3. FONDEMENTS METHODOLOGIQUES DE L'ETUDE
3.1. Cadre théorique opérationnel
Pour déterminer ses appuis méthodologiques, la
présente étude a eu recours à : § La
Théorie de l'acteur stratégique (acteur et le
système)
Centrale dans la sociologie des organisations,
développée par Michel Crozier et Erhard
Friedberg, elle nous a permis de saisir, à travers les discours
et l'observation participative, les rationalités d'acteurs qui
président aux choix d'adhésion ou non aux réseaux des
pairs, les jeux et intérêts qui s'affirment , interagissent ou
s'opposent,
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leurs impacts sur les actions collectives et
l'efficacité ou non de celles-ci sur les objectifs de
développement, solidarité ou d'intégration en France. Dit
autrement, la démarche a consisté à analyser le
fonctionnement et la structuration des organisations de migrants en partant des
caractéristiques et des stratégies individuelles ou collectives
propres aux membres qui les composent.
Cette théorie s'appuie d'ailleurs sur trois principes
majeurs relatifs au concept de stratégie que nous avons repris à
notre compte dans le cadre de cette étude:
- Renforcer la capacité d'action en
aménageant dans le même temps des marges de manoeuvre est le sens
majeur des actions des acteurs dans une organisation;
- Le comportement des acteurs a toujours un sens
intrinsèque même si les projets peuvent parfois manquer de
cohérence ou de clarté;
- Tout comportement humain est actif dans la mesure
où il résulte d'un choix et s'ajuste de façon opportune en
fonction du comportement possible d'autrui.
À la lumière de ces principes, nous avons
émis l'hypothèse que les stratégies du migrant membre de
groupes associatifs s'élaborent au fur et à mesure eu
égard à la situation dans laquelle il est
impliqué, son statut, les actions engagées, les objectifs de
l'organisation qui peuvent converger ou non avec ses intérêts
propres, les ressources dont il dispose et tirent parti, les relations
entretenues avec les uns et les autres, ici et là-bas, les rapports de
pouvoir qui ne manquent pas dans une telle configuration sociale, les
représentations individuelles. Ce qui revient aussi à analyser
les «effets de composition » ( Raymond Boudon), ou la façon
dont un processus social naît de l'agrégation des actions
individuelles, l'issue du jeu, le décalage significatif entre le
rôle et les actions et comportements de l'acteur. Ainsi, lorsque le
sentiment d'appartenance au groupe, à une culture nationale
sédimentée dans les objectifs et missions de l'organisation
apparait faible, il s'en suit une difficulté pour les migrants pourtant
issus du même pays et de sensibilités ethno-régionalistes
et politiques semblables ou différentes à se
fédérer en constituant une diaspora intégrée propre
à ce pays, au sens où on parle de la diaspora russe ou indienne.
Il restera néanmoins à comprendre comment en dépit de
cette hétérogénéité qui traverse et affecte
les groupes diasporiques africains, ceux-ci parviennent néanmoins
à maintenir leur identité propre et à se
pérenniser.
La grille d'analyse par la stratégie
permet également d'éclairer les initiatives
entreprises par les migrants, les logiques de leurs actions (approche
compréhensive), en vue d'accroître leurs possibilités de
s'insérer dans le tissu socio-économique en France ou
d'intégrer durablement le marché de l'emploi, de s'y maintenir en
sécurisant les parcours professionnels ou en optant pour la
mobilité professionnelle qui peut s'accompagner de la mobilité
résidentielle. Ce qui implique une lecture analytique de la situation
(contexte historique et institutionnel, symboles, dispositifs&) qui
participe à la formation des logiques d'action.
L'enquête de terrain est à cet égard un outil
de collecte de données particulièrement indiqué. Par cette
analyse empirique, nous rejoignons :
Le paradigme de l'individualisme
méthodologique
Il est en usage dans les sciences économiques et
sociales et explique par une approche ascendante les phénomènes
collectifs à partir des attributs des individus (volonté,
motivations, possibilité d'agir en acteur libre, dispositions,
croyances, ressources, relations) et leurs actions.
Ainsi, pour comprendre les groupes diasporiques, ses forces et
ses faiblesses, et leur capacité d'action, il faut analyser les buts,
intérêts et actions des individus. En ce sens, ce paradigme
s'oppose au holisme qui part du global pour expliquer le particulier (approche
descendante).
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Nous allons d'ailleurs introduire un fléchissement
à la lecture individualiste des processus sociaux en indiquant
l'importance des structures sociales comme lieux de socialisation et de
construction de l'identité, de promotion des mécanismes
identitaires, comme c'est le cas pour les associations de migrants
constituées sur une base ethnique, professionnelle, institutionnelle,
financière, technique ou scientifique. La sociologie bourdieusienne ne
dit pas autre chose qui postule que les intentions et les individus sont
globalement déductibles de la place qu'ils occupent dans la
société, bien au-delà de leurs motivations et
intérêts propres. Ainsi Jean-Pierre Dupuy parle-t-il
d'Individualisme méthodologique complexe (ou
IMC) qui réconcilie les deux paradigmes sus-cités. En clair, les
actions individuelles s'agrègent et modifient les structures sociales
qui à leur tour « produisent des effets cognitifs sur les
individus et déterminent en partie leurs actions. » (J-P
Dupuy).En somme, une interdépendance entre action et structure.
Ce qui nous amènera ensuite à aborder la
question de la conduite du changement en
organisation, chère à la sociologie des
logiques d'action, avec l'idée centrale que la
réussite du changement dépend de la structuration d'une
organisation en réseau. Autrement dit, une meilleure
intégration socio-économique et professionnelle des migrants en
France dépend pour beaucoup de l'organisation en réseaux
intégrés des groupes diasporiques de même origine
dispersés dans différentes régions du même pays
d'accueil ou dans d'autres pays de destination. La multiplication des
réseaux secondaires forts en clair (Natalie Buga, 2011).
Au final, la présente recherche pour l'action accorde
une place centrale à : § La sociologie des
organisations
Elle agrège l'ensemble des paradigmes explicatifs
évoqués plus haut. C'est une branche de la sociologie qui prend
pour étude la manière dont les acteurs construisent et cordonnent
des activités organisées, les modes de gouvernance des
organisations et les interactions de celles-ci avec l'environnement
socio-politique, technique, économique et culturel direct ou distant.
Hiérarchie et relations de pouvoir, lien social et
identitaire, phénomènes culturels, étude de la circulation
de l'information et outils de communication, les situations conflictuelles sont
autant d'angles d'étude abordés par la sociologie des
organisations et que nous ferons nôtres dans l'analyse
empirique des individus et des groupes diasporiques sub-sahariens dans le
périmètre géographique du Grand Lyon en Région
Rhône-Alpes.
Pour renforcer notre armature théorique, nous
évoquons de façon marginale:
§ Les théories générales
des migrations (positives et normatives): Elles font un focus sur
les
apports globaux des mouvements migratoires au
développement des pays des départs;
§ Les approches socioculturelle,
économique et processuelle permettant de saisir au mieux
des pans de l'entreprenariat immigré dans notre zone d'investigation;
§ Les théories des réseaux sociaux
et de l'acteur-réseau pour nous guider dans l'analyse des
logiques et dynamiques de mise en réseaux des OSIM africaines dans le
Grand Lyon spécifiquement.
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