Les interventions du législateur dans le fonctionnement de la justice administrative au Cameroun( Télécharger le fichier original )par Cyrille Arnaud FOPA TAPON Cyrille Arnaud Université de Dschang Cameroun - Master 2012 |
B- L'atteinte portée au droit à un procès équitableLe droit à un procès équitable est au coeur de la doctrine juridique, car c'est un élément central et essentiel de l'Etat de droit, en tant qu'organisation de la soumission collective, c'est-à-dire les institutions collectives et privées et les personnes qui habitent cet Etat, au droit358(*). L'Etat moderne est celui qui se préoccupe de l'individu et qui construit les solidarités autour des principes de vie et d'organisation sociale359(*). Et, comme l'a affirmé le Professeur Marcellin NGUELE ABADA dans sa thèse360(*), la construction d'un Etat de droit démocratique suppose la manifestation de la volonté d'être régi par le droit, à l'exclusion de toute autre manoeuvre et, partant, la garantie d'un ordre social fondé sur la liberté et l'égalité. C'est également édifié un ordre juridique cohérent à partir et autour de la Constitution et organiser la sanction des violations du droit grâce à des juridictions qualifiées et totalement dévouées à la cause du droit361(*). Mais est-ce que cela est toujours observé? Le législateur camerounais est devenu le bourreau de la Constitution, sacrifiant ainsi à sa guise certaines exigences constitutionnelles relatives au droit à un procès équitable362(*) reconnu à tous les justiciables, tant en matière pénale, civile qu'administratif. Le contentieux administratif, du fait même qu'il convoque au prétoire la puissance publique, n'organise t-il pas lui-même un déséquilibre favorable à l'Etat?363(*) Le législateur contribue largement à l'inapplicabilité des exigences du droit à un procès équitable (1) ; ce qui empêche de ce fait le juge administratif de l'appliquer aux litiges qu'il est appelé à connaitre (2). 1- L'inapplicabilité des exigences du procès équitable dans le cadre des lois d'immunité juridictionnelle « L' «égalité des armes» garantie par le droit au procès équitable s'impose donc à un litige opposant des intérêts privés à des intérêts étatiques : l'égalité se situe donc entre les parties à la cause, le justiciable particulier et l'Etat »364(*). Le principe d'égalité des armes contenu dans la notion de procès équitable ne peut cependant empêcher toute ingérence du législateur dans une procédure juridictionnelle. Le législateur doit donc conserver une marge d'appréciation sur l'opportunité d'une intervention. Ce qui n'est pas toujours le cas. Cette égalité des armes est considérée généralement comme une « fiction » dans le procès administratif365(*). Le législateur rend inapplicable les exigences du droit à un procès équitable, dans la mesure où cette inapplicabilité est implicitement consacrée pour les lois d'immunité juridictionnelle en se présentant comme un obstacle à l'exercice par les administrés-justiciables de ce droit. Ainsi, comme on peut le constater, en consacrant les lois d'immunité juridictionnelle, le législateur camerounais a crée un régime d'inapplicabilité du droit à un procès équitable. Le droit à un procès rappelle les règles de procédure permettant le déroulement, à la satisfaction des parties, du procès devant la juridiction saisie366(*). Ainsi, tout justiciable doit bénéficier du droit d'accès à la justice, droit à une juridiction impartiale. Ces exigences, bien que reconnues principalement dans les procès civil et pénal, sont aussi valables en contentieux de droit public (constitutionnel, administratif et en matière fiscale). A la vérité, le principe de légalité, qui soumet l'Administration au respect de la loi, est aujourd'hui au prise avec les intérêts politiques éloignés du souci d'assurer la primauté du droit. Mais le législateur ne tient compte que de ces intérêts politiques qui entravent ainsi le droit à un procès équitable. La soumission du législateur, et dans une certaine mesure de l'Administration, au droit en général et à la Constitution et aux instruments internationaux auxquels l'Etat est partie en particulier, n'est plus de mise au Cameroun, au regard de l'atteinte portée au droit à un procès administratif équitable. Cette inapplicabilité rendue possible par le biais du législateur entraîne une inapplication de la part du juge. 2- L'inapplication des exigences du procès équitable dans le cadre des lois d'immunité juridictionnelle « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil »367(*). Ainsi présenté, le champ d'application du droit à un procès équitable, tel qu'il est défini dans le Droit International des Droits de l'Homme, semble ne pas devoir concerner, de près ou de loin, le juge administratif368(*). Il apparaît que l'application du droit à un procès équitable par le juge administratif n'est pas un simple gadget procédural, mais bien une nécessaire et indispensable exigence de Justice. Mais les constatations qui découlent de l'inapplication de ce droit ne favorisent-elles pas un déséquilibre entre les parties au procès?369(*) Cette difficile application du droit à un procès équitable en droit administratif tient au fait que le juge administratif n'est pas libre : il convient de préciser que le juge qui intervient dans le contentieux administratif ne se préoccupe généralement pas de la finalité des parties, il examine la demande et dit le droit. Par ailleurs, le problème qui pourrait se poser est celui de la liberté de ce juge à dire effectivement le droit sans mettre en péril son statut370(*). Le juge doit de ce fait se plier à certaines exigences extra juridiques imposées par le législateur qui s'érige en protecteur de l'Administration, lorsqu'il édicte des lois d'immunité juridictionnelle. Etant donné la peur et le laxisme du juge administratif camerounais, ce dernier participe à l'inapplication des exigences du droit à un procès équitable. L'administré-justiciable se trouve ainsi sacrifier, et son droit bafoué. On se serait attendu à ce que, en tant que protecteur des droits fondamentaux des administrés, le juge administratif camerounais puisse mettre en oeuvre un régime de protection contre l'immunité juridictionnelle dont bénéficient certains actes administratifs. * 358 NGUELE ABADA Marcelin, « La réception des règles du procès équitable dans le contentieux de droit public », in Juridis Périodique n°63, juillet-aout-septembre 2005, p.19. * 359 Ibidem. * 360 Etat de droit et démocratisation, Université de Paris I, 1995. * 361 NGUELE ABADA (M.), article précité, p.20. * 362 On ne saurait ignorer que le Cameroun est partie aux instruments internationaux qui garantissent le droit à un procès équitable : la Déclaration universelle des Droits de l'Homme de 1948, le Pacte International relatifs aux Droits civils et politiques de 1966 (entré en vigueur en 1976 en même temps que le protocole facultatif), la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples de 1981, lesquels instruments entrent dans le bloc de constitutionnalité. On peut de ce fait constater que le fait que l'Etat soit partie à ces instruments constitue une obligation pour les pouvoirs constitués. * 363 NGUELE ABADA (M.), article précité, p.20. * 364 ROSOUX (G.), « Le contrôle juridictionnel des « validations législatives » en France et en Belgique : un conflit de légitimité », in Revue de la Faculté de Droit de l'Université de Liège, De Boeck et Larcier, pp137-219. * 365 Du moment où l'Etat, voire l'Administration est partie au litige, cela demeure problématique. * 366 NGUELE ABADA (M.), article précité, p.21. * 367 Extraits des articles 14 § 1 du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques de 1966 ; 10 et 11 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948 ; et 7 et 26 de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples de 1981, instruments internationaux auxquels le Cameroun est partie. * 368 QUILLERE-MAJZOUB Fabienne, « Le droit à un procès équitable et le juge administratif », Beyrouth, 2001, p.2. * 369 Il convient de préciser que le contentieux administratif a un régime spécial, dans la mesure où un conflit de droit administratif est d'abord porté à la connaissance de l'Administration aux travers des recours administratifs et surtout le recours gracieux préalable, c'est-à-dire préalable à toute saisine du juge dans le fond. Voir NGUELE ABADA (M.), article précité, p.21. * 370 NGUELE ABADA (M.), article précité, p.21. |
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