Section 2 : L'origine mythologique des jumeaux chez les
Akélé du Moyen-Ogooué
1. La naissance des jumeaux chez les
Akélé
En ce qui concerne l'origine mythologique des jumeaux, il est
bien de savoir que chez les AKELE, ces derniers sont intimement liées
à l'eau, d'où l'origine des jumeaux remonte à l'eau,
celle-ci se serait séparée en deux N'lobe80 :
l'un, Muhube81 et l'autre
Malembiamang82 .Ces deux cours d'eaux sont appelés :
« les jumeaux »83. Ainsi, les jumeaux sont des
génies auxquels les frères sont « NGOUMBU ; KUBE ;
MBILIT ».84
Cette origine aquatique des jumeaux est rappelée dans
le rituel qui les concerne par une cuvette d'eau. L'eau du fleuve et de la
rivière qui coule est sensée être pure, elle est l'habitat
des jumeaux. Les Akélé disent que les jumeaux se déplacent
mystérieusement avec leur mère ou leur père et peuvent
avoir un logement n'importe où; notamment dans les eaux et la
forêt. Pour les Akélé, un jumeau ne meurt jamais dans
l'eau. Selon cette même tradition, les jumeaux peuvent être
porteurs de bénédictions et de richesses car on bénit avec
l'eau. Ils sont considérés comme des :
- « enfants spéciaux qui communiquent avec les
ancêtres et parfois décident de mourir s'ils sont
mécontents. Ils sont capables de maudire leur père et leur
mère voir les autres membres de la famille, si et seulement si on ne
leur accorde pas une considération particulière. Ils
méritent dans ce cas une attention particulière en vertu de leur
naissance mystérieuse .Ils
80 En langue Akélé, terme qui
désigne le cours d'eau.
81 L'Ogooué en langue Akélé.
C'est le plus grand fleuve du Gabon. Il prend sa source dans les plateaux
Batéké au sud-est du pays. Il est long de 1200Km et a son
embouchure à Port-Gentil.
82 La Ngounié, en langue
Akélé, c'est l'un des affluents de l'Ogooué. Il prend sa
source dans la région de Mouilla.
83 Selon une explication mythologique
avancée par monsieur Zacharie, ces deux cours d'eaux
découleraient de la mer, qui aurait donné naissance à
l'Ogooué et la Ngounié ; considérés comme des
jumeaux.
84 Désignations respectives de
l'hippopotame, le crocodile et la sirène en Akélé. Ceux-ci
sont les totems des jumeaux en rapport avec les génies des eaux
murmurantes tout en symbolisant l'éloquence.
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sont médiateurs entre l'humain et le sacré.
La naissance des jumeaux constitue une irruption de l'autre monde et tranche
sur la continuité habituelle ».85
Pour illustrer l'idée que les jumeaux ne meurent pas
dans l'eau, monsieur Ghislain MONDJO86 nous a appris que :
-« il a assisté, il ya quelques années
déjà à la disparition d'un enfant Akélé dans
les eaux de l'Ogooué, au cours d'une de ses parties de pêche (sic)
sur l'Ogooué. Cet évènement s'est produit dans la
matinée, conduisant les forces de gendarmerie
dépêchées ainsi que la communauté
Akélé à laquelle appartenait le jeune enfant à
entreprendre des recherches sur l'Ogooué. Ces recherches aboutiront sur
un échec étant donné que l'enfant ne sera pas
retrouvé. Les recherches vont être abandonnées par la
famille, la communauté et de même que les forces de gendarmerie
engagées. Cet enfant passera donc toute la journée dans l'eau,
car à son grand étonnement, c'est dans la soirée que
l'enfant sera retrouvé par la famille en parfaite santé. D'autant
plus qu'aucune anomalie n'est apparue sur l'enfant sur le plan physique, ou
psychique après les vérifications faites par la famille
».
On fête leur naissance et leurs parents sont «
choyés » puisqu'ils sont considérés comme des
êtres sacrés, selon les représentations socioculturelles de
la société Akélé. Par ailleurs, on attribue aux
jumeaux des pouvoirs « bénéfiques ou maléfiques
» dans la mesure où ils seraient porteurs de « bonheur »
et capables de « maudire ». Chez les Akélé, les jumeaux
ont une certaine puissance, ils peuvent se communiquer à distance,
surtout lorsqu'ils sont enfants, c'est-à-dire moins de 15 ans.
« Lebungwe le mawache ma nza mpê lessu makemba,
lessu makemba okabilia kan muhube na malebiamang, messu mebameti : mawacha.
Mawacha mpê bakele ma yi ma ntumu mabiliti nta nga onte banosse bô
mpê nkita. Nta nga bawula mpê ssu ; melembiameng na mahube. Lebung
le diesse lê mawacha mpê bakele lê vula mpê ssu. Nta
ngaonte bâ ssa ûkube mawacha nti bena tsegue. Ngumbu, mabiliti na
kube mpê atsung gyabe ba guile mpê mabiliti
85 Propos de madame Colette, veuve âgée
de 69 ans domiciliée à Bellevue à Lambaréné
dans le Moyen-Ogooué.
86 Ghislain MONDJO, informateur
Akélé-Sango, 34 ans, pêcheur que nous avons
rencontré le 21 mai 2009 dans la ville de Lambaréné ;
précisément au marché d'Isaac vendant son poisson. Ce
dernier est de mère Akélé et de père Sango et il
est initié à l'Ondoukoué, rite dont seuls les
Akélé détiennent le secret. L'implication qui a
été donné à cet évènement est celui
de l'attestation du fait selon lequel un Akélé ne meurt pas dans
l'eau, surtout s'il est jumeau.
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na nkita madiba mê lapâ, madiba mayinde nti
madimalekoye. Madibama ma muhube na malebiamang ma ssilia, madiba ma nti mayi
bû me bang mê mawacha. Bakele ba cônâ mawacha ma
wulekâ lukuâ awa wube na kê u wube wakuâ bute
nté bâ ssâ guia bonê u wube wesse ba wulkakê, na
bassu, na ube mpezze. Mpê bakele le wacha lessa be gwa mpê ssu
».87
Les propos de notre informatrice YAYE en Akélé
signifient :
- « l'origine des jumeaux (sic) essentiellement
axée sur la mer. La mer qui s'est séparé en deux ; dont
l'un : Muhube88 et l'autre Malembiamang89, ces deux cours
d'eaux sont appelés « jumeaux. » Or, les jumeaux sont, les
envoyés des génies c'est pourquoi ils sont
considérés comme des génies. Des sortes de fées qui
vivent dans l'eau. C'est dans ce sens que les Akélé disent que
les jumeaux viennent de l'eau : d'un fleuve et d'une rivière. Toute la
légende des jumeaux chez les Akélé est liée
à l'eau. C'est la raison pour laquelle, lorsqu'on organise le rituel des
jumeaux, la cuvette d'eau ne manque jamais. « Ngoumbu ; Kube ; Mbilit
»90, leurs totems, sont en rapport avec les génies des
eaux murmurantes tout en symbolisant l'éloquence. L'eau du fleuve et de
la rivière qui coule est pure, elle est comme l'habitat des jumeaux. Les
Akélé, disent que les jumeaux se déplacent
mystérieusement avec leur mère ou leur père et peuvent
avoir un logement n'importe où, notamment dans les eaux et la
forêt. Pour les Akélé un jumeau ne meurt jamais dans l'eau
»91.
Pour renchérir notre argumentaire sur l'origine
mythologique des jumeaux et surtout en ce qui concerne leur nature, nous avons
retenu la contribution de Luc de HEUSCH92. En effet, les jumeaux
sont des créatures appartenant à la surnature, au même
titre que les albinos et les enfants anormaux de toute espèce. Ils sont
une manifestation des esprits de la terre. Dans le monde bantou, la
royauté est associée aux jumeaux parce qu'elle est un corps
gémellaire, expression de deux divinités qui
87 Propos de notre enquêtée
Hélène YAYE ; mère des jumeaux, âgée de
cinquante et huit ans (58 ans) domiciliée à Alibandengue à
Libreville, qui nous a relaté l'origine des jumeaux en langue
Akélé.
88 Muhube : L'Ogooué en langue
Akélé.
89 Malembiamang : La Ngounié en langue
Akélé.
90 Désignent respectivement l'hippopotame,
le crocodile et la sirène en langue Akélé. Ceux-ci sont
les totems des jumeaux en rapport avec les génies des eaux murmurantes
tout en symbolisant l'éloquence.
91 Il s'agit de la traduction des propos de YAYE en
langue Akélé de la note infrapaginale 87.
92 Luc de HEUSCH, Le roi du Kongo et des
monstres sacrés. Mythes et rites bantous III, éditions
Gallimard, 2000, 420 p.
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se sont séparées : le Mboom,
maître du ciel et Ngaan, maître des eaux terrestres. Ce
sont donc les jumeaux qui dominent la scène symbolique royale chez les
Kuba et donc, considérés à juste titre comme des rois.
Comme l'atteste l'origine mythique des premiers souverains, un couple jumeaux
incestueux, soleil et lune. Et l'éclatement de ce corps
gémellaire mythique est au fondement de la royauté
Swazi93.
Au Tchad, les jumeaux sont également
considérés comme des rois et le roi est un jumeau car leur
naissance est ambivalente : à la fois symbole de fidélité
et une menace de mort. L'auteur poursuit sa réflexion en prenant le cas
d'un autre peuple : les Moundang, où les naissances gémellaires
relèvent du règne animal puisqu'on insulte la mère en lui
disant « est ce qu'une femme est une souris pour accoucher de 2 enfants en
même temps » ? Cette surabondance de vie est « monstrueuse
», pour reprendre l'expression de l'auteur, dans le règne humain
car constituant une menace de vie brève pour les jumeaux et pour leurs
parents.
Retenons que les jumeaux appartiennent, de par leur naissance,
à cet ordre naturel contrôlé par le roi au prix d'une vie
abrégée. Dire que le roi94 est un jumeau signifie
qu'il est un être ambivalent, une bénédiction et une
malédiction, puisque responsable de la pluie et de la fertilité
et qu'il possède aussi le pouvoir de faire la sécheresse.
D'où des rites et des cultes qui leur sont adressés.
Toutefois, nous nous rendons compte que la naissance des
jumeaux chez les Myéné et un autre groupe ethnique comme les
Nzébi par exemple, tel que nous le montre Florence BIKOMA95
dans ses travaux, présente une tout autre configuration. En effet, si
chez les Akélé du village Bellevue dans le Moyen-Ogooué
les jumeaux viennent en songes révéler leurs noms ; pour les
Myéné, c'est plutôt la société qui a
préétabli les noms.
93 Luc de HEUSCH, Le roi du Kongo et des monstres
sacrés. Mythes et rites bantous III, éditions Gallimard,
2000, 420 p.
94 Ibid., p. 137.
95 Florence BIKOMA, Socialisation de la femme
accomplie Mukaas wadya makoma bya chez les Nzébi du Gabon,
Thèse de Doctorat en Ethnologie-Anthropologie, Université
Montpellier III Paul VALERY, 2004, 457 pages.
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Florence BIKOMA96 parle de certaines obtentions
sociales dues à la naissance des jumeaux. En effet, chez les
Nzébi, les jumeaux sont un symbole de bonheur familial. Ils ont, au
même titre que les divinités, le pouvoir de fructifier les
activités économiques familiales et l'accroissement de la
production matérielle. Ceci est conditionné par un rêve qui
doit être fait durant lequel les jumeaux nous envoient à l'aube
chercher quelque chose d'insignifiant à un endroit précis. Il est
de rigueur d'y aller au risque de tomber malade. Cette épreuve est
marquée pas la peur d'où l'exigence de faire un petit rituel pour
solliciter la bienveillance pour conjurer la peur.
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