Conclusion
« Il y a de la magie à l'extérieur
». Ce leitmotiv de la série The River pourrait
être celui de tout notre corpus et il tient à peu de choses que
cette magie devienne un phénomène perceptible. L'horreur dans ces
cas-là tient au fait que ces manifestations ne sont pas destinées
à rendre le monde meilleur. Il n'est pas toujours bon d'explorer des
zones aussi mystérieuses sans préparation préalable, sans
même avoir pris conscience que le dispositif cinématographique
appelle tout évènement à devenir extraordinaire. Entrevoir
ainsi la face cachée de notre monde, « lever le voile
»60 sur la frontière entre la réalité et
un au-delà inconnu car invisible, c'est mettre en route la destruction
de notre espace intime. De l'arrivée d'évènements
paranormaux dans une maison de quartier chic à la destruction d'une
ville tout entière, ces tragédies sont le plus souvent
minimisées à l'échelle d'un seul individu ; l'image n'est
là que pour ancrer cette personnalité dans le monde. Sauf que ce
n'est pas ce protagoniste qui voit et qui sait, mais un corps encore plus
limité aux conditions « psychiques » démesurées.
La caméra est un cerveau pleinement tourné vers la
compréhension des mystères du monde. Cependant, si tous ces
phénomènes sont amenés à devenir tangibles, c'est
que la magie a bien eu lieu à l'intérieur d'un autre espace. La
focalisation caméra est le signe, peut-être avant tout, que le
potentiel de la caméra et les aspects présentés
relèvent eux aussi de ces anomalies. La connaissance très
partielle du dispositif de focalisation caméra a engendré de
nombreuses confusions liées à la production
cinématographique actuelle. En effet, comme le montrent très bien
les critiques de Chernobyl Diaries (Bradley Parker, 2012), beaucoup
assimilent le film comme étant un nouvel héritier de cette
tendance « Blair Witch » et le jugent à la
lumière de cet amalgame. Outre le fait que le titre fasse lui aussi
l'état d'une chronique et qu'Oren Peli61 en soit le
producteur, peu de choses peuvent rattacher ce film au corpus que nous venons
de traiter. Pour autant, et la bande-annonce est parfaitement trompeuse
à cet égard, la caméra portée laisse un temps
présager qu'un personnage tourne le film de leur expédition. Mais
comme il n'en est rien, la mise en scène est constamment bafouée
par cette impression et le film peine à trouver les véritables
marques de son dispositif. Ainsi, beaucoup de critiques ont crié au
scandale, déclarant qu'il en était assez du found
footage, des films « à la Blair Witch » et des
faux documentaires. Alors qu'il n'en était rien. Dans notre cas, il faut
capturer le monde (cet
60 C'est une traduction possible du mot apocalypse, qui
étymologiquement est la transcription d'un terme grecque.
61 Nous rappelons qu'il est le réalisateur de
Paranormal Activity.
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Gildas MADELÉNAT
extérieur intériorisé amorce une
objectivité plausible) pour que celui-ci soit métamorphosé
une fois passé par l'intériorité de l'appareil (cet
intérieur extériorisé n'est autre qu'une
subjectivité avérée). C'est de ce passage, de cette
conversion que résulte l'image, puis la prise en compte de cet
avènement. Quelle est alors cette éclosion ? Quelle est la
finalité de ce processus ? Il s'agit de la création de la fiction
elle-même. C'est ainsi et seulement ainsi que la magie opère.
Faire dire la vérité au monde et projeter cette connaissance dans
ce même univers, de façon à ce que l'image retentisse pour
le spectateur comme la marque d'une authenticité. Pas plus celle d'une
réalité que celle du dispositif cinématographique mis en
place. Tout film est un film de fiction, puisque toute oeuvre est issue d'un
imaginaire, celui de l'appareil. Ce qui finit par être vraiment
surnaturel est le fonctionnement de cette intériorité. Car les
phénomènes ne sont pas vraiment paranormaux, mais «
supranormaux », ils restent une composante initiale du réel. Alors
que cette focalisation caméra, qui montre que le vrai cinéma est
un cinéma vivant, affirme que l'objet de ses représentations
n'est autre que cette profondeur machinique. Un subconscient qui annexe sous sa
puissance les images du monde. Celle qui conserve a posteriori les
mystères liés à son existence, à sa nature, n'est
autre que la caméra. Le véritable monstre de ces films, celui
à cause de qui tout survient, c'est l'appareil de captation. Si le
dispositif filmique est un système vampirique qui capte la vie, l'image,
elle n'a pourtant rien d'un être vivant. Au contraire elle n'est qu'une
substance morte, une essence prélevée sur un corps
esquinté lors d'une autopsie. Elle est ce qui contamine les mondes,
détruit les êtres. Ce qui est étrange, c'est d'avoir
retrouvé ces images, qu'elles s'offrent à nous aussi simplement
et si nous ne prenons pas garde à ce que l'on voit, elles
entraîneront là aussi la destruction de notre espace. En cela,
elles ne peuvent être utilisées pour exorciser totalement les
monstruosités qui persistent face aux protagonistes, puisqu'elles font
partie de la même altération. C'est pour cette raison que les
« démons » ont autant conscience de la présence de
l'appareil (nombreux regards ou attaques à son égard) et que la
caméra parvient à rendre compte de leur existence.62
Renouveler le regard grâce à la focalisation caméra, c'est
découvrir que la vision et les connaissances acquises de cette
perception ne sont plus des capacités passives de la captation. La
caméra s'engouffre dans le monde physiquement, intellectuellement, et ce
n'est pas tant les choses de la réalité qui nous
intéressent que l'esprit qui se tient dans et derrière
l'objectif. Pour enfin savoir ce qui se cache derrière ce monstre qui ne
nous voit pas, mais nous regarde.
62 Dans une des fins alternatives de Cloverfield, Rob
et Beth sont dans un manège et filment la mer. Au moment où Rob
change l'axe de la caméra on aperçoit quelque chose tomber dans
l'océan. Il s'agit du monstre à venir et si le cadre reste aussi
longtemps dans cette direction c'est pour mettre en place cette apparition.
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La Focalisation Caméra
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