6.2. DE L'INTERACTIVITE POUR UNE NOUVELLE
COMMUNICATION
Le créateur de e-BD réalise des images, des
unités signifiantes, qu'il positionne au sein de la structure d'un
programme informatique. Il construit une interface numérique de
visualisation, certes mais aussi d'action, jouant de l'interactivité
pour concrétiser son scénario.
La typologie présentée ci-dessus nous enseigne
que la forme du scénario d'une e-BD est en lien direct avec le mode de
réception de l'oeuvre. Il en est même le principe. Le
scénario des e-BD que nous avons décrit plus haut n'est autre que
le scénario d'interaction proposé au lecteur.
Les e-BD à scénario linéaire
proposent une unique interactivité de surface par lien
séquentiel de type « continuer ». En dépit de
l'innovation artistique de leurs composantes formelles (matériaux de
l'image ou mise en composition), ces e-BD préservent l'objectif premier
d'une bande dessinée qui est de raconter une histoire. Toute la
subjectivité de l'auteur s'exprime. Les choix de l'auteur en terme de
narration et de montage se présentent de manière univoque. Le
récit ainsi constitué et présenté au lecteur n'est
que la manifestation claire d'une intentionnalité, d'une
altérité constituée. Bien entendu, le lecteur a un rapport
actif avec la bande dessinée. Il re-créé mentalement le
récit qui lui est donné à lire en y impliquant sa propre
sensibilité. Mais l'oeuvre se présente tout de même d'une
manière linéaire et finie. Elle est « enclose dans sa
propre dynamique » [HOLTZ-BONNEAU, 1972].
Et la bande dessinée rencontra l'ordinateur
Mémoire de maîtrise I Septembre 2001
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En revanche, la subjectivité de l'auteur ne se pose pas
d'une manière aussi radicale dans les trois autres types de
scénario (d'interaction). En effet, le concepteur se présente
comme l'auteur d'un processus, d'un contexte, d'un potentiel où
l'interactivité va permettre au lecteur-utilisateur, non plus seulement
de lire, mais de construire, re-produire ou de participer.
Le lecteur ne regarde plus l'oeuvre, il y entre, comme
élément actif du processus de création. Pour les e-BD
concernées, l'objectif n'est plus de mettre le lecteur dans la seule
position du récepteur du message du schéma de Shannon.
Avant de préciser en détail les deux formes
d'interactivité proposées, nous pouvons commencer à
interpréter cette position de l'auteur en la rapprochant d'un courant
artistique né de l'art performance.
6.2.1. L'art performance : nouvelle figure de l'oeuvre et
de l'artiste
«Les années 70 ont consacré l'artiste
non plus comme producteur d'objets, mais comme créateur de situations
dans lesquelles la créativité du public peut se déployer.
», explique Annick Bureaud [BUREAUD, 1999]. En fait, cette tendance
artistique a pris source avec l'avènement de l'art performance. Ce qui
est communément appelé une «performance » artistique
est un exercice bien particulier. Il est généralement
réalisé en public et nécessite trois
éléments : la présence de l'artiste, l'utilisation
d'accessoires et un scénario. L'intérêt n'est plus
seulement ici de produire un objet d'art mais davantage de faire oeuvre dans
l'action, en mettant généralement en jeu le corps. L'oeuvre est
donc autant, si ce n'est plus, le processus que la finalité. Des
plasticiens de toutes tendances explorent ce domaine nouveau qui les
libèrent des contraintes artistiques et les met en relation
immédiate avec leurs spectateurs. La performance devient le moyen
optimal pour transformer l'art, alors objet de luxe, en un moyen de
communication visuelle : un véhicule d'idées et d'actions.
La performance a pris des formes diverses jusqu'à
aujourd'hui, grâce notamment aux nouvelles technologies dont disposent
les artistes, tels la vidéo et l'informatique. Cependant, la
réflexion sur l'art que la performance manifeste et sa volonté de
réduire l'écart entre l'art et la vie a engendré une
remise en question du statut de l'auteur et du public face à
l'oeuvre.
Et la bande dessinée rencontra l'ordinateur
Mémoire de maîtrise I Septembre 2001
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«Avec ou sans moyen technologiques, il [l'artiste]
traite le phénomène artistique en fonction de la
créativité latente ou manifeste du spectateur qui doit
compléter, par une action ou une réaction le processus
déclencheur ainsi déclenché »12
C'est dans cette remise en question que se placent nos e-BD
«non-linéaires ».
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