2. Le rite d'intronisation de la veuve au milieu des
maîtres-initiés ou veuvage comme initiation
Pour Louis-Vincent THOMAS, « le rite ici est pris dans
une perspective anthropologique, c'est-à-dire, au sens large, en dehors
de toute préoccupation liturgique ou théologique. Nous
l'envisageons comme un type de cérémonie par lequel les
manières d'agir, le geste ou les postures, les paroles ou les chants
proférés sont censés posséder des vertus ou des
pouvoirs qui leur sont attachés ou produire des effets
déterminés ».174 Nous partageons ce point de vue
de l'auteur puisque pour nous, le rite d'intronisation de la veuve au milieu
des hommes dans le groupe ethnolinguistique Akélé du
Moyen-Ogooué, du village de Bellevue, débute lors du
décès du défunt époux.
Lorsqu'il ya constatation du décès du
maître-initié, seuls les maîtres-initiés, les veuves
mères des jumeaux et les ngangas s'occupent du rite. Les profanes, les
femmes, les hommes initiés, les parents, amis (es) et connaissances sont
mis à l'écart. L'information sur le décès du
maître-initié reste secrète pour les acteurs cités
plus haut. L'enterrement se fait aux alentours de 18heures dans un endroit
très secret. Dès cet instant, les maîtres-initiés et
les ngangas invoquent Ondoukoué et les esprits afin de présenter
la future détentrice et héritière du défunt au
milieu des hommes, puisque le défunt avait déjà choisi sa
femme comme son successeur.
La communauté des maîtres-initiés ne fait
que respecter et entériner les consignes laissées par le
défunt. Par ailleurs, le rituel du veuvage découle de la
situation du décès. Il se présente comme le «
cérémonial des funérailles, dans la mesure même
où la mort est envisagée sous le signe du désordre et du
scandale, est aussi un procédé de remise en état ; il
révèle, par ses acteurs, des rapports sociaux fondamentaux ; il
établi une relation intense avec le sacré, il débouche
à la fin du
174 Louis Vincent THOMAS, « les rites
funéraires », bulletin n°60 et 61,
18ème année, Société de thanatologie,
décembre 1984, p.33.
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deuil, sur une purification et sur une nouvelle alliance avec
la collectivité des ancêtres ».175
De plus, comme nous l'avons signifié plus haut, le
veuvage apparaît comme un rite d'intronisation, une initiation de la
veuve dans une nouvelle strate sociale. La veuve est préparée
dans le plus grand secret, aux pouvoirs mystiques et à la " bonne
gouvernance". Une date est fixée pour officialiser cette intronisation.
En outre, le jour de l'intronisation, on assiste à de nombreuses
cérémonies. Notons que ce rite d'intronisation est très
délicat (toute l'attention est accordée au nouveau
maître-initié) quand le nouveau maître-initié (veuve)
est mis symboliquement en relation sur le siège consacré au
maître-initié après le rituel du veuvage de cette veuve.
Enfin disons le, ce rituel n'est pas l'affaire de tous. Ceci pour dire que les
problèmes ne sont résolus que dans la société et
avec les individus de celles-ci, où ils apparaissent.
Tout comme l'enterrement du « maître-initié
», l'intronisation de la veuve du maître-initié, en tant que
rite sacré, se fait dans le secret par les acteurs concernés
puisque le secret renvoie au sacré, « le sacré est une des
dimensions du champ politique, la religion peut être un instrument du
pouvoir (...) dans le cadre des compétitions politiques.
»176 Nous pouvons convenir avec BALANDIER que le pouvoir est
source de compétition. Il faut souligner que le veuvage de
l'épouse d'un maître-initié, mère des jumeaux se
présente comme un rite de passage, d'initiation et d'intronisation de
cette dernière, dans la légitimé et la reconnaissance de
l'exercice de son pouvoir, de son autorité en tant que
maître-initié.
Par conséquent, l'intronisation débute
après le veuvage de la veuve un vendredi dans la nuit et s'achève
le dimanche matin. Dans la nuit du vendredi, on présente la veuve
à la communauté des maîtres-initiés, les ngangas,
les initiés y compris les autres veuves mères des jumeaux.
Après cette étape, la communauté choisis certains
initiés voire les ngangas vêtus d'un habillement spécial et
les visages maquillés de la poudre de padouk et du Kaolin blanc qui font
la sécurité de ce
175 Georges BALANDIER, Anthropologie politique, Paris,
Puf/Quadrige, 1999, p.131.
176 Ibid., p.137.
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nouveau statut de la veuve au sein de la société
secrète masculine pendant ces trois jours.
La seconde étape du rite d'intronisation est celle des
épreuves, elle se fait toujours dans un grand secret. On introduit la
veuve dans la maison du siège sacré, où seuls les
maîtres-initiés ont le droit d'y accéder. Une fois dans la
maison du siège sacré, la veuve est soumise au rite
d'intronisation traditionnel. On la fait asseoir trois fois sur le siège
suivie des paroles telles que : (première fois) les
maîtres-initiés disent : « nous restons tous soumis
à tes ordres car c'est la volonté de ton défunt
époux et nous nous soumettons à ses paroles. »
(deuxième fois) ils disent encore : « personne ne peut prendre ta
place sans ta bénédiction ». (La dernière fois) tous
déclarent : « à partir d'aujourd'hui tu es le chef des
maîtres-initiés et nous te serviront comme il se doit
».
En outre, la veuve reste dans cet endroit en compagnie des
maîtres-initiés, les ngangas, y compris des veuves mères
des jumeaux pour invoquer les esprits et l'Ondoukoué, le maître
des maîtres des rites. Ensuite le dimanche la veuve est
présentée officiellement à la population du village. La
tradition exige que le nouveau maître-initié soit
transporté en tipoï pendant cette dernière étape par
des acteurs bien précis, dans son nouveau statut. Mais avant de
débuter la procession, la veuve va se purifier avec le sang d'un animal
féroce177. Elle va poser son premier pas de
maître-initié dans ce sang pour sa purification et avec elle, tous
les autres maîtres-initiés.
C'est fort de toutes ces étapes que nous affirmons que
le veuvage se présente comme une initiation qui intronise la veuve dans
la confrérie des maîtres-initiés en tant que nouveau
maître-initié et qui lui fait « abandonner la condition
humaine normale pour accéder à la possession de pouvoirs
surnaturels (initiations magiques) ».178
177 Il s'agit en général de la panthère.
Toutefois, en l'absence de cet animal, on peut utiliser le sang de
l'éléphant.
178 Florence BIKOMA, op.cit., p.128 citant Ph. RAUSIS in
L'initiation, Paris, Fidès, 1993, p.8.
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Cependant, nous ne voulons pas occulter le fait qu'un
éventuel conflit puisse subsister à propos de l'irruption, de
l'arrivée, de l'intronisation de ce nouveau maître-initié
au sein de la communauté des initiés. Ce conflit "phallique"
naît donc le jour où la veuve fait subséquemment son
entrée au sein de ladite communauté. En effet, lors de son
intronisation, plusieurs questionnements sont suscités de la part de
certains maîtres-initiés qui n'approuvent pas la présence
de la veuve au sein des hommes. Pour ces hommes, il est inadmissible de voir
une femme occuper la place d'un maître-initié, même si c'est
la volonté de son défunt époux ; cette femme n'a pas de
phallus mais aura les mêmes privilèges qu'un homme qui a fait sa
première initiation c'est-à-dire le jour de sa circoncision.
Car dans la société Akélé, la
circoncision est la première initiation de l'homme, mais la veuve n'est
pas passée par cette étape. Or elle accède au plus grand
grade des hommes initiés, un grade qui n'est pas accessible à
tous les hommes. C'est un grade, un stade qui apparaît comme très
sélectif en ce sens que ce n'est pas n'importe quel homme qui y
accède. Par conséquence, la veuve y accède parce qu'elle
est la mère des jumeaux, épouse d'un défunt
maître-initié et hérite du statut de celui-ci. Ce qui est
mal perçu par les hommes. On se rend compte qu'il s'agit d'une question
de phallus ici pris comme prétexte pour exclure la femme du champ
politique parce que la politique serait a priori l'affaire des hommes.
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