Une zone où il y avait jadis un équilibre
relatif entre les prélèvements opérés sur la
ressource et le maintien durable des stocks exploitables est en proie, depuis
quelques années, à de profondes mutations du secteur de la
pêche avec l'émergence de problèmes environnementaux
d'envergure (dégradation des ressources et destruction des habitats,
modification de la dynamique estuarienne...).
L'implantation et la gestion de l'AMP de Saint-Louis met en
évidence en évidence trois acteurs : l'État, les
pêcheurs de Guet-Ndar et l'ONG WWF.
- L'État garant du domaine maritime (compétence
non transférée aux collectivités locale) même s'il
peine à asseoir une politique efficace de gestion des ressources
halieutiques à Saint-Louis (à ce sujet les pêcheurs
déplorent un manque d'encadrement et d'assistance qui serait à
l'origine de leur ignorance des lois et textes en vigueur dans le domaine de la
pêche). Alors que, eu égard aux potentialités que
recèle ce milieu (frontière avec la Mauritanie, présence
d'une embouchure) le Nord du Sénégal pourrait servir de levier de
développement du secteur halieutique à l'ensemble du pays.
- Les pêcheurs en tant qu'usagers des ressources de la
mer sont en partie responsables de leur rareté. SENE, A (1985) affirme
que « la bipolarisation dans la pêche maritime entre le navire et la
pirogue conduit à Saint-Louis à une concurrence qui affecte
l'état des ressources. Les conséquences en sont la pratique de
rejets immatures (prises accessoires des chalutiers) à laquelle
participe la pirogue avec la senne tournante. C'est une menace de rupture
écologique qui n'épargne pas la chaîne
halieutique.»
- Le WWF de par sa position de principal partenaire financier
de l'AMP, il est donc fortement impliqué dans la conception du
dispositif de gestion.
113
Il nous emble ici important de revenir sur le processus de
mise en place de l'AMP notamment sur les insuffisances qui ont fait que
beaucoup de pêcheurs restent sceptiques sur
l'opérationnalité de l'AMP. Deux principales lacunes ont
été soulevées.
Nous évoquons en premier lieu l'absence d'un diagnostic
concerté qui aurait permis de faire un premier état des lieux des
préoccupations des pêcheurs et de recueillir l'avis d'une frange
assez représentative de la population (dans toutes ses composantes) sur
le projet de création de l'AMP en lien avec un état de
référence des côtes saint-louisiennes pour identifier les
zones critiques et les espèces menacée. Cela aurait permis de
délimiter une zone consensuelle.
Le deuxième manquement que nous avons constaté
est la non représentation dans le comité de gestion de quatre
catégories d'acteurs qui vont jouer un rôle important dans la
réussite du plan de gestion, mais n'ont pas été
associés au processus. Ce sont les gestionnaires du Barrage de Diama
(OMVS)24, le service régional de l'hydraulique (gestion de la
brèche), les armateurs industriels (chalutiers), et les professionnels
du tourisme. Le comité de gestion doit contribuer à la mise en
place d'une structure efficace et reconnue par tous (un comité de
gestion élargi par exemple) qui établira le plan de gestion de
l'AMP et sera garante de son respect. Il s'agit d'établir les
différents facteurs qui conditionnent le maintien et le renouvellement
de la ressource et donc ne pas omettre le barrage ni les chalutiers ni la
brèche (élargissement incontrôlable) car la gestion de
l'AMP doit aussi intégrer ces facteurs importants et ne pas se focaliser
uniquement sur l'effort de pêche des seuls piroguiers.
Le développement de l'écotourisme pourrait
générer des d'emplois pour les populations locales. C'est le cas
avec l'AMP de Bamboung où la création d'un campement touristique
et la mise en place d'un corps d'éco gardes a permis à la
population, surtout aux jeunes, d'avoir des revenus plus ou moins
réguliers.
Comment agir sur la restauration d'un
écosystème plus propice à la reproduction et redonner vie
à l'estuaire sans prendre en compte la gestion du barrage de Diama ? En
effet, ce barrage construit sans tenir compte à l'époque du
milieu estuarien et maritime et la gestion actuelle des lâchers d'eau
semble peu propice à l'activité biologique de la reproduction des
poissons, dont l'estuaire était autrefois le lieu. Il est donc important
que le comité de gestion de l'AMP puisse disposer d'un droit de regard
sur son mode gestion. Le Capitaine du port de Saint-Louis a émis
l'idée, qui nous semble pertinente et qui mérite d'être
étudiée d'une intégration de l'estuaire dans le
périmètre à protéger, compte tenu des interactions
entre océan et fleuve, donc en amont et en aval de l'embouchure. En
réalité, même si on arrête de pêcher dans un
milieu qui est devenu quasi inerte, du moins largement impropre à des
fonctions biologiques, rien ne garantit que les poissons pourront s'adapter
à ce nouveau milieu.
Par ailleurs, il apparaît que la pose de filets
dormants est le type de pêche le plus destructeur. Une mesure rapide et
efficace peut être prise en concertation avec les pêcheurs pour
interdire l'usage de filets non dégradables et non-conformes à la
réglementation nationale, pour revenir à des filets en cordages
de fibres ou en coton. Cela signifie donc, qu'une meilleure connaissance du
code de la pêche par les pêcheurs éviterait certaines
pratiques. Le plan de gestion doit surtout s'appuyer sur le code la pêche
pour d'une part le faire effectivement appliquer et d'autre part ne pas prendre
des mesures qui viendraient à son encontre.
L'AMP est créée et des mesures de protection
partielles ou intégrales vont être prises. Les pêcheurs
pourraient se l'approprier s'ils se sentent associés aux prises de
décision (cas
24 Organisation pour la Mise en Valeur du Fleuve
Sénégal
114
des poseurs de filets dormants) et si des mesures
compensatrices sont prises en parallèle pour réduire les effets
négatifs du plan de gestion adopté sur certaines
catégories de pêcheurs (perte d'emplois, baisse de revenus) qui
sont souvent en situation précaire.
Tous les pêcheurs rencontrés ont
évoqué des conditions de vente avec des prix qui ne
rémunèrent pas leurs efforts et les risques qu'ils prennent.
Cette question de la commercialisation du poisson, d'une meilleure
rémunération du travail des pêcheurs et de leurs familles
à terre mérite d'être prise en considération
même si elle n'est pas forcément du ressort de l'AMP. Il s'agit de
trouver des solutions à ce qu'ils considèrent comme un abus de
pouvoir de la part des mareyeurs.
Dans un tel contexte, le développement harmonieux et
durable de l`AMP de Saint-Louis nécessite une approche holistique
(globale), intégrée, qui suppose la coordination entre les
acteurs directs (État, pêcheurs de Guet-Ndar, armateurs
industriels navigant à Saint-Louis, professionnels du tourisme
basés sur la Langue de Barbarie,) et les acteurs indirects (ONGs,
élus locaux, les scientifiques,) dans l'élaboration des
stratégies de lutte contre la dégradation des
écosystèmes marins. Une telle approche devrait permettre à
long terme de tirer le maximum de profit des ressources halieutiques, tout en
évitant de compromettre la vie des générations futures.
C'est pour toutes ces raisons qu'il importe de:
~ impliquer le tourisme, la pêche industrielle, l'OMVS
et le Service de l'hydraulique dans le processus d'élaboration du plan
de gestion
~ faire un état des références de l'AMP
pour une meilleure connaissance de l'écosystème (habitats et
ressources : taille des stocks, biologie et dynamique des espèces) et un
suivi de l'efficacité des mesures de protection
~ recréer les habitats pour favoriser la
régénération des ressources (immersion de récifs
artificiels dans les zones profondes (plus de 40m) notamment en partenariat
avec le Programme d'immersion de récifs initié par le
Ministère de l'Économie Maritime.
~ voir les voies et moyens de faciliter l'accès en
zone Mauritanienne des pirogues glacières et des pirogues de senne
tournante pour atténuer la pression sur les eaux saint-louisiennes.
~ valider le zonage réalisé en août 2007
et baliser le noyau à protéger pour faciliter la reconnaissance
des zones à protéger.
~ interdire systématiquement la pêche
industrielle à l'intérieur de l'AMP.
~ organiser la filière commercialisation pour
atténuer l'abus des mareyeurs.
~ sensibiliser sur la nécessité d'appliquer un
repos biologique coïncidant avec la période de reproduction (mars
à juin pour les poissons démersaux et septembre - octobre pour la
crevette) des espèces exploitées dans tout le
périmètre.
~ mettre en place une chaîne de froid pour limiter les
pertes post-captures.
~ aménager, stabiliser, baliser et draguer la
brèche pour limiter l'érosion et sécuriser le passage des
pirogues.