Section 2 : Construction du modèle d'analyse
Raymond QUIVY et Luc VAN CAMPENHOUDT affirment dans leur
ouvrage Manuel de recherche en sciences sociales que
l'élaboration de la problématique est une opération qui se
déroule souvent en deux étapes ; la problématique «
est l'approche ou la perspective théorique qu'on décide d'adopter
pour traiter le problème posé par la question de départ
».19 Ce qui revient, dans un premier temps, à «
exploiter les lectures et les entretiens et de faire le point sur les
différents aspects du problème qui y sont mis en évidence
»20 afin que, dans une deuxième intension, l'on
parvienne à « construire sa propre problématique
».21
Dans le cadre de notre étude, nous explorerons les
acquis scientifiques qui portent sur les phénomènes politiques et
le veuvage. La représentation sociale du veuvage de l'épouse d'un
maître-initié mère de jumeaux, à la suite de la mort
de son mari maître-initié étant au centre de notre
étude, nous nous focalisons aussi bien, sur les travaux de la mort comme
un rite de passage obligatoire, dont l'interprétation est
immédiatement religieuse qu'aux travaux portant sur la pratique du
phénomène du veuvage, comme un rite de passage, qui devient un
phénomène politique.
1. La question politique à travers le veuvage dans
la littérature sociologique occidentale
Nous voulons rappeler qu'en ce qui concerne la pratique du
veuvage, en tant que fait social total et comme rite de passage et
d'intronisation, il est un alibi pour interroger la question politique.
Néanmoins, l'examen que nous faisons du phénomène de la
mort, montre que le veuvage est une conséquence directe de celle-ci ; au
même titre que le levé de terre et le retrait de deuil. D'autant
plus que, c'est
19 Raymond QUIVY et Luc VAN CAMPENHOUDT, Manuel de
recherche en sciences sociales, 2ème éd., Paris,
Dunod, 1995, p.85.
20 Ibid., p.86.
21 Ibid., p.86.
16
l'occasion d'exposer ici le fait selon lequel la mort, bien
qu'étant un phénomène qui s'inscrit dans le religieux et
le social ; peut avoir une dimension politique. En ce sens, le rituel du
veuvage apparaît, comme un mécanisme politique qui permet, non
seulement, un changement de statut, l'accession au pouvoir, mais
également un processus de réinsertion sociale (il s'agit de
revaloriser la femme dans un nouveau statut).
« Concevoir la sociologie politique comme une sociologie,
le système politique comme un système social, c'est construire
l'ensemble des relations qui lient la politique et le social
».22 Ceci, pour dire que la question politique demeure une des
préoccupations fondamentales des chercheurs parce qu'elle est un
phénomène social total au sens de MAUSS. C'est la politique qui
nous renseigne sur la façon dont les hommes en société
organisent et planifient leur quotidien.
D'abord, plusieurs anthropologues se sont
intéressés à la mort comme phénomène social.
Dans « Cinq essais sur la mort africaine », Louis-Vincent
THOMAS affirme que « le simple fait que l'humanité est
constituée de plus de mort que de vivant, montre bien que les hommes
aient conçu et élaboré des systèmes de croyances,
parfois d'une prodigieuse complexité, pour se préserver des
effets dissolvants de la mort. Trois buts semblent plus spécialement
visés : rassurer l'homme, revitaliser le groupe que le
décès perturbe et amoindrit, normaliser les rapports entre les
vivants (monde visible) et les morts (monde invisible) ».23
Pour notre part, c'est plutôt la deuxième raison
évoquée par l'auteur qui nous intéresse. En effet, comme
évoqué plus haut, c'est la politique qui vient revitaliser le
groupe en instituant et en gérant des mécanismes tel que le
veuvage de l'épouse d'un maître-initié, mère de
jumeaux, pour restaurer l'ordre social déstructuré par la
mort.
22 Jean-Pierre COT et Jean-Pierre MOUNIER, Pour
une sociologie politique. Tome 2, Paris, Editions du Seuil, 1974, (coll.
« Points »), p.148.
23 Louis Vincent THOMAS, Cinq essais sur la mort
africaine, Dakar, Université de Dakar, 1968, p.494.
17
Le veuvage de la mère de jumeaux chez les
Akélé du Moyen-Ogooué révèle une
particularité : celle de la mort symbolique de cette épouse du
maître-initié. Et par le veuvage, elle doit être
réinsérée dans sa communauté. Louis-Vincent THOMAS,
poursuit en disant que « l'incertitude des frontières entre la vie
et la mort soit un élément d'interrogation du social
».24 C'est dans ce sens qu'Emile DURKHEIM parle de rites
piaculaires, il affirme que « régulièrement, il faut
pleurer, s'attrister, manifester sa colère et que ces grandes
manifestations collectives restituent au groupe l'énergie » qui
menaçait de lui soustraire ».25
C'est dans cette même perspective que Arnold VAN GENNEP
montre que « tous s'organisent selon une séquence
constante en trois temps, qui distingue à l'intérieur d'un
même rituel : une phase de séparation vis-à-vis du groupe ;
une phase de mise en marge (ou « liminale ») ; une des
réintégration (ou « agrégation ») au sein du
groupe, dans une nouvelle situation sociale ».26 Cette
perspective décrit déjà la situation que nous
étudions ici, à savoir ; le veuvage de l'épouse d'un
maître-initié, mère de jumeaux, comme processus de
réinsertion sociale et d'agrégation par le statut acquis dans la
communauté des maîtres-initiés. C'est la restauration du
groupe qui a enregistré une perte, un déséquilibre et
celle de l'épouse d'un maître-initié, mère de
jumeaux, dans sa position originaire par rapport au pouvoir politique
qu'exercent les hommes.
La présentation de la littérature sociologique
sur le veuvage, que nous avons prise comme conséquence principale de la
mort nous permettra d'appréhender les répercussions
socio-politiques de celle-ci, surtout les rapports de pouvoir entre la
société initiatique (religieuse) masculine, voulant faire du
veuvage, un mécanisme de légitimation du pouvoir androcentrique.
Toutefois, on se rend compte que c'est par le veuvage que la veuve va
s'intégrer dans la communauté des maîtres-initiés,
en lieu et place de son défunt mari.
24 Louis Vincent THOMAS, Anthropologie de la
mort, Paris, Payot, 1975, p.101.
25 Emile DURKHEIM, Les formes
élémentaires de la vie religieuse, Paris, (coll. «
Le livre de Poche »), classiques de la philosophie, 1991, p.687.
26 Arnold VAN GENNEP, Rites de passage,
Paris, Mouton, 1909, p.66.
18
Cette démarche nous conduit à visiter les
travaux des chercheurs africains, africanistes et gabonais sur la question de
la mort dans ses rapports de pouvoir religieux et politiques.
|