 25 Octobre 2011
« Droits des consommateurs »7. Dans leur version actuelle,
les articles L 111-1 et suivants du Code de la consommation sont applicables si
le contrat de vente ou de prestation de services est conclu entre un
professionnel et un consommateur.
6 Projet de loi n° 1015, relatif à la
consommation, enregistré à la présidence de
l'Assemblée nationale le 2 mai 2013.
7 Directive 2011/83/CE du Parlement européen et du
Conseil du 25 octobre 2011, relative aux droits des consommateurs, modifiant la
directive 93/13/CEE du Conseil et la directive 1999/44/CE du Parlement
européen et du Conseil et abrogeant la directive 85/577/CEE du Conseil
et la directive 97/7/CE du Parlement européen et du Conseil, JOUE
n° L 304, 22 novembre 2011, p. 64.
10
Non définies de manière générale
par la loi, ces notions ont été éclaircies par la doctrine
et la jurisprudence, tant interne qu'européenne. Ainsi, le consommateur
est nécessairement une personne physique8 qui conclut un
contrat pour des besoins extérieurs à son activité
professionnelle, sans rapport direct avec elle9. Cette
définition, pour le moins restrictive, n'entend pas protéger la
personne physique qui agit pour des besoins professionnels en dehors de son
champ de compétence alors même que son degré d'ignorance
serait similaire à celui d'une personne qui agit pour des besoins
personnels. Au contraire, le professionnel est la personne physique ou morale,
qui exerce à titre habituel une activité à des fins
lucratives et qui conclut dans ce cadre, un contrat pour les besoins de son
activité professionnelle.
Notons qu'une petite « révolution » est en
marche dans ce domaine. En effet, le consommateur est défini de
manière générale par le projet de loi relatif à la
consommation10 qui fixe le champ d'application personnel du Code de
la consommation, en ajoutant un article préliminaire au livre
1er du Code, aux termes duquel « au sens du présent
code, est considérée comme un consommateur toute personne
physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son
activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale
».
Ainsi, le législateur semble ici vouloir mettre fin aux
circonvolutions jurisprudentielles en apportant au juge une définition
commune à toutes les dispositions du Code de la consommation, ce qui
nous semble être une démarche salutaire à
l'égalité de protection voulue par le législateur,
même si la définition peut sembler critiquable dès lors
qu'elle laisse faussement présumer que toute personne agissant pour des
besoins professionnels serait plus avertie qu'un contractant agissant pour des
besoins personnels et inversement.
8 CJCE 22 novembre 2001, JCP 2002. II. 10047, note
Paisant ; D. 2002. AJ 90, note Rondey ; ibid., somm., p. 2929, obs. Pizzio ;
Contrats, conc. consom., 2002, no 18, note Raymond ; ibid., chron.,
p. 14, par Luby ; LPA 2002, note Nourissat ; RTD civ. 2002.
291, obs. Mestre et Fages ; ibid., p. 397, obs. Raynard ; RTD com.
2002. 404, obs. Luby. Arrêt confirmé par Cass. Civ.
1re, 15 mars 2005, LPA 12 mai 2005, p. 12, note D. Bert.
9 V. notamment, en matière de clause abusive, la
définition retenue par la Cour de cassation, par ex., Cass. Civ
1ère., 24 janv. 2005, n° 92-18227, Bull civ. I, n°
54, Contrats. Conc. Cons. 1995, comm. N° 84, note L. Leveneur, D.
1995, p. 327, note G.Paisant et somm., p. 229, obs. Ph. Delebecque, JCP G 1995,
I, n° 3893, obs.G. Viney.
10 Projet de loi n° 1015, relatif à la
consommation, enregistré à la présidence de
l'Assemblée nationale le 2 mai 2013.
11
Ces définitions nous semblent correspondre au cas
d'espèce, au moins en ce qui concerne le gestionnaire du site web, dont
la qualification de professionnel est indiscutable.
En revanche, certains des utilisateurs du site pourraient se
voir priver de la qualification de consommateur dès lors qu'ils
feraient, par exemple, l'acquisition de vêtements afin de ne pouvoir les
porter que sur leur lieu de travail, en respect d'un « code vestimentaire
» ne correspondant pas du tout à leurs goûts personnels.
D'autre part, les textes relatifs au « contrat à
distance » seront à envisager. Ainsi, la directive du 20 Mai 1997
dite « contrats à distance »11 transposée
notamment aux articles L 121-16 et suivants du Code de la consommation par une
ordonnance du 23 août 201112, tiendra une place
particulièrement importante. De même, il s'agira d'envisager la
directive du 25 Octobre 2011 « Droits des consommateurs
»13, abrogeant celle de 1997 à compter du 13 juin 2014,
dont la transposition française est en cours au travers du projet de loi
relatif à la consommation enregistré à la
présidence de l'assemblée nationale le 2 mai 201314,
toujours susceptible d'amendements.
Enfin, il s'agira d'appliquer les textes relatifs au «
contrat électronique », notamment la directive du 8 juin 2000 dite
« Commerce électronique »15 transposée aux
articles 1369-1 et suivants du Code civil par la loi pour la confiance dans
l'économie numérique du 21 juin 200416.
11 Directive 97/7/CE du Parlement européen et du
Conseil du 20 mai 1997 concernant la protection des consommateurs en
matière de contrat à distance, JOCE n° L 144, 4
juin 1997, p. 21.
12 Ordonnance n° 2001-741 du 23 août 2001 portant
transposition de directives communautaires et adaptation au droit communautaire
en matière de droit de la consommation, JORF 25 août
2001, p. 13645. Ce texte assure la transposition fidèle de la directive
97/7/CE du 20 mai 1997.
13 Directive 2011/83/CE du Parlement européen et du
Conseil du 25 octobre 2011, relative aux droits des consommateurs, modifiant la
directive 93/13/CEE du Conseil et la directive 1999/44/CE du Parlement
européen et du Conseil et abrogeant la directive 85/577/CEE du Conseil
et la directive 97/7/CE du Parlement européen et du Conseil, JOUE
n° L 304, 22 novembre 2011, p. 64.
14 Projet de loi n° 1015, relatif à la
consommation, enregistré à la présidence de
l'Assemblée nationale le 2 mai 2013.
15 Directive 2000/31/CE du Parlement européen et du
Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des
services de la société de l'information, et notamment du commerce
électronique, dans le marché intérieur, JOCE L
178, 17 juillet 2000, p. 1.
16 Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans
l'économie numérique, JORF, 22 juin 2004, p. 11168.
12
La définition du « contrat à distance
» ou du « contrat électronique », en tant que champ
d'application matériel de ces différents textes ne fait pas
obstacle à l'application des règles qu'ils contiennent en ce qui
concerne notre cas d'espèce. Ainsi, qu'il s'agisse d'une vente ou d'une
prestation de service, ou encore, qu'on retienne une qualification
distributive, cette question que nous envisagerons plus loin n'a pas de
conséquences sur l'éligibilité des textes, quand bien
même le régime juridique qu'ils consacrent en serait fortement
influencé.
En effet, l'ensemble de ces textes qui constituent le socle du
Droit des contrats à distance et du contrat électronique,
s'appliquent tant à la vente qu'à la prestation de services.
En revanche, des divergences sensibles subsistent en ce qui
concerne les autres critères de qualification de ces contrats. Ainsi, en
substance, l'article 2 de la directive de 199717 exige du contrat
à distance qu'il soit conclu entre un consommateur et un fournisseur,
dans le cadre d'un système de vente organisé par ce dernier et
que les parties aient utilisé une ou plusieurs techniques de
communication à distance, des pourparlers à la conclusion
définitive du contrat.
A cet égard, la directive ne définit ni le
système de vente organisé, ni les techniques de communication
à distance.
Le législateur français s'est affranchi de cette
définition en modifiant, en ajoutant ou en faisant abstraction de
certains de ses éléments - ce qui lui était permis, la
directive étant d'harmonisation minimale - par la transposition de cette
définition à l'article L 121-16 du Code de la consommation.
Pour ne décrire que les divergences, cet article exige
que le contrat à distance ait été conclu sans la
présence physique simultanée des deux parties, ce qui exclut par
exemple les contrats conclus par internet alors que les parties sont
situées dans la même pièce. En outre, la notion de
professionnel est substituée à celle de fournisseur, celui-ci
n'étant plus tenu de conclure le contrat dans le cadre d'un
système de vente organisé. Enfin,
17 Directive 97/7/CE du Parlement européen et du Conseil
du 20 mai 1997 concernant la protection des consommateurs en matière de
contrat à distance, JOCE n° L 144, 4 juin 1997, p. 21.
13
l'exigence de l'emploi d'une ou plusieurs techniques de
communication à distance est circonscrite au moment de la conclusion du
contrat.
Les notions de consommateurs et de professionnels
n'étant pas définies comme nous l'avons évoqué, il
est cependant possible ici de se référer à la
définition du consommateur telle qu'elle est envisagée par la
directive de 199718, au regard du principe de la
supériorité du Droit de l'Union européenne sur le Droit
interne. Ainsi, il s'agit de toute personne physique qui agit à des fins
qui n'entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle.
Dans la mesure où le législateur a
préféré le terme de professionnel à celui de
fournisseur, il n'est pas possible de s'en référer à la
définition consacrée par la directive. Mais celle-ci est en
accord avec celle du professionnel que nous avons déjà
envisagée car la directive définit le fournisseur comme la
personne morale ou physique qui agit dans le cadre de son activité
professionnelle.
La définition du contrat à distance par la
directive du 25 Octobre 201119 dérive de ces deux
définitions. Ainsi le contrat à distance consiste en «
tout contrat conclu entre le professionnel et le consommateur, dans le
cadre d'un système organisé de vente ou de prestation de service
à distance, sans la présence physique simultanée du
professionnel et du consommateur, par le recours exclusif à une ou
plusieurs techniques de communication à distance, jusqu'au moment, et y
compris au moment, où le contrat est conclu ».
En revanche, la définition des parties au contrat est
complexifiée. Ainsi, le consommateur est toujours une personne physique,
mais agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son
activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale.
De même, le professionnel est toujours une personne
physique ou morale. Cependant, la directive précise que celle-ci peut
être privée ou publique, ce qui est à notre avis une
18 Note préc.
19 Directive 2011/83/CE du Parlement européen et du
Conseil du 25 octobre 2011, relative aux droits des consommateurs, modifiant la
directive 93/13/CEE du Conseil et la directive 1999/44/CE du Parlement
européen et du Conseil et abrogeant la directive 85/577/CEE du Conseil
et la directive 97/7/CE du Parlement européen et du Conseil, JOUE
n° L 304, 22 novembre 2011, p.64.
14
précision inutile au regard du principe selon lequel il
n'y a pas lieu de distinguer là où la loi ne distingue pas. Par
ailleurs, le professionnel peut désormais agir par
l'intermédiaire d'une personne agissant en son nom ou pour son compte.
Ainsi, la personne du commissionnaire ou du mandataire s'efface devant celle de
la personne pour qui l'acte est conclu. Enfin, la directive exige que le
professionnel agisse à des fins qui entrent dans le cadre de son
activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale.
Le fait que la directive procède par
énumération lorsqu'elle évoque la raison pour laquelle
l'acte est conclu semble a priori plus réducteur que si elle s'en
était tenue à la notion « d'activité professionnelle
» prévue par la directive de 199720. Cependant, nous
pensons que les activités énumérées recouvrent la
totalité des hypothèses que l'on pourrait qualifier
d'activité professionnelle.
Le projet de loi relatif à la consommation,
enregistré à la présidence de l'assemblée nationale
en mai 201321 transpose fidèlement cette définition
hormis un élément qui ne semble cependant pas devoir faire
raisonnablement l'objet d'un débat. En effet, il est exigé des
parties qu'elles recourent exclusivement à une ou plusieurs techniques
de communication à distance « jusqu'à la conclusion du
contrat », sans que l'emploi d'une technique de communication à
distance soit également expressément prévu pour le moment
de la conclusion du contrat.
En théorie, « jusqu'à » est une
locution prépositive qui marque un certain point que l'on atteint et
au-delà duquel on ne passe pas, de sorte que le moment de la conclusion
du contrat est bien compris dans le délai pendant lequel il est
nécessaire d'utiliser une ou plusieurs techniques de communication
à distance.
De plus, la directive du 25 Octobre 201122 est
d'harmonisation maximale conformément à son article 4, ce qui
signifie qu'il est interdit au législateur d'aller au-delà ou
en-deça de qui est prévu par le législateur
européen, sauf autorisation expresse.
20 Directive 97/7/CE du Parlement européen et du
Conseil du 20 mai 1997 concernant la protection des consommateurs en
matière de contrat à distance, JOCE n° L 144, 4
juin 1997, p. 21.
21 Projet de loi n° 1015, relatif à la
consommation, enregistré à la présidence de
l'Assemblée nationale le 2 mai 2013.
22 Directive 2011/83/CE du Parlement européen et du
Conseil du 25 octobre 2011, relative aux droits des consommateurs, modifiant la
directive 93/13/CEE du Conseil et la directive 1999/44/CE du Parlement
européen et du Conseil et abrogeant la directive 85/577/CEE du Conseil
et la directive 97/7/CE du Parlement européen et du Conseil, JOUE
n° L 304, 22 novembre 2011, p.64.
15
Au regard de ces éléments, nous devons en
conclure que la définition du « contrat à distance »,
consacrée par le législateur français dans son projet de
loi est identique à celle retenue par le législateur
européen.
Notre cas d'espèce semble entrer parfaitement dans le
champ d'application de ces textes. En effet, comme nous l'avons
déjà évoqué, il nous semble que les utilisateurs
concluent sur le site internet pour des besoins personnels dans la
majorité des cas. De même, le gestionnaire du site web offre
nécessairement ses services en vue d'en tirer un bénéfice,
et ce, à titre habituel. Par ailleurs, il effectue des actes de commerce
par nature visés par l'article L 110-1 1° du Code de commerce
dès lors qu'il acquiert les vêtements pour les revendre de sorte
qu'il intervient dans le cadre d'une activité commerciale comme le
prévoit la directive du 25 Octobre 201123. Notons que le
projet de loi ne définit pas le professionnel. Ainsi, il convient de
s'en remettre à la définition consacrée par la directive
européenne.
Par ailleurs, que les utilisateurs recourent uniquement
à la plateforme de vente pour conclure le contrat, ou qu'ils apportent
des précisions supplémentaires auprès du styliste par
téléphone ou par email, ces circonstances étant de nature
à préciser ou redéfinir les éléments
essentiels du contrat conclu, il ne fait aucun doute qu'ils concluent sans
être présents simultanément l'un et l'autre, en utilisant
exclusivement une ou plusieurs techniques de communication à distance,
des pourparlers à la conclusion du contrat, et ce dans le cadre d'un
système de vente organisé par le professionnel.
Pour finir, il nous reste à envisager les dispositions
relatives au contrat électronique.
Sa définition consacrée par l'article 1369-4 du
Code civil est issue de la LCEN24 qui a notamment transposé
la directive du 8 juin 200025, dont il ressort en ses articles 9 et
10
23 Directive 2011/83/CE du Parlement européen et du
Conseil du 25 octobre 2011, relative aux droits des consommateurs, modifiant la
directive 93/13/CEE du Conseil et la directive 1999/44/CE du Parlement
européen et du Conseil et abrogeant la directive 85/577/CEE du Conseil
et la directive 97/7/CE du Parlement européen et du Conseil, JOUE
n° L 304, 22 novembre 2011, p.64.
24 Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans
l'économie numérique, JORF, 22 juin 2004, p. 11168.
25 Directive 2000/31/CE du Parlement européen et du
Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des
services de la société de l'information, et notamment du commerce
électronique, dans le marché intérieur, JOCE L
178, 17 juillet 2000, p. 1.
16
de la section 3 intitulée « contrats par voie
électronique », que le contrat électronique est conclu par
voie électronique, le débiteur de la prestation de service ou de
l'obligation de transférer la propriété et de livrer la
chose étant dénommé « prestataire de service
».
L'article 2 de la directive dispose en substance que le «
prestataire » est la personne physique ou morale qui fournit un service de
la société de l'information, et renvoie à la directive du
22 juin 199826 pour connaître la définition de cette
dernière notion considérée comme « tout service
presté normalement contre rémunération, à distance
par voie électronique et à la demande d'un destinataire de
services ».
La directive du 22 juin 1998 définit également
la voie électronique pour les besoins de la définition des «
services de la société de l'information » en
considérant qu'il s'agit de « tout service envoyé à
l'origine et reçu à destination au moyen d'équipements
électroniques de traitement (y compris la compression numérique)
et de stockage de données, et qui est entièrement transmis,
acheminé et reçu par fils, par radio, par moyens optiques ou par
d'autres moyens électromagnétiques ».
Nous pensons que ces éléments nous permettent
d'éclairer la notion de contrat électronique retenue par le Droit
français.
En effet, la définition du contrat électronique
retenue en Droit français est très lacunaire. Ne semblant
qu'induite par la première phrase de l'article 1369-4 du Code civil aux
termes de laquelle « quiconque propose, à titre professionnel,
par voie électronique, la fourniture de biens ou la prestation de
services, met à disposition les conditions contractuelles applicables
d'une manière qui permette leur conservation et leur reproduction
», un tel silence laisse pantois au regard de la profusion des
critères participant à la définition du contrat à
distance.
Ainsi, le contrat électronique est un contrat
formé exclusivement par voie électronique, dont le
débiteur de l'obligation relative à la prestation de service ou
au transfert de
26 Directive 98/34/CE du Parlement européen et du
Conseil du 22 juin 1998 prévoyant une procédure d'information
dans le domaine des normes et réglementations techniques, JOCE
n° 204, 21 juill. 1998, p. 37.
17
propriété et à la livraison est un
professionnel, ce qui exclut les contrats conclus entre particuliers.
D'ailleurs, il est étonnant que le Code civil consacre
la notion de professionnel, qui ne semblait être qu'une notion purement
consumériste, ce qui peut cependant s'expliquer par le caractère
supplétif du régime juridique du contrat électronique
consacré par le Code civil dès lors que les parties ont en effet
la possibilité d'y déroger si elles concluent toutes deux pour
des besoins professionnels.
Par ailleurs, les contrats qui sont formés
exclusivement par échange d'email y échappent.
Si l'on envisage la définition française
à la lumière de son fondement européen, il est possible
d'en préciser un peu plus le contenu, en reprenant notamment la
définition de « voie électronique » consacrée
par la directive du 22 juin 199827, pour comprendre que le contrat
électronique englobe en pratique une large variété de
moyens de télécommunication : Internet, SMS, télex...
En effet, même si la directive du 8 juin
200028 ne renvoie à la directive du 22 juin 1998 que pour
définir la notion de service de la société de
l'information, on peut considérer que ce renvoi s'étend à
la définition de « la voie électronique »
consacrée par la directive en vue seulement de définir la notion
de service de la société de l'information.
D'ailleurs, le considérant 18 de la directive du 8 juin
2000 nous confirme cette interprétation en déclarant que «
les services de la société de l'information englobent un
large éventail d'activités économiques qui ont lieu en
ligne. Ces activités peuvent consister, en particulier, à vendre
des biens en ligne. Les activités telles que la livraison de biens en
tant que telle ou la fourniture de services hors ligne ne sont pas couvertes.
Les services de la société de l'information ne se limitent pas
exclusivement aux services donnant lieu à la conclusion de contrats en
ligne... ».
27 Directive 98/34/CE du Parlement européen et du
Conseil du 22 juin 1998 prévoyant une procédure d'information
dans le domaine des normes et réglementations techniques, JOCE
n° 204, 21 juill. 1998, p. 37.
28 Directive 2000/31/CE du Parlement européen et du
Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des
services de la société de l'information, et notamment du commerce
électronique, dans le marché intérieur, JOCE L
178, 17 juillet 2000, p. 1.
18
Ainsi, ce considérant confirme que la formulation
« service presté [...] à distance par voie
électronique » fait référence tant à la
conclusion du contrat qu'à l'exécution du contrat directement en
ligne.
Il nous semble que le cas d'espèce entre
également dans le champ d'application de ces textes. En effet, le
gestionnaire du site web intervient, à n'en pas douter, à titre
professionnel dès lors qu'il agit pour les besoins de son
activité lucrative, à titre habituel.
La qualité du créancier de l'obligation du
professionnel important peu au stade du champ d'application personnel du
régime juridique du contrat électronique, il n'est pas
nécessaire de déterminer la raison pour laquelle il agit. En
revanche, d'autres éléments nous semblent plus
déterminants.
Ainsi, la question est de savoir si les moyens de
communication au travers desquels les parties sont susceptibles
d'échanger leurs consentements correspondent à la voie
électronique envisagée par l'article 1369-4 du Code civil.
Il nous semble que l'internet y correspond de manière
certaine car cette technologie fonctionne bien grâce à un «
équipement électronique de traitement (y compris la compression
numérique) et de stockage de données », et qu'elle permet
d'acheminer et de recevoir « par fils, par radio, par moyens optiques ou
par d'autres moyens électromagnétiques », un service
consistant à permettre la conclusion d'un contrat, conformément
à l'article 1-2° de la directive du 22 juin 199829, qui
définit la voie électronique à l'aide de ces
critères cumulatifs.
Nous verrons cependant plus loin, que l'emploi du
téléphone lors de l'échange avec le styliste pourrait
échapper au régime juridique du contrat électronique, dans
la mesure où cette technologie ne nous semble pas mettre en oeuvre une
solution de stockage, à moins que la conversation soit
enregistrée.
29 Directive 98/34/CE du Parlement européen et du
Conseil du 22 juin 1998 prévoyant une procédure d'information
dans le domaine des normes et réglementations techniques, JOCE
n° 204, 21 juill. 1998, p. 37.
19
Ainsi, un panel complet de textes semble devoir s'appliquer
à la vente « surprise » à l'essai lorsque celle-ci est
conclue à distance et notamment au cas d'espèce qui fait l'objet
de la présente étude.
Par conséquent, il s'agit de questionner les
difficultés suscitées par la vente « surprise »
à l'essai dans le cadre de l'application du régime juridique des
contrats à distance et de proposer les solutions aptes à les
résoudre.
Nous envisagerons donc en premier lieu la qualification de
l'opération réalisée par le site internet pris pour
exemple, tant les conséquences sont lourdes notamment à
l'égard de l'existence d'un droit de rétractation (Partie
préliminaire). En second lieu, nous aborderons les difficultés
juridiques soulevées par l'information due à l'acheteur, la
procédure d'échange des consentements ainsi que la
validité de l'accord des volontés au regard des
particularités de la prestation (Partie I) avant d'aboutir à la
difficile question de l'application du droit de rétractation dans la
vente à l'essai (Partie II).
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