3. Perspective de notre problématique du veuvage de
l'épouse d'un maître-initié, mère de jumeaux
« Initialement circonscrit avec une certaine
précision, un objet de recherche se reconnaît toujours d'une
problématique, c'est-à-dire, en première approximation, un
ensemble de problème qui, ouvrant la recherche, sont susceptible
d'être soulevés par l'objet étudié. La construction
d'une problématique ne se limite cependant pas à
l'énoncé immédiat de quelques questions ; elle lie
plutôt à une posture d'interrogation générale de
l'objet, proche du sens que prend l'objectif dans
27
l'expression de « jugement problématique » :
il s'agit d'une proposition qui énonce une simple possibilité, la
vérité n'étant pas encore établie à ce sujet
».48
Les entretiens et les différentes lectures nous ont
permis de mettre en exergue un certain nombre de perspectives qui nous ont
rendus « sensibles », par rapport à notre objet
d'étude. Ainsi, on peut envisager de l'orienter selon la perspective
théorique de Jean-Ferdinand MBAH adossée à l'idée
que « la redynamisation de la société devient possible
après l'initiation de la veuve, obtenue par transfert. Il reste
maintenant au groupe d'initiés à régler le problème
du vide créé par le décès et celui de
l'arrivée d'une nouvelle initiée ».49
Il en va de même avec TOKA qui axe sa
problématique sur le fait que « c'est donc la
révélation de la revalorisation de la femme et la redynamisation
de la société qui sont contenues dans les complaintes à
travers le rituel du deuil. Ces situations ne sont pas le fait d'une
volonté individuelle, elles ne répondent qu'à un
comportement collectif guidé par les normes coutumières et
sociétales ».50
Reste donc à justifier les choix de notre perspective.
Toutes les études sur la mort et les rites qui l'accompagnent, sont
marquées du matérialisme historique. Toutes ces
études viennent assener les rapports aussi bien de domination, de luttes
de groupes et de génération, que des rapports d'exploitation d'un
groupe par un autre groupe. Toutefois, rares sont les études qui portent
sur le veuvage de la l'épouse d'un maître-initié,
mère des jumeaux. Le veuvage de l'épouse d'un
maître-initié mère de jumeaux chez les Akélé
est une réalité qui est, a priori, logique dans la
société gabonaise. Car la mère des jumeaux est un
être exceptionnel, la maternité qui conduit à la naissance
de ces deux « êtres » transforme son statut qui passe d'un
genre à l'autre, donc d'une femme à « une femme-homme
».
48 André D. ROBERT et Annick BOULLAGUET,
Analyse de contenu, Paris, (coll. « QSJ ? »), 1997,
p.25.
49 Jean-Ferdinand MBAH, « Veuvage et
rupture de la relation d'alliance. Illusion sur une pratique sociale
récurrente en milieu urbain » p.120 in
Rupture-solidarité n°5-2004, pp115-131.
50Fulbert TOKA, le veuvage et la valorisation
de la femme dans la société Akélé, Rapport de
Licence en Sociologie, UOB/FLSH, Libreville, 1997, ibid., p.20.
28
Pour ce travail nous nous situerons dans une perspective
particulière qui consiste à poser le veuvage de l'épouse
d'un maître-initié, mère de jumeaux, comme une
réaffirmation, un processus politique d'exercice du pouvoir par une
femme particulière.
On pourrait retrouver par exemple dans « un corps de
garde » la mère des jumeaux qui prend la parole devant les hommes
pour résoudre les problèmes du village, grâce à son
statut. Car dans la société Akélé, lorsqu'une femme
met au monde des jumeaux, elle accède au groupe des « hommes
», elle est initiée au Mungala, un rite qui est
réservé uniquement aux hommes, donc cesse d'appartenir au groupe
des femmes mais fait partie intégrante de celui des hommes ; sans perdre
ses qualités de femmes puisqu'elle reste mère de jumeaux. Cette
initiation serait plutôt une légitimation de son nouveau
système politique.
L'intérêt sociologique du veuvage de
l'épouse d'un maître-initié, mère de jumeaux, qui
s'actualise dans la société Akélé, est très
important car depuis des décennies, la mère de jumeaux est
considérée comme un être spécial; mettre au monde
des jumeaux n'est pas donné à toutes les femmes, c'est la raison
pour laquelle la mère des jumeaux est considérée comme un
homme, a priori, seul genre à pouvoir réaliser toute chose
extraordinaire.
|