5. SYNTAXE : POUR UNE LIBERATION DE L'ESPACE
5.1. DE L'ESPACE
L'espace est une notion importante lorsqu'il est
question de bande dessinée. Thierry Groensteen [GROENSTEEN, 1999, p.25
-26] propose deux concepts systémiques : la spatiotopie* et
l'arthrologie*. La spatio-topie réunit, tout en les
maintenant distincts, les concepts de lieu et d'espace. Si la bande
dessinée englobe des espaces spécifiques que sont la bulle, la
vignette, le strip, la planche, elle demande une distribution de l'espace, une
occupation des lieux. L'arthrologie (du grec arthron : articulation)
qualifie l'ensemble des relations auxquelles sont soumises les images. La mise
en relation des vignettes revient à mettre en relation des espaces.
Alors que l'écran se propose comme un nouvel espace à
conquérir, quelle réflexion les auteurs de e-BD ont-ils
concernant l'espace ?
Les matériaux de l'image viennent se placer dans ce que
nous avons appelé les SUE, équivalents sur support
numérique des vignettes. Ces espaces sont les lieux de la fragmentation
du récit en étapes pertinentes de son déroulement. Ils se
composent alors dans les UE, équivalents des pages d'un album, qui ne
sont visualisables qu'une à une, par affichage successif sur
l'écran.
5.2. UE ET HYPERCADRE : PREMIERS ESPACES A DEFINIR
Les grilles d'analyse complétées nous montrent
que les auteurs utilisent des formats de UE et de SUE très divers.
Contrairement aux publications papier (les albums sont de format 23x30,5cm et
comptent 46 ou 60 pages), le support numérique laisse au concepteur le
soin de choisir la taille de son oeuvre, en terme de format et de nombre d'UE.
Les e-BD sont alors toutes différentes. L'écran est quelquefois
investi totalement, avec une taille d'UE correspondant à la taille de
l'écran d'ordinateur (L'oreille coupée), ou
supérieure à celle-ci (My obsession with chess, Carl, When I
am a King). Dans d'autres cas, la création se dessine ses propres
bornes à l'intérieur de l'écran, aménageant une
aire de lecture rectangulaire ou carrée, éventuellement
centrée sur le moniteur.
Et la bande dessinée rencontra l'ordinateur
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Pour exposer sa e -BD, l'auteur est donc amené à
se donner des limites dans la liberté d'espace qui lui est donné.
Son oeuvre nécessite un espace spécifique, dont les
caractéristiques sont signifiantes. Si nous avons parler d'UE, il faut
aussi prendre en compte l'hypercadre, pour analyser le type de mise en
exposition de la e -BD. En fait, les auteurs optent pour deux
stratégies.
La première revient à présenter la e-BD
dans une fenêtre spécifique, avec un hypercadre
généralement de couleur noire qui épouse la
totalité de cette fenêtre. Cette mise en visualisation de l'oeuvre
correspond à une raison ergonomique. Le fond noir permet de mieux
contrôler la luminosité de l'écran et offre un certain
confort visuel. A cette première raison viennent s'ajouter deux
fonctions expliquées par Annie Gentès [GENTES, Déc.
2000-Janv. 2001]. D'une part, le fond noir a une fonction dans l'organisation
de la lecture de l'écran. Il concentre l'attention du lecteur sur les
parties «colorées », et le projette dans une position de
visualisation qui renvoie à la situation du spectateur dans une salle de
cinéma. En outre, le rôle du cadre vient renforcer ceux de la
fenêtre et du tour de l'écran d'ordinateur. De ce fait, il
signifie la place de l'oeuvre, et permet « l'activité même de
lecture en définissant un univers sémiotique ».
La seconde stratégie est de confondre l'oeuvre dans un
espace plus complexe qui intègre des éléments
étrangers à l'oeuvre. Dans ces cas de figures, la e-BD est
placée dans les pages du site Internet comme n'importe quelle autre
information. L'hypercadre n'est pas forcément présent, ou se
confond avec les bords gris des fenêtres ou des frames* affichées
par le navigateur. Les UE sont directement posées sur le fond de la page
Internet. Le regard est moins dirigé, et l'attention peut être
parasitée par d'autres éléments en présence sur la
page (textes, bandeau publicitaire, etc.). L'exposition de la e-BD ne prend pas
une forme particulière, insistant sur le fait que l'art sur support
numérique est un «art de la vie, dans la vie »
[BUREAUD, 1999].
En ce qui concerne les SUE, leur format est fonction de trois
choses : la taille de l'UE (évidemment !), le type de mise en page et la
forme de composition.
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