Chapitre III : La question du veuvage dans la
société Akélé du Moyen-Ogooué
Dans ce chapitre, il est question d'une analyse descriptive du
rituel du veuvage dans la société Akélé du
Moyen-Ogooué, du village de Bellevue. Il s'agit de montrer comment la
communauté des maîtres-initiés et les habitants du village
participent au rituel du veuvage et tous les mécanismes qui se mettent
en place pour la circonstance. Cette étude vise à
démontrer que le rituel du veuvage n'est pas l'affaire de toute la
société Akélé, mais celle de la femme d'un
maître-initié mère des jumeaux et des
maîtres-initiés et les autres veuves mères des jumeaux.
Nous faisons allusion à ces deux acteurs parce que le défunt
était un maître-initié et la veuve est mère des
jumeaux, une situation très délicate dans le village. En ce sens,
cette étude consistera à affirmer que le veuvage de
l'épouse d'un maître-initié, mère de jumeaux n'est
qu'un moyen de légitimer le double statut de la veuve au sein de la
communauté des initiés.
Section 1 : L'annonce du décès comme
moment de rupture de
l'ordre social
1. Les conduites pré-mortems dans la description du
décès
Chez les Akélé lorsqu'il arrive qu'un
maître-initié ou un chef est près de la mort, il parle a
priori à tous les maîtres-initiés, puis à sa femme
et enfin aux enfants et aux autres membres de la famille. Tous savent ce qui
doit se passer lors du décès du chef, et commence à
prendre des dispositions possibles, car lorsqu'il ya mort au village, le
village vit dans ce que DURKHEIM appelle l'anomie.
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Jonas OSSEMBEY163 nous apprend que « quand le
chef était proche de la mort, il prenait les mains du successeur
désigné entre les siennes (paumes levées) et en disant
maintiens l'ordre comme je l'ai fais (...) »164 De ce fait,
avant la mort d'un chef ou d'un maître-initié les habitants du
village savent qu'il ya une conduite à tenir, tous respectent les
consignes laissées pour ce dernier. Et lorsque le chef ou un
maître-initié décède, son décès est
annoncé avec un grand bruit dans tout le village et les contrées
voisines.
Pour revenir sur la notion d'anomie chez DURKHEIM, en
général l'annonce d'un décès au sein d'une
communauté donnée créée une situation de
désordre social que les membres de la communauté
concernée, particulièrement ceux qui sont responsables de la
bonne marche du groupe, doivent gérer à tout prix pour
éviter que cette situation de déséquilibre social ne
perdure. Pour la circonstance, les maîtres-initiés,
rassemblés autour des Angô-Mungala, se réunissent tout le
temps et tentent d'apaiser le climat social déstructuré par le
décès en organisant une sorte de couvre-feu.
Il faut entendre ici par la notion de couvre-feu que les
maîtres-initiés dans la nuit décrètent
l'interdiction de circuler après que les derniers usages domestiques
soient faits. Par exemple, les femmes se sont déjà lavées,
les vaisselles sont propres, les enfants lavés et habillés, les
calebasses d'eau sont remplies, la cuisine a été faite etc. Plus
personne n'est dehors car on a peur de croiser le Mungala ou
l'Ondoukoué. La voix du grand maître-initié se fait
entendre suivie du Legun165 en pleine conversation avec le Mungala
(qui répond par une voix rauque) et invoque les ancêtres par la
même occasion pour qu'ils lui donnent la conduite à tenir devant
la situation. Précisons ici que la conversion entre le grand
maître-initié et le Mungala
163 Jonas OSSOMBEY, Société
Kélè du Gabon précolonial : Milieu de vie,
sociétés initiatiques et pouvoir politique. Des origines à
1910, Mémoire de Maîtrise en Histoire et Archéologie,
Libreville, UOB/FLSH, sept.2005, 100 p.
164 Jonas OSSOMBEY, Société
Kélè du Gabon précolonial : Milieu de vie,
sociétés initiatiques et pouvoir politique, ibid.,
pp.88-89.
165 Le Legun est cet instrument traditionnel utilisé
dans le cadre des cérémonies rituelles de la naissance des
jumeaux, de l'Ondoukoué, du Mungala, la sortie des jumeaux, le deuil, la
circoncision, et toute autre initiation. C'est donc un instrument
incontournable et omniprésent dans la vie initiatique des
Akélé.
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que seuls les initiés peuvent comprendre peut durer
toute la nuit et le matin, un compte rendu est fait très tôt le
matin à la population avec détail.
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