CONCLUSION
L'ordinateur offre aux créateurs de BD de nouveaux
outils mais aussi un nouveau support. La concrétisation la plus aboutie
de la rencontre entre la bande dessinée et l'informatique prend pour
forme des e-BD. L'étude d'un échantillon de ce type
d'oeuvres a permis de mettre au jour divers éléments qu'il nous
faut maintenant synthétiser et exploiter pour amener à
répondre clairement à la problématique soulevée au
début de ce travail.
Les e-BD sont des bandes dessinées car elles persistent
dans l'utilisation de son système de représentation : dessin,
texte, case (pour faire court). Cependant, elles ne s'y cantonnent pas, et
c'est bien là ce qui les caractérise, et c'est bien en cela que
réside l'innovation dont elles relèvent. Elles l'ouvrent,
l'enrichissent, le complexifient, le libèrent. Les matériaux et
techniques de représentation se multiplient. L'espace de composition
sort de ses contraintes éditoriales passées pour devenir
dynamique, mobile, volatile, temporel. La mise en lecture de l'oeuvre devient
une mise en scène, une mise en action, par jeu sur les
possibilités de l'interactivité.
Les e-BD nous racontent des histoires, mais les racontent et
les donnent à lire autrement. Comparées aux bandes
dessinées « traditionnelles », les e-BD proposent une
technique narrative modifiée, transformée selon
plusieurs composantes. La grille d'analyse, empruntant beaucoup
à des travaux antérieurs en sémiotique concernant la bande
dessinée, nous a permis de pointer, d'identifier et d'analyser ces
composantes, instances plurielles de la transformation. Mais la force de ce
dispositif est essentiellement de les situer dans la structure-même de la
grammaire de la bande dessinée. Chaque étape de
description et d'étude des grandes articulations de cette grammaire nous
a montré que les e-BD engendrent une transformation des
éléments sémiotiques de la bande dessinée, et ce
par développement, et non remplacement.
Ainsi, les e-BD sont les produits d'une évolution de la
bande dessinée, en tant qu'art, par évolution de son code.
Ce code que les artistes BD n'ont cessé de vouloir
maîtriser, le voici renouvelé, augmenté. Cependant, tout
reste à définir, aucune règle n'est encore fixée.
Etant donné la grande diversité, dans leurs
caractéristiques formelles propres, des e -BD, leurs auteurs
Et la bande dessinée rencontra l'ordinateur
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montrent combien ils sont en train d'y
réfléchir, à ce code, de participer à son
élaboration, en montrant des chemins possibles. Ils expérimentent
des manières de dépasser des règles et standards
traditionnels et d'en indiquer de nouveaux.
L'époque actuelle est une période de
découverte qui aura peut-être pour conséquence de faire de
« e-BD » davantage un genre constitué, qu'un terme barbare
construit. Même si rien ne semble encore figé, il n'en est pas
moins possible de penser que les e-BD se situent bel et bien dans la
sphère de création BD. Cependant, leur ensemble, aussi
hétérogène qu'il soit, se place à la limite de
cette sphère, en marge, côtoyant d'autres mondes, d'autres
domaines. Selon une autre conception mentale, il prend site dans une structure
plus complexe, devenant élément supplémentaire d'un
réseau pluridisciplinaire dont le dénominateur commun serait
l'ordinateur.
Les e-BD sont plus que de la bande dessinée.
Elles sont les figures d'un art de l'hybridation en engageant une
évolution et un développement du code BD par emprunt de
techniques et de caractéristiques à d'autres formes d'expression,
arts, moyens de communication que le support numérique,
extrêmement flexible, accueille. Le fait est que cette hybridation
s'ancre dans une certaine culture moderne des NTIC, nouvelles technologies
de l'information et de la communication, qui insufflent de nouvelles attitudes
et complexifient les habitudes de perceptions synchronisées
déjà validées par les moyens audio-visuels. Observateurs
de l'apparition de ce que l'on appelle d'ores et déjà la
«technoculture », les auteurs des e-BD ne témoignent-ils pas
de leur volonté de s'y placer comme acteurs, constructeurs, afin de
faire entrer l'art BD dans l'ère de la communication numérique,
afin d'expérimenter une variante possible d'un domaine artistique par
adaptation au système de communication dominant ?
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