Conclusion de la première partie
Au sortir de cette première partie consacrée
à l'étude sur l'imaginaire des jumeaux chez les
Akélé du Moyen-Ogooué, il est important de dire que ce
travail ne repose pas essentiellement sur les représentations sociales
des jumeaux, mais se propose de voir comment le statut social d'une mère
des jumeaux s'acquiert après la naissance de ces enfants
qualifiés d'« exceptionnels » ; tout en mettant en
évidence le champ politique et religieux dans lequel ils vont
évolués. Cette étude nous permet de voir comment la
plupart des sociétés symboliques lignagères
(précisément la société Akélé)
abordent les questions axées sur les représentations sociales du
maître-initié et de sa femme, mère de jumeaux, dans les
rites initiatiques masculins.
Aussi, nous nous sommes efforcés, dans le premier
chapitre de déchiffrer la vie politique des Akélé et la
naissance des jumeaux car ils sont considérés comme des
"génies" sont intimement liés à l'eau. Ils seraient
même aussi puissants que les divinités et auraient le pouvoir de
rendre fructueuses toutes les activités de la famille en augmentant la
production matérielle. Aussi, il convient de dire ici que pour les
Akélé du Moyen-Ogooué, les jumeaux sont des êtres
surnaturels, ce sont des génies dont l'origine serait mythologique,
imaginaire et sacralisée. En un mot, ce sont des fétiches
politiques au sens de BOURDIEU.
Dans le second chapitre, nous avons voulu faire ressortir les
représentations sociales qui gravitent autour des jumeaux,
c'est-à-dire la position sociale de ces enfants. Et que les rites
initiatiques sont primordiaux puisqu'ils permettent à la femme d'occuper
un statut social supérieur dans les rites initiatiques masculins. Nous
constatons, par ailleurs, que la mère des jumeaux, à travers la
naissance de ses enfants, pourrait avoir le pouvoir d'un homme et même de
dominer les hommes à un moment donné. Ce qui nous permet
d'analyser la manière dont cette femme vie cette situation de domination
sur les hommes, parce qu'elle est perçue comme fétiche politique
elle aussi.
76
Pour résumer notre première partie, soulignons
que le chapitre premier nous a permis de dire que les jumeaux du groupe
ethnolinguistique Akélé du Moyen-Ogooué du village
Bellevue seraient, sans aucun doute, des fétiches politiques. En
dernière analyse, notre second chapitre nous permet de voir la position
sociale des jumeaux sans oublier le statut social de leur mère, veuve
d'un maître-initié.
77
78
Introduction de la deuxième partie
La vie et toutes les complexités qui sont les siennes,
préoccupent les chercheurs en sciences sociales. Mais tout le monde sait
qu'il n'y a pas de vie sans mort. La mort est donc également un moment
important dans la vie sociale. Autant il naît des individus, autant il en
meurt tous les jours. La mort et les morts sont donc également, en
sciences sociales, des objets pouvant rendre compte de la société
globale ; de la réalité sociale. En revanche, la tâche du
sociologue consiste à étudier les pratiques sociales, sans
omettre l'idée selon laquelle « L'imaginaire (...) éclaire
le phénomène politique ; sans doute du dedans parce qu'il en est
constitutif... »158
Cela laisse supposer que les phénomènes
politique et religieux sont en grande partie constitués d'imaginaire. On
pourrait déduire que tout phénomène l'est également
dans la mesure où ce sont les individus, en tant qu'agents sociaux, qui
concourent à leur réalisation. Mais surtout que l'homme ne peut
pas vivre dans un milieu sans qu'il ne se le représente, se l'imagine.
Le choix de notre sujet nous permet de déchiffrer comment les mutations
politiques se vivent dans la société lignagère
Akélé, à travers le fait social total qu'est la mort qui
suscite le veuvage. De plus, le veuvage met en évidence le fait que la
femme d'un maître-initié, mère des jumeaux change de statut
social ; elle passe ainsi du statut social « de femme » à
celui « d'homme »159 ; c'est-à-dire d'homme
initié et comment cette mère de jumeaux hérite des biens
symboliques de son défunt mari.
En effet, Fulbert TOKA définit le veuvage comme «
une situation de totale retenue de la veuve à l'écart de tout ce
qui relève de la vie quotidienne ; cette retenue s'accompagne
également d'une restriction des contacts avec l'entourage
immédiat, lointain et d'une série d'interdits
».160
158 Georges BALANDIER, Le pouvoir sur scènes,
Paris, Balland, 1992, p.14.
159 Lorsqu'on traite un garçon dans le village Bellevue
de femme, c'est une manière de le distinguer de la classe des
initiés, en fait, c'est le traiter de peureux, de mauviette, de
dégonfler. Il en est de même pour une fille que l'on traiterait
d'homme.
160 Fulbert TOKA, Le veuvage et la valorisation de la
femme dans la société Akélé, Rapport de
Licence en Sociologie, Libreville, UOB/FLSH, 1997, p.15.
79
Dans la société lignagère
Akélé du Moyen-Ogooué du village Bellevue, le veuvage que
nous avons décrit et observé se définit comme est un moyen
de purification psychique, spirituelle et physique, afin de libérer la
veuve des possibles persécutions de l'esprit de son défunt
époux. Mais nous pensons que ce veuvage se présente aussi comme
une étape d'initiation, une étape d'intronisation pour la veuve,
un rite de passage pour parler comme VAN GENNEP161 ; afin
d'intégrer la catégorie sociale des maîtres-initiés
et donc, de rentrer dans les rites masculins pour ensuite occuper une place
importante dans la vie politique du village.
Il convient de dire que dans cette société
lignagère Akélé, la veuve d'un maître-initié
mère des jumeaux joue un rôle prépondérant dans le
corps de garde, même si pour certains hommes, la gestion des affaires
publiques du village ne concerne pas les femmes, plutôt les hommes
initiés ; contraints d'accepter et de supporter sa présence parmi
eux. Le refus d'acceptation de sa présence au corps de garde
d'après les hommes trouverait sa justification en
référence à la persistance de l'évocation de la
tradition. BALANDIER, pour sa part, précise que « la
référence à la tradition éloigne d'une
réalité qui ne se réduit pas à la
répétition, qui se constitue par un continuel travail
d'ajustement et de réponse aux conjonctures ».162
A la suite de BALANDIER, nous voulons dire que la tradition
est toujours utilisée par nos informateurs comme alibi, une
échappatoire, une sorte de parade pour justifier un acte que l'on pose
ou que l'on entend poser afin de se déresponsabiliser par la suite. La
tradition est, nous le pensons, un appareil idéologique d'Etat au sens
d'ALTHUSSER, qui sert ici les intérêts de la catégorie des
maîtres-initiés et à légitimer leur domination. Face
à cette situation, la veuve d'un maître-initié mère
des jumeaux ne semblerait être pas un fétiche politique, un
obstacle pour les maîtres-initiés dans cette société
dans la mesure où elle est détentrice de multiples pouvoirs ?
161 Arnold VAN GENNEP, Rites de passage, Paris, Mouton,
1909, pp.66-71.
162 Georges BALANDIER, Civilisés dit-on, Paris,
2003, p.154.
80
|