La protection de l'environnement en droit coutumier congolais. Cas de pygmées de la province de l'Equateur en RDC( Télécharger le fichier original )par Bienvenu Wapu Samaki Université catholique du Congo - Gradué en droit 2012 |
Section2. DE STRATEGIES DE PROTECTION DE LA BIODIVERSITE ET DE L'ENVIRONNEMENT DANS LA SOCIETE TRADITIONNELLE CONGOLAISEDans la plupart de tribus africaines, comme dans les tribus congolaise, la nature était considérée comme le sol nourricier de l'homme, mais aussi comme lieu où habitent des esprits susceptibles d'interférer dans la vie sociale. La nature regorge des substances curatives nécessaires à la survie humaine, constitue la première ressource de substance pour l'homme et héberge des esprits généralement redoutables pour les vivants. En effet, les forêts, les savanes, les sources sont même réputés êtres de lieux de rencontres des sorciers ou des détenteurs des pouvoirs mystiques. C'est ce que l'on a taxé des croyances magiques ou animistes qui attribuent des pouvoirs ou voient des esprits dans la nature. Nonobstant, par ses activités économiques : la chasse et la cueillette, la pêche lagunaire, fluviale, l'agriculture de céréales et de tubercules associée à l'élevage et l'industrie minière (cuivre de Katanga) avec un outillage adapté et léger (houe, hache, machette, arc et flèche) et une énergie principale (l'homme et la femme), l'Africain et le congolais traditionnel pouvait exercer une violence sur la nature. Mais conscients de ce que des dieux immanents vivent dans la nature, les montagnes, les forêts, les eaux, il a mis en place des stratégies permettant d'éviter ou de prévenir les désordres (épidémie, disparition d'espèces vivantes, épuisement des minéraux, etc.) qui pourraient résulter de cette violence nécessaire. En fait, par ces stratégies, l'Africain et le congolais en particulier a le souci d'éviter la rupture entre lui et la nature, son partenaire divin et géniteur. Sacrifices, prières, obéissance aux interdits constituent ces stratégies. Il s'agit en somme de rites visant à conformer l'action ou la violence humaine à un ordre normatif que sont censés régir les dieux et les ancêtres, afin d'assurer la vie éternelle des sociétés et des humains. Quelques exemples suffisent à illustrer ces stratégies ou modes de négociation de l'homme avec son environnement naturel : En effet, chez les Lélé (province du Kassaï Occidental), ce peuple cultivateur de céréales et de tubercules, la tradition réglemente la fréquentation de la forêt selon le sexe (fréquentation suspendue pour les femmes lélé tous les trois jours).Chez les Boba (province de l'Equateur), mais aussi chez le mwè (province de l'Equateur), la forêt ne tolère la venue des personnes (sauf les hommes pour extraire leur vin de palme), pendant les jours dits noirs ou néfastes. Tout le monde est obligé de rester au village. Sous un aucun prétexte, la femme ne doit se rendre ce jour-là en forêt ; car les génies, les vrais propriétaires des terres rentrent ce jour-là en possession de leur territoire et de leurs biens. Ce jour néfaste correspond soit au vendredi soit au mercredi .La tradition indique aussi le procédé de capture, l'espèce et le nombre d'animaux accessible aux chasseurs bénis par les ancêtres. Par ailleurs, à tel moment, le calendrier rituel prescrit la clôture de la forêt à la chasse, à la pèche ; à tel autre moment, il en ordonne l'ouverture. Il ya également au titre des stratégies, Chez les lélé la morale qui tantôt proscrit le bruit susceptible soit d'éloigner le gibier, soit de réveiller les esprits malveillants et d'exciter leur colère. Cette morale interdit aussi, dans la plupart des sociétés africaines et tribus congolaises, aux femmes en période de menstruation de se rendre en forêt, en ce sens que le sang des menstrues souille la nature. Si chez le Ngbugbu (esclaves des ngbandi) au nord Oubangui à l'Equateur, une femme est surprise par ses règles alors qu'elle est au champ ou au travail, elle viendra demander pardon à l'endroit en déposant des oeufs. En agissant ainsi, elle évitera de connaitre une série de malheurs. Aussi, dans d'autres tribus, des personnes qui se sont accouplés la nuit au village ne peuvent-elles se rendre au champ pour y travailler qu'après s'être lavées ; car il ne faut pas emmener des impuretés sexuelles aux champs, à plus forte raison y commettre l'adultère ou simplement y consommer des relations sexuelles. Jean ONAOTSHO nous fait savoir que : « chez les Tetela, ils ont connu l'existence des animaux totems qui ne devraient en aucune manière être abattus ou consommés par les membres des clans concernés. Cette pratique a fait que les animaux (et quelque fois les végétaux) ont été protégés par des interdits totémiques. En effet, chaque clan ayant au moins un animal totémique, savait plus au moins préserver ce qui dans l'autre clan n'était pas considéré comme tel et faisait l'objet de la chasse. Outre les interdits totémiques, d'autres pratiques des forces maléfiques, sinon négatives à certains animaux lorsqu'elles n'interdisent pas carrément à quelque catégorie sociale de se nourrir de telle ou telle autre espèce de la nature. Certains animaux sont liés au pouvoir du chef et interdits de chasse. On connait également des pratiques qui contribuent à décourager la chasse de certains animaux, en accordant, de droit, les parties les plus importantes du gibier au chef du village. Cette réglementation ne motive pas la chasse de gibier dont la consommation est frappée des telles restrictions. Certains bosquets sont entourés des mythes qui interdisent toute chasse ou toute exploitation, au risque d'être attaqué par les esprits ou frappé de malédiction par les anciens. Toutes chasse ou pénétration dans ces forêts requerraient(ou étaient suspendues à) une autorisation expresse des anciens, des sages du village qui alors procédaient à des rites et cérémonies susceptibles de conjurer les esprits, sinon de les calmer. Ces sont donc les sages qui réglementent l'exploitation de ces forêts. »64(*) Pour Memel-Fote, « tous les phénomènes de la nature sont des dieux spéciaux : les astres, les eaux, le tonnerre, l'arc-en -ciel, l'éclair (et que) toutes les grandes activités fondamentales de l'économie sociale ont leur dieu : dieu de l'agriculture, de la forge, de la pêche, de la poterie »65(*) La terre apparait aux yeux des africains poursuit -il : « comme la matrice universelle et le réceptacle de toutes les puissances et de toutes les divinités. Ainsi, les divinités confèrent à la végétation, sortie de la mère-déesse terre, après sa fécondation par le feu (énergie) et l'air (souffle), un caractère sacral. C'est pourquoi le travail de l'homme ne sera possible que par sanction des locataires invisibles de la terre »66(*). De là découlent les rites, qui précèdent les semailles et récoltes : par des libations, des sacrifices et des offrandes, on implore le pardon des divinités, non seulement pour le désagrément causé, mais également pour rendre favorable la semence : « Toute la journée, le Baoulé vit avec des objets vivants. Quand il commence à cultiver son champs, en enfonçant sa houe dans le sol, il présente ses excuses à la terre : « pardonne-moi, terre, si je te frappe ainsi, ce n'est pas par méchanceté, mais parce que j'ai besoin de toi pour ma nourriture et celle des miens. Sois indulgente pour nous .A la chasse, il parle à son filet, lui demande d'être favorable et de lui faire obtenir une bonne qualité de gibier. En traversant la rivière, il supplie : Excuse-moi, je suis obligé de traverser, ne me tue pas »67(*) Aussi, dans la nature, certains espaces (forêts, rochers, montagnes), certaines espèces végétales sont-ils considérés comme des domiciles de dieux qui sont de véritables sanctuaires dont la fonction principale est de permettre aux humains d'entrer en communication avec le sacré prince Dieu. Ces espaces et espèces sacrés sont inviolables. Ils sont interdits à toutes personnes n'appartenant pas à la confrérie des initiés : adorateurs, gardiens de la tradition, initiateurs, porteurs de masque. De même ils sont interdits à la hache ou machette des défricheurs. Non seulement on ne doit jamais travailler ces endroits, mais on ne doit jamais non plus couper du bois aux alentours, ni pêcher dans les rivières qui traversent, ni toucher certains arbres, ni également y chasser du gibier, car certains animaux y sont sacrés. Il est formellement interdit écrit IBO de : « pêcher du poisson dans certaines rivières qui abrite les silures sacrés .Il est également interdit de faire des champs aux environs de la rivière. Ce qui permet de conserver un petit massif forestier protégeant le cours d'eau contre l'assèchement ; il est établi un jour de la semaine où il est défendu aux femmes de se rendre à la rivière, favorisant ainsi la remise à niveau de la petite mare. En cas de violation de l'une de ces interdits, le coupable doit sacrifier un animal domestique »68(*) Il convient d'affirmer avec force que ces pratiques ne sont pas étrangères dans beaucoup de nos tribus en RDC. A ce propos, les études menées sur le plateau de Batéké par l'équipe du CERDAS nous montrent que la population Teke habitant Ce plateau distingue deux types des forêts sacrées à savoir : La forêt sacrée « yama » et la forêt sacrée « matuere ». · La forêt sacrée « Yama » est un espace où résident les ancêtres et les esprits tutélaires. L'accès à cette forêt est bien réglementé. L'on ne peut y accéder que sur autorisation du chef du village. Elle est soumise à des nombreux interdits tels que : l'interdiction de s'y livrer aux activités d'exploitation agricole, de pêche, de chasse et de cueillette le jour sacré « Mpyo » au risque de se trouver face à face avec les génies. Ce qui est source de malheur. · La forêt sacrée « Yama » est un espace de légitimation du pouvoir : Lors de l'intronisation du chef coutumier, la dernière cérémonie consiste à conduire le chef au site sacrée pour certifier et authentifier le choix proposé par les notables. Lors de ce rite, l'agrément des sacrifices offerts par le chef est un gage de confirmation du choix de la communauté. Les cérémonies rituelles présidées par le chef coutumier sont précédées des travaux collectifs de propreté au tour des tombes des chefs décédés et ces sites résidentiels des génies. Dans l'imaginaire populaire Teke, les lieux où résident les chefs décédés et les génies doivent être des espaces ombrageux et spacieux en vue de leurs permettre de se promener librement. La forêt sacrée « Matwere » est un lieu de cristallisation des « fétiches » Le « Matwere » inspire crainte et respecte à la fois. Personne ne s'y hasarde pour les activités agricoles, de chasse ou de pêche sans l'autorisation du chef coutumier, car c'est le lieu où sont gardés les fétiches Teke.69(*) Dans d'autre tribus, à travers les différents interdits, les cultes, les contes et légendes qui font état des sanctions encourues par plusieurs contrevenants, les gardiens de la tradition consolident la crainte qui garantit la sécurité des forêts sacrées en interdisant de ramasser certains fruits quand ils tombent, couper des bois vers dans les forêts sacrées, tuer un animal en gestation, amener le feu dans la forêt, mis en jachère de champs... Au demeurant, disons qu'à travers les cultes aux ancêtres, les rites et cérémonies initiatiques, les populations et les gardiens de la tradition marquent leur commune volonté de préserver les richesses naturelles, culturelles et spirituelles que constituent et véhiculent les forêts sacrées. Cette adhésion volontaire est une des raisons qui garantit la sauvegarde des forêts sacrés. En adoptant de telles pratiques, les pouvoirs traditionnels et les populations locales avaient la pleine conscience de poser des actes essentiels de survie. Leur souci majeur était de protéger et de pérenniser leur environnement, véritable patrimoine vital pour les générations présentes et futures. Par ailleurs, ils avaient consciences que la destruction des forêts va de paire avec celle des peuples qui les habitent et des ressources en flore et en faune qu'elles abritent. La déforestation s'accompagne de pertes graves de la biodiversité au sens large (gènes, espèces, écosystèmes).Elle porte atteinte aussi bien au patrimoine culturel que spirituel des populations. Enfin, ils avaient conscience des bénéfices notables tirés de la conservation de la forêt. GOME soutient la même idée. Pour lui, selon les populations, les forêts sacrées remplissent les fonctions suivantes : « · Sécurité et protection (règlement des litiges, prises de décision, lieu de refuge, garde de fétiche) ; · Religieuse (sacrifice, culte, adoration) · Economique et recherche du bonheur (pharmacopée, procréation, recherche du bonheur) ; · Socioculturelle (cimetière, rites initiatiques, habitats de masques, cérémonies rituelles) ».70(*) C'est pour toutes ces raisons que les pouvoirs traditionnels ont toujours user de sagesse, de prudence et de prévoyance dans la législation durable des ressources naturelles considérées comme un don Dieu. Mais à présent voyons ce que nous dit le code forestier congolais et quelle place est réservé au peuple autochtone. * 64 ONAOTHO J., op.cit, p. 78 * 65 MEMEL F., Rapport sur la civilisation animiste, colloque sur les religions, Paris, présence Africaine, p. 31 * 66 MEMEL F., op.cit, p. 31 * 67 GUERRY V., La vie quotidienne dans un village Baoulé, cité par GADOU D.M., Préservation de la Biodiversité : Les réponses des Religions Africaines In Pratiques culturelles, la sauvegarde et la conservation de la biodiversité en Afrique de l'Ouest et du centre (Acte du séminaire-Atelier de Ouagadougou (Burkina-Faso) du 18 au21 juin 2001, Burkina-Faso, Zoom, 2001, p. 57 * 68 IBO J., La gestion Coutumière de l'environnement en cote d'Ivoire, cité par GADOU D.M., op.cit, p. 57 * 69 LAPIKA B., Savoirs Endogènes et développement durable en Afrique, In Respect de la nature et le développement, Enjeux éthiques du développement durable, Acte de la XVIIIème Semaine philosophique de Kinshasa, Colloque international Co-organisé avec l'ISP de l'UCL Du 20 au24 janvier 2009, Kinshasa, FCK, 2009, p. 145-146 * 70 GOME G.H., Les forêts sacrées en cote d'Ivoire : La tradition au secours de l'environnement In Pratiques culturelles, la sauvegarde et la conservation de la biodiversité en Afrique de l'Ouest et du centre (Actes du Séminaire-Atelier de Ouagadougou (Burkina Faso), du 18 au 21 juin 2001, Burkina-Faso, Zoom, p. 42 |
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