Le traitement des défaillances bancaires des établissements de microfinance( Télécharger le fichier original )par Grégoire TCHOMGUI KOUAM Université de Dschang Cameroun - Master II recherche 0000 |
B. La création souhaitée d'une centrale de risques.L'un des facteurs qui fragilise la santé des EMF est l'inexistence d'une centrale de risques. Le législateur communautaire en la matière avait confié la mission de créer une centrale de risques à la BEAC, mais rien n'a été fait dans ce sens265(*). Pourtant, même dans les pays développés où le mécanisme de la microfinance est bien connu du public, la réglementation de la centrale de risques n'a pas échappé à la vigilance du législateur.266(*) La centrale de risques est une plate forme d'information sur les clients des EMF au sujet des engagements que ceux-ci ont contractés dans les EMF. C'est un instrument qui permet de lutter efficacement contre le problème de l'asymétrie d'information entre l'établissement et ses clients. En l'absence de cet instrument en Afrique Centrale, les EMF sont soumis entre autre au risque de surendettement des clients car même la pratique des garanties ne permet pas d'échapper à ce risque. En effet, le client peut donner en garantie le même bien pour obtenir du crédit dans plusieurs EMF sans que la valeur vénale du bien soit suffisante pour apurer ces différentes dettes. Ainsi les différents EMF se trouveront butés lors de la réalisation de la garantie à son insuffisance. La Centrale des risques sert donc à éclairer les décisions d'octroi du crédit aux clients. Elle devrait indiquer les risques négatifs en présentant sur une "liste noire" les créances impayées et les incidents de paiement ainsi que leurs auteurs, permettant ainsi aux autres établissements de mesurer la probabilité de remboursement du client. Elle pourrait en revanche indiquer les risques positifs qui renseigneront sur les crédits en cours et le niveau d'endettement des clients. Ces informations permettront ainsi aux EMF de mesurer les capacités financières et la crédibilité du client afin de voir s'il est possible de continuer de lui octroyer du crédit ou pas. La COBAC en tant que autorité de régulation du secteur bancaire aurait dû prendre sur elle l'initiative de la création d'une centrale des risques pour les EMF. En raison de son mode opératoire particulièrement souple, le secteur de la microfinance en Afrique centrale ne manque pas d'attirer les "escrocs" et des acteurs économiques particulièrement attachés aux activités purement spéculatives et par conséquent à haut risque. L'existence d'une plate forme de risques mettrait donc les EMF à l'abri. Ceux-ci devront soutenir le fonctionnement de cette instrument en contribuant aux charges de fonctionnement et en fournissant les informations sur les clients, ou du moins sur ceux à qui le crédit à été accordé au-delà d'un certain montant. La communication des informations dans cette banque de données devra être facilitée par les NTIC267(*). La COBAC pour parfaire cette mission aurait dû se nourrir de l'expérience de certains pays africains suffisamment avancés dans ce domaine268(*). A défaut de création d'une plate forme de risque par la COBAC sous l'impulsion de la BEAC, la réglementation pourrait donner la possibilité aux entreprises privées de s'investir dans ce domaine. Ainsi, ces entreprises auraient le choix de se spécialiser soit dans la production des risques négatifs, soit dans celle des risques positifs. De telles structures autonomes devraient fonctionner en étroite collaboration avec les EMF qui y consulteront les fichiers de leurs clients après avoir versé une modeste contribution. Ces sociétés privées ne se limiteraient pas aux informations concernant l'état d'endettement des personnes, mais pourraient compléter avec des informations relatives au statut familial, à l'emploi, au salaire, etc., qui à notre sens sont des facteurs qui témoignent de la crédibilité d'une personne269(*). Par exemple, au Rwanda, plusieurs sociétés privées agréées par l'autorité monétaire exercent dans ce domaine270(*). Mais l'existence d'une centrale des risques, qu'elle soit l'émanation de la COBAC ou des sociétés privées, oblige ses promoteurs à faire face à plusieurs défis. D'abord une contrainte juridique relevant du secret bancaire qui est aujourd'hui levé du moins en ce qui concerne l'origine et le montant des avoirs des clients en compte. Un autre défi qui n'est pas le moindre est celui de l'enjeu technique. La gestion d'une centrale des risques exige que les agents aient des aptitudes techniques inouïes. En effet, la fiabilité d'une centrale de risques dépend de la dextérité des agents dans la production et la gestion des informations. Cette habilité permettrait d'éviter les erreurs qui, dans les faits, seront préjudiciables aux clients et à la centrale elle-même. Au regard de la nature hautement risquée des activités des EMF en Afrique Centrale, comment comprendre que les EMF aient été exclus de la centrale des risques ? Cette exclusion peut se comprendre aisément si on s'en tient à la conception initiale du volume des activités des EMF. A l'origine, le volume des activités des EMF a été minimisé par le législateur communautaire. Il voyait l'EMF confiné dans des opérations de microcrédit. Il revenait donc aux EMF de limiter leurs activités à l'offre des microcrédits. Mais la pratique est toute autre et pousse les EMF à sortir de leur cadre d'activité initial. Si le domaine du microcrédit avait été respecté, le secteur n'aurait pas eu besoin d'une plate forme de risques d'autant plus que dans ce contexte, le risque devait être plus minimisé et traité par le système d'assurance interne271(*). Puisque les EMF de par le volume de leurs activités ont dépassé le cadre initial, il leur revient aussi de prendre leur destin en main afin de pouvoir gérer efficacement les risques découlant de leurs rapports avec la clientèle. Ils peuvent alors fédérer pour créer eux-mêmes une centrale de risques. Cette fédération passe par le resserrement des liens entre eux et le renforcement de leur coopération. L'exemple des réseaux CamCULL et MC2 au Cameroun montre tout l'intérêt que les EMF ont à établir une base solide de collaboration entre eux. L'ANEMCAM qui est également un grand ferment de coopération entre les EMF doit orienter ses actions dans le sens de la fédération d'une centrale de risques. A défaut, la simple coopération entre les EMF pourrait permettre de lutter efficacement contre les risques clients dans la mesure où elle permettra par exemple des échanges de listes des mauvais débiteurs entre les EMF272(*). Au total, il est sans conteste que la centrale de risques joue un rôle crucial dans le développement sain et efficient des systèmes financiers car elle approfondit les connaissances des entités sur les caractéristiques de leurs débiteurs et leur permet aussi de produire une estimation plus exacte concernant les probabilités de recouvrement. Les entités de microfinance sont alors obligées de mieux assigner leurs risques en évitant les problèmes de mauvaise sélection. Ainsi, les risques liés au crédit seront considérablement diminuées. D'autres techniques peuvent contribuer à la réalisation de ce dessein, notamment la présentation par le nouveau client d'une attestation de solvabilité. * 265 L'art. 66 du Règlement du 13 avril 2002 dispose à cet effet que : « La Banque des Etats de l'Afrique Centrale assure la centralisation des risques des établissements assujettis ». Mais aucun texte n'a malheureusement été pris à ce sujet. * 266 Nous pensons ainsi notamment au cas de l'Allemagne, de l'Italie et de l'Espagne. V. LHERIAU L. , « Règlementer la microfinance : l'activité, le crédit, l'épargne », Master 2, microfinance et développement, Faculté de Droit et de Science Economique, Université de Nancy cedex, 29-30 mars 2006, p. 77 et s. * 267 Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication. * 268 C'est par exemple le cas en Algérie où la Banque Centrale a créé à ce sujet deux centrales : l'une indiquant les incidents de paiement (chèque, crédit etc.) et l'autre indiquant les risques de crédit en cours au delà d'un certain montant. V. LHERIAU L., op. cit., p. 79. * 269 Aux USA, le système de crédits bureaux, plus connu sous le nom de crédit reporting agencies fournit de telles informations. De même an Grande Bretagne, le système baptisé crédit rating agencies oeuvre pareillement. Les répertoires que ces structures disposent sont consultés par « toute personne justifiant d'une finalité professionnelle légitime » notamment les employeurs pour s'assurer de la solvabilité de leurs salariés, les sociétés de crédit, les opérateurs téléphoniques, les fournisseurs d'énergie ainsi que les bailleurs qui sont considérés comme faisant crédit à leurs clients car ceux-ci ne payent qu'à la fin du mois. En Allemagne par ailleurs, une société dénommée la schufa « occupe une place prépondérante sur le marché des centrales positives ». Source : journal Le Monde, rapport CNIL, cité par LHERIAU L., op. cit., p. 78 . * 270 MAHA DASSOULI, « Rôle des centrales de risques dans la gestion des risques et l'augmentation de l'accès aux services financiers », rapport du forum sue les politiques réglementaires de la microfinance en Afrique du 25 au 27 mars 2009, Kigali, Rwanda, 16 avril 2009, p.5 et s. * 271 Il s'agit du mécanisme de provisionnement des créances en souffrance et celui du fonds de solidarité. * 272 C'est ce qui est fait au Mali par les EMF situés dans la zone de l'Office du Niger. Voir pour s'en convaincre LHERIAU L., op. cit., p. 79. |
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