§ 2 - Les vices cachés en cours de travaux et
après réception des travaux
En l'absence d'un code propre à la construction, les
problèmes liés aux vices de construction en période de
travaux sont réglementés dans un cadre contractuel
général du DOC et c'est l'article 89 qui pose les règles
générales des vices cachés2.
Quant aux marchés publics, les vices de construction en
période de travaux sont réglementés par l'article 41 du
CCAGT-T3
La période de maintenance comprise entre la
réception provisoire et la réception définitive n'est pas
régie par une loi. Elle ne l'est que pour les marchés publics
dans le cadre du CCAGT-T qui définit et impose une garantie de parfait
achèvement et qui s'étale entre la réception provisoire et
la réception définitive4. En d'autres termes, les
marchés de travaux privés ne sont régis que par le contrat
liant le maitre d'ouvrage aux constructeurs ou dans des cas par les coutumes et
pratiques courantes et habituelles du secteur.
§ 3 - Les effets juridiques de la réception des
travaux
Telle qu'elle est pratiquée par les professionnels du
BTP, la réception est un acte à caractère juridique d'une
part et unilatéral d'autre part ; émanant de la seule
volonté du maître de l'ouvrage. L'importance et la
complexité d'un ouvrage demandent en général des examens
et tests techniques étalés sur plusieurs jours et ce en
présence et
1 Lambert-Faivre (Y), Risques et assurances des
entreprises, Paris, Éditions DALLOZ, 1991, P 709
2 Art 89 «Le propriétaire d'un
édifice ou autre construction est responsable du dommage causé
par son écroulement ou par sa ruine partielle, lorsque l'un ou l'autre
est arrivé par suite de vétusté, par défaut
d'entretien, ou par le vice de la construction. .....Lorsqu'un autre que le
propriétaire est tenu de pourvoir à l'entretien de
l'édifice, soit en vertu d'un contrat, soit en vertu de l'usufruit ou
autre droit réel, c'est cette personne qui est responsable.
3 Art 41 « Lorsque le maître d'ouvrage
présume qu'il existe un vice de construction dans un ouvrage, il peut,
jusqu'à l'expiration du délai de garantie, prescrire par ordre de
service motivé les mesures de nature à permettre de
déceler ce vice. Ces mesures peuvent comprendre, le cas
échéant, la démolition partielle ou totale de l'ouvrage
présumé vicieux. »
4 Art 67 « Le délai de garantie est,
sauf stipulation contraire du cahier des prescriptions spéciales ou du
cahier des prescriptions communes, égal à la durée
comprise entre la réception provisoire et la réception
définitive. Pendant le délai de garantie, indépendamment
des obligations qui peuvent résulter pour lui de l'application de
l'article 68 ci-après, l'entrepreneur est tenu à une obligation
dite « obligation de parfait achèvement » au titre de laquelle
il doit, à ses frais : ... »
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la participation de plusieurs corps de métiers. Mais un
seul procès-verbal est cependant dressé et signé par les
participants pour marquer une date unique comme point de départ des
différentes garanties à la charge de tous les professionnels
intervenant dans la réalisation du projet.
La réception est prononcée
«contradictoirement », c'est-à-dire que l'entrepreneur doit
être présent ou appelé à la réception, mais
celle-ci demeure un acte unilatéral, et l'entrepreneur n'a pas à
y donner son consentement.
L'acte de réception est un acte des plus importants
dans la construction. Il marque en effet deux effets juridiques : le transfert
de propriété de l'entreprise vers le maître d'ouvrage et le
commencement de garanties restant à la charge de l'entreprise. Les
entreprises ont la responsabilité de parfaire la construction et de
réparer les vices détectés au moment de la
réception provisoire. Le procès verbal de la réception
ainsi établi va comporter des réserves que l'entrepreneur qui en
est responsable doit lever avant le prononcé de la réception
définitive. Même si le contrat liant le maître d'ouvrage aux
entreprises spécifie une période ; généralement
d'une année; séparant les deux réceptions, il arrive
très souvent que le prononcé de la réception
définitive prend plus d'une année après l'acte de la
réception provisoire. Les raisons de ce retard sont multiples et peuvent
dans certains cas exprimer la mauvaise volonté du maître d'ouvrage
à vouloir garder l'entreprise sur les lieux et continuer la garde du
chantier. Dans le cas de la France, les effets juridiques de l'acte de
réception se résument comme suit :
- L'exonération de responsabilité des
constructeurs des vices apparents ce qui vaut
acceptation des travaux par le maitre d'ouvrage.
- La réception marque le point de départ de tous
les délais de prescription. En effet, l'article 2270 du Code civil a
unifié le départ de trois délais; à compter de la
réception ;à savoir :
? le délai d'un an de garantie de parfait
achèvement servant à parfaire la
construction et lever les réserves émises dans
le procès verbal de la réception ; ? le délai minimal de
deux ans de garantie de bon fonctionnement des éléments
d'équipement du bâtiment ;
? le délai de dix ans de la responsabilité des
constructeurs dont le point de départ n'est plus reporté comme
auparavant à la date de la levée des réserves
émises dans le procès verbal de la réception. Cette
disposition sert à libérer les constructeurs et transférer
la propriété au propriétaire de l'ouvrage même si
leur
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responsabilité pourrait être retenue en cas
d'apparition de pathologie. Le législateur a refusé de maintenir
indéfiniment les entreprises sur chantier.
- Le transfert de la propriété s'opère
directement après cet acte de réception. D'ailleurs, l'article
1788 du Code civil français exprime clairement ce transfert la perte de
la chose à la charge de l'entrepreneur au maître d'ouvrage
après l'acte de la réception. «à la réception
s'opère donc un transfert des risques de l'entrepreneur au maître
de l'ouvrage.1
Pour ces raisons invoquées, il existe plusieurs types
de réceptions : la réception peut être amiable, de
manière tacite, expresse ou judiciaire2 que nous
définirons ci-après :
a - la réception tacite
Cette forme de réception traduit le caractère
amiable émanant du maître d'ouvrage envers les constructeurs et ce
en acceptant son ouvrage de façon implicite. Il accepte son ouvrage de
manière expresse et sans la formalisation de cet acte dans un
procès-verbal. Il paie l'intégralité des travaux aux
entreprises et prend possession de son ouvrage.
Au Maroc, cette forme de réception est très
largement répandue et pratiquée surtout dans les petits et moyens
chantiers. C'est le cas ; notamment ; des personnes qui construisent pour leur
propre compte.
En France, cette modalité était largement
répandue et admise avant l'application de la loi de 1978 dite « Loi
SPINETTA ». Cette dernière a condamné cette forme de
réception dans l'article 1792-6 du code civil français et ce en
exigeant la formalisation de l'acte de réception par un procès
verbal. En effet, la réception est d'une particulière importance
vu qu'elle marque le point de départ des différents délais
légaux3. Le législateur a voulu écarter et
enlever toute incertitude sur la date de la réception et la
concrétiser de ce fait par un document écrit et signé qui
n'est autre que le procès-verbal de réception.
Mais malgré l'existence de cette loi et son exigence de
formalisation de l'acte de la réception, plusieurs petits entrepreneurs
et artisans ainsi que des maîtres d'ouvrage ignorant la loi, ont
perpétué la tradition d'absence de formalisme. La non
application
1 - Risque de la chose (art. 1788 c. civ.):
Civ. 1re , 4oct. 1988, Argus 1988, p. 2839.
2 Op.cit. Lambert-Faivre (Y), Risques et assurances
des entreprises.
3 Ibid
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de l'article 1792-6 se traduirait par l'absence de
réception et entraînait tout simplement la non mise en oeuvre de
la responsabilité décennale.
Cette situation non confortable a provoqué de vifs
plaidoyers de la doctrine1. Enfin de compte, le COPAL 2 a
rendu un avis conforme et la Cour de cassation a finalement admis la
validité de la réception tacite dans deux arrêts rendus le
23 avril 19863. Cependant, même si la réception est
tacite, l'expression de volonté du maître d'ouvrage et des
entreprises doit être non équivoque4.
Par ailleurs, un arrêt rendu le 12 juillet 1989 par la
troisième Chambre civile est venu réconforter cette position en
reconnaissant la réception tacite alors même que les travaux ne
sont pas achevés en raison de la disparition pure et simple de
l'entreprise5.
Un autre jugement a reconnu que « la prise de possession
sans réserve autre que sur le prix vaut réception tacite
»6.
Un autre cas peut se présenter qu'est celui de
l'acceptation implicite : un coktail organisé par le maître
d'ouvrage a été reconnu comme une acceptation de l'ouvrage et de
ce fait une réception tacite7 ou encore le refus de
réception de l'ouvrage à cause de malfaçons
constatées dans l'ouvrage a été reconnu8.
b - La réception amiable
Ce type de réception se concrétise par
l'établissement obligatoire d'un procès-verbal signés par
les participants à l'acte de réception et qui peut comporter ou
non des réserves. Les réserves sont
énumérées et précisent les travaux de
réparation qui devraient être entrepris par l'entreprise
responsable. Dans le cadre des marchés publics
1 Moniteur des T.P. et du Bâtiment., N°
spécial n° 87-43 bis du 230ct. 1987; cf. G. LEGUAY, «La
réception tacite sous l'empire de la loi du 4 janvier 1978 ou le choix
d'un moindre mal », R.D.I. janv. 1988, p. 114.
2 COPAL (Comité pour l'application de
la loi du 4 janv. 1978), 10-12, rue du Capitaine Ménard, 75015 Paris.
Rapport du COPAL sur « Le problème de la réception implicite
».
3 Validité de la réception tacite:
Doctrine: J.-P. KARILA «Plaidoyer pour la réception tacite sous
l'empire de la loi du 4 janvier 1978 », Gaz. Pal. 10 août 1986, p.
13; R. MARTIN, « Sur la réception tacite de l'ouvrage », Ass.
fr. 1987.160.
Jurisprudence: Agen, 26 févr. 1985, D., 1986.24, note
J.-P. Karila; Paris; 20 nov. 1985, D. 1986.567, note J.-P. Karila; Civ. 3e, 23
avr. 1986 (deux arrêts), J.C.P. 1987.II.20812, note D. Tomasin;
4 Réception tacite, volonté non
équivoque requise: Civ. 3e, 4oct. 1989, R.C:A. 1990, n° 202 ; Civ.
2e, 3 mai 1990, R.C.A.1990, n° 336; Civ. Fe, 14févr. 1990, Gaz.
Pal. 8 mars 1991, p. 25, note J. Roussel (la preuve de la réception
incombant à l'assuré n'est pas rapportée).
Civ. 5e, 4 avr. 1991, Argus 1991.1475 « Caractère
contradictoire de la réception non établi ».
5 Réception des travaux inachevés : Civ.
3e, 12 juill. 1989, D. 1989.I.R 238, et R.D.I. 1990, p.l05
6 Civ. 3e , 16 juill. 1987, D. 1987.577,
R.G.A.T. 1988.351 « la prise de possession sans réserve autre que
sur le prix vaut réception tacite »
7 Civ. 3e, 13 juin 1990, R.C.A. 1990, n° 357
(participation à un cocktail de réception donné par
l'entrepreneur avant l'entrée dans les lieux des
copropriétaires).
8 Civ. 3e, 21 nov. 1990, R.C.A. 1991, n° 63
(refus de réception en raison de graves malfaçons vaut
réception tacite).
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Responsabilité civile et assurance des
constructeurs au Maroc Limites et carences de la
législation
maroucains, cet acte concrétise la
matérialité de la garantie de parfait achèvement
énoncée dans l'article 67 du CCAG-T.
c - La réception judiciaire
Comme nous l'avions signalé précédemment,
il arrive souvent que le maître d'ouvrage ; pour diverses raisons qui lui
sont propres ; refuse de réceptionner l'ouvrage et l'entreprise se
trouve prisonnière dans le chantier. Dans ce cas précis,
l'entrepreneur sera obligé d'assigner le maître d'ouvrage devant
la justice afin de prononcer la réception judiciaire. La
réception judiciaire est prononcée par le juge1 en
l'absence de toute réception amiable, expresse ou tacite, du
maître de l'ouvrage. La date de la réception sera celle de la
décision judiciaire.
Mais il y a lieu de distinguer cette forme deréception
de la la réception tacite constatée judiciairement. En fait, une
réception ; tacite soit elle ; peut être contestée par
l'une des parties contractantes et sera de ce fait constatée
judiciairement par le juge à partir d'éléments qui
démontrent la volonté du maître de l'ouvrage d'accepter les
travaux tels qu'ils se présentent i.e avec ou sans
réserves.
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