5.7 LES EFFETS DE LA NOUVELLE BRÈCHE SUR LA
PÊCHE MARITIME À SAINT-LOUIS : LA TRAVERSÉE DE LA BARRE
MOINS PÉNIBLE MAIS DES IMPACTS NÉGATIFS AILLEURS.
Pour parer aux inondations qui affectaient
périodiquement la ville de Saint-Louis en période de crue, il a
été ouvert en octobre 2004 un canal sur la Langue de Barbarie.
Situé à 7 km en aval du pont Faidherbe, il doit servir à
évacuer l'excédent d'eau et permettre ainsi la baisse rapide du
niveau fluvial. Cette brèche de 4m au départ, a connu une
tendance très rapide à l'élargissement pour atteindre 800
m en moins d'un an, et 1,4 km en 2006 M BARRY (2004)13, La
BAULE (2006). Les conséquences de cet acte s'apprécient à
différents niveau.
![](Contribution--la-mise-en-place-d-un-dispositif-de-gestion-concertee-de-l-aire-marine-protegee-d28.png)
Largeur de l'ouverture (m)
Figure 24. Évolution de l'ouverture de la
brèche. La BAULE (2006)
L'ouverture d'un canal de délestage sur la Langue de
Barbarie correspond en réalité au déplacement de
l'embouchure du fleuve Sénégal de 30 km (vers Taré)
à 7 km en aval de Saint-Louis car l'ancienne embouchure s'est
progressivement ensablée depuis la réalisation de la
brèche. Ce déplacement a entraîné des changements
dans les pratiques de pêche.
Lorsque l'embouchure était à une trentaine de
kilomètres de Saint-Louis, Les sorties en mer de même que les
débarquements s'effectuaient du côté de l'océan au
niveau du secteur proximal, malgré tous les dangers liés à
l'existence de la barre et à la force des houles. Les mises à
terre du côté de la plage nécessitaient à la fois du
temps et beaucoup de main d'oeuvre surtout pour les pirogues de senne
tournante. En plus elles se faisaient dans des conditions périlleuses.
Il fallait à l'arrivée des pirogues porteuses, qui ne pouvaient
souvent accoster sur la plage à cause de la traversée difficile
de la barre, faire des va-et-vient avec de petites pirogues entre la grande
pirogue restée au large et la plage. Pour éviter cette situation,
certains débarquaient côté fluvial en faisant un
détour de plus de 40 km pour passer par l'embouchure.
Avec la nouvelle embouchure, les embarquements et
débarquements se font désormais côté fleuve, ce qui
constitue un gain substantiel de temps et de carburant pour les pêcheurs.
Cette nouvelle possibilité a dopé la pêche maritime
à Saint-Louis comme le montre
13 Walfadjri du 25 Mai 2004
70
l'évolution des volumes de débarquement qui sont
passés de 38 440T en 2003 à 53 787 T en 2004 d'après les
statistiques du SRPSM.
Ces chiffres résultent d'une amélioration des
conditions (débarquement beaucoup plus facile du côté du
fleuve) et d'un regain de dynamisme de l'activité (augmentation des
sorties en mer). Des effets négatifs sont cependant
évoqués par les pêcheurs notamment la difficulté
à passer la brèche après le crépuscule du fait de
la présence de hauts fonds (bancs de sable) difficilement
repérables la nuit et sur lesquels les pirogues se cognent. Plusieurs
accidents de nuit se sont ainsi produits au niveau de la brèche depuis
son ouverture. Selon les pêcheurs interrogés, 37 pirogues de senne
tournante et 6 pirogues de filets dormants y auraient chaviré,
provoquant 32 pertes en vie humaine et la disparition de 6 moteurs hors-bords
de 40 cv. Du coup, ceux qui partent le soir, sont obligés d'attendre la
levée du jour pour rallier le fleuve avec souvent une
détérioration de la qualité du produit (dégradation
plus ou moins importantes du poisson capturé la veille). Ce qui
occasionne des rejets assez importants si le poisson est abondant, ou une
affectation du poisson (produit frais impropre à la consommation)
à la transformation en poisson salé séché, ou
fumé consommable. Dans les deux cas, cela se traduit par des
répercussions négatives sur le revenu du pêcheur. Le
fait
![](Contribution--la-mise-en-place-d-un-dispositif-de-gestion-concertee-de-l-aire-marine-protegee-d29.png)
Figures 25. Vue en direction du sud de la
brèche
également que côté fluvial, les
pêcheurs embarquent et débarquent ensemble (sortie en mer
le soir et débarquement le matin) est un facteur de
saturation permanente du marché et de chute des prix.
Vue sous l'angle socioéconomique, la brèche
semble à priori avoir un impact positif immédiat sur la
pêche. En revanche il serait intéressant de s'interroger sur les
avantages à long terme du canal pour la pêche maritime
(augmentation de la pression sur la ressource et entraîne une sur
exploitation des stocks déjà très menacés) et les
impacts dans d'autres secteurs. Déjà en 2005 les
débarquements estimés à 49 000T ont connu une baisse de
plus de 4000T par rapport à 2004.
Selon certains scientifiques, l'ouverture de cette
brèche risque d'avoir des conséquences imprévisibles sur
la zone. ''La brèche va avoir un impact environnemental difficile
à gérer. Elle menace directement les îlots environnants et
va détruire la mangrove qui sert de refuge et de lieu reproduction aux
poissons, aux tortues et à plusieurs espèces d'oiseaux'' avertit
L MANÉ14, selon qui il fallait dévier
les eaux du fleuve dans la zone située entre Saint-Louis et le barrage
de Diama, à une vingtaine de kilomètres en amont de la ville. En
plus, sur cette bande de terre entre le fleuve et l'Océan Atlantique
sont établies des infrastructures hôtelières importantes.
Des hôtels
14 Professeur géophysicien à l'UGB
de Saint-Louis
71
qui sont à moins de deux kilomètres d'une
brèche qui ne cesse de progresser. M T NIANE15 confirme
que ce ne sera pas facile de stabiliser cette brèche à cause de
la configuration du sol du milieu. La Langue de Barbarie est constituée
de sable fin qui ne résiste pas à l'assaut des vagues. Le
Directeur du Service Régional de l'hydraulique soutient que l'urgence de
la situation ne leur avait pas laissé le temps d'examiner la
possibilité de dévier les eaux du fleuve en amont de la ville.
Pour lui, il fallait agir vite et la seule solution qui se présentait
à ce moment était de creuser ce canal pour réduire le
temps d'écoulement des eaux du fleuve vers la mer. Sinon, toute la ville
de Saint-Louis allait être sous les eaux. "Nous n'avions pas le temps
pour réfléchir sur les éventuelles conséquences. Il
fallait d'abord agir" affirme t-il.
Le canal a suscité également de grandes
inquiétudes du côté de certaines ONG. De l'avis de A
SOUMARÉ chargé de programme AMP au WWF-WAMER, "l'ouverture cette
brèche permet l'arrivée frontale des vagues de l'océan, ce
qui provoque une érosion mécanique de la Langue de Barbarie et
entraîne une modification de la mangrove". Pour le coordonnateur des
projets de l'ONG Wetlands International, "la brèche va perturber tous
les écosystèmes du milieu. La nappe d'eau douce de la zone est en
train de remonter en devenant de plus en plus salée, ce qui risque de
poser de graves problèmes d'alimentation en eau des populations
riveraines"
Des menaces pèsent également sur l'avenir des
cultures maraîchères qui constituent, l'activité principale
des populations des villages du Gandiolais contiguës à l'AMP et
adossés au PNLB. La remontée de la nappe suite aux intrusions
marines dues à la progression rapide de la langue salée à
la marée, salinise les terres et les rend de plus en plus
improductives.
Les conséquences négatives de la brèche
se font aussi sentir au PNLB. "Depuis l'ouverture de la brèche, le site
est perturbé et risque de disparaître. Déjà, les
bancs de sables(en particulier l'îlot aux oiseaux), qui servaient de
nichoirs à certains oiseaux et tortues, sont en train de
disparaître à cause des eaux", souligne les responsables du
Parc.
Depuis son ouverture, la brèche est devenue le passage
privilégié des pêcheurs de Guet-Ndar. Elle donne en plus
sur une AMP dont l'objectif est de promouvoir le repos biologique des
espèces qui y vivent. Donc, une zone à priori « tranquille
et peu dérangée ». En plus c'est une zone sensible (passage
obligé des espèces qui se reproduisent dans le fleuve et lieu
croissance des juvéniles de poissons d'eau saumâtre) et
potentiellement riche (surtout en crevette) qui doit selon les techniciens du
Service des Pêches absolument être protégée. C'est
donc, dans la somme de toutes ces positions par rapport au canal que
réside toute la complexité de l'Aire Marine
protégée de Saint-Louis à asseoir un plan de gestion
concerté autour d'une brèche diversement appréciée
(points de vu opposés) par les principaux acteurs concernés.
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