Chapitre II : Les représentations sociales des
jumeaux dans la société Akélé
L'activité sociale de la société
Akélé repose sur une importance accordée aux génies
des eaux à savoir le Mwish104 et
Nyamalè105. Ils ont pour mission de protéger les
individus de la communauté, en visant son bien. Il est aussi très
difficile aux Akélé, singulièrement aux jumeaux de mourir
dans l'eau, ceux-ci peuvent être repoussés ou
repêchés au bord. Par ailleurs, pour rester en bons termes avec
les génies, les Akélé leur offrent des sacrifices (des
fruits, des chants, des objets symboliques...) pour éviter des
inondations, des noyades, des évènements malheureux, des
mauvaises pêches.
En outre, ces génies des eaux sont aussi des
éléments importants du tissu économique dans la
société Akélé ; en ce sens qu'ils permettent une
bonne navigation, les échanges commerciaux et à cela, s'ajoute la
pêche, l'extraction de l'argile en période de basse marée,
pour la construction des cases. Il y a même des bancs de sable qui
émergent en cette période de basse marée et de saison
sèche. Eu égard ce qui précède, nous nous rendons
compte que le rapport de l'eau et les génies suscite un lien
vital106, spirituel voire sacré.
Après un bref aperçu sur le rapport de l'eau et
les génies pour comprendre les activités des Akélé,
ce second chapitre s'attellera à faire ressortir les
représentations sociales qui gravitent autour des jumeaux,
c'est-à-dire, voire comment les Akélé du village de
Bellevue dans la province du Moyen-Ogooué perçoivent les jumeaux
et surtout, quel statut ces derniers (les jumeaux) occupent dans cette
société. Quoiqu'il convienne de définir sommairement ce
qu'on entend par "représentation sociale". Dans
104 Le génie mâle des eaux.
105 Le génie femelle des eaux.
106 Le lien vital dont il est question ici c'est que les
Akélé vivent en majeur partie des richesses de l'Ogooué et
de la Ngounié. Ces deux fleuves leurs fournissent le poisson, les
crevettes, les huîtres. Comme il peut arriver qu'ils
récupèrent l'argile et le sable pour la construction des
maisons.
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cette perspective, « la première démarche
du sociologue doit donc être de définir les choses dont il traite,
afin que l'on sache et qu'il sache bien de quoi il est question
».107
Section 1 : Les représentations sociales des
jumeaux et leur statut dans la société Akélé,
particulièrement au niveau des rites initiatiques
1.1. Les représentations sociales des jumeaux
Avant donc d'aborder la question relative au statut des
jumeaux dans la société Akélé,
particulièrement au niveau des rites initiatiques, il importe de
préciser ce que sont "les représentations sociales". A
cet effet, pour Serge MOSCOVICI108, les représentations
sociales sont conçues comme « [des] ensembles dynamiques [...], des
théories ou des sciences collectives sui generis109,
destinées à l'interprétation et au façonnement du
réel. [Elles renvoient à][...] un corpus de thèmes, de
principes, ayant une unité et s'appliquant à des zones,
d'existence et d'activité, particulières [...] Elles
déterminent le champ des communications possibles, des valeurs ou des
idées présentes dans les visions partagées par les
groupes, et règlent, par la suite, les conduites désirables ou
admises ».110
Les représentations sociales sont des images
(conceptuelles) ou encore une pensée d'un type particulier,
générée par les acteurs sociaux, imprégnée
partiellement d'idéologie et centrée sur l'action dans la vie en
société.
Eu égard cette ébauche définitionnelle,
nous disons que chez les Akélé de Bellevue du
Moyen-Ogooué, les jumeaux sont considérés comme des
êtres sacrés, mieux, des génies dotés d'un pouvoir
bénéfique ou maléfique selon les situations.
107 Emile DURKHEIM, Les règles de la méthode
sociologique, 11ème éd., Paris, PUF (coll.
« Quadrige »), 2002 p.34.
108 Serge MOSCOVICI, Psychologie sociale, Paris, PUF,
1984, cité par Jean-Marie SECA in Les représentations
sociales, Paris, Armand Colin, (coll. « Cursus Sociologie
»), 2002, 186 p.
109 Terme qui désigne « particulier ».
110 Serge MOSCOVICI, ibid., p.36.
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Cela veut dire que les jumeaux sont des fétiches
politiques au sens de Pierre BOURDIEU111. En effet pour lui, «
les fétiches politiques sont des gens, des choses, des êtres, qui
semblent ne devoir qu'à eux-mêmes une existence que les agents
sociaux leur ont donnée ; les mandants adorent leur propre
créature. L'idolâtrie politique réside
précisément dans le fait que la valeur qui est dans le personnage
politique, ce produit de la tête de l'homme, apparaît comme une
mystérieuse propriété objective de la personne, un charme,
un charisme ; le ministerium apparaît comme mysterium
».112 C'est la raison pour laquelle chez les
Akélé, les parents ou les jumeaux eux-mêmes ne disent
jamais leur statut à des inconnus au risque d'être pris en otage
ou d'être exploités.
D'autre part, chez les Nzébi aussi les jumeaux sont vus
comme des génies113, singulièrement comme des
génies des eaux. Ce point de vue est partagé par le groupe
ethnolinguistique Gisir pour qui, les jumeaux sont liés aux
génies des eaux. Il y a une allusion faite entre le sexe de la femme
considéré comme le port de débarquement et les jumeaux
sont des navires qui viennent pour y accoster. Pour les Nzébi, l'annonce
des jumeaux se fait par un rêve prémonitoire ; simplement parce
qu'ils sont la réincarnation du numineux. On ne doit pas les contrarier,
de peur d'en subir les conséquences.
Ce qui fait que chez les Nzébi, cette
gémellité est célébrée avec faste, par des
cérémonies rituelles organisées autour de la
société sécrète Muudi. En définitive, les
jumeaux représenteraient des portes-bonheurs pour leurs familles, mais
aussi un facteur de grandeur sociale, prestige pour leurs parents.
111 Pierre BOURDIEU, Choses dites, Paris, Editions de
Minuit, (coll. « Le sens Commun »), 1987, 228 p.
112 Ibid., p.187.
113 Confère les travaux de madame Florence BIKOMA,
Socialisation de la femme accomplie Mukaas wadya makoma bya chez les
Nzébi du Gabon, Thèse de Doctorat en
Ethnologie-Anthropologie, Université Montpellier III Paul VALERY, 2004,
457 pages.
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