1.2.3. Bande dessinée : neuvième art et
langage
La bande dessinée est un art, mais il est
évident que l'image BD, qu'il s'agisse de sa production ou de sa
lecture, n'est pas celle du peintre. Les éléments iconiques de
base s'organisent les uns par rapport au autres, dans l'espace d'un strip*,
d'une planche, d'un album pour prendre en charge le contenu d'un
récit.
Pour le structuraliste* Pierre Fresnault-Deruelle
[FRESNAULT-DERUELLE, 1972], ces éléments sont les
unités élémentaires d'une grammaire de la bande
dessinée, considérée alors comme une technique. En
utilisant les théories constituées de la sémiotique*
narrative puis de l'analyse structurale, il met en avant trois niveaux de sens,
correspondant à trois étapes de relation entre expression
et contenu. D'abord les traits, la couleur et le texte sont
l'expression du contenu dessin et ballon, ensuite, les images, aux fonctions
narratives diverses, et leurs relations, caractérisées par la
discontinuité, construisent la structure racontant-raconté.
Enfin, les caractéristiques de la narration (idéologie,
personnages, vraisemblance) forment l'expression du contenu reçu par le
lecteur.
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Thierry Groensteen [GROENSTEEN, 1999] a souhaité pour
sa part mettre en évidence le système de la bande
dessinée, qu'il voit comme un langage, i.e. un ensemble original de
mécanismes producteurs de sens, dont les unités sont les cases.
Pour lui, la bande dessinée est «une combinaison de deux
matières à l'expression », l'image tenant une place
prédominante et l'écrit, « et d'un ensemble de codes
». Ces codes se tissent à l'intérieur d'une image d'une
façon particulière qui tient à l'appartenance de l'image
à une chaîne narrative dont les maillons sont étalés
dans l'espace, en situation de co-présence. Le fondement de la bande
dessinée tient pour lui à la mise en relation d'une
pluralité d'images solidaires. De cette «solidarité
iconique* » se construit le système de la bande
dessinée Langage donc, la bande dessinée peut véhiculer
des messages de tous ordres et des narrations autres que fictionnelles.
En outre, comme le souligne Jean-Marie Schaeffer2,
la narration n'est pas donnée dans et par les images (contrairement au
cas d'une structure verbale) : elle est à la fois en amont de l'oeuvre
(en tant que programme narratif) et en aval, en tant que reconstruction de la
part du lecteur. Nous pourrions essentiellement parler d'une coopération
active attendue du lecteur. Les images des bandes dessinées sont
immobiles et silencieuses en plus d'offrir un enchaînement qui ne mime
pas le réel mais qui propose un récit troué d'intervalles.
Si le récit est donc à reconstruire, il est disposé par
des images et véhiculé par le jeu complexe de la
séquentialité.
Nous terminerons cette phase de définition en nous
plaçant du point de vue de la production d'une bande dessinée, en
d'autres termes, comment fait-on une bande dessinée ? Dans le
schéma le plus complet, une BD émane d'une idée du
scénariste, se construit sous la main du dessinateur, se complète
par le travail du coloriste. Viennent ultérieurement les phases
d'acceptation de la part d'un éditeur et de production en série
par un imprimeur. Nous l'avons compris, les trois premiers acteurs sont des
plus importants. Le scénariste réalise un scénario
original dont les scènes, l'action des personnages, les intrigues et
dénouements doivent se dérouler sur plusieurs images fixes
encadrées et plusieurs planches, tout en sachant maintenir l'attention
du spectateur. La relation scénariste-dessinateur est très forte,
le premier indiquant au second la manière de segmenter le récit,
tout en lui laissant son style graphique propre, usant judicieusement des
règles et codes d'un langage original : dessin, bulles et composition.
Le coloriste, sous la
2 Colloque Narration et images fixes, Londres
: 1995
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botte du dessinateur vient appuyer le style graphique et
accentuer l'âme du récit. Le tout doit faire preuve de pertinence
dans l'information et l'esthétique ainsi que de simplification pour
donner au lecteur les indices nécessaires pour comprendre et imaginer
les mouvements mais aussi la temporalité, les sentiments et
l'atmosphère de l'univers fictionnel créé.
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