2. L'attribution des noms chez les jumeaux
Chez les Akélé, quand la femme est enceinte,
Ondoukoué signale aux hommes que la femme qui est enceinte attend des
jumeaux. Ces hommes font un rituel que l'on appelle « Bik-Mwire
»97 pour préparer l'avenue des enfants. Celui-ci se
fait pendant une semaine. Par ailleurs, il faut faire remarquer que le
père et la mère des enfants ne rêvent jamais des noms des
enfants mais ce sont plutôt les frères, les soeurs, les tantes,
les oncles ou ceux qui sont voisins des parents qui rêvent des noms.
Lorsque les jumeaux viennent au monde il faut accomplir
certains rites à la naissance pour ne pas les mécontenter :
danser à tout moment de la journée lorsque les gens viennent leur
rendre visite pour les honorer puisqu'ils sont considérés comme
des êtres « sacrés. » Il faut leur faire des
offrandes lorsqu'on leur rend visite, les habiller de la même
façon afin d'éviter la jalousie entre eux. Les jumeaux ont un
certain pouvoir c'est-à-dire qu'ils peuvent sentir des choses, ils ont
un pouvoir qui peut s'avérer être « bénéfique
»98 ou « maléfique »99,
étant donné qu'ils sont des
96 Florence BIKOMA, Socialisation de la femme
accomplie Mukaas wadya makoma bya chez les Nzébi du Gabon,
Thèse de Doctorat en Ethnologie-Anthropologie, Université
Montpellier III Paul VALERY, 2004, 457 pages.
97 Il s'agit ici d'un rituel qui permet de
préparer l'avenue des enfants et il renseigne sur la bonne santé
de ces derniers et permet entre autre de savoir si ceux-ci seront dotés
d'un charisme.
98 Dans cette société, le jumeau peut
bénir et être une source de richesse pour la famille.
49
enfants paranormaux. Ils donnent leurs noms avant leur naissance
à travers les rêves.
C'est pour cela qu'on leurs donne des noms spécifiques
tels que :
> MBULE : La vérité ;
> NGIOBE : Le doute ;
> NGALE : Le tonnerre ;
> NDUMA : Celui qui annonce la pluie ;
> ANJUNE : Une journée ensoleillée ;
> BEDIUBE : Une journée non
ensoleillée ;
> LEDEMBA : Arbre sans branches qui brille et qui donne la
chance ;
> BIENE : Arbre sans branches qui soigne ;
propriété des jumeaux.
> NZE : La panthère ;
> MBILE : L'aigle.
L'appellation des jumeaux dans la société
Akélé obéit à des règles tout à fait
particulières de même que les noms qu'ils portent. On parle de
« règles particulières » ici pour signifier que lorsque
les jumeaux viennent au monde avec leurs noms, les parents ne doivent pas
changer ces noms pour quelques motifs que se soient, au risque de amoindrir
leur puissance. Par ailleurs, dire que les noms des jumeaux sont «
particuliers », c'est affirmer que leurs noms et ceux des enfants qui les
suivent font l'objet d'un recueil prescrit par la communauté, (on
retrouve cette similitude dans l'imposition des noms des jumeaux chez les
Myènè) et ne sont pas les mêmes pour les jumeaux et les
jumelles.
Ainsi, les jumelles sont appelées chez les
Akélé MBULE (la vérité) pour la
1ère née et la 2nde NGIOBE (le doute). C'est
la même chose pour ANJUNE (une journée
ensoleillée) et l'autre, BEDIUBE (une journée non
ensoleillée). Quant aux jumeaux, le 1er s'appellera NZE (la
panthère) et le 2nd, MBILE (l'aigle) ou encore
NGALE (le tonnerre)
99 Ici il s'agit de la malédiction et du
malheur qu'ils peuvent engendrer. Surtout lorsqu'ils constatent qu'ils sont
opprimés.
50
pour le 1er et NDUMA (celui
qui annonce la pluie) pour le 2nd. A cela s'ajoutent les noms
mixtes des jumeaux et des jumelles tels que LEDEMBA (arbre
sans branches qui brille et qui donne la chance) pour le 1er
né et BIENE (arbre sans branches qui soigne ;
propriété des jumeaux) pour le 2nd. Ce qu'il faut
retenir c'est que chez les Akélé, les noms des jumeaux sont
toujours opposés ou alors, peuvent être l'annonce d'un autre comme
ils peuvent aller dans le même sens. Venons-en à présent
aux noms des enfants qui les suivent. Pour les garçons, ils sont
appelés BÊNHA (celui qui vient après les jumeaux)
et pour les filles ABÔMBÊ (celle qui vient après les
jumeaux).
Il faut dire que ces noms de jumeaux sont opposés et
renvoient parfois aux éléments de la nature (panthère,
d'aigle, le tonnerre, etc.) ou aux éléments liés à
l'existence humaine (le doute, la vérité, etc.)
Les travaux du Pasteur OGOULA-M'BEYE100 nous
permettent de nous rendre compte que chez les Myènè, « le
premier jumeau se nomme WORA, le second YENO, leur précédent se
désignera OGOVE W'AMPAZA et la maman se nommera alors NGOMPAZA qui
signifie : ngwè y'ampaza ou mère des jumeaux
».101
Les Myènè en général, les Galoa en
particulier se doivent de respecter cette nomination laissée par les
ancêtres. Tout contrevenant à cette prescription expose ce dernier
à la foudre des jumeaux qui, pour la circonstance, peuvent tomber malade
ou « frapper les parents en rêve » et jeter les mauvais sorts
aux parents.
La même idée a été
développée par Florence BIKOMA pour qui, « les noms des
jumeaux et même ceux des enfants nés après eux sont l'objet
d'un répertoire imposé par la société. Ainsi, sont
appelés chez les Myènè, WORA et YENO les jumeaux. WORA le
premier né et YENO le second. A la suite, on aura MBOUROU, AKENDENGUE et
OGANDAGA ».102
100 Pasteur OGOULA-M'BEYE, Galwa ou Edôngô
d'Antan. Traduit du Galwa et annoté par Paul-Vincent POUNAH,
Fontenay-le-Comte, Imprimerie Loriou, 1978, 214 p.
101 Ibid., p.107.
102 Florence BIKOMA, Socialisation de la femme accomplie
Mukaas wadya makoma bya chez les Nzébi du Gabon, Thèse de
Doctorat en Ethnologie-Anthropologie, Université Montpellier III Paul
VALERY, 2004, p.282.
51
Si la société Galoa a imposé des noms aux
membres de sa communauté pour les jumeaux, chez les Nzébi c'est
plutôt les jumeaux eux-mêmes qui viennent en rêve donner
leurs noms aux parents. En effet, « les informations relatives à la
nomination des jumeaux chez les Nzébi laissent entendre que le choix des
noms est le fait des jumeaux eux-mêmes, étant entendu que le
procédé de divination guide toute la vie des jumeaux de la
grossesse à l'accouchement, au choix des noms et pour tous les actes
qu'ils auront à poser toute leur vie. Le rêve apparaît comme
leur principale voie de communication avec les membres de la communauté.
Ainsi, les jumeaux restent sans nom "tant qu'ils ne sont pas venus donner leurs
noms en rêve" auprès d'un parent ou d'un ami de la famille. C'est
ce dernier qui, un matin au réveil vient l'annoncer. Cette situation
vaut encore aujourd'hui et n'influent pas sur leurs noms officiels,
c'est-à-dire ceux figurant sur les actes de naissance
».103
Nous pouvons retenir que Florence BIKOMA nous montre, à
travers ces deux sociétés (les Myènè et les
Nzébi), que l'attribution des noms des jumeaux est perçue
différemment. Ce qui nous intéresse ici, c'est donc le fait que
chez les Nzébi par exemple, ce sont les jumeaux eux-mêmes qui
viennent dans des songes donner leurs propres noms. Tandis que chez les
Myènè, les noms des jumeaux sont préétablis
d'avance par la communauté, voire imposés. Cela sous-entend que
la société Myènè, Galoa en particulier, est mieux
structurée que les sociétés Nzébi et
Akélé, ne serait ce que du point de vue de l'attribution des noms
aux jumeaux.
Chez les Akélé, on retient simplement que ce
sont les jumeaux eux-mêmes qui, lors de songes, viennent annoncer leurs
noms, hormis ceux qui les suivent.
103Florence BIKOMA, ibid., p.282.
52
|